Chapitre 9 : Réalité factice
Nous sommes environs quatre cent personnes dans Cinhol. Quatre cent personnes qui partagent nos convictions, et bien plus de Pokemon. Mais au début, nous n'étions que deux. Tout a commencé avec mon ami, et aujourd'hui encore, il est là pour me soutenir dans les pires moments.
Beaucoup parlent de mon incroyable talent de dresseur, de mon intelligence, mais mon ami est bien plus fort que moi. Sans lui, il y aurait longtemps que j'aurai tout abandonné. Si jamais il venait à disparaître, je ne pourrai pas tenir ce royaume seul.
*****
Cela faisait trois jours maintenant que Deornas restait cloitré chez le duc Isgon, et il commençait à en avoir assez, surtout quand Sire Shinobourge, pourtant tout aussi fugitif que lui, s'amusait à se montrer au nez et à la barbe des gardes puis à leur fausser compagnie. Se faisant, il signalait à Nirina qu'il était revenu, tout en la défiant et se foutant de sa royale gueule.
Deornas et Isgon n'approuvaient pas ses prises de risques. Non parce qu'ils craignaient pour lui, mais parce que ses actions menaçaient de rendre Nirina encore plus paranoïaque qu'elle ne l'était déjà. Les arrestations se multipliaient, souvent pour des raisons futiles ou imaginaires, et la grande partie des procès se concluaient par l'option "têtes et piques". Deornas en vint à se demander si le but de sa cousine était de faire de Cinhol une ville fantôme. Il était clair à présent que la reine n'avait plus toute sa tête, et la révolte populaire n'était pas loin. Deornas et le duc Isgon devaient vite filer tant qu'ils le pouvaient encore.
Mais le duc attendait l'arrivée de son fils Padreis. Ils avaient besoin de quelqu'un de l'intérieur de la cour pour les faire sortir en toute discrétion. Les sorties et les entrées de la cité étaient étroitement surveillées, mais quelqu'un ayant l'autorité de Padreis pourrait facilement soudoyer quelques gardes et leur procurer armures et cheveaux. Mais Deornas s'inquiétait pour quelque chose : si Padreis le voyait chez son père, irait-il le dénoncer à la reine ? Deornas considérait Padreis comme son frère, et savait qu'il était quelqu'un de bien, mais là, il ne s'agissait plus seulement d'aider un des Pokemon royaux à fuir. Il s'agissait de rébellion, et Padreis était très attaché à Nirina.
Deornas n'avait pas osé en parler avec le duc Isgon. Ce dernier aurait sans doute été très offensé qu'il mette la loyauté de son fils en doute. Isgon avait tendance à accorder sa confiance un peu trop facilement. Il était très attaché à un système de valeur basé sur l'honneur, et pensait que tout le monde l'avait adopté. Mais en réalité, des hommes comme lui, il n'y en avait plus beaucoup, de nos jours. Festil le Conquérant, le grand-père de Deornas, en avait été un, ainsi que son fils Rushon après lui, et le frère de ce dernier, Astarias. Du moins Deornas se plaisait à le penser. Son père, bien qu'étant un serviteur de la reine, était très attaché à la loyauté. Padreis avait-il hérité de la grandeur d'âme de son père ? Deornas le saurait très vite, car le duc venait de rentrer avec son fils. Ce dernier ne fut aucunement surpris en voyant Deornas ici. Il le salua comme il l'avait toujours fait.
- Tu t'es encore foutu dans la merde, mon vieux ? Ricana Padreis.
- À croire que j'aime cette substance plus que de raison.
- Nirina maudit ton nom chaque heure. À l'entendre, avoir aidé Shinobourge à s'enfuir est un moindre crime, comparé à celui d'avoir résisté à ses gardes et de fuir son jugement.
- Oui... Qui ne rêve pas d'avoir sa tête si bien en vue sur les murailles de la cité ?
- Et à ça, continua Padreis, s'ajoute des rumeurs lancées par les gardes qui te poursuivaient, comme quoi il y aurait dans la ville des gens venant de l'Ancien Monde et possédant des Pokemon.
- Les gens ont de ces imaginations...
Padreis ricana.
- Père m'a déjà tout raconté. J'aurai aimé rencontrer ces deux jeunes gens. Sire Shinobourge, content de vous revoir aussi, poursuivit le noble en s'inclinant devant le Pokemon.
Shinobourge lui adressa un bref couac, puis revint à ses occupations, c'est-à-dire à tirer ses feuilles tranchantes sur une cible collée au mur.
- Fils, nous avons besoin de ton aide, intervint le duc Isgon. Deornas et moi, nous partons pour Naglima ce soir. Nous savons que la reine a fait multiplier la garde autour de la cité. Elle n'a aucune raison de me retenir ici, mais pour faire sortir Deornas incognito, ce sera plus dur...
- Quel est votre plan ?
- Je pensais déguiser Deornas en l'un de mes hommes. Avec une de nos armures et nos heaumes, on le ne repèrera pas au poste de contrôle. Mais les gardes ont une fâcheuse tendance ces temps ci à répertorier tout le monde sur des listes. Ces sagouins doivent savoir précisément combien j'ai amené d'hommes avec moi, et qui ils sont. Si l'envie leur prend de vérifier en leur demandant d'ôter leurs casques...
- Je peux facilement modifier les listes, l'assura Padreis. Mais je ne parlais pas de votre plan pour sortir de Cinhol. Je veux dire... Qu'allez-vous faire à Naglima avec Deornas ? Il devra demeurer cacher, comme réfugié. Et même comme ça, je doute qu'il échappe éternellement aux yeux de Nirina. Ryates sait toujours tout.
Deornas se leva.
- Je ne compte pas rester cacher. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour reprendre le royaume des mains de Nirina.
Padreis cligna des yeux, seul signe de son étonnement.
- Je vois. Une révolte...
- C'est la seule solution, fils, dit Isgon. Nirina est folle et cruelle. C'est ton amie, je sais, mais ça n'enlève pas ce qu'elle est. Tu as bien dû t'en rendre compte, non ? Le nombre de têtes perchées sur les murailles ne cessent de s'allonger. Les petites gens de la cité continuent de mourir de faim, ce n'est pas nouveau, mais maintenant c'est carrément la classe moyenne qui croule sous l'impôt.
- Vous ne m'apprenez rien, père, soupira Padreis. J'en sais même plus que vous. J'ai connaissance de certains jeux pervers auxquels se livre la reine. Tellement horribles que je ne vous en parlerai même pas. Mais... la reine est la reine. Nirina est l'héritière légitime de Rushon Haldar. Nous avons toujours fonctionné de la sorte, même quand le roi était mauvais, et il y en a eu plein. Nirina n'est reine que depuis peu de temps. Si on lui laissait sa chance...
- Et combien d'innocents vont encore périr le temps que Nirina découvre la sagesse qui sied à la couronne ?! S'emporta Deornas. J'ai vu ce que ses gardes royaux font dans les bas quartiers. Cinhol est en train de tomber dans une dépravation que l'on a encore jamais vue ! Je n'ai jamais voulu du trône, et je sais que je ne le mérite pas. Mon père n'était que le fils cadet de Festil, ce qui fait que Nirina et son fils sont bien avant moi dans la ligne de succession. Mais je ne puis la laisser continuer de massacrer notre peuple par pur sadisme.
- Fils, il a raison, reprit Isgon. Tu es avec nous n'est-ce pas ?
Deornas serra les poings. L'instant de vérité. Si Padreis refusait, leur rébellion serait finie avant d'avoir commencé. Après un moment, le fils du duc dit :
- Je vous aiderai à quitter la ville, et je ne vous trahirai pas. En échange, vous devez me promettre quelque chose, tout les deux. Si jamais vous parvenez à votre but, à savoir destituer Nirina... Je veux que vous l'épargniez, elle et son fils.
Deornas haussa les sourcils, et même Isgon fut surpris. Généralement, quand un roi prenait le trône à un autre, l'ancien ne faisait pas de vieux jours. Non pas par vengeance ou sadisme, mais parce qu'il aurait été déraisonnablement dangereux de laisser en vie un possible concurrent derrière qui les mécontents pourraient se ranger. D'un autre coté, aussi mauvaise était-elle devenue, Deornas ne voulait pas de mal à sa cousine, encore moins au jeune prince.
- Nous essaierons, répondit Deornas. C'est peu, mais c'est tout ce qu'on peut te promettre. Je ne toucherai jamais à Alroy, mais je doute que Nirina abandonne son trône de bonne grâce.
- Nous pourrions toujours la condamner à l'exil dans l'Ancien Monde, ou quelque chose de ce genre, proposa Isgon. Enfin, tout cela est fichtrement un peu précipité.
- Je suis d'accord, reprit Deornas. Sans parler de l'armée de Cinhol, il nous faudra combattre les Pokemon royaux, et avant ça les Hauts Protecteurs.
Mon propre père, songea Deornas. Serait-il capable de le combattre, voir même de le tuer s'il le pouvait ? Deornas n'arrivait toujours pas à croire ce dans quoi il s'engageait. Ça semblait être un rêve, une songerie éveillée. Défier le pouvoir royal, l'armée de Cinhol, la plus grande du monde, ainsi que les terribles Pokemon... Normalement, il n'y aurait eu qu'Isgon d'assez téméraire - ou d'assez fou - pour y prendre part. Mais pas lui. Deornas aimait la tranquillité, les études. Il n'était pas un homme d'action. Mais il ne pouvait plus reculer, à présent...
- Je vais me charger des registres d'entrées, fit Padreis en sortant. Tachez de ne pas vous faire attraper, ou j'y passe avec vous.
Quand il fut sorti, Deornas fit à Isgon :
- Vous auriez dû lui proposer de venir avec nous. Ici, il court un risque. On ne peut plus faire confiance à la santé mentale de Nirina pour ne pas s'en prendre à son meilleur ami même si son père se trouve être un rebelle.
Le duc hocha la tête en se servant un grand verre de bière.
- T'as pas tort, mon gars. Mais je ne sais pas si ça serait une bonne chose pour lui. Combattre Nirina le ferait beaucoup souffrir.
À vingt-deux heures, Padreis vint les retrouver pour leur dire que tout était en place. On donna à Deornas une armure d'homme de Rimerlot, en acier brun avec un espèce de manteau en fourrure. Deornas détestait porter des armures, et se demandait comment son père portait la sienne quasiment en permanence. Sire Shinobourge prit de l'avance sur eux. Pour lui, sortir de la ville serait chose des plus aisées. Quand le duc demanda à son fils de les accompagner, le visage de Padreis se ferma.
- Je ne puis, père.
- Réfléchis, fils. Si tu restes, Nirina pourrait se venger de moi à travers toi.
- J'en suis conscient mais... Je ne puis quand même. Voyez... Je ne peux abandonner...
Padreis avait l'air vraiment mal à l'aise. Il s'apprêtait à révéler quelque chose à son père. Deornas se leva pour quitter la pièce, mais Padreis le retient.
- Non, c'est bon. Autant que tu saches toi aussi, à présent...
Le fils du duc déglutit, puis déclara :
- Je suis le père du prince Alroy.
Un silence de plomb pesa un moment dans la pièce. Même Shinobourge avait cessé de viser sa cible, et dévisageait Padreis comme les autres.
- Oh, fils... soupira Isgon. Tu n'as pas fait ça...
- Je suis navré père. Je... Je n'ai pas fait exprès, je le jure ! Nirina et moi... nous étions jeunes... C'est arrivé... comme ça !
- Ça arrive rarement autrement, sourit Deornas, amusé malgré lui.
- Quand j'ai su qu'elle était enceinte, j'ai voulu la convaincre d'abandonner l'enfant. Le Patriarche Ryates a de nombreuses connaissances en médecine. Il aurait pu... Mais Nirina a refusé. Elle voulait le garder, quand bien même il serait un bâtard. Alroy ne sait rien, bien sûr, et Nirina n'en a parlé à personne. Je pensais que cet enfant allait m'indifférer, ou être une honte infâme pour moi, mais... Il n'en est rien, père. Je l'aime, et je ne peux l'abandonner.
Isgon s'avança lentement, les yeux glacials. Padreis tomba à genoux, comme pour supplier son pardon. Deornas savait qu'Isgon était un homme qui ne rigolait plus avec les bonnes mœurs et la religion. Il avait passé sa jeunesse à concevoir des bâtards dans tout le Rimerlot, mais depuis la naissance de sa fille légitime, Ylis, Isgon considérait les enfants hors mariage avec mépris. Deornas craignait qu'Isgon ne frappe son fils, mais il l'attrapa par les épaules, le mit debout, et le serra dans ses bras.
- Alors reste. Et veille sur mon petit-fils.
C'est ainsi que Deornas, Isgon et Shinobourge quittèrent la ville, accompagnés de la garnison ducale de Rimerlot. La pluie s'était mise à tomber. Un temps à l'image des pensées de Deornas. Il songeait à ce qu'il s'apprêtait à faire. Il songeait à Nirina, à Padreis, et à leur jeune fils Alroy. Il songeait à son père. Et il songeait aussi à ces deux jeunes gens de l'Ancien Monde, Adam et Leaf. Vers où tout cela allait-il les mener ? Deornas adressa une prière silencieuse à son glorieux ancêtre, Castel le Fondateur. Avait-il connu ses mêmes doutes en se rebellant contre l'Ancien Monde et en fondant Cinhol ? Est-ce qu'il l'aurait approuvé ? Deornas secoua la tête. Qu'importe ce qu'auraient pensé les morts. C'était les vivants qui agissaient.
***
Padreis frappa à la porte des appartements royaux. Ce fut la gouvernante du prince qui lui ouvrit.
- Oh, Sire Padreis. Qu'est-ce qui vous amène si tard ?
- Je suis désolé. Mais, si elle ne dort pas encore, j'aimerai parler avec la reine.
- Sa Majesté est en haut, dans son bureau, avec le Patriarche.
La gouvernante fit une moue qui indiquait bien ce qu'elle pensait de Ryates. Padreis ne pouvait que l'approuver. Ce serpent restait-il donc si tard avec Nirina ?! Un jeune bambin de quatre ans se précipita sur lui dès qu'il fut entré.
- Padreis !
Ce dernier s'agenouilla pour serrer son fils dans ses bras.
- Mon prince. Navrez de vous importuner si tard.
L'enfant, aussi blond que sa mère, secoua la tête.
- Non non, c'est bien que tu sois là ! Je suis content ! Tu as apporté un cadeau ?
- Votre Altesse ! s'exclama la gouvernante, outrée.
- Ce n'est rien, sourit Padreis.
Il était vrai qu'à chaque fois qu'il venait, il avait l'habitude de rapporter une babiole à Alroy. Mais là, il aurait pensé qu'il serait au lit.
- Eh eh, tu sais quoi ? Lui demanda le prince d'un air conspirateur. Mère est très en colère. Le cousin Deornas a fait de vilaines choses !
- Vraiment ? Ce n'est pas bien de sa part...
- Mère a dit qu'elle accrocherait sa tête sur les remparts jusqu'à que les corbeaux aient tout mangés ! S'esclaffa le bambin.
Padreis fut mal à l'aise. Quelle espèce d'influence Nirina avait-elle sur Alroy, pour qu'il rit de sujets si graves ?
- Sa Majesté est furieuse maintenant, mais peut-être qu'elle se calmera, éluda Padreis en se levant. Je vais la voir. Vous, mon prince, vous feriez mieux d'aller vous coucher.
- Oh non ! J'ai le droit de rester debout tant que Ryates est avec mère !
Ryates... Voilà le vrai coupable de ce qu'était devenu Nirina. Quel était son but, à ce démon adepte de sorcellerie ? Padreis monta jusqu'au bureau de la reine. Le Patriarche était bien là, discutant de choses et d'autres avec Nirina. Cette dernière ne semblait pas très bien depuis un certain temps. Sa peau restait étrangement pâle, et des cernes avaient commencé à apparaître sous ses yeux, comme si elle ne dormait pas assez. Mais ce qui retint l'attention de Padreis, ce fut Ryates, qui tenait entre sa main, l'air de rien, la garde de Meminyar, la légendaire épée de Castel. Padreis fut tellement outré qu'il en oublia de s'annoncer. De quel droit cet étranger osait-il souiller cette noble épée ? Seuls les Haldar avaient le droit de la tenir ! Pourquoi diable Nirina la lui avait-elle donnée ?! Padreis remarqua également que les six socles sur l'épée pour contenir les Pokeball étaient vides.
- Tiens, Padreis, fit Nirina en le voyant. Que me vaut la plaisir de cette visite nocturne ?
Padreis eut du mal à détacher ses yeux de Ryates, qui le fixait avec son sourire abject et mielleux.
- J'aimerai vous parler... en privé, Majesté, si cela est possible...
- Ça ne l'est pas, rétorqua la reine. Je ne cache rien à notre bon Patriarche.
- Vous n'avez pas à vous inquiéter de ma présence, messire, fit ce dernier en s'inclinant. Faite comme si je n'étais pas là.
Facile à dire, ça. Padreis avait toujours l'impression que le cou du Patriarche allait s'étirer d'un coup, et ses pupilles noires devenir verticale, tel le serpent qu'il était. Il s'efforça de se concentrer sur Nirina.
- Majesté, je suis venu vous faire part de mes... préoccupations sur l'état du royaume.
- L'état du royaume ? Répéta la reine. Et quel est-il, cet état ? Qu'ai-je fait ou que n'ai-je pas fait pour attirer ton inquiétude, mon ami ?
- Nirina, fit Padreis en abandonnant le protocole pour s'adresser à son amie et non à sa reine, tes sujets sont à bout. Si le bas peuple ne s'est pas encore rebellé, c'est parce qu'il n'a même plus assez d'énergie pour ça, mais la classe moyenne, les artisans, les commerçants... La santé de Cinhol dépend d'eux, et leur mécontentement ne fait qu'augmenter de jour en jour !
Nirina fit un vague geste de la main, comme si elle chassait une mouche agaçante.
- Peu me chaut ce que pense la populace, Padreis. Elle n'est rien.
Le jeune noble fut tout retourné par ces paroles.
- Mais... le royaume n'est-il pas censé leur apporter protection et paix ? Que serait un trône sans sujet ?!
- Mes desseins vont bien au-delà de la simple subsistance de ces gueux. Gouverner cette ville, ce royaume, ces gens... C'est ridicule. C'est un jeu auquel ma mère s'adonnait, sans comprendre à quel point la réalité était loin. C'est pour ça que je l'ai tuée.
- Tu... Nirina, tu n'as pas pu...
Padreis avait entendu les rumeurs, bien sûr. Mais il n'avait pu y croire.
- Si, elle est bien morte de mon fait. Le poison est une arme des plus délicates et des plus pratiques, mon cher. Ryates pourrait t'en dire beaucoup à leurs sujets. C'est qu'il s'y connait, le bougre !
Le Patriarche s'inclina modestement. Padreis était horrifié.
- Pourquoi ? Ne put-il que demander.
- Pourquoi ? Mais pour commencer mon grand projet, Padreis. J'avais besoin du trône pour cela. Mais enfin, qui regrettera ma chère mère, hein ? Elle était aussi détestée du peuple que des nobles.
- Tu l'es encore plus...
Padreis prit conscience de ses paroles. Il avait parlé sans réfléchir, sous l'effet de la stupeur. Mais Nirina ne semblait pas en prendre ombrage.
- Pour l'instant. Mais quand ils comprendront ce que je tente de créer, ils changeront d'idée. La vérité éclatera bientôt.
- Et quelle est-elle, cette vérité ?
- Ça.
Nirina se leva, pour montrer à Padreis ce qu'elle tenait. C'était une épée. Mais une épée totalement noire, à la garde épineuse. Il ressortait de cette arme une chose sinistre, que Padreis n'arrivait pas à identifier, mais qui l'effrayait.
- C'est Peine, déclara Nirina. La lame qui me donnera le pouvoir de faire appliquer la seule et unique vérité en ce monde. La vérité d'Uriel.
Uriel... Padreis connaissait ce nom. Dans les récits et légendes de la création de Cinhol, il passait pour être le grand ennemi du fondateur Castel, souhaitant annihiler le royaume avec de la magie noire. Padreis ne se rappelait plus trop bien, mais il semblait que Castel l'avait tué. Mais cet homme, Uriel, n'était-il pas tout ce contre quoi Castel Haldar et sa famille avaient lutté ?
- Cette épée... d'où tu la sors ?
- Le Patriarche me l'a donné. Il l'avait en sa possession depuis longtemps. Depuis Uriel, son premier possesseur, elle attendait un nouveau maître. Quelqu'un qui puisse accomplir la volonté de son créateur.
- Mais... et Meminyar ? Demanda Padreis en désignant l'épée royale que tenait toujours Ryates. Elle est l'épée de Castel, et de tous tes ancêtres ! Tu ne peux pas l'abandonner ainsi.
- Tu n'as donc pas écouté, Padreis ? Je rejette l'héritage de Castel Haldar. Je rejette ses idéaux, et donc son épée. Il n'était que chimère. La vérité, c'était Uriel qui la possédait. Je m'en vais terminer son œuvre.
Padreis recula lentement. Il connaissait Nirina depuis toujours. Elle avait été son amie, sa confidente, puis son amante. Aujourd'hui, il avait l'impression de voir une inconnue. Père et Deornas avaient raison. La reine était bel et bien... folle. Padreis fusilla Ryates du regard. Tout ça, c'était de son fait, il en était sûr. Ce fils de chacal avait corrompu Nirina en lui fourrant Arceus savait quelles idées malsaines dans le crâne !
- Tout cela te choque-t-il, Padreis ? Lui demanda Nirina. Cela t'effraie-t-il ?
- Je dois avouer que ça m'inquiète, oui. Je ne comprends pas...
- Tu comprendras. Bientôt, tout le monde comprendra, une fois que je leur aurai mis la vérité sous le nez. Tiens, en attendant...
Nirina prit Meminyar des mains de Ryates et la lui fourra entre les siennes. Padreis failli lâcher l'épée d'or. Il ne pouvait pas la tenir. Il n'en avait pas le droit.
- Nirina, que fais-tu ? Je... Je ne suis pas un Haldar !
- Qu'importe ton nom et tes ancêtres. Cette épée n'est qu'un simple morceau de métal. À l'inverse de Peine...
Elle leva son épée noire pour l'admirer, et Padreis crut entendre un crépitement provenir de la lame. Il déglutit.
- Tu peux garder Meminyar si elle te plait, conclut Nirina. Je te la donne. Conserve-la comme souvenir de mes ancêtres, de l'histoire de notre royaume, ou fais la fondre pour récupérer l'or. Peu m'importe. Elle a autant de valeur que ce royaume, après tout. C'est-à-dire aucune.
Padreis sortit de la pièce, Meminyar sous le bras, et l'esprit en ébullition. Quand il referma la porte, il entendit distinctement derrière le rire rauque de Ryates, comme s'il appréciait une bonne blague.