Chapitre 8 : Le secret des anneaux
Pourquoi avons-nous nommé notre ville Cinhol, de même que notre royaume ? C'est un mot de l'ancien langage du pays, avant même qu'existe officiellement la région Bakan. Je crois qu'il signifiait une espèce de lien entre les humains et Pokemon. Un lien indestructible, qui perdurerait toujours. J'ignore si ce lien existe encore. Je veux le croire. Mais une chose est sûre : ce n'est pas parce que nous avons nommé notre royaume ainsi qu'il sera indestructible.
*****
Après cette courte mais intense aventure, le week-end fut vite passé. Il n'y avait pas grand-chose qu'Adam et Leaf pouvaient faire pour se détendre sans penser à Cinhol et à Deornas. Et malgré les paroles rassurantes de ce dernier concernant son père, les deux adolescents vivaient dans l'angoisse de tomber sur le Haut Protecteur en pleine rue, aussi restaient-ils dans le grand appartement du père de Leaf, sécurisé au possible.
D'un commun accord, Adam et Leaf ne parlèrent à personne de leur aventure ni de ce qu'ils savaient. Ça ne ferait sûrement que leur attirer quelques ennuis en plus. Ils se promirent toutefois d'en parler avec le professeur Anis Shauntal, à leur retour à l'Académie. Adam avait confiance en elle, et elle pourrait sans doute les renseigner sur le fonctionnement précis de l'anneau, et, peut-être, de cette damnée voix dans sa tête qui ne perdait pas une occasion de venir lui débiter quelques phrases sans queue ni tête chaque jour. Anis était elle-même assez bizarre pour qu'elle ne s'étonne pas outre mesure qu'Adam se mettait à entendre des voix.
Adam gardait maintenant toujours l'anneau dans sa poche, si jamais le besoin de le mettre au doigt s'en faisait ressentir. Même le jour de la rentrée, quand - ô rêve des rêves - il se trouva dans le grand amphithéâtre avec trois cents des meilleurs éléments de toute la région, à écouter le discours d'intronisation du directeur Stendald, leur affirmant qu'ils étaient tous l'élite de demain. Commencer sa vie comme orphelin et larbin, et finir élite... Voilà qui plaisait à Adam, qui se permit un large sourire, tout souci sur Cinhol momentanément oublié.
Stendald leur expliqua que dans la Haute Académie, tous les cours étaient libres. On pouvait aller à ceux qu'on voulait, quelque soit la matière et l'année d'enseignement, le seul but étant d'accumuler des connaissances et de le faire dans les sujets qui nous passionnaient. Adam pouvait déjà dire qu'il irait en cours de médecine et de science humaines, puis à tous ceux que proposaient mademoiselle Anis. Stendald laissa la parole à un individu qu'Adam reconnut immédiatement à son costume violet et sa canne à pommeau : Marius Tibaltin, le Premier Ministre de Bakan. Adam essaya de se faire tout petit sur son siège. Il ne tenait pas à ce que le Premier Ministre reconnaisse en lui le garçon qui lui était rentré dedans. À coté de lui, Leaf se retint de rire.
- Mesdemoiselles et messieurs, jeunes gens, commença Tibaltin, c'est toujours un immense plaisir pour moi que de voir, chaque année, cette auguste salle remplie. La Haute Académie Velgos est le fleuron de notre région. Si vous êtes assis ici aujourd'hui, c'est que vos compétences, votre intelligence, votre culture ou votre travail vous ont démarqué des autres. Vous êtes destinés à de grandes choses dans l'avenir. Beaucoup d'entre vous se destineront peut-être à servir notre chère République, et je les accueillerai avec joie. Moi-même, j'étais à votre place, à écouter le Premier Ministre de l'époque. Qui aurait cru, alors, que bien des années plus tard, je prononcerai le même discours que lui ? Tout cela pour dire que tout est possible pour vous dès lors que vous intégrez ce prestigieux établissement.
Ce discours fut nourri par les applaudissements enthousiasmes des étudiants. Adam fut du nombre. Par la suite, on leur distribua à tous les horaires et les lieux de chaque cours. C'était une grille tout à fait incompréhensible, tellement il y avait de cours, qui pour beaucoup se superposaient. Leaf fini par se décider pour « Sciences théologiques ». Adam la suivit. Ça ou autre chose... Adam aimait tellement apprendre et découvrir que la matière importait finalement assez peu. Il entoura toutefois sur l'immense emploi du temps les cours qu'il ne voulait surtout pas rater. Et mademoiselle Anis en faisait justement un en fin de journée.
Le cours de Sciences théologiques aurait pu être fort intéressant si Adam se destinait à devenir prêtre au grand Temple d'Arceus. Le professeur, monsieur Egs, donnait d'ailleurs l'impression d'un vieux sage érudit, avec sa longue barbe blanche et son crâne dégarni. Adam compris pourquoi Leaf avait choisi ce cour en premier : il traitait beaucoup des différentes légendes divines de chaque civilisation, et donc de Pokemon Légendaires. Arceus passait pour être au dessus de tout le monde dans la majorité des croyances. Certaines autre, peu nombreuses, affirmaient au contraire que Mew, le Premier des Pokemon créé sur Terre, était là avant. Adam n'avait jamais croisé l'un des deux pour leur demander, mais il jugeait que le Créateur avait bien plus de style que cet espèce de fœtus qu'était l'ancêtre des Pokemon. Leaf avoua en aparté qu'elle avait vu Mew une fois, alors qu'elle luttait contre la Team Rocket avec ses amis.
Le prochain cours, ce fut Adam qui le choisit. Droit de l'environnement. Mais après coup, il aurait très bien pu se nommer « comment utiliser les Pokemon pour le futur de notre planète ». Encore et toujours ces satanés Pokemon... Adam se dit qu'il allait devoir vite s'y mettre et s'y intéresser pour ne pas être totalement largué. Ah, qu'il aurait préféré un monde sans Pokemon ! Ça n'aurait pas été plus mal. La grande majorité des conflits et de la criminalité sur Terre avaient de près ou de loin un rapport avec ces créatures. Adam s'amusa à penser qu'il aurait mieux fait de naître à Cinhol, où seuls dix Pokemon existaient.
À midi, Leaf et Adam allèrent manger tous deux à la grande cafétéria de l'Académie. Puis ils se séparèrent pour le troisième cours. Leaf alla à « Physique quantique renouvelée », mais Adam choisit « Nouvelles techniques médicales et sanitaires ». Ils se retrouvèrent deux heures plus tard, pour le cours de mademoiselle Anis. Cette dernière arriva dix minutes en retard, tellement chargée de documents qu'elle trébucha sur l'estrade sous les rires des étudiants. Deux d'entre eux, au bas de la salle, eurent le tact d'aller l'aider.
- Ah, merci, merci... Oh, que je suis gênée, honteuse, embarrassée...
L'Histoire des Grandes Institutions aurait pu paraître barbante, mais Anis avait l'avantage d'être un prof tellement loufoque qu'on ne s'ennuyait guère. Elle faisait souvent des apartés sur ses expériences personnelles ou sur les histoires qu'elle écrivait. Mais quand elle commençait, elle avait du mal à s'arrêter, et partait dans des développements qui n'avaient au final qu'un rapport des plus lointain avec le sujet du cours. À la fin du cours, tandis que tout le monde partait, Adam et Leaf en profitèrent pour aller à la rencontre d'Anis, qui rangeait fébrilement ses papiers.
- Oh, Adam. Je suis contente, heureuse, ravie de te retrouver ici.
- Je le suis encore plus, professeur, sourit Adam. Je vous présente Leaf Elson, une amie.
Ma seule amie, manqua d'ajouter Adam.
- Je suis désolée, chagrinée, attristée que tu aies eu à subir mon cours par amitié envers Adam, très chère, dit Anis.
- Oh, non... Votre cour était, euh... très intéressant et particulier, l'assura Leaf.
- Professeur, est-il possible que nous parlions ? Demanda Adam.
- N'est-ce pas ce que nous faisions ? Et « professeur », c'est seulement pendant le cours. Avant et après, tu peux toujours m'appeler par mon prénom. C'est après tout ma véritable identité, dénomination, désignation.
- Euh... certes. Ce que nous avons à vous dire est... assez long et... nécessite une certaine discrétion, voyez-vous...
- Oh, tu as réussi à attirer ma curiosité, mon intérêt, ma soif de savoir. Allons donc dans mon bureau.
Ils furent accueillis dedans par son Lugulabre, qui, ravi de cette visite, se mit en tournoyer au plafond en émettant des bruits sinistre. Anis posa en un équilibre précaire tous ses papiers sur son bureau déjà surchargé, puis s'assit.
- Je vous proposerai, offrirai, suggèrerai bien de prendre un siège, mais il n'y en a qu'un, et comme ce sont mes appartements, je me le réserve. De même que je vous proposerai, préparerai, servirai un thé, mais je n'en ai pas, donc je m'en abstiendrai, je m'en garderai, je ne le ferai pas.
- Euh... ça ira.
- Qu'avez-vous donc à me dire, à m'apprendre, à me conter ?
- Ça à un rapport avec ce que vous m'avez dit il y a quelques jours. Sur la légende du royaume de Cinhol.
Adam posa son anneau d'argent sur le bureau d'Anis, puis, avec l'aide de Leaf, il lui raconta tout. Shinobourge, sa première visite à Cinhol, l'homme mystérieux qui lui parlait dans sa tête, Astarias, la reine, Deornas et le duc Isgon... Anis écouta sans dire mot jusqu'à la fin. Puis elle se leva soudainement quand ce fut terminé, très choquée.
- Fabuleux, extraordinaire, inimaginable ! Quel récit, chers, très chers amis !
Elle prit sa longue et extravagante plume, dénicha une feuille vierge et s'assit, telle une élève appliquée.
- Veuillez me le raconter à nouveau, que je prenne des notes, demanda-t-elle. Ça ne pourra qu'enrichir mes propres œuvres ! Je ne m'attendais pas à une telle imagination de ta part, Adam. Tu devrais envisager, considérer, songer d'écrire des romans, toi aussi.
Adam échangea un regard perplexe avec Leaf.
- Euh... nous n'avons rien imaginé, mademoiselle Anis...
- Allons mon garçon, confondre la réalité et l'imaginaire est le piège de tout bon auteur. Il est vrai que nous n'aspirons qu'à nous évader de cette morne réalité, mais...
Pour couper court aux paroles d'Anis, Leaf prit l'anneau et se le mit au doigt. Elle disparut instantanément. Anis en laissa tomber sa plume. Adam pesta contre la témérité de son amie. Qui sait où elle pouvait atterrir, à Cinhol ? Ils n'avaient pas besoin de faire plus parler d'eux ! Mais au moins, quand Leaf réapparut cinq secondes plus tard à la même place, Anis se montra tout de suite plus ouverte.
- Arceus de miséricorde... murmura-t-elle.
- T'as atterri où ? demanda Adam.
- Dans une maison, je crois.
- Personne ne t'a vu ?
- Une femme, sans doute pendant une demi-seconde. Elle va commencer à croire aux fantômes et aux hallucinations, ricana Leaf.
Adam trouvait ça moins marrant, mais laissa passer. Il reprit l'anneau et le tendit à Anis, qui s'en empara avec révérence.
- Cinhol... le Royaume Perdu... il existe bel et bien...
- Et il est bel et bien perdu, oui, ajouta Leaf.
- Quelle découverte majeure ! Quel délice pour les oreilles ! Et tu dis que c'est le Pokemon Shinobourge qui t'a donné cet anneau ?
- Vous le connaissez ? Est-il légendaire ? Demanda Adam.
- Non, mais extrêmement rare, ça, je l'affirme, je le dit, je le déclare avec certitude. Tous les Pokemon de Castel Haldar étaient très rares, du reste, ce qui fit son succès.
Adam n'était pas sûr d'avoir bien entendu.
- Pokemon de... Castel ? Vous voulez dire ce canard vert ?!
- Assurément.
- Mais Castel, c'était il y a cinq cent ans, fit Leaf. Comment un Pokemon peut-il vivre si longtemps, sans être un légendaire ou un spectre ?
- En effet, cela semble impossible. Toutefois, certaines légendes veulent que les cinq Pokemon de Castel puissent renaître à volonté sous forme d'œuf une fois mort. On dit qu'Arceus lui-même reconnut Castel comme le meilleur dresseur de son époque, comme le plus grand ami des Pokemon, et enfin comme Sauveur du Millénaire. Aussi fit-il ce don d'immortalité à ses Pokemon. Sans doute à présent, les Pokemon passent entre les mains de ses descendants.
- Vous avez dit cinq, signala Adam. Or Castel en avait six.
- Le sixième fut Hafodes, un Pokemon Légendaire, dont on dit qu'il peut prendre la forme d'une arme antique. Lui n'aurait assurément pas besoin de renaître, car il est tout bonnement immortel. Ah... Tout cela est incroyable ! Que j'aimerai aller là-bas pour prendre des notes ! Un roman sur Cinhol, là où personne n'a jamais encore été ! Ah, nul doute qu'avec ça, je deviendrai célèbre, richissime, reconnue !
Leaf doucha un peu son ardeur.
- C'est pourquoi on en parle entre nous, mademoiselle Anis. À vous en croire, le gouvernement de Bakan ne serait pas spécialement ravi que l'on parle de cette histoire qui a fait une tâche dans sa république irréprochable.
Anis cligna des yeux derrière ses grandes lunettes.
- En effet, ça serait inconsidéré, folie, de la plus grande témérité. Il faut garder cela entre nous. Surtout pour garder le filon pour nous, bien sûr... Au fait, grand merci de m'avoir mise au courant. C'est très important pour moi.
- Nous le savons, et puis, c'est vous qui m'avez renseignez en premier sur la l'histoire de Cinhol. Nous sommes quittes, établit Adam.
- Oh non non non, trois fois non ! Vous ne vous rendez pas compte du choc que ça fait à mon âme d'historienne et de romancière ! Une vie ne serait pas suffisante pour vous rembourser cette dette, mes enfants !
Leaf sourit.
- Et bien, vous pouvez commencer tout de suite, cher professeur. On aimerait que vous étudiez le fonctionnement précis de l'anneau, pour l'utiliser sans risque et en toute connaissance de cause.
Anis mis l'anneau devant ses grosses lunettes et l'étudia sous toutes ses coutures. Puis elle débarrassa d'un geste de la main tout ce qui se trouvait sur son bureau pour l'y mettre, et réuni du matériel un peu dispersé dans la salle exigüe. Une loupe géante, un marteau étrange, un instrument semblable à une pyramide, bref, toute la panoplie du parfait chercheur. Pendant qu'elle l'étudiait, elle posa quelques questions :
- Il ne fonctionne que quand vous le passez au doigt ?
- Oui, certifia Adam. Si on l'enlève, ça ne fait rien. Pour repartir, il faut le remettre.
- Et vous vous téléportez tel que vous êtes, ou bien alors... nus ?
Manquerait plus que ça, songea Adam.
- Nous avons tous nos vêtements, et tout ce qui se trouve dans nos poches, répondit Leaf.
- Alors, tout ce qui serait en contact avec l'individu transporté le serait aussi avec lui...
Adam hocha la tête, se rappelant d'un détail.
- Quand l'on a échappé à Astarias, j'ai tenu la main de Leaf, et Shinobourge me tenait la jambe. Nous avons tous été transporté.
- Pratique. On pourrait donc envoyer là-bas pas mal de chose... Voyons...
Elle passa l'anneau dans une machine, sans doute pour le dater, après quoi elle demanda à son Ectoplasma d'utiliser Clairvoyance dessus. Par la fenêtre, Adam voyait que le soleil commençait à se coucher. Il était temps de rentrer. Même si elle avait dû à contrecœur se passer d'Adam comme domestique, Sophia exigeait toujours qu'il se conforme aux règles établies. S'il rentrait trop tard, il allait se faire allumer.
- Ça ne vous dérange pas que je le garde un peu ? Demanda Anis en une supplique silencieuse. J'ai encore beaucoup à faire pour étudier, comprendre, analyser sa magie, si tant est que l'on peut parler de magie...
- Bien sûr, fit Adam. Je ne comptais pas m'en servir à nouveau, de toute façon.
- Je vous ferai signe quand j'en aurai fini... Oh, Arceus Tout Puissant, le Royaume de Cinhol, le véritable Royaume Perdu dans une autre dimension...
***
Astarias était furieux. Furieux contre ces deux gamins qu'il n'avait pu éliminer. Furieux contre Sire Shinobourge qui lui avait dérobé son anneau. Furieux contre ce monde infect et ses habitants idiots qui pullulaient partout. Et furieux contre lui-même. Lui, Sire Astarias Haldar, qui passait pour être le plus puissant chevalier du royaume, et le plus fidèle parmi les fidèles de la reine, s'était fait avoir par deux habitants de l'Ancien Monde et un Pokemon. Il avait failli à la tâche que la reine lui avait confiée. Il avait perdu son anneau qu'elle lui avait prêté. Et voilà donc qu'il était bloqué dans l'Ancien Monde, à attendre que Sa Majesté se lasse de son absence et envoie un autre Haut Protecteur le chercher.
Quel déshonneur ! Quelle déchéance ! Il valait même mieux pour lui de demeurer ici tant que la mission ne serait pas accomplie, même sans anneau. S'il se présentait devant la reine les mains vides, il perdrait le prestige de son nom en même temps que sa tête, et Nirina confierait Metali à un nouveau Haut Protecteur. Certes, ce n'était qu'un outil pour accomplir les désirs de la reine, mais depuis dix ans qu'Astarias faisait partie des Hauts Protecteurs, il s'était attaché à Metali, et le Pokemon à lui. En combat, leur duo était imbattable. Si les gamins et Shinobourge s'en étaient tirés, ce n'était que par la ruse.
Voilà donc trois jours entiers qu'Astarias était bloqué dans l'Ancien Monde, obligé de se cacher. Car il était recherché par les autorités de ce monde, il en était conscient. Beaucoup l'avaient vu en train d'agresser les deux jeunes gens, et avaient donné son signalement à ce qui se nommait « police », la garde royale de l'Ancien Monde. Dès lors, comme il passerait peu inaperçu avec son armure complète, Astarias s'était réfugié au plus profond de cette grande ville qu'était Fubrica, fouillant les poubelles pour se nourrir ou embrochant les quelques petits Pokemon qui passaient par là. Ce n'était pas la première fois qu'Astarias venait dans l'Ancien Monde, et à chaque fois, il était toujours autant dégouté. Ce monde puait. Il n'y avait aucun ordre, aucune autorité, aucune distinction entre les habitants. Du reste, tout le monde ici pouvait avoir des Pokemon s'il le désirait.
Quelle infamie ! Posséder un Pokemon était un privilège réservé aux puissants : à savoir, la reine et ses Hauts Protecteurs. Ici, même le dernier des déchets pouvait en avoir. Le Patriarche Ryates venait-il vraiment de ce monde infect ? Pauvre de lui... Astarias comprenait pourquoi son lointain ancêtre, Castel le Fondateur, s'était soulevé contre ce mode de vie absurde en fondant le royaume. Le Haut Protecteur adressa rapidement une prière en son honneur.
Soudain, la ruelle lugubre dans laquelle il se trouvait devint plus sombre encore. Puis brumeuse. La chaleur de l'été baissa, et la respiration d'Astarias se transforma en buée. Il faisait froid, tout d'un coup. Un froid pas naturel, tout comme ce silence pesant qui frappait soudain les lieux comme si Astarias s'était mis à souffrir de surdité. Mais le chevalier connaissait bien les symptômes de ces changements pour le moins inquiétant.
- Venisi, c'est vous ?
Un sanglot lui répondit, confirmant son intuition. À travers la brume soudaine, une silhouette apparue. Une femme, portant une robe sombre, et un voile blanc qui lui tombait sur la tête, recouvrant entièrement son visage et ses cheveux. C'était Venisi, la Veuve Grise, des Hauts Protecteurs. Astarias la connaissait depuis moment, avant même que l'ordre des Hauts Protecteurs soit crée. Et jamais Astarias n'avait jamais vu son visage. Venisi n'enlevait jamais son voile, en signe de deuil pour son mari disparu il y a des années, disait-elle. Elle était d'un naturel assez lugubre, ne pouvant finir une phrase sans tomber dans des sanglots étouffés. Mais se fier à ça pour penser que c'était une femme douce était une erreur des plus grossières. Venisi était impitoyable. La vie n'avait aucune sorte de valeur pour elle.
- Que faites-vous ? Gronda Astarias, tout en connaissant la réponse.
- Sa Majesté m'envoie, répondit-elle d'une voix morne. Tu es resté absent depuis trop longtemps, Astarias de l'Acier. La reine s'impatiente.
- Je n'ai pas terminé la mission, avoua Astarias. Ça ne devrait tarder. Vous pouvez rentrer et dire à Sa Majesté que je lui apporterai bientôt les têtes qu'elle m'a demandées, ainsi que Shinobourge et l'anneau.
- En parlant d'anneau, je ne vois plus le tien. L'aurais-tu perdu ?
- Cela ne vous regarde pas !
- Tu ferais mieux d'accepter mon aide. La reine est en ce moment très énervée. Il s'est avéré que c'était ton propre fils qui a aidé Shinobourge à s'évader. Il est parvenu à fausser compagnie à la garde royale et reste introuvable.
Astarias cligna des yeux sous son casque.
- Deornas ?! Il n'aurait jamais fait ça ! Quelle folie est-ce là ?
- Pour le découvrir, il te faudra rentrer. Et pour rentrer, il te faut réussir ta mission, sinon je doute que tu rencontres beaucoup de bienveillance de la part de Sa Majesté.
Astarias grinça des dents. Il en était conscient. S'il n'y avait que lui, il serait resté ici aussi longtemps que nécessaire. Mais Deornas... Comment avait-il pu faire ça ? Lui qui avait toujours été loyal, toujours désintéressé envers le pouvoir ! Astarias devait faire la lumière pour tout ça, et donc rentrer au plus vite.
- Très bien. J'accepte votre aide, Venisi des Ombres. J'ai deux jeunes gens à trouver et à ramener à Sa Majesté. En vie de préférence, pour qu'elle puisse les juger et les faire souffrir comme il se doit !