Aide-toi et le ciel t'aidera de Kydra

Aleph-Zéro peinait à courir. A côté de lui, Eclair-de-Liberté ne cessait de geindre. Les humains suivaient, essoufflés mais stimulés par l'adrénaline. Ils se repliaient directement vers la position de laquelle ils étaient partis, empruntant un itinéraire hasardeux. A chaque embranchement, ils craignaient de tomber sur une nouvelle embuscade... Ils finirent par s'arrêter, quand l'Insécateur jugea, à raison, qu'ils devaient être à bout de forces. Les combattants s'assirent, les yeux exorbités, encore sous le choc : tout le groupe de Vassili avait disparu et on déplorait quatre autres morts dans les rangs. Il ne restait donc plus qu'une petite moitié des effectifs initiaux.

Aleph-Zéro cherchait un moyen de joindre le colonel sans son interprète habituel. Il se décida à laisser un humain parler à la radio, sans lui souffler quoi dire. Pour une fois, Dimitri se montra très procédurier, cachant son désarroi derrière le peu de répliques qu'il donna. Il prit rapidement la décision d'ordonner de chercher les survivants de la section de Victor, puisqu'ils n'avaient pas de moyens de communication. Ils les attendraient quelques jours au niveau de la zone où ils s'étaient séparés, ceux qui ne seraient pas revenus dans ce délai seraient portés disparus, avec le maigre espoir qu'ils rentrent finalement à l'avant-poste.

L'attente ne fut guère fructueuse, puisqu'un seul des combattants alliés revint et encore, ils le croisèrent par hasard lors d'une patrouille : il se rendait directement à l'avant-poste, ce qu'il avait jugé plus sûr que de chercher le lieutenant dans la zone dangereuse. Il alla directement expliquer ce qui était arrivé à sa section, apportant au moins la certitude qu'il serait sans doute le seul miraculé.

................- Voilà, alors j'ai quitté mon poste, parce que vous n'aviez pas encore commencé l'assaut, donc j'avais le temps d'aller me soulager. Je m'étais bien caché, parce que je suis pudique, vous comprenez, lieutenant... et heureusement ! Parce qu'en fait, j'ai entendu des coups de feu, mais super près de moi et pas dans la direction où vous étiez censés attaquer. Là, juste devant moi, il y avait trois mecs. Je suis sûr qu'ils savaient où je devais être posté : ils ont bien regardé puis ils avaient l'air étonné qu'il y ait personne. Ils ont un peu fouillé, j'ai hésité à tirer, mais je pouvais pas, parce que j'avais pas remis mon pantalon alors si je ratais, je pouvais pas courir, alors ils m'auraient tué. Puis, après, ils sont repartis. J'ai vu passer Victor, assez loin, il courrait, alors je me suis dit qu'on était attaqué, donc je suis reparti discrètement et puis je rentrais au camp pour le dire au commandant...

Son explication fit rire quelques combattants qui écoutaient et le rescapé n'arrêta pas de se faire charrier à propos de ses envies pressantes lors des embuscades et de son régime alimentaire. Aleph-Zéro laissa la blague se répandre... Au moins, il restait quelques occasions de sourire. L'Insécateur se sentait totalement dépité. Comme à son habitude, il se confia à Terreur-des-Hommes :

................- J'ai complètement raté... On a abandonné Vassili, l'embuscade était un échec monumental, mais que vais-je dire au colonel ? Ce n'est pas possible, comment ont-ils pu connaître toutes nos positions, tous nos itinéraires ? Je ne vois pas du tout qui pourrait nous avoir trahis !
................- Je n'en sais rien, Vaillant-Rescapé...
................- Aleph-Zéro, s'il te plait, la reprit-il. J'ai changé d'armée. Les sections ne se sont pas séparées, il n'y a aucun moyen que l'un d'entre nous soit parti informer l'ennemi.
................- On a bien Héloïse, qui a fait des aller-retour, répliqua la Migalos. Mais je ne pense pas qu'elle soit notre traître : elle a été blessée à l'épaule durant notre attaque...

Aleph-Zéro marqua une pause pour réfléchir. Le Taupiqueur pouvait très bien être un membre de l'autre section, mais cela ne devait pas l'empêcher de creuser toutes les pistes possibles.

................- Elle aurait très bien pu le faire exprès, pour continuer à rester parmi nous sans être inquiétée...
................- J'en doute, Aleph-Zéro. J'en doute vraiment. Je pense plutôt que notre traître viendrait de l'autre section, ou d'encore plus loin. Mais tu as raison, tu devras en parler avec Dimitri... On rentre ? J'aurais besoin de voir nos œufs, cela me remontera le moral. Il faut aussi qu'on ramène Eclair-de-Liberté auprès d'Inès, sinon, il va mourir de dépression !

L'Insécateur baissa la tête, honteux. Dans son discours, il avait pensé à sa mission, aux causes de cette débâcle, mais il n'avait pas encore mentionné Vassili et l'impact qu'aurait sa disparition sur l'Elecsprint. Il aimait bien son humain et maintenant que Terreur-des-Hommes l'avait mentionné, il commença à paniquer au sujet de son sort.

................- Que vont-ils lui faire ? Il est peut-être déjà mort... En tout cas, nous ne devons pas laisser Eclair-de-Liberté le penser. Ce n'est sans doute pas très bien, mais je veux qu'il garde l'espoir de le retrouver. Car tu as raison, sinon, il ne s'en remettra pas. Le colonel doit être lui aussi mort d'inquiétude. Rentrons ! Il va falloir faire quelque chose au plus vite.

Aussitôt qu'il eut terminé sa conversation, ordonna d'être prêt le plus tôt possible au départ. Les combattants avaient grise mine, cependant, ils accueillaient positivement l'idée de rentrer pour se sentir enfin un peu plus en sécurité. Dès qu'un des rebelles eut prévenu de leur départ imminent, la troupe ramassa tous ses effets et fut prête en moins de cinq minutes.

Quelques jours plus tard, enfin et sans incident majeur, Terreur-des-Hommes qui avançait en éclaireur arriva au camp. Elle fut à peine à vue de ses alliés que trois petits Mimigal accoururent vers elle. A ce moment, face à tous les soucis qu'elle avait rencontrés depuis les derniers jours, rien n'aurait pu la rendre plus heureuse que cet instant. Ils se déplaçaient avec la gaucherie des nouveaux nés ; leur expression ne suggérait que joie et bonne humeur.

................- Inira, Nalio, Khi, doucement ! appela Niryo qui poursuivait les enfants.

Les Mimigal assaillaient déjà Terreur-des-Hommes de questions, l'inspectant sous tous les angles, quand Niryo arriva à sa hauteur. Le Marcacrin prit tout de suite un air désolé.

................- Terreur-des-Hommes, je suis vraiment navré, les humains les ont baptisés et j'ai continué à les appeler ainsi. Ils sont nés il y a deux jours... Juste après qu'on nous les a ramenés, en fait. Je trouve vraiment dommage qu'ils n'aient pas attendu encore que Vaillant-Rescapé et toi arriviez ! Je suis désolé !

Terreur-des-Hommes eut du mal à couvrir les appels de ses enfants pour répondre au petit Pokémon poilu. Les Mimigal ne cessaient de répéter des « Maman ! » de plus en plus fort afin d'attirer son attention.

................- Merci de t'être occupé d'eux, Niryo. Ne t'en fais pas, tu n'as pas à être désolé, rien n'est de ton fait !
................- Je leur ai bien expliqué que je n'étais pas leur papa... Ils sont insupportables depuis que je leur ai raconté ce que c'était une maman, rit Niryo. Ils n'arrêtaient en effet pas de demander quand tu arrivais ! Ce sont vraiment des enfants adorables ! Ils sont un peu trop agités pour moi, mais Pascal s'en est bien occupé lui aussi quand je n'en pouvais plus. Ils s'entendent vraiment bien avec Ieva, ils n'arrêtent pas de jour ensemble, mais je trouve que ça les rend turbulents... Et aussi,...
................- Niryo, Niryo, doucement. Je vais chercher Vaillant-Rescapé. D'ailleurs, il souhaite qu'on l'appelle par son nom humain, maintenant. Il te racontera sans doute, mais c'est un épisode assez délicat pour lui, alors tu feras bien attention à ne pas poser trop de questions !
................- Ce qui risque d'être une véritable gageure pour moi, en effet... sourit le Marcacrin. Je ne t'importune pas plus, va chercher leur père !

Les présentations avec l'Insécateur n'eurent pas la dimension que l'espérait Terreur-des-Hommes. Le père des enfants s'exclama un moment, leur lança quelques boutades, puis aussitôt, il leur annonça les confier à leur mère.

................- J'ai beaucoup de travail, les enfants, s'excusa-t-il rapidement avant de s'éclipser.

Quelques secondes plus tard, il se rendait déjà auprès de Dimitri, accompagné du miraculé et de son unique sergent survivant. Terreur-des-Hommes soupira, puis elle prit ses trois enfants sur son dos. Inira était la plus imposante. C'était la seule femelle, mais elle semblait déjà prendre l'ascendant sur ses frères, car quand elle parla, les deux mâles arrêtèrent de s'agiter et l'écoutèrent.

................- Niryo nous a dit que papa et toi, vous étiez des guerriers et que c'était pour ça que vous n'aviez pas pu être avec nous. Il nous a dit que c'était un peu comme quand on se bat contre Ieva, mais pour de vrai, en se faisant très mal. Alors moi, j'ai décidé que quand vous arriveriez, tous les deux, eh bien, j'allai vous impressionner. Je n'arrive pas encore à battre Ieva toute seule, mais Niryo dit que c'est parce que je vais encore grandir. Par contre, je suis déjà bien plus forte que Nalio et Khi !
................- C'est bien, Inira, je suis fière de toi. Mais tu sais, une maman aime autant tous ses enfants.
................- Oui, Niryo nous l'a dit aussi. Mais Nalio, il pense toujours à se reposer et à chaque fois, c'est moi qui dois aller le réveiller. Puis Khi, lui, il est faible. Il n'arrive jamais à faire ce qu'on lui demande.
................- Inira ! cria Khi. Tu es méchante ! Je fais toujours de mon mieux et Niryo a dit que c'était bien que je fasse des efforts...
................- N'empêche que tu n'y arrives jamais quand même, continua la femelle. En plus, c'est pas juste, parce que Niryo est toujours plus gentil avec lui, même quand il fait des bêtises. Moi, il me gronde tout le temps quand j'en fais, alors que j'en fais moins que lui !

Khi s'était roulé en boule sur le dos de sa mère. Il ne disait plus rien, mais il avait l'air très triste. Il semblait prêt à pleurer... Quand sa sœur se tut, il dit d'une petite voix, avec grande précaution :

................- Tu n'es pas très gentille. Elle ne nous connaît même pas ! Maintenant, maman va croire que je suis nul et elle m'aimera pas...
................- Ne t'en fais pas, murmura Terreur-des-Hommes. Je vous aime déjà tous les trois.
................- Mais moi aussi, je les aime bien, mes petits frères, rigola Inira. Mais j'aime bien les embêter aussi. Ça me fait toujours rire, parce que Khi s'énerve tout de suite à chaque fois et comme il peut pas me battre, il fait la tête et il est tout triste. En vrai, il n'est pas si nul que ça. Mais c'est vrai qu'il fait toujours des bêtises, par contre... Au moins, il nous fait beaucoup rire ! Puis Niryo, il a dit que je devais protéger mes frères si j'étais la plus forte. Alors quand on partira à la guerre avec vous, il faudra que je sois très forte pour les protéger. Surtout pour Nalio, parce que s'il s'endort, ce ne sera pas facile !

Le concerné grogna, pour signaler qu'il avait bien entendu la pique. Il ne répondit pourtant rien. Depuis le début, il n'avait pas prononcé un seul mot, il se contentait toujours d'écouter attentivement et d'approuver ou non. Ils avaient déjà tous les trois un caractère bien marqué et Terreur-des-Hommes sentit qu'elle n'allait pas avoir trop de ses six pattes pour s'occuper d'eux.

................- Attends un peu avant de vouloir nous accompagner, Inira. Ce n'est pas fait pour les petits enfants, là où nous allons !

Elle expliqua ensuite qu'ils avaient eu des incidents et qu'elle avait perdu son dresseur sur le chemin. Aussi, elle leur demanda de retourner un peu auprès de Niryo et Pascal, pour avoir le temps de voir quoi faire avec Aleph-Zéro. Cependant, avant de prendre congé d'eux, elle leur expliqua dans le détail ce qu'était un dresseur et la relation qu'elle connaissait entre Pokémon et humains. Elle voulait qu'ils ne posent pas trop de questions à leur père, car il s'agissait toujours d'un sujet sensible avec lui. Elle désirait leur apporter toutes les informations avec le plus de neutralité possible, pour qu'ils puissent tous trois juger eux-mêmes et se faire une opinion bien à eux. Elle leur promit de leur présenter Vassili dès qu'ils le retrouveraient, ce qui enchanta les enfants.