Prologue
Quelques années avant notre histoire...
La nuit est tombée depuis longtemps sur la région de Hoenn. Pas un seul nuage n'est visible dans le ciel étoilé, et la lune éclaire de sa lueur argentée les vastes forêts de sapins qui s'étendent à perte de vue, la cime des arbres légèrement oscillante. Quelques collines de pierre d'un gris argenté sont visibles au cœur de l'océan bleu-vert des aiguilles des sapins, reflétant doucement la lueur des astres. Un cri résonne parfois dans le silence de la nuit; des silhouettes volantes de Pokémons nocturnes passent rapidement devant la lune, comme des ombres furtives.
Sur la plus haute de ces collines, un Pokémon solitaire regarde attentivement le ciel. Son pelage blanc cendré semble s'illuminer de diamants sous la lumière de la lune, agité par un léger souffle de vent nocturne. Chacune des trois griffes gris sombre de ses quatre pattes est plantée dans le rocher lisse, où il se tient au risque de glisser. Il lève les yeux plus haut vers le ciel, et la longue lame anthracite sur le côté de sa tête semble parcourue par une étincelle d'argent, alors que la lune se reflète dans la corne marquée de coups.
« Père. » L'Absol fait volte-face et se retrouve face à une jeune femelle Absol. Il lui adresse un hochement de tête, puis se replonge dans la contemplation des étoiles. Elle s'approche de lui et lève la tête vers le ciel en l'imitant. La lumière nocturne fait courir quelques reflets argent dans son pelage noir d'ébène et illumine sa corne recourbée, d'ordinaire d'un gris clair et mat, la faisant scintiller comme une épée en acier.
« Abisaï, commence le premier Absol sur un ton doucement paternel, sans remuer les lèvres. Il est tard. Tu devrais dormir.
- Je sais, répond-elle de la même façon. Mais trop de choses se bousculent dans mon esprit. Trop de préoccupations, de problèmes, de rumeurs... » La jeune femelle se détourne du spectacle des étoiles et pose son regard sur le vieil Absol à ses côtés. Ce dernier l'imite, et son regard d'un carmin profond plonge dans les iris bordeaux de la jeune femelle noire. Après une légère pause, celle-ci reprend sur un ton plein de respect : « Père, toi qui sais lire les étoiles. Que disent-elles ? Le temps de la prophétie viendra-t-il bientôt, ou devons-nous attendre un autre siècle de misère, un autre siècle à voir nos semblables mourir un à un ?
- Patience, Abisaï. » Le plus âgé fixe à nouveau le ciel, sans ciller ni bouger, pendant plusieurs instants. « Les héros des temps passés ne parlent que par énigmes, parfois même incomplètes. Mais ne regarde pas seulement avec tes yeux. Ferme-les, et écoute avec ton âme et ton corps. N'entends-tu pas ? » La jeune femelle ferme les paupières et se concentre. Pendant quelques secondes, le silence se fait entre les deux Pokémons Ténèbres. Le vent souffle de nouveau, apportant avec lui les bribes d'une mélodie venue de la mer, puis tombe à nouveau.
« Des vibrations mauvaises. » La voix de la jeune Absol résonne à nouveau dans le silence paisible, alors qu'elle rouvre les yeux, légèrement troublée. « De puissantes ondes de nuit parcourent le monde. Tous les mondes. Et nous sommes les seuls à les entendre.
- Oui, répond le vieil Absol sans détacher son regard des étoiles. Après deux millénaires d'absence, il est de nouveau actif. » Il ferme les yeux et secoue lentement la tête de droite à gauche. « C'est mauvais signe. La guerre contre le mal risque de reprendre.
- Et nous sommes seuls à pouvoir combattre, renchérit sa cadette d'une voix amère. C'est perdu d'avance.
- Que dis-tu là, Abisaï ?
- Père, nous serons seuls à combattre dans cette guerre. Les Aura-gardiens ne sont plus; depuis la disparition du dernier d'entre eux, le Seigneur Aaron, plus personne ne connaît leur secret. Les hommes nous craignent et nous haïssent, comme il en a toujours été pendant des millénaires; les dieux se cachent dans leurs dimensions, au plus profond de l'océan ou plus haut que les nuages, pour échapper à la folie d'un monde qui n'est plus le leur. » La tristesse et le dépit sont clairement perceptibles dans la voix de la jeune Absol, qui baisse la tête et scrute la pierre grise du rocher, la grattant doucement avec ses griffes.
« Abisaï. » Sentant un contact sur sa longue corne recourbée, la femelle au pelage noir relève timidement la tête : l'Absol au pelage cendré s'est approché d'elle et caresse doucement sa corne avec la sienne, lui procurant un peu de réconfort. « Tu as raison de t'inquiéter, cependant tu dois faire la paix dans ton esprit. C'est vrai, les Gardiens de l'Aura ont disparu depuis des siècles, mais leur secret est toujours le nôtre. Les dieux Pokémons reviennent sur la Terre, et je suis sûr qu'ils entendront nos prières plus tôt que tu ne le crois. Quant aux hommes... » Le vieil Absol marque une pause de quelques secondes, songeur. « Quant aux hommes... Ils cherchent désormais à comprendre avant de soumettre. La folie dévastatrice qui fut jadis la leur semble apaisée, du moins pour un temps. Espérons que nul incendie ne mettra le feu aux poudres. Ce serait la dernière chose dont nous aurions besoin, en cette période troublée.
- Puisses-tu avoir raison, père, soupire la femelle au pelage plus noir qu'une nuit sans lune. Puisses-tu avoir raison. »
Le premier Absol s'apprête à lui répondre, mais s'immobilise brusquement et se tourne vers le ciel étoilé. La jeune femelle l'imite, surprise et nerveuse. Une traînée lumineuse apparaît alors dans le ciel nocturne, sa clarté éclipsant celle des autres étoiles. C'est une boule brillant d'un blanc éclatant, laissant dans son sillage une pluie d'étincelles argentées. Elle passe comme un ruban de lumière juste au-dessus de la colline de pierre, sans autre bruit qu'un murmure diffus; puis la comète s'éloigne peu à peu, rapetisse, avant de disparaître à l'horizon.
Toute la scène, depuis l'arrivée de l'étoile filante jusqu'à sa disparition, n'a duré que quelques secondes; mais le vieil Absol a fixé de ses yeux couleur de rubis le ciel, immobile et tendu. La jeune femelle le regarde du coin de l'œil, légèrement inquiète, mais son aîné ne la remarque même pas, comme en transe. Puis il cligne lentement des paupières, une fois, puis une seconde fois, avant de détacher enfin son regard de la voûte étoilée et de baisser les yeux sans regarder la jeune femelle.
« Père ? » La jeune Absol ne parvient pas à dissimuler l'inquiétude dans sa voix en interrogeant son aîné. « Que disait l'étoile ? Le combattant du passé a-t-il parlé ? » Le vieux Pokémon, toujours tournant le dos à la jeune Absol au pelage noir, garde le silence un long moment. Puis il dit d'une voix étrange :
« Le guerrier solitaire brillait d'un éclat joyeux. Car son fils a traversé le temps et l'espace pour venir ici et maintenant. » Il fait volte-face et son regard croise celui de son interlocutrice; un sourire soulagé est apparu sur son visage, alors que dans ses yeux pétille une lueur nouvelle. « Le temps est venu, Abisaï. L'enfant est vivant, et il est ici. Ils sont parvenus à l'amener à bon port.
- Enfin, murmure la femelle au pelage noir. Nous l'attendons depuis si longtemps. Quand sera-t-il prêt ? Quand la prophétie pourra-t-elle se réaliser, père ?
- Patience, Abisaï, répond l'Absol âgé. Ce n'est encore qu'un enfant, à peine né, à peine arrivé en ce monde. Oui, cet enfant aura un destin exceptionnel. Il vivra plus de choses que toi et moi n'en avons jamais vues. Mais il doit grandir. Il doit devenir un homme. Il doit partir puis revenir, voir le monde et le revoir... Attends encore.
- Alors j'attendrai, Père. » La femelle s'avance de quelques pas et contemple le paysage qui lui fait face. Un petit souffle d'air la fait frissonner, et elle recule un peu plus à l'abri sous la grotte. « Et nous le protégerons, reprend-t-elle en se tournant vers le vieux mâle. Cet enfant au destin exceptionnel, nous le protégerons tous, au prix de notre vie s'il le faut.
- Et au prix de la sienne. » murmure pensivement son aîné. La plus jeune se tourne vers lui, atterrée. « Au prix de la sienne ? Père, devra-t-il... Devra-t-il mourir pour nous sauver ?
- Oh oui, Abisaï. » L'Absol gris pâle se tourne vers la femelle noire. Leurs positions sont exactement semblables, comme si un miroir s'était placé entre les deux; seule la couleur de leur pelage change. Puis l'ancien s'avance d'un pas et touche la corne de sa cadette, rompant le charme presque magique qui s'était installé, alors qu'une petite brise agite leurs pelages. « Il mourra pour nous sauver, oui. Mais d'autres périls menaceront notre terre et nos vies avant l'âge des ténèbres.
- Tu vois son avenir, souffle la jeune femelle. Clairement ?
- Non. » Le vieil Absol regarde son interlocutrice, une étincelle de regret et de frustration dans le regard, puis reprend : « Seules des bribes me parviennent. Des lignes éparses du grand livre de sa vie.
- Vois-tu écrite sa fin ?
- Si tu parles de mort, oui. Quant à l'issue de la guerre... » Il se tait et secoue lentement la tête, faisant voleter son pelage cendré. « Trop de pouvoir en cette guerre. Trop de dieux et de créatures nouvelles. Le futur, déjà instable et complexe à déchiffrer, m'est devenu illisible, flou. Je sens d'ici la frustration du dieu du Temps, le Seigneur Dialga : même lui ne peut le lire plus distinctement que moi. Seul le livre de pierre du destin permettrait de savoir, mais nous ne pouvons l'ouvrir. Nous ne pouvons rien faire maintenant. Mais le moment venu, Abisaï, je t'en conjure, sois prête.
- Je le serai, Père. » La femelle s'avance fièrement et fait face à la forêt qui s'étend devant elle. Le vent s'est définitivement levé, à présent, et agite les cimes des sapins devant la jeune Pokémon, donnant l'illusion de la présence d'une mer vert profond. Le chant venu de l'océan retentit à nouveau, semblant plus proche, faisant frissonner l'Absol. « Je serai prête, lance-t-elle en réponse à l'Absol gris cendré. Nous le serons tous, pour l'honneur des Guerriers de la Lumière ! »