Entre infini et au-delà de Cyrlight

Fais comme l'oiseau - Michel Fugain


Elles se levèrent à l'aube pour reprendre leur progression, la faim commençant dangereusement à se faire sentir. Si Cynthia avait entendu la conversation tenue par sa protégée avec Artémis, ce qui était probablement le cas, elle n'en laissa cependant rien paraître.

Elles choisirent le pan de la montagne qui leur semblait le moins abrupte et entamèrent leur ascension. Cela aurait été beaucoup plus rapide si elles avaient pu utiliser les pokémon vol de Marion, mais ceux-ci ne s'étaient toujours pas remis de la tempête de la veille, d'autant que l'île devait sûrement être elle aussi parcourue par de forts courants aériens. La Ranger portait donc le corps inanimé de Tina sur son épaule, à défaut d'avoir un autre moyen de le transporter.

Elles marchèrent en silence pendant des heures, trébuchant à maintes reprises sur la pente oblique qu'il leur fallait gravir, recouverte de cailloux ronds et de lichen qui la rendait glissante. Léa était la plus peinée. A plusieurs reprises, elle songea à renoncer, ce qui lui attira les foudres d'une Artémis impatiente, jusqu'à ce que Esméralda et Cynthia ne se relayent à tour de rôle pour l'aider à avancer.

Cassy, elle aussi, s'énervait sérieusement alors qu'elle cheminait en tête en compagnie de la déesse. A cette allure, elles ne retrouveraient jamais Circé à temps pour avoir une chance de sauver Tina. Elles avançaient si lentement qu'elles ne tarderaient sans doute pas à rouler sur le flanc du mont en sens inverse pour atterrir à nouveau à leur point de départ.

Une végétation sauvage et luxuriante vint également les gêner à son tour. De nombreuses fois, elles furent retenues par des branchages ou des buissons piquants qui leur lacérèrent la chair. N'ayant emporté avec elles aucune trousse de premier secours, elles ne possédaient rien pour se désinfecter.

Chloé rejoignit la meneuse de la Confrérie en tête tout en tentant d'éponger le sang qui coulait de la longue estafilade dessinée sur son bras. Son entraînement de sportive de haut niveau portait enfin ses fruits : elle était de loin la moins fatiguée de tout le petit groupe, preuve qu'elle avait l'habitude des efforts intenses.

- Nous devrions commencer à apercevoir le sommet, non ? s'enquit Cassy, le souffle court, la main sur les hanches pour tenter d'atténuer la douleur du point de côté qui l'assaillait.
- Il est perdu dans la brume. C'est elle que nous verrons en premier, or ce n'est pas encore le cas, ce qui veut dire qu'il nous reste pour le moment une distance considérable à parcourir.

Elles entendirent des soupirs s'élever dans leur dos. Une fois encore, la chasseuse leva les yeux au ciel, mais l'adolescente, elle, comprenait ses amies. Elles n'avaient pas d'eau, pas de vivres, et escaladaient une montagne inhospitalière, presque impraticable, depuis l'aurore quand le soleil approchait désormais de son zénith.

En dépit du froid ambiant, elles étaient toutes en sueur, ce qui les obligeait à frissonner dès qu'elles sentaient la moindre bourrasque de vent les effleurer. Elles patientèrent dix longues minutes encore avant que Marion ne finisse par dire :

- Cela suffit. On s'arrête. Si nous ne faisons pas une pause maintenant, nous mourrons d'épuisement ou de déshydratation avant d'atteindre le sommet.

Les autres l'approuvèrent et elles repérèrent rapidement une corniche sur laquelle elles purent se nicher toutes ensemble. Léa n'attendit pas pour se laisser tomber à même le sol. Elle ferma les paupières afin de profiter au mieux de cet instant de répit inespéré. Chloé, elle, libéra Axoloto de sa pokéball de sorte qu'il apparaisse directement dans ses bras, sans quoi il aurait risqué de tomber dans le vide.

Elle lui demanda de lancer une attaque Pistolet à O en continue, ce qu'il se hâta de faire, pour que toutes viennent se désaltérer en portant leurs mains en coupe sous le jet. Bien qu'elle le proposa également à Artémis, celle-ci refusa catégoriquement.

- Je crois que nous avons interrompu notre route suffisamment longtemps, déclara-t-elle, restée debout quand toutes étaient assises. Il serait peut-être temps de songer à la reprendre.
- Déjà ? Mais cela fait à peine cinq minutes que...
- J'ai dit que nous y allions.

Sans même les attendre, l'humaine légendaire tourna les talons pour poursuivre la progression en vue du sommet. Les filles se mirent debout à contrecoeur et ce fut cette fois-ci Esméralda qui emporta avec elle une Tina endormie, afin de permettre à Marion de se reposer un peu les bras.

L'ascension reprit, toujours aussi longue et monotone, pour atteindre le haut d'une montagne qui semblait inaccessible. Chaque fois, cependant, que leur regard se posait sur la fillette plongée dans une sorte de coma artificielle, cela leur redonnait la force, le courage nécessaire pour faire un nouveau pas en avant.

Enfin, d'épais nuages tombèrent autour d'elles, ce qui était plutôt bon signe. Une bruine légère ne tarda pas à les tremper jusqu'aux os, les laissant ainsi grelotter de froid les unes contre les autres. Seule Artémis ne bronchait pas d'un millimètre, comme si l'eau coulait sur elle sans l'atteindre. Les siècles avaient dû forger sa résistance physique afin qu'elle soit si dure au mal.

- Nous sommes presque arrivées, informa-t-elle enfin, et ce furent les premières paroles qu'elle prononça depuis leur pause.

La pente paraissait désormais si raide qu'elles durent se mettre à quatre pattes pour la franchir sans risquer de tomber vers l'arrière. Le moindre faux mouvement et c'en aurait été fini d'elles, car aucune sécurité, contrairement à l'escalade pratiquée en loisir, ne les préservait d'une chute en contrebas.

- Alors c'est cela... La Vallée des Brumes... murmura Cassy qui rejoignit en tête la déesse sur la crête rocheuse qui cernait la cuvette.

Un vaste cratère s'étendait sous ses yeux, sphérique, dont le diamètre devait se comptait en plusieurs kilomètres. Le sol n'était pas visible, dissimulé par une épaisse masse cotonneuse qui justifiait parfaitement à elle seule le nom de cet endroit.

Marion arriva ensuite et demeura bouche bée durant près d'une minute face au spectacle offert. Malgré la dureté de l'accès, ce lieu était peu commun. Elles n'en verraient probablement pas un autre identique au cours du reste de leur existence.

- Attention ! s'écria soudain Artémis en plaquant l'adolescente à terre, tandis que la Ranger s'accroupissait également.

Un immense oiseau bleu les frôla, griffant l'air de ses serres acérées là où elles se tenaient encore une seconde auparavant. Il exécuta un demi-tour gracieux en pourfendant la brume pendant que la chasseuse tirait son arc et une flèche de son carquois. Elle le banda, mais manqua sa cible qui se déplaçait à une vitesse incroyable. Hormis peut-être Latias, Cassy n'avait jamais vu aucune créature se mouver aussi rapidement.

- Je croyais qu'il n'y avait pas de pokémon ici, en raison des conditions de vie difficile ? rappela-t-elle alors que la déesse leur faisait signe de se mettre en couvert.
- C'est parce que...

Elle interrompit sa phrase pour exécuter un bond de près de deux mètres par-dessus l'oiseau qui la chargeait derechef avant de le frapper au poitrail d'un violent coup de pied. L'armure qui recouvrait les parties les plus sensibles de son corps cliqueta un instant, puis elle retomba sur la fine bordure de la crête sans émettre le moindre bruit.

- ... ce n'est pas un pokémon comme les autres.

Cette fois-ci, sa flèche arriva directement sur sa cible, mais celle-ci la détourna d'un battement d'aile. Artémis porta deux doigts à ses lèvres, de sorte qu'un sifflement strident déchire le silence. La splendide créature fendit la distance d'un violent assaut de bec, qu'elle esquiva en sautant par-dessus sa tête au plumage rutilant. Elle se laissa ensuite glisser le long de son dos pour finalement s'accrocher à l'extrémité de sa queue.

- Arti ! cria la créature qui devait probablement souffrir de ce poids.

En un salto parfaitement maitrisé, l'humaine légendaire regagna la montagne sur laquelle il tenta à nouveau de l'atteindre. Dans une attaque qui ressemblait fort à un Aéropiqué, il se rapprocha dangereusement d'elle, jusqu'à ce qu'il soit heurter à moins d'un mètre de sa victime par une trainée blanche venue de sa gauche.

- Latias ! Protège-moi !

L'oiseau bleu, sonné par le Psycoud'Boul qu'il venait d'encaisser en traître, recula légèrement, tandis que l'éon se préparait déjà à poursuivre le combat. Ses yeux devinrent rose alors que le corps de son ennemi s'entourait d'un halo de même couleur, jusqu'à ce qu'il soit paralysé.

- Vite ! Dépêchez-vous ! ordonna la chasseuse tout en soulevant Léa avec facilité pour l'aider à gravir les derniers mètres restants. Allez, venez ! Latias ne résistera pas longtemps.

Suivant les consignes de la déesse qui traînait désormais la fillette par la main pour la forcer à dévaler la pente, elles se mirent toutes à courir. Cela s'avéra aussi dangereux que la montée car ce pan était également très abrupte, si bien qu'à plusieurs reprises elles manquèrent de se laisser entraîner par leur propre vitesse.

Artémis ne cessait de jeter des regards anxieux par-dessus son épaule et Cassy l'imita à chaque fois. Derrière eux, le combat entre les deux pokémon volants faisait rage, du moins selon les cris qu'elles entendaient, car ils avaient disparu de leur champ de vision au fur et à mesure qu'elles se rapprochaient de la Vallée des Brumes.

L'adolescente n'était pas rassurée par la tournure que prenait la situation. Si la chasseuse elle-même paraissait angoissée par les évènements qui se produisaient quand elle avait pourtant montré un immense courage depuis la veille, alors cela ne laissait présager rien de bon.

Tandis qu'Esméralda trébuchait, attirée vers l'avant par le poids mort de Tina, que Cynthia décida alors de prendre sur ses épaules, la jeune fille comprit ce qui se passait vraiment. Elle se tourna vers la déesse qui venait de lâcher la main de Léa pour prendre son arc à la place, et déclara d'une voix blanche :

- Ne me dites pas que c'est...
- Si.
- Lequel ?
- Artikodin. Cela signifie que Njörd est ici.