Chapitre 173 : Les plans se succèdent
« Oh, monde morne, je te vois... »
Karus Crust, ancien Généralissime, foula du pied le sol de poussière dorée de Rhodes. Devant lui, sa cible. La toute nouvelle centrale nucléaire de la Team Rocket. Celle dont il avait besoin pour son œuvre ultime.
« Dans ton implacable décrépitude »
Karus avait abandonné l'idée de demander la permission à la Team d'utiliser la centrale. Karus ne demandait pas ; il prenait. Libre à ce gamin de Giovanni de l'accabler de reproches ensuite, mais quand il verra de ses propres yeux les résultats de son plan, nul doute qu'il va se la fermer.
« Oh, monde morne, tu es...
Bientôt arrivé à ton terme »
Il était donc venu accompagné de son fidèle Eliott Duston, ainsi qu'avec une centaine d'hommes qui lui étaient loyaux. D'anciens Rockets, pour la plupart, mais qu'importe. Karus appréciait la loyauté, quelque soit l'endroit d'où elle venait. Bien sûr, la centrale devait compter bien plus de cent hommes, mais il y avait une chose qu'ils n'avaient pas : un Mélénis comme lui. Se préparant au combat, Karus chantait.
« Et c'est alors, que je vois
Une flamme s'élever depuis l'aube
Une aube teintée d'espoir
L'espoir d'un monde nouveau »
Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait chantée, cette chanson. Pourtant, c'était lui qui l'avait composée, avec Urgania et Chen, il y'a de ça belle lurette. Un chant de renouveau. Un chant d'espoir. Le chant de la Team Rocket, pour donner courage à ses guerriers lors des batailles. Bien sûr, aujourd'hui, bien peu devaient s'en souvenir.
« Debout guerriers du R rouge
Façonnez donc l'avenir
C'est le destin qui vous guide
Celui de la Team Rocket »
Karus secoua la tête et éclata de rire. Bon dieu, que n'avait-il été jeune et imbécile à l'époque pour écrire pareilles âneries ! S'il devait attendre après la Team Rocket pour « façonner l'avenir », il pourrait attendre longtemps. Non. Seuls les Mélénis pourraient éclairer ce chemin tortueux que l'on nomme futur.
- Allez-y, fit-il à Duston.
Son second donna les ordres, et ses hommes chargèrent avec lui, les armes à la main. Karus, lui, suivi de prêt. Au bout d'une demi-heure, ce fut terminé, la centrale était à lui. La moitié des Rockets, qui étaient assez vieux pour se souvenir du visage de leur ancien Généralissime, avaient immédiatement déposé les armes et s'étaient ralliés à lui ; Karus étant l'un de ces hommes qui attiraient à eux la loyauté partout où ils allaient. L'autre moitié avait rapidement succombé, sans qu'un seul des hommes de Karus ne fût blessé. Grâce à son Flux, Karus les avait tous protégé. Quant à ses ennemis, il ne restait même pas assez de traces d'eux pour effectuer un prélèvement ADN, après que Karus eut déchaîné son Flux sur eux.
Le Généralissime ne perdit pas de temps. Grâce à l'électricité générée par cette centrale, il pourrait mener à bien son objectif. Tandis que ses hommes s'attelaient à monter toute l'ingénierie nécessaire, Karus ajustait ses derniers calculs. Le Flux était quelque chose de très précis, et le sort qu'il avait lui-même créé était d'une complexité jamais atteinte. Mais près de vingt ans de recherches et d'expériences allaient bientôt porter leurs fruits.
Duston vint le déranger en plein travail. Ce n'était pas son genre, donc ça devait être important.
- Seigneur, trois individus se sont présentés à l'entrée. Ils disent vouloir vous rencontrer.
- Et qui donc pourraient-ils être de suffisamment importants pour que je daigne me lever pour eux ?
- Ils se disent Mélénis, Seigneur...
Karus fronça les sourcils, puis laissa vagabonder son Flux à l'entrée de la centrale. Oui, c'était faible, mais il y avait bien une présence. Quand il devina de qui il s'agissait, ses lèvres s'étirèrent en un sourire ironique.
- Des déchets. Mais je vais les recevoir. J'ai besoin de distraction après tout ce travail harassant...
- Désirez-vous une garde armée ? S'ils sont réellement Mélénis...
Karus laissa échapper une onde de Flux qui mit à terre le fidèle Duston.
- Je t'apprécie Eliott, mais si jamais tu m'insultes à nouveau de la sorte, j'effacerai jusqu'à ton existence entière ! Dis-moi, qui suis-je ?
Duston se releva tant bien que mal, le visage blême.
- Le... le Généralissime Karus Crust, Seigneur... Le plus puissant de tous les Rockets.
- Ai-je donc besoin de protection face à ses trois Mélénis de troisième zone ?
- Non, Seigneur... Je vous présente mes excuses pour mon insolence.
- Va. Amène-moi ces lascars.
Duston revint quelques minutes plus tard, avec, comme Karus l'avait présumé, Joshu, Esclel et Zuth. Les larbins d'Esva Nuvos. Ils eurent la bonne idée de s'incliner devant lui, quoi qu'avec un peu de réticence pour Joshu.
- Eh bien, eh bien, eh bien... Ça faisait longtemps, jeunes gens, commença Karus. J'aurai pensé que depuis la dernière fois, vous auriez eu assez de jugeote pour vous tenir le plus loin de moi possible. Votre crétinerie ne cessera jamais de se me surprendre, je dois l'avouer.
Joshu se mordit les lèvres pour s'empêcher de répliquer. Zuth, lui, était d'un naturel tel que les insultes lui passaient loin au dessus. Esclel l'ignora et dit :
- Notre maître Nuvos l'Infini nous a envoyé à vous, Seigneur Karus, pour vous proposer une alliance.
- Une alliance ? Fichtre, vingt années dans le Pic Démoniaque lui ont retiré le peu de cervelle qu'il lui restait. Pourquoi diable le Roucarnage devrait-il s'allier avec l'Aspicot ?
- Maître Nuvos est très proche de parvenir au Phénoména. Son succès est certain. Et, malgré que le fait que vous l'ayez combattu et capturé jadis, il vous respecte assez en tant que Mélénis pour vous offrir de gouverner le monde à ses cotés.
Karus éclata de rire. Il n'avait plus rit de la sorte depuis longtemps. Rien que pour cela, il avait bien fait d'accueillir ces demeurés.
- Nuvos, gouverner le monde ? Il est sorti de son cachot encore plus timbré qu'il n'y était rentré ! Parce qu'il croit que son petit don pour la Graphiria va lui donner le pouvoir suprême ? Il y a des forces en ce monde qu'il est loin de pouvoir imaginer.
- Le sort Phénoména est absolu, rétorqua Zuth. Vous devriez le savoir, un érudit comme vous. Personne ne pourra y échapper, pas même le Créateur.
- Merci gamin, mais je connais mieux que toi la nature de ce sort. Même si l'Infini se déniche un Loinvoyant, il est très loin de pouvoir maîtriser un tel pouvoir. Il se fera dévorer, et je me hâte d'assister à cela.
- Il est vrai que Phénoména est un sort exigeant une maîtrise parfaite, concéda Esclel. D'où l'intérêt de cette alliance. Avec vous, il ne pourra que fonctionner.
- Oh, c'est pour ça qu'Esva vous a amené à moi ? Il veut que je l'aide à contrôler Phénoména ? Manque de chance, j'ai déjà un projet sur le feu. Bien plus réalisable que le sien. Et bien plus grandiose.
- Vous avez quitté la Team Rocket, insista la Mélénis. Nuvos sait que vous êtes aussi écœuré que lui par ce pseudo-contrôle que les humains veulent nous imposer. Seuls les Mélénis ont le droit de diriger ce monde.
- Voilà sans doute une chose sur laquelle nous sommes d'accord. Mais Nuvos veut gouverner un monde d'humains, alors que moi, je veux gouverner un monde de Mélénis. Voilà ce qui nous sépare. Fichez le camp, maintenant. Je n'essaierai pas de l'arrêter ; qu'il continue donc à s'amuser avec ses graffitis. Il sera bientôt obligé de se rendre à l'évidence, et de s'agenouiller devant moi.
C'en fut trop pour Joshu, qui n'avait jamais eu beaucoup de patience, en plus de peu de jugeote.
- Vous n'êtes qu'un vieux fou ! Maître Nuvos ne s'agenouille devant personne, et surtout pas devant un pauvre...
Karus claqua des doigts, et il y eu une lumière puissante suivi d'une explosion. Esclel et Zuth se jetèrent à terre, terrifiés. Quand tout fut cessé, il ne restait de Joshu que quelques cendres fumantes au centre de la pièce. Karus se leva en sifflotant, et, devant les regards atterrés des deux Mélénis restant, il ouvrit un placard contre le mur, en sorti un balai et poussa les restes de Joshu hors de la salle.
- Merci de ta visite, Joshu. Dommage que tu doives nous quitter si vite... Non, non, te raccompagner dehors est un plaisir.
***
Tous les Dignitaires restèrent bouche bée devant l'écran que présentait Balthazar Igeus à ses collègues. Tous, sauf Edgar Cummens, alias D-Zoroark, vu que le joujou à l'écran était en parti son œuvre. Il manquait deux Dignitaires pour cette réunion, dont l'un d'eux était Silvestre Wasdens. C'était tant mieux pour Igeus. Wasdens était quelqu'un de trop intelligent à son gout, qui ne se laisserait pas aisément manipuler. Le conseil comprenait également le général Lance ainsi que le Dazen, le chef de la Shaters.
- Ce... cette chose, bafouilla Artelus Crayns, est-elle fonctionnelle ?
- Peu s'en faut, cher ami, répondit Igeus. Les premiers essais du laser sont concluants. Nous sommes parvenus à condenser l'énergie à près de 80%. Bien sûr, nous ne contrôlons pas encore totalement l'énergie résiduelle, mais ça ne saurait tarder. Dans deux mois, il sera totalement prêt.
- Peut-on savoir comment vous avez construit cet engin sans éveiller les soupçons ? Questionna le comte Chumfort.
Grâce aux Pokemon Méchas, vieil obèse inutile...
C'était ce qu'Igeus pensait, mais sa réponse fut tout autre :
- Comme vous le savez, je dirige Neofuturia Enterprise. Officiellement, ma société produit des appareils révolutionnaires pour l'énergie renouvelable. Mais il m'est apparu qu'il serait intéressant de... détourner quelques pièces et quelques mains pour participer à l'effort de guerre. Mon canon Jupiter utilise une énergie nouvelle sortie de mes laboratoires. Il est l'arme ultime que nous utiliserons pour anéantir à jamais la Team Rocket !
- La Team Rocket seulement, monsieur Igeus ?
La question fusa du général Lance.
- Que voulez-vous dire, cher général ?
- Si l'on en croit votre exposé, ce canon peut cibler n'importe quoi à des milliers de kilomètre à la ronde, et le détruire en un clin d'œil. Avec une telle arme, vous pourriez aisément soumettre le monde entier.
Tu l'as dit, mon grand...
- Loin de moi cette horrible idée, général, protesta Igeus. Mon seul et unique but est de défendre nos concitoyens de la Team Rocket, et de mettre un terme à cette guerre. Je compte très bientôt faire une petite démonstration de la puissance du Jupiter à nos amis de la Team Rocket. S'ils ont un peu de jugeote, ils se rendront d'eux-mêmes. Sinon... eh bien, ils seront sans doute plus réceptifs quand nous aurons détruit une ou deux de leurs bases.
- Une telle arme ne devrait jamais tomber entre les mains de qui que ce soit, continua Lance. Une telle arme n'aurait jamais dû être inventée. Il ne s'agit pas seulement de vous, mais imaginez si un malade du genre l'Impératrice Solaris s'en emparait ?
- C'est une crainte justifiée, acquiesça Igeus. C'est pourquoi je veux demander à nos amis de la Shaters d'interrompre toutes leurs missions ou leurs engagements, et de s'inquiéter exclusivement à la défense du canon, au Mont Sélénite. Si la Shaters au complet est impuissante à le protéger, personne ne l'est.
Ce ne fut pas du goût de Dazen, qui enleva son cigare de sa bouche pour protester.
- Que vous vouliez jouer avec votre gros calibre, ça vous regarde. Mais mes hommes et moi, nous sommes des assassins. Nous ne vivons que pour le meurtre. J'ai déjà accepté de participer à vos stupides batailles rangées, car ça nous permettait aussi de tuer, mais nous ne sommes certainement pas des vigiles !
- On vous paye gracieusement pour que vous exécutiez toutes nos demandes, Dazen, répliqua Edgar Cummens/D-Zoroark d'un ton froid.
- Quand bien même, ça ne me plait pas, cette histoire... Avec ce foutu canon, vous gagneriez la guerre en deux minutes, la Team Rocket disparaîtra, et même si vous vous trouvez d'autres ennemis ou nation à conquérir, vous n'aurez plus rien à faire qu'appuyer sur un bouton. Et nous dans tout ça ? Où va-t-on trouver de nouvelles cibles à tuer ?
- Nous ne nous battons pas pour la pérennité de votre emploi, fit sèchement Crayns.
En un geste invisible à l'œil nu, Dazen sauta de son siège pour se retrouver derrière celui de Crayns, avec un fin couteau contre la gorge.
- Prenez garde, Dignitaires... Si vous nous privez de boulot, nous n'avons plus aucun intérêt à bosser pour vous. On pourrait tout aussi bien proposer nos services à la Team Rocket. Je suis sûr qu'ils nous paieraient tout aussi bien voir plus que vous. Qui pensez-vous qu'ils nous demanderaient d'assassiner, d'après vous ?
Crayns devint blême et s'empressa de balbutier qu'il ne désirait en aucun cas mettre fin à leur extraordinaire partenariat. Igeus dut intervenir.
- Je vous assure, chef Dazen, que la protection du Jupiter ne sera que temporaire, et nous doublerons naturellement votre salaire pour un travail si harassant... Et ne vous inquiétez pas pour la suite. Nous aurons toujours de quoi satisfaire vos appétits de sang. Une arme, aussi développée soit-elle, ne peut pas tout faire.
Dazen se détendit et regagna sa place.
- Soit. Je dirai à mes gars de se rendre au Mont Sélénite pour protéger votre engin. Mais pas plus du temps qu'il vous faut pour qu'il soit totalement opérationnel. Donc deux mois, comme vous avez dit.
- Donc deux mois, acquiesça Igeus. Je vous remercie pour votre diligence, chef Dazen.
- Me fiche de vos remerciements, grommela ce dernier en reprenant son cigare. Ce que je veux, c'est votre blé.
Igeus sourit. Les hommes attirés par l'argent étaient les plus faciles à manipuler. Tout comme les Dignitaires.
- Maintenant, chers confrères, je ne demande que votre aval et votre confiance. Me permettrez-vous de commander, temporairement, cela va de soi, notre éminent conseil ?
Tout le monde vota pour, sauf le général Lance. Cummens échangea un regard satisfait avec Igeus. Ce dernier ne cacha pas sa joie. Les Dignitaires l'avaient élu lui, Balthazar Igeus, à la tête de Kanto. Mais Igeus ne comptait pas leur rendre ce pouvoir plus tard. Au contraire, il comptait l'agrandir. Et grâce au Canon Jupiter, cela allait être vite fait.
***
L'armée du gouvernement venait de prendre une ville contrôlée par la Team Rocket. Camoros, qu'elle s'appelait. En fait, ce n'était pas un objectif militaire, mais il s'était avéré que les habitants du coin étaient tous des pro-Rockets, et donc les Dignitaires y avaient envoyé quatre Shadow Hunters ainsi qu'une unité de cent hommes. De quoi montrer à tout le monde ce qu'il en coutait de se rebeller contre le gouvernement. Les quelques hommes armés qui gardaient la ville avaient vite été éliminés, puis on avait fait sortir les villageois de leur maison et on les massait en groupe. Certains seraient exécutés pour l'exemple, les autres transférés comme travailleurs volontaires pour l'armée des Dignitaires. Les enfants et les vieillards étaient d'ordinaire épargnés. Enfin, ça, c'était la règle habituelle. Mais voilà, les Dignitaires étaient bien sots s'ils pensaient que la règle habituelle s'appliquait lorsque Kenda était présent.
Le Shadow Hunter aux cheveux violets, adepte des poisons et des démembrements, s'en donnait à cœur joie de mener ses expériences sur les prisonniers civils. Des expériences qui, d'ordinaire, étaient accompagnées de beaucoup de cris stridents, de douleur et de sang. Trefens ne voulait même pas savoir à quoi il s'adonnait avec ses éclats de rire proches de l'hystérie. Il se contentait de le surveiller de loin, en prenant garde qu'il ne choisisse pas pour ses jeux cruels des enfants. Trefens avait toujours refusé l'assassinat d'enfants, alors que pour Kenda, ça semblait être la chose la plus marrante au monde.
- Beebear en a assez, fit Lilura à coté de lui. Il n'aime pas être là quand Kenda s'amuse.
- Comme nous tous, je présume...
Od, qui était le quatrième Shadow Hunter avec eux, ne semblait n'en avoir rien à fiche, lui. Il se baladait à travers les rues détruites, l'air absent, une fleur à la main.
- La destruction artistique... Ce paysage de désolation est d'une telle beauté...
C'est alors qu'une femme dans la rangée des prisonniers, épouvantée par les amusements de Kenda, l'interloqua en lui prenant la main dans les siennes. Des mains pleines de sang et de terre, qui écrasèrent au passage la petite fleur d'Od.
- Je vous en prie, de grâce, monsieur... Mon fils... Il n'a rien fait... Ne lui faite pas de mal, au nom d'Arceus...
Od resta un moment stupide à regarder les pétales de sa fleur tomber par terre. Trefens ferma les yeux, sachant très bien ce qui allait arriver. Et ça arriva. Od, son beau visage défiguré par la haine, se dégagea, et, empoignant son nunchaku, se mit à battre à mort l'impudente, sous les yeux de son fils de six ans.
- Salope ! Tu as abimé ma fleur ! Tu m'as contaminé avec tes mains repoussantes ! Prends ça ! Et ça !
Quand il eut fini, il ne restait de la femme qu'une masse liquide et rougeoyante répugnante. Du sang avait giclé partout, sur tout le costume d'Od, et sur le visage du fils qui était trop sonné pour pleurer. Trefens soupira. Les guerres, c'était vraiment à chier. Que n'aurait-il pas donné pour qu'ils reviennent à leurs bonnes vieilles méthodes, un assassinat discret dans la nuit, une embuscade dans un lieu isolé... Mais pas ça ! Il n'y avait aucun plaisir à accomplir son travail quand on tuait par centaines sur un champ de bataille. Pas plus qu'il n'y en avait à maltraiter des civils.
Si ça ne tenait que de lui, Trefens aurait immédiatement démissionné. Certes, on ne quittait pas la Shaters par une lettre de démission. On la quittait de la même façon qu'on quittait ce monde. Tout Shadow Hunter qui s'enfuyait était considéré comme traître, et tous les autres seraient à ses trousses immédiatement. Mais Trefens aurait pu demander asile à la Team Rocket. Il aurait été protégé, là-bas, comme le fut Acutus, un ancien membre de la Shaters qui s'engagea dans la Team Rocket pour y devenir pas moins qu'un Agent Spécial de Giovanni.
Mais Trefens ne pouvait pas faire ça. Pour la simple bonne raison qu'il était le seul de la Shaters à avoir femme et enfant. Dazen les connaissait et savait où les trouver. Trefens les mettraient en danger s'il s'avisait de trahir. Et puis, sa place dans la Shaters assurait à sa femme et sa fille la meilleure des protections, et de quoi vivre. Pour elles, il devrait continuer à tuer, encore et encore, jusqu'à finir par se détester totalement. Lilura, la jeune femme aux cheveux olives toujours accompagné de son ours en peluche, et qui était un peu sa partenaire attitrée au sein de l'équipe, lorgna Trefens de ses grands yeux pâles.
- Beebear voit que tu es troublé, Trefi. Dis-lui ce qui te préoccupe.
- Rien... Je me demandais juste si j'avais choisi le bon boulot...
Le regard de Lilura, d'ordinaire toujours rêveur, se fit encore plus vague.
- Au moins, tu l'as choisi. À moi, on ne m'a pas donné le choix. Mais qu'importe le passé maintenant. Tuer est amusant, pas vrai Beebear ?
Elle secoua la tête de l'ours en peluche pour qu'il fasse comme s'il acquiesçait. Le coup de fil du chef Dazen vint comme une libération. En effet, le chef leur ordonnait de se rendre immédiatement au Mont Sélénite, où ils avaient pour mission de protéger une nouvelle arme des Dignitaires. Voilà qui ne plairait pas à tout le monde, et surtout pas à Kenda, mais Trefens n'en était pas désolé. Ça lui permettrait de souffler un peu, de réfléchir à tout ça, et surtout de ne plus être obligé de regarder Kenda dans ses délires psychopathes. Il avait assez vu de sang pour le moment. C'est alors qu'il reçu un autre coup de téléphone. Non pas du chef ou d'un autre Shadow Hunters. Mais de sa femme. Le sang de Trefens se glaça dans ses veines. Pour que sa femme l'appelle en plein travail, ça devait être très grave.
- Gélonée ? Qu'est-ce qu'il y a ?
La voix de sa femme, enrouée par l'inquiétude, sortie du portable.
- Oh... Trefens... C'est terrible... C'est Kyria, elle est partie !
- Partie ? Comment ça partie ?!
- Je... je ne sais pas... Elle a pris son sac en me disant qu'elle devait partir, que des méchants allaient venir...
Elle se mit à sangloter. Trefens eut du mal à tirer plus de chose d'elle, si ce n'était que Kyria avait utilisé son Petilouge pour l'endormir, et qu'à son réveil, elle avait trouvé la moitié de la rue totalement détruite. Trefens n'ignorait rien des dons de sa fille pour la prévoyance. Elle devait avoir sans doute ressentit que quelqu'un en avait après elle... Trefens se sentit plus impuissant qu'il ne l'avait jamais été. S'attaquer à sa fille était s'attaquer à son point faible. Malgré toute sa force et sa rapidité, il était là le plus vulnérable. Si jamais il était arrivé quelque chose à Kyria...
- J'arrive immédiatement, fit-il à Gélonée. N'appelle personne d'autre. Reste chez toi.
Il raccrocha et tâta le manche de son katana. Oui, si jamais quelque chose était arrivé à Kyria, son katana allait très bientôt gouter le sang des responsables.
- Je dois partir, dit-il à ses trois collègues.
- Comment ça partir ? Répliqua Kenda. T'as entendu les ordres du chef ?
- Je m'en tape. S'il doit me punir après, grand bien lui fasse.
- Ce ton de désobéissance, ce courage de défier les commandements de papa, c'est d'une telle beauté, souffla Od.
- Trefi, tu nous abandonnes ? Demanda Lilura.
Trefens se retourna.
- Non. Pas toi. Jamais. Mais j'ai quelque chose d'important à faire. Je reviendrai, quoi qu'il m'en coûte.
Oui, il allait revenir. Si la disparition de Kyria était du fait de la Team Rocket pour le faire chanter, il allait revenir, pour utiliser lui-même ce foutu canon des Dignitaire en le pointant sur la base centrale de Giovanni.