On ira - Zaz- Je crois que ce coup-ci c'est enfin la bonne ! Tiens, tu peux les essayer.
Régis, un large sourire aux lèvres, tendit à Cassy sa paire de gants qu'elle jaugea prudemment du regard. Dans un geste hésitant, elle en approcha ses doigts avant de se raviser et de hocher la tête.
- La dernière fois que tu m'as dit cela, je me suis retrouvée avec une éruption cutanée de boutons qui s'étendait des phalanges jusqu'au-dessus du coude.
- Ne t'inquiète pas pour cela, j'ai réglé le problème de l'allergie. Non, non, en théorie, il n'y a pas de raison d'obtenir un résultat néfaste.
- Et combien pour qu'il soit positif ?
- Hum... Et si tu les enfilais afin de vérifier ?
A contrecoeur, la jeune fille attrapa en grommelant les gants qu'elle arracha à demi des mains de son ami, puis se dirigea vers la porte. Ils s'éloignèrent un peu du laboratoire, sur quelques centaines de mètres, puis s'arrêtèrent une fois qu'ils eurent atteint un terrain à l'abandon qui tombait en friche.
Seuls les enfants venaient parfois y jouer mais, bien que la neige avait désormais totalement fondu, le froid du mois de février qui touchait pourtant à sa fin était tel qu'ils ne seraient probablement pas déranger par quiconque, le temps pour eux de mener à terme leur expérience.
Cassy étira le tissu d'un bleu violacé le long de son bras, puis plia lentement les doigts comme pour en tester l'élasticité. Elle ne ressentit aucun picotement, signe de les boutons ne revenaient pas à la vitesse du vent. Le problème du confort semblait être résolu, même s'il s'agissait là du cadet de ses soucis.
- Tu es prête ?
- Si ton bricolage m'explose encore à la figure, je t'assassine, répondit-elle avec un sourire crispé, l'air méfiant.
- Je t'assure, j'ai tout calculé pour que ce soit sans risque.
- Bon, dans ce cas... Carmache, en avant !
Le pokémon jaillit aussitôt de la balle qu'elle venait de lancer devant elle. Il poussa un cri aigu à l'instant où elle lui demanda de jeter l'attaque Draco-Meteor dans le vide. Il s'exécuta sur le champ et elle tourna sa paume parallèle à l'action qu'il était en train d'effectuer. Rien ne se produisit, cependant.
- Régis ?
- Que veux-tu ? avoua-t-il, penaud, en baissant les yeux pour les river sous le sol couvert de mauvaises herbes. Je te l'ai dit, au moins, que tu n'avais rien à craindre. Bon, c'est sûr que cela ne...
- Ne fonctionne pas ? Oh, qu'allons-nous bien faire ? Je me moque complètement de la sécurité, pourtant c'est la seule chose que nous sommes parvenus à mettre au point jusqu'à présent. Sauf que ce qu'il me faut, c'est l'efficacité !
- Cassy, je... Je suis désolé.
- Ce n'est pas ta faute, murmura-t-elle, le regard vide, tout en donnant un violent coup de pied à un caillou qui avait eu le malheur de se trouver dans sa ligne de mire. Ce n'est celle de personne. Mais le mois de mars sera là d'ici une poignée de jours : la Team Galaxie n'attendra pas éternellement, et encore moins que je sois prête, pour passer à l'action. Je suis même étonnée qu'ils ne l'aient pas encore fait.
Le garçon passa un bras réconfortant autour de ses épaules puis ils regagnèrent le laboratoire où, une fois n'est pas coutume, il leur faudrait encore tout reprendre à zéro et recommencer depuis le début. Ils soupirèrent de concert en pénétrant à l'intérieur, le dos vouté par la fatigue aussi bien que par le découragement.
Les quelques chercheurs qui travaillaient avec le professeur Seko levèrent les yeux dans leur direction, mais sans prononcer le moindre mot. A force que Régis élude chacune de leur question, ils avaient fini par comprendre qu'il était préférable de ne pas en poser davantage.
Ils s'installèrent sur une paillasse à laquelle ils travaillèrent d'arrache-pied, ne s'arrêtant qu'un quart d'heure pour manger, et ce sans prendre leur pause en même temps. Finalement, lorsque le scientifique, terrassé par l'épuisement, souda le mauvais fil sur l'un des circuits imprimés, il en arriva à la conclusion qu'ils feraient tous deux mieux d'aller se coucher un peu.
L'adolescente acquiesça, mais ne le suivit pas pour autant après qu'il lui ait souhaité bonne nuit. Elle resta encore un peu penchée sur les croquis dessinés de sa propre main, dans l'espoir de comprendre comment réaliser ce qu'elle visualisait déjà parfaitement en pensée.
Si son frère y parvenait, pourquoi pas elle ? Après tout, ils possédaient les mêmes parents. Aurait-il hérité seul de sa si grande intelligence sans lui en laisser un soupçon ? Certes, elle n'était pas lui, mais peut-être qu'en s'en donnant la peine et la volonté, elle pourrait également réussir là où elle ne faisait qu'échouer jusqu'à présent.
A son tour, elle s'écroula sur les outils dispersés devant elle, subitement gagnée par le sommeil. Lorsqu'elle revint à elle, l'une des pinces coupantes avait laissé une longue marque sur sa joue, à l'endroit où elle s'était assoupie dessus. Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler de ce qui venait de la réveiller.
Le visiophone sonnait, presque avec impatience, dans l'attente que quelqu'un décroche. Il faisait nuit noir et personne ne se trouvait aux alentours. L'horloge murale suspendue au-dessus du bureau du professeur Seko indiquait plus de deux heures du matin. Qui pouvait bien souhaiter contacter le laboratoire à une heure pareille ?
Etouffant un bâillement dans le creux de sa paume, elle se leva, chancelante sur ses jambes encore engourdies, pour se diriger vers l'appareil dont le bruit continuait de se répercuter en écho dans les lieux déserts. Encore à moitié ensommeillée, elle prit le combiné pour répondre d'une voix pâteuse :
- Allo ?
- Cassy ? C'est Chloé !
- Quoi ? Mais tu as vu l'heure ?
- Je sais, je suis désolée, mais il s'agit d'une situation d'urgence. Sandra vient de nous faire parvenir un message.
- C'est-à-dire ?
- Il y a du mouvement dans les rangs de la Team Galaxie. Peter l'a appelée tout à l'heure pour lui dire que bon nombre de sbires quittaient le QG de Voilaroc. Un peu plus tard, ils arrivaient tous par petits groupes à Vestigion. Tu sais ce que ça signifie ?
- Evidemment. L'affrontement final approche à grands pas. Je pense même que le moment est arrivée.
- Exactement. Alors il faut absolument que je sache où tu en es pour tes gants de combat. Comment ça se passe ?
- Très mal. Mon glyphe ne s'est même pas illuminé depuis trois semaines. C'est te dire à quel point la situation est désespérée.
- Alors tant pis, tu devras t'en passer. Il faut que tu rappliques en vitesse, car on ne va sûrement pas affronter la Team Galaxie sans toi.
- Mais sans mes gants, je ne serai d'aucune utilité.
- Parle pour toi ! Tes pokémon sont les mieux entraînés de toute la Confrérie, et puis... Il vaut mieux que tu sois là pour le retour de Lilith. Je ne vais pas te cacher qu'on n'a pas vraiment envie d'avoir à faire avec elle, nous autres.
- Il y a du nouveau sur la Team Galaxie ?
- Rien pour le moment. Ils n'ont pas bougé depuis qu'ils ont tous afflué à Vestigion. A mon avis, ils sont en train de mettre au point un plan afin de nous contrer.
- Oui, justement, coupa Cassy. Ecoute, j'ai encore besoin d'un peu de temps. Pour le moment, ils sont au point mort et ils ne passeront sans doute pas à l'action avant demain matin. Laisse-moi carte blanche jusque là pour résoudre le problème de mes gants, d'accord ?
- O.K., mais tâche d'être à Célestia au lever du soleil.
- Pourquoi Célestia ?
- C'est une idée de Cynthia. Faudrait pas qu'on soit trop loin des Colonnes Lances en attendant l'appel visiophonique que Sandra doit nous passer dès qu'elle les verra se mettre en route, donc retourner à Ebenelle pour qu'on se regroupe toutes là-bas aurait été stupide.
- J'essaie de faire au plus vite, mais je ne te promets rien.
- Tu as un plan ? s'enquit la nageuse en se grattant les cheveux, comme à chaque fois que le trac l'assaillait.
- Non, et même s'il se mettait à germer d'un coup dans ma tête, rien ne prouve que j'aurais le temps de le mener à terme. Bon, je te promets de faire tout mon possible pour être à Célestia à l'heure convenue, mais au cas-où j'ai un empêchement, de quelque nature qu'il soit, avertis Marion qu'en mon absence, je lui laisse le commandement. Je crois que c'est la mieux placée pour cela.
- Bonne chance, Cassy.
La jeune fille la remercia d'un regard avant de raccrocher. Elle se pencha à l'arrière du petit banc qui faisait face à l'écran, la nuque en oblique, les yeux rivés sur le plafond invisible dans l'obscurité. Elle poussa un long soupir en se mordant la lèvre jusqu'à sentir le sang goutter sur sa langue.
Si elle était parvenue à conserver son sang-froid tout au long de sa conversation avec Chloé, cela ne dura pas davantage. Elle se leva d'un bon, les prunelles noyées dans un océan de larmes, puis frappa violemment des deux poings la paillasse de Régis encore couverte de prototypes inutilisables.
Sans se soucier du bruit qu'elle pouvait bien faire alors que l'intégralité de la maisonnée somnolait encore, l'adolescente renversa d'un mouvement du bras tout ce qui se trouvait encore dessus et alluma la lumière. Elle avait grandement besoin d'espace pour réfléchir, or ce n'était pas avec tout ce capharnaüm qu'elle y parviendrait.
Attirée par le raffut qu'elle venait de faire, Régis ne tarda pas à apparaître au bas des marches de l'escalier. Il avait enfilé en hâte ses pantoufles et un peignoir de nuit par-dessus son pyjama. En voyant voler les outils utilisés au cours de la journée, il ouvrit des yeux ronds.
- Cassy ! Cassy, que se passe-t-il ?
- C'est trop tard ! s'époumona-t-elle en se frappant le front sur la table au risque de se blesser.
- Quoi donc ?
- La Team Galaxie est en train de réunir une véritable armada ! Ils vont passer à l'action, et moi, je ne suis toujours pas prête !
- Allons, calme-toi, tu... Je sais que de toute façon, tu participeras quand même à cet affrontement. Les filles ont besoin de toi pour les guider dans l'adversité.
- Oui, je pourrai les aider, mais je ne me battrai pas à armes égales. Or c'est à moi de détruire mon frère, autant qu'il a permis qu'on me détruise moi ! Je ne peux pas le laisser s'en tirer. Il doit...
Elle s'interrompit brutalement dans un hoquet. Pendant un moment, son ami songea qu'elle avait peut-être suffoqué, mais elle se redressa, le visage grave, sérieux. Une lueur d'espoir paraissait poindre dans son regard. Elle se tourna rapidement vers lui pour le serrer dans ses bras.
- Si on ne se revoit pas, j'espère que tu ne cesseras jamais de penser à moi, murmura-t-elle.
- Il ne faut pas dire cela, Cassy. Vous allez réussir. Mais pourquoi...
- J'ai un plan. Il est dangereux, risqué, et a toutes les chances d'échouer, sauf qu'il faut que je le tente.
- Alors à défaut d'être en droit de te retenir, je ne peux que te souhaiter d'y parvenir. Reviens-moi saine et sauve, c'est tout ce que je te demande.
Il l'embrassa sur le front puis ils se séparèrent, le coeur lourd de songer que c'était peut-être les derniers instants de leur vie qu'ils venaient de passer ensemble si les choses devaient mal tourner.