Je serai (ta meilleure amie) - LorieCassy s'étira longuement sur la paillasse en baillant à s'en décrocher la mâchoire. L'horloge numérique n'indiquait que vingt-deux heures trente, or elle sentait déjà la fatigue harasser chacun de ses muscles. Lasse, elle se laissa tomber tel un poids mort sur un tabouret qui crissa sous son poids.
Elle était de retour à Hoenn depuis plus d'une bonne semaine, désormais, pour assister Régis dans ses recherches. Chloé et Marion, quand à elles, avaient choisi de repartir à Kanto pour aider Esméralda à mettre la main sur le glyphe combat avant la Team Galaxie, car elles ignoraient toujours l'identité de son porteur.
- Va dormir, si tu veux, proposa son meilleur ami en lui ébouriffant gentiment les cheveux lorsqu'il passa à sa hauteur, les bras chargés de pinces en tout genre. Quitte à ne pas avancer, autant que je plafonne tout seul plutôt que nous veillons tard à deux.
- Tu sais très bien que tu ne t'en sors pas sans moi.
Ils éclatèrent de rire tandis qu'elle se mettait debout, un circuit électrique à la pointe de la nanotechnologie entre les doigts, qui ne fonctionnait cependant pas. Après des journées entières de dur labeur, ses gants n'étaient toujours pas au point. Elle savait que Régis faisait son maximum, or cela ne suffisait pas. La Team Galaxie peaufinait la Chaîne Rouge à l'heure où eux tournaient encore en rond. Il fallait que ses armes soient prêtes pour l'affrontement qui approchait à grands pas, toutefois cela semblait fort mal parti pour être le cas.
- Emilien les aurait terminés depuis longtemps, lui, marmonna le jeune scientifique, une pointe d'amertume dans la voix.
- Eh, arrête, d'accord ? Tu n'y es pour rien dans ce qui lui est arrivé.
- Si, c'était mon idée de le mettre au courant de la situation, et surtout de l'y mêler.
- Nous n'avions pas le choix, tu le sais bien. Regarde : nous avons réussi à achever les gants de Léa parce qu'il avait déjà réalisé quasiment tout le travail. Maintenant qu'il n'est plus là, c'est à peine si nous parvenons à faire s'illuminer mon glyphe.
- Peut-être mais... A douze ans, l'impliquer dans une histoire de secte, de meurtres, de complots et de plans pour détruire l'univers...
- Tina n'en a que dix.
- Sauf qu'elle n'aurait pas pu y échapper, de toute manière, puisqu'elle est l'électricité. Ce n'est pas pareil.
- Je vois ce que tu veux dire, murmura Cassy en passant dans son dos pour glisser ses bras autour de sa taille avant d'appuyer sa joue contre son épaule pour le réconforter. De toute façon, la seule responsable ici du sort qu'a subi Emilien, c'est moi. Si je n'étais jamais venue au Bourg-Palette, Sven n'aurait pas remonté la piste jusqu'à lui, sans parler qu'à force de le défier, je l'ai probablement énervé pour qu'il ait envie de se venger.
- Tu ne pouvais pas penser qu'il s'en prendrait à lui,
- Si. Enfin, disons qu'il me fallait faire preuve de prudence. Je le connais par coeur. Désormais, je sais qu'il est capable de tout. Du pire... et même de ce qui vient encore après. Ecoute, je... Changeons de conversation, tu veux bien ? Je n'ai pas très envie de discuter de tout cela. Et si j'allais faire un peu de café ?
- Bonne idée, cela m'aidera à garder les yeux ouverts jusqu'à demain matin pour que je finisse ce circuit.
- Tu vas te tuer au travail, si tu continues.
- Tu seras tuée tout court, si je ne l'achève pas.
- Tu marques un point. Sucre, lait ?
Tandis qu'il répondait à l'affirmative aux deux propositions, l'adolescente tourna les talons pour disparaître par la petite porte dérobée qui donnait sur la partie habitation du laboratoire du professeur Seko. En quelques secondes, elle gagna la cuisine où elle se mit aussitôt à l'ouvrage.
Elle sortit tout d'abord la poudre marron du placard, hermétiquement fermée dans un pot beige translucide, puis un filtre blanc du paquet prévu à cet effet. Elle l'installa à l'intérieur de la cafetière tout en déplorant l'absence de bouilloire électrique comme à Ebenelle, qui faisait gagner beaucoup plus de temps.
Tandis que le liquide brûlant s'égouttait de haut en bas au travers du papier pour retomber dans le récipient gradué, elle ouvrit une autre porte pour en tirer le sucre, puis alla prendre le lait dans le réfrigérateur. Ce ne fut qu'en le refermant qu'elle nota un détail intriguant, et revint sur ses pas, autrement dit fouilla à nouveau l'étagère précédente, pour avoir la confirmation de ce qui venait d'attirer son attention.
- Sacha est parti ? s'enquit-elle tout en tendant à Régis sa tasse fumante.
- Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Je viens de remarquer que ses céréales avaient disparu du placard alors qu'elles n'en bougent d'habitude jamais, tellement il en raffole.
- Il est venu me voir cet après-midi, en me disant qu'il ne voulait pas rester encore plus longtemps ici. Il n'est pas fait pour demeurer dans un endroit fixe : il aime beaucoup trop l'aventure pour cela.
- Est-ce ta manière délicate de me dire que je l'ai fait fuir en courant car il ne me supporte pas et réciproquement ?
- Hum... Oui. C'est vrai que ta présence... n'a pas arrangé les choses, mais c'est surtout... Bon, pour être franc avec toi... Il m'a menacé.
- C'est-à-dire ?
- Il a insisté pour que je lui dise ce qui se tramait entre nous. Tu sais comment il est, toujours à imaginer les scénarios les plus abracadabrants qui soient. Cette fois, il a décidé de me faire chanter. Il m'a dit ce matin que si je ne lui révélais pas toute la vérité sur le champ il partirait pour... pour probablement ne jamais revenir, et que ce serait vraiment fini entre nous.
Sa voix se brisa sur les derniers mots et l'expression de Cassy, qui feignait jusqu'alors un intérêt poli, se mua soudain en une fureur non contenue. Le regard mauvais, elle serra les poings jusqu'à ce qu'ils se violacent, puis étira ses doigts au point de faire craquer ses phalanges.
- Je crois que je vais le tuer !
- Non, je... Ce n'est pas la peine. Il a raison. Ce que je fais est mal. Je ne lui avais encore jamais menti, et encore moins dissimulé des choses. Notre relation a toujours été basée sur la confiance, or je comprends qu'il ne me l'accorde plus. C'est au-dessus de ses forces, surtout en te sachant toi dans la confidence quand lui-même n'y ait pas.
- Pourquoi ne lui as-tu pas dit la vérité, dans ce cas ? Ce n'est pas comme si le secret était toujours en place, désormais, surtout pas à l'aube de la fin du monde. Cela t'aurait ainsi évité une scène de ce genre.
- Parce que je sais ce que cela laissait transparaître derrière cette question. Il me demandait d'une certaine manière de choisir entre lui et toi. Comme je m'en suis montré incapable, il a décidé à ma place.
- Régis, je... Je suis désolée. Sincèrement.
- Je te crois. Au moins, je suis certain à présent qu'il ne viendra pas mettre son grain de sel là où il ne faut pas et encourir ainsi les mêmes risques que nous ou que ce pauvre Emilien. Si c'est le prix à payer pour le savoir en sécurité, alors je l'accepte avec joie.
La jeune fille se mordit la lèvre et dut détourner son regard pour ne pas croiser le sien. Elle se sentait affreusement coupable de la situation, même si pour l'heure elle ne pouvait rien faire pour tenter de recoller les morceaux. D'ailleurs, Régis avait raison sur un point : il valait peut-être mieux, dans l'intérêt propre de Sacha, que les choses se soient passées de la sorte.
Ce n'était cependant pas la seule raison pour laquelle son moral venait soudain de tomber au plus bas. Elle se rendait compte, bien que cela lui laisse une amère sensation dans la bouche, qu'elle ne connaissait pas encore ce sentiment qui liait les deux garçons l'un à l'autre.
Oh, certes, elle aimait le jeune scientifique. Elle l'adorait, même, mais comme un frère ou le meilleur ami qu'il était à ses yeux. Elle avait aussi apprécié Cynthia, en laquelle elle avait longtemps vu une mère de substitution jusqu'à ce que celle-ci prenne ce rôle trop à coeur, et c'était sans parler de Sven, dont elle ne regrettait pas les plaisirs qu'elle tirait autrefois de leur relation.
Cependant, jamais elle n'avait employé dans sa vie le terme "amour", probablement parce qu'elle ignorait ce dont il s'agissait. Elle ne pouvait donc pas comprendre la peine qu'éprouver Régis actuellement, car elle n'avait jusqu'à présent pas connu ce genre d'émotion.
- Cassy ? Tu m'écoutes ?
- Quoi ? Je... Non, désolée. J'étais... perdue dans mes pensées. Pourquoi ? Qu'est-ce que tu me disais ?
- Je ne veux pas que tu t'en fasses à cause de cette histoire avec Sacha. Cela devait arriver tôt ou tard, de toute manière. Tu cherches à me réconforter quant à la mort d'Emilien, alors je t'en prie, toi non plus, ne te sens pas responsable de ce qui s'est produit aujourd'hui.
- Pourtant, toutes les raisons du monde me pousse à l'être.
Le garçon s'approcha afin de poser doucement sa main sur sa joue, qu'il caressa en un léger balayage du pouce. Elle lui adressa un sourire emprunt de tristesse, puis posa ses doigts par-dessus les siens.
- J'arrangerai cette histoire dès que nous aurons régler notre problème de gants. Enfin, non. J'attendrai votre affrontement aux Colonnes Lances, ainsi je pourrai cette fois lui dire toute la vérité sans plus taire le moindre détail. Cependant, il faut que je te pose une question. J'espère qu'elle ne te vexera pas et si tu refuses d'y répondre, je comprendrais parfaitement.
- Quelle est-elle ?
- Si les choses avaient été autrement... Je veux dire, si je n'étais pas... homosexuel, tu crois que tu aurais pu tomber amoureuse de moi ?
- Alors là, c'est vrai que c'est... assez inattendu, je dois dire, répondit la jeune fille, désemparée.
- Excuse-moi. Tu sais quoi, nous allons faire comme si je n'avais rien dit et nous remettre à l'ouvrage.
Il se tourna vers le plan de travail si brutalement qu'il rentra dans le tabouret. Tout en pestant, il le remit à sa place, le visage écarlate. Apparemment, il était plus gêné par sa propre interrogation que Cassy, qui se montrait seulement surprise.
Elle attendait durant une longue minute qu'il recouvre son sang-froid puis s'approcha doucement de lui, comme pour ne pas l'effrayer. Ainsi qu'on le ferait à un enfant, elle posa sa main sur son bras, puis glissa ses doigts entre les siens.
- Je vais te répondre franchement : je t'adore, Régis. Longtemps, tu as été mon unique raison de vivre et même encore aujourd'hui, je ferais tout pour toi. J'ai l'impression de ne pas pouvoir respirer quand je m'en vais. Ton absence devient vite un trou béant dans ma poitrine que je ne peux combler, quoi que je fasse. Cependant, j'ai toujours connu ta préférence pour les garçons depuis le début, aussi je n'ai jamais imaginé quoi que ce soit d'autre. Oui, je t'aime. Evidemment. Mais je ne sais pas si je serais tombée amoureuse de toi, sans doute parce que je n'ai même jamais imaginé cela possible.
- Je te remercie d'être aussi sincère avec moi.
- C'est normal, tu es mon meilleur ami.
Elle serra doucement ses deux mains entre les siennes tandis que le regard du scientifique se remettait à pétiller. Au moins, il n'y aurait aucun malentendu, ni aucune ambiguité, contrairement à ce que semblait penser Sacha. Ils se contentaient de s'adorer, au point d'en être devenu inséparables au fil du temps.