Aide-toi et le ciel t'aidera de Kydra

Pascal remplissait les bouteilles d'essence, non sans mal, car sa course à travers les constructions l'avait essoufflé. A côté de lui, Niryo s'appliquait à tailler des morceaux de bois à la taille exacte des cartouches de fusil. L'adjudant-chef lui lançait des regards discrets périodiques, comme pour choisir le meilleur moment pour parler. Finalement, il se convint qu'un tel moment n'existait pas ; il se lança donc, prenant sa voix la plus douce et posée possible :

................- Malik est mort.

Le bruit du frottement des dents du Marcacrin sur le bois cessa immédiatement. Le Pokémon tourna ses petits yeux vers son interlocuteur.

................- Un Fouinar l'a tué, alors qu'il était déjà blessé à mort. Le lieutenant a voulu protéger Aleph-Zéro… Mais c'est pas de la faute de l'Insécateur ! Il faut qu'on se dépêche, sinon, ils vont faire un carnage, ils sont trop puissants.

Niryo reporta son attention sur le morceau de bois qu'il taillait. Il apporta les différents composants à son ami humain, qui, les mains tremblantes, assembla le dispositif. Il eut du mal à fixer les bouteilles au bout des bâtons, car, dans la précipitation, ses gestes étaient peu précis. Finalement, il se chargea des grenades improvisées et des fusils, puis les deux amis sortirent de l'armurerie.

Dehors, ils eurent tous deux la même première réaction : ils cherchèrent des yeux du personnel pour utiliser leur création. Ils hélèrent au hasard des hommes qui passaient là et, une fois l'équipe de choc constituée, ils distribuèrent les armes. La garde devant l'armurerie se dissipa, le groupe partit à la recherche de sa cible. Celle-ci ne fut pas difficile à localiser : Bastiodon, en plus de ne pas être un petit Pokémon, poussait des cris infernaux pour encourager ses alliés.

Protégés derrière des combattants, les fusils lance-grenade firent face au grand Pokémon blindé. Celui-ci frappa le sol de sa patte, défiant ses ennemis du regard. Il approchait doucement du groupe tête baissée en protection, alors que les rebelles ne s'acharnaient même plus à vider leurs chargeurs pour rien. Vaillant-Rescapé se plaça derrière le groupe, curieux de voir ce dont les inventions humaines étaient capables. Chacun cala soigneusement son arme contre le sol. En position couchée, ils tenaient tous fermement le corps du fusil. Au signal de l'adjudant-chef, on alluma toutes les mèches des cocktails Molotov. Au même moment, Bastiodon accéléra, lançant la charge.

Sur les six grenades à fusil, seules trois atteignirent la zone visée : juste derrière le Bastiodon. Les flammes se répandirent, brûlant à la fois l'arrière-train de la muraille d'acier et les Pokémon qui se trouvaient derrière. La plupart des ennemis se retrouva couverte de liquide enflammé. Eclaboussés par l'essence brulante, ils peinaient à éteindre la source de leur douleur. Vaillant-Rescapé n'hésita pas, il devait exploiter immédiatement le désordre que les humains avaient réussi à répandre. Lui et les autres Pokémon se jetèrent dans la mêlée, prenant bien soin de n'utiliser des capacités qui ne risquaient pas de diminuer la morsure du feu.

Bientôt, le Bastiodon se retrouva à la tête d'une armée affolée. Lui-même ne parvenait pas à garder son calme : la croupe en feu, il hurlait de douleur en courant de manière désordonnée parmi les bâtiments. Finalement, écumant de rage, il dut se résoudre à commander la retraite. Les Pokémon s'élancèrent en arrière, sans que leur chef protecteur ne pensât même à partir à reculons pour leur épargner les tirs qu'ils essuyaient. Les humains commençaient déjà à former les groupes pour les poursuivre jusqu'à ce qu'ils fussent hors de portée. Seulement, à peine quittèrent-ils leurs positions que le colonel les arrêta.

................- C'est trop dangereux, restez dans les bâtiments. Nous sommes vulnérables dans la végétation.

Aussitôt, les hommes se figèrent. Seul Vaillant-Rescapé rejoignit en courant le colonel, pour lui faire part grâce à de grands gestes, de sa capacité à les guider dans les zones boisées. Dimitri refusa d'un signe de tête, en agitant la main.

................- Ce n'est pas la peine, nous n'en sommes pas capable, mon vieux. Puis, je ne suis pas sûr que te confronter à eux juste pour te faire accepter chez nous soit une bonne idée… Ton courage nous suffit, garde ta témérité pour une autre occasion.

L'Insécateur n'insista pas, mais il fit volte-face rapidement, contrarié. Il alla trouver refuge auprès de Terreur-des-Hommes. En arrivant à ses côtés, il soupira bruyamment, de sorte qu'elle se sentît obligée de lui demander ce qui le tracassait :

................- On est dans une situation difficile, avec ces histoires, hein ? lança-t-elle.
................- Il n'a pas voulu que je les poursuive. Donc, ils reviendront. De toute façon, le Bastiodon en avait après moi…
................- Je suis désolée. En même temps, on ne pouvait pas s'attendre à mieux. Mais je suis vraiment désolée que tu ne puisses pas trouver la place que tu aurais souhaitée.
................- Je l'ai trouvée, répliqua-t-il plus sèchement qu'il ne l'avait voulu. Le Bastiodon est mon ennemi. Ce n'est pas moi qui l'ai décidé, c'est lui. Qu'à cela ne tienne, je le vaincrai, lui, et tous ceux qu'il a convaincus. Nous en avons les moyens, je le sais pour en avoir assez côtoyé !
................- Tu me surprends, Vaillant-Rescapé…
................- Oui, je me surprendrais presque moi aussi, tu as raison. Mais j'en ai assez d'espérer et de faire des efforts pour ceux qui me rejettent. Tu t'es assez acharnée à me convaincre de ton point de vue… Tu as tellement bien réussi, à force de louer les humains et de nous dénigrer, que je suis prêt à renier les Pokémon et à partager ma vie avec les humains.
................- Maintenant, j'imagine que de toute façon, notre relation avec les Pokémon est trop tendue pour que nous puissions éviter le conflit... Pourtant, je n'ai jamais prêché pour un tel extrémisme et je rejette autant l'excès inverse dans lequel tu as l'air d'avoir basculé. Je n'ai jamais voulu que tu haïsses les Pokémon, Vaillant-Rescapé ! Il faut parfois se montrer tempéré, les choses ne sont pas aussi simples qu'on l'aimerait…
................- Laissons les opinions imprécises et vagues aux lâches… Il est facile de vouloir contenter tout le monde, de répandre des messages de tolérance et de modération. Mais une fois qu'on a dit ça, on n'avance pas ! Quand je pense quelque chose, je le pense totalement et je l'assume. Surtout, je l'applique. C'est aussi simple que ça. Si tout le monde s'y tenait, là en effet, ce serait plus simple ! Quand je serai devenu un Insécateur modéré, je ne mériterai que de m'empaler sur mes propres lames…
................- Si tout le monde était comme toi, la vie serait plus invivable que simple, à mon avis, ricana gentiment la Migalos. Mais ce n'est pas le cas… Par contre, je suis d'accord avec toi, nous devons faire avec ce que nous avons et nous n'avons certainement pas l'appui des Pokémon. Faisons donc sans eux !

Vaillant-Rescapé acquiesça. Il se plongea dans ses pensées, assis contre son amie Migalos. Enfin, Malik avait fait ce qu'il avait toujours rêvé de faire, mais jamais osé : Malin-Fureteur était mort ! Si avant, il n'avait jamais pu en arriver là, c'était bien parce qu'ils faisaient théoriquement partie du même camp. Cependant, le Fouinar n'avait toujours fait que l'entraver dans toutes ses entreprises… Il avait bien mérité le sort qu'il avait reçu ! Mais surtout, le voir mourir avait réveillé une réflexion qui avait emmené l'Insécateur jusqu'à la conclusion qu'il venait d'exposer à son amie.

Malin-Fureteur, à travers ses actes de malveillance à son égard, n'avait eu que faire de desservir la cause des Pokémon. Tout ce qu'il cherchait, après tout, c'était de satisfaire ses ambitions personnelles. Mais, pour ne pas faire acte de traitrise et parce qu'ils partageaient les mêmes convictions, Vaillant-Rescapé n'avait pas voulu le tuer. Où sa clémence l'avait-elle mené ? Il avait été chassé par une machination. Il se retrouvait maintenant un ennemi des Pokémon. Alors pourquoi donc devrait-il continuer à leur accorder sa loyauté ? Il n'envisageait évidemment pas de vouer une haine sans mesure à ses semblables… Par contre, la mentalité qu'il avait connue dans la forêt le dégoûtait à présent. Il voulait arriver au même but, mais renouer avec ses anciens alliés ne l'intéressait plus le moins du monde ; c'était eux, ces ingrats, qui l'avaient renié, qui ne voulaient plus de lui !

Dimitri lui avait exposé ses opinions ; il les avait trouvées à la fois proches des siennes et louables. De plus, après avoir dépassé ses préjugés, il était forcé d'avouer qu'il avait trouvé en la personne du colonel un homme qu'il appréciait énormément. Sa compagnie lui était fort agréable, il considérait bien l'Insécateur, appréciait sa valeur autant militaire qu'en tant qu'ami. Les humains avaient accepté sa présence, du moins la plupart. Il avait également pu s'apercevoir qu'ici, le jugement avait été rendu en sa faveur, contrairement à ce qu'il avait vécu auparavant. Encore une fois, le lieutenant Malik avait payé de sa vie la sauvegarde de l'Insécateur… Il admirait les humains pour le prix qu'ils avaient payé pour lui alors que lui-même ne leur avait pas encore fait pas entièrement confiance.

La Migalos le tira de ses rêveries d'un léger coup de patte.

................- Il faut qu'on aille dans le terrier. S'ils l'ont détruit… Ô Arceus !
................- Ils ne l'ont pas trouvé, tu l'avais bien caché, répondit Vaillant-Rescapé qui courrait déjà vers la cachette.

La terre avait été totalement piétinée, plutôt par la retraite précipitée que par l'arrivée des ennemis, sans doute. S'ils avaient dévasté l'abri des futurs enfants du couple d'Insectes, en tout cas, on pouvait déjà affirmer qu'ils ne l'avaient pas fait volontairement. Ils n'avaient pas trouvé le terrier, pas plus probablement qu'ils ne l'avaient cherché, ni même qu'ils n'avaient été au courant de son existence. Quelque part, cette idée réconforta Vaillant-Rescapé, qui se rassura de ne pas avoir été ni victime d'une attaque personnelle, ni surveillé par un quelconque espion durant les jours précédents. Par contre, la Migalos n'était, elle, en rien rassérénée : qu'on l'eût fait exprès ou pas, si ses enfants avaient été tués, elle se mettrait dans une rage folle et n'aurait de cesse de poursuivre les meurtriers que lorsqu'ils seraient tous morts.

Précipitamment, Terreur-des-Hommes creusa pour retrouver le boyau. Elle finit par en trouver l'entrée, dans laquelle elle se faufila en se contorsionnant. Vaillant-Rescapé ne put pas la suivre, car il avait bien plus de mal à se mouvoir dans la terre. Il resta quelques instants à regarder impuissant le passage où était entrée son amie, puis, il ne put plus attendre. A grands mouvements de lames, il déblaya le reste de l'entrée. Quand enfin il put s'y glisser, il avança prudemment, autant par peur de ce qu'il risquait de découvrir que pour ne pas risquer de faire s'effondrer le tunnel abîmé.

L'Insécateur n'osait pas avancer trop vite. Il redoutait que ce qu'avait craint Terreur-des-Hommes se réalisât. La perte de ses enfants l'effrayait, car il savait que si cela arrivait, la Migalos s'en trouverait détruite. Rien qu'à la pensée de toute la souffrance que cette éventualité lui causerait, il avait de quoi déprimer. Alors en plus, il ne pouvait pas non plus se dire totalement insensible au sort des œufs, même si, à ses yeux, il ne s'agissait pour l'instant que de coquilles pleines qui n'avaient encore rien des Pokémon qu'elles deviendraient.
Lentement, Terreur-des-Hommes arriva par le boyau qu'il empruntait dans l'autre sens. Il lui adressa un regard inquiet, scrutant avec le plus grand soin son expression pour tenter d'y lire la réponse qu'il attendait. La Migalos esquissa un sourire, puis elle articula :

................- Ils sont là, Vaillant-Rescapé. Ils sont tous les trois entiers !

L'Insécateur soupira de soulagement en lui tombant dans les pattes. Elle le poussa délicatement et les deux Pokémon se rendirent auprès des œufs. Vaillant-Rescapé les regarda avec bienveillance, puis il dit :

................- On devrait les amener au camp… Ils seraient plus en sûreté qu'ici et comme tu disais, en cas de problème, ils seraient tout près de Dimitri. En plus, on pourrait veiller sur eux.
................- Tu as raison, sans doute. Mais j'avais peur que certains humains qui ne nous aiment pas en fassent une omelette ! Enfin, après ce qu'on a vu du soutien de ton colonel, je me fais moins de soucis !

Vaillant-Rescapé confirma son opinion d'un murmure. Les deux Pokémon prirent les œufs avec maintes précautions et sortirent de leur tunnel en se coulant des regards amoureux. Lentement, ils se mirent en route pour le campement.