- Léa, mon petit bouchon adoré, c'est l'heure de manger !
La voix de ma fausse mère venait de résonner dans toute la maison. Je grognai, me retournai, et enfouis ma tête dans l'oreiller. Il était probablement aux alentours de midi, et je lézardais toujours au lit telle une grosse limace. Se lever, c'était trop dur. Alors que je méditais sur la relativité du temps passé à somnoler et l'incidence des réveils brutaux, un museau froid vint toucher ma main qui pendait en-dehors des couvertures, me faisant sursauter. J'entrouvris un œil pour apercevoir Grignotte.
- Salut bonhomme, fis-je en étouffant un bâillement.
- Sablai, Sablaireau, me répondit-il en soulevant ma main d'un coup de tête.
- T'es debout depuis longtemps, toi ?
- Sablaireau, affirma-t-il calmement.
- Et tu as bien dormi j'imagine ? continuai-je d'un ton taquin.
Soudain gêné, il évita mon regard et ne répondit pas. Je lui tapotai la tête en souriant, amusée par sa réaction face à ce sujet sensible. Pourtant, cela faisait déjà une semaine que lui et Maraude passaient leurs nuits à dormir lovés l'un contre l'autre. Depuis que nous étions revenus des Îles Sevii, les deux Pokémon ne se quittaient plus. Ils étaient toujours ensemble, que ce soit durant les séances d'entraînement, les repas, ou les moments de détente. Même à présent, la Feunard se tenait derrière lui, ayant accompagné le Sablaireau alors qu'elle n'aimait pas ma chambre : elle éternuait tout le temps dès qu'elle y mettait le bout des pattes. Pour ma part, j'étais heureuse de ce développement, bien qu'il m'ait fortement surpris au début, surtout au vu de leurs caractères si différents. Mais les deux tourtereaux de l'équipe rayonnaient de bonheur, et les autres avaient accepté sans problème leur relation, même si évidemment Teigne ne se privait pas de leur faire des remarques moqueuses de temps à autres.
Pour autant, Maraude ne faisait pas montre de la même confiance envers moi que tous les membres de ma petite troupe, mais elle m'obéissait plus ou moins, et je n'en demandais pas davantage pour le moment. J'avais décidé de la faire évoluer peu après notre retour des Îles, ce qu'elle avait approuvé, allant jusqu'à poser d'elle-même sa patte sur la pierre feu. Ainsi la petite Goupix au poil roux était devenue une splendide créature à la fourrure couleur crème, au corps élancé et aux yeux rubis. Ses six queues avaient doublé - voire triplé - de volume, et elle en avait gagné trois autres, pour former un ensemble somptueux qui lui donnait un air royal. Un collier de poil particulièrement doux ornait son cou - je l'avais touché exactement une fois, sous le regard vigilant de la Feunard. Somme toute, elle formait un bien drôle de couple avec Grignotte - lui pouvait prétendre à la qualification de "mignon" si l'on se montrait indulgent, mais il n'atteindrait jamais "magnifique" et le voir côte à côte avec la superbe renarde blanche ne faisait que renforcer son air de grand dadais.
Alors que j'adressais un bonjour de la main à Maraude, la voix de ma mère zombie retentit à nouveau :
- Léa, mon nounours d'amour, tu viens ? s'égosilla-t-elle depuis la cuisine.
Elle avait crié tellement fort que tout le Bourg Palette devait l'avoir entendue. Avec un grognement digne de Pleind'Soupe, je m'enroulai à nouveau dans ma couette, cherchant à me caler confortablement dans le lit. Les yeux fermés. La tête sur l'oreiller tout frais que je venais de retourner. Voilà. J'étais parée pour dormir encore un peu.
- Feunard, entendis-je Maraude déclarer. Nard, Feunard.
Sûrement quelque chose du genre "Viens, on s'en va." adressé à Grignotte. Je n'y prêtai pas attention et m'attelai à la tâche de repartir au pays des rêves. C'est pourquoi je fus très surprise lorsque quelqu'un tira sur ma couette, exposant mes jambes à l'air libre et compromettant fortement mes plans dodotesques.
- Maraude, arrête, grommelai-je vaguement en ramenant la couverture à moi.
Couverture qui me fut arrachée des mains dans la seconde. Je m'agrippai par réflexe au morceau restant - ma couverture, grrr - et le suivis en dégringolant par terre, atterrissant les fesses sur le parquet dans un bruit sourd.
- Singe ! s'exclama la coupable d'un ton ravi.
Je fusillai Teigne du regard. Quand est-ce qu'elle était entrée dans la chambre, celle-là ?
- Rends-moi ça, petite voleuse ! grognai-je en tirant sur mon bout de la couette.
Au lieu d'obtempérer, elle me l'arracha des mains et partit avec en courant. Immobile, je la regardai sauter sur le bureau, ouvrir la fenêtre d'un coup de coude expert et faire pendouiller ma précieuse couette au-dehors comme une vulgaire chaussette sale.
- Teigne, non ! Repose ma couette tout de suite !
- Singe ! clama-t-elle en réponse en la laissant tomber.
Il y eut un bruit étouffé, puis un "Saquedeneu ?" faible mais étonné parvint à nos oreilles. Le pauvre Poupidou devait s'être trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, et le ciel lui était tombé sur la tête sous la forme d'une couette qui sentait la Léa. Je pointai un doigt vengeur sur la Colossinge.
- Toi ! Tu me le payeras !
Elle pencha la tête de côté, parut décider que je plaisantais et revint vers moi en sautillant. Elle entama ensuite une série de mouvements de gymnastiques qui avaient pour but évident de me motiver.
- Mais je voulais encore dormir... geignis-je, me sentant toute misérable sans ma couette bien-aimée.
- Léa, le déjeuner va refroidir ! appela pour une troisième fois ma Pokémère.
- Singe ! renchérit Teigne en sautillant de plus belle.
- C'est bon, c'est bon, je me lève... capitulai-je.
Cette déclaration recueillit un "Singe !" enthousiaste, un "Sablaireau" posé, et même un "Feunard" au timbre indéchiffrable. Ayant fait le deuil de ma couverture, je me traînai jusqu'à la salle de bain, où une douche bien chaude contribua à mon réveil. Je profitai encore du miroir pour brosser ma tignasse et me faire une queue de cheval, puis, une fois en l'état d'avoir des interactions sociales qui dépasseraient le stade du "Rendez-moi ma couette", je descendis dans la cuisine histoire de remplir mon estomac et de prouver à ma Pokémère que je ne m'étais pas fait kidnapper.
- Bien dormi, mon Rondoudou en sucre ? s'enquit cette dernière en me voyant débarquer.
- Oui, répondis-je machinalement, comme je le faisais depuis une semaine, même si quasiment toues mes nuits étaient hantées de cauchemars sur la mort de Léonard ou de mes Pokémon.
- C'est bien, répondit-elle comme chaque matin. Il faut que ma choupinette soit en forme pour affronter le Conseil des Quatre !
Je murmurai un acquiescement et m'attablai. Gonflette la Machoc apporta le repas, chantonnant son nom selon une mélodie que j'avais fini par bien connaître à force de l'entendre. Par habitude, je cherchai mes autres Pokémon du regard. Ce fut Mistigri que je repérai en premier : il somnolait sur la chaise d'à côté, le bout de sa queue blanche dépassant de sous la table. Près de la porte, Bouffi le Chétiflor et Zozio discutaient, tandis que Teigne se tenait non loin de là, les yeux fixés sur la petite Piafabec. Jusqu'ici, il n'y avait pas eu d'incident sur ce front-là et j'espérais que ça allait continuer comme ça.
Un coup d'œil vers le jardin me suffit pour identifier Poupidou. Le Saquedeneu était occupé à jouer avec ce qui restait de ma couette sous la surveillance de Vésuve, qui l'avait à moitié détruite avec ses poings enflammés. Le Magmar avait un sacré caractère, mais se montrait étonnamment doux en ce qui concernait les plus petits que lui, et je savais que Poupidou ne courait aucun risque. Plus loin vers le fond du jardin, Salade prenait un bain de soleil tandis que Pleind'Soupe ronflait (pour ne pas changer). Plouf, lui, avait voulu rester avec ses congénères de type eau pour la nuit chez le prof Chen. Quant à Bzz la Concofort, Bouh la Fantominus et Fulgure le Rapasdepic, ils n'étaient nulle part en vue, mais je savais qu'ils se trouvaient dans les parages. Idem pour Grignotte et Maraude qui avaient élevé au rang d'art le fait de s'isoler entre eux aux moments les plus impromptus.
Le repas s'écoula en silence jusqu'au dessert, où mon simulacre de mère posa la question rituelle :
- Tu vas à Jadielle cet après-midi mon petit sucre d'orge ?
Sauf qu'aujourd'hui ma réponse était différente.
- Oui.
Cela faisait une semaine que j'entraînais mon équipe le long du chenal qui menait à Cramois'île ; j'estimais que nous étions prêts. Maraude avait quasiment rattrapé les autres en terme de puissance, moi j'avais révisé les faiblesses et les forces de chaque type et réfléchis à quelques stratégies possibles, et nous avions tous rechargé nos batteries grâce à cette semaine de repos. S'attarder davantage me semblait inutile. Après ces quelques jours de calme propices à l'introspection, je me sentais prête à repartir, prête à battre la Ligue et à affronter ce mystère que représentait le plus puissant Pokémon au monde. Sans oublier Vivian et Zack, très probablement. Seulement alors pourrais-je rentrer chez moi.
Parce qu'ici, je n'étais pas chez moi. Ce n'était pas ma maison, ce n'était pas ma mère, et ce n'était certainement pas mon monde.
Mais ce sont mes Pokémons... remarqua une petite voix obstinée tout au fond de moi.
Pour la première fois depuis que j'avais débarqué ici, je me penchai sérieusement sur l'idée de rester. Que ferai-je alors ? Pouvais-je vraiment me construire une vie dans ce monde ? J'imaginai que c'était possible... Peut-être que je pourrais me trouver un boulot en rapport avec les Pokémon... ou peut-être même que le rôle de champion de la Ligue venait avec un salaire... en admettant que j'arrive jusque là. Et je pourrais me faire des amis ici aussi. J'avais déjà Léo et le prof Chen dans mes relations, deux hommes dotés d'une influence importante, ça devait compter pour quelque chose. Et puis peut-être qu'avec Zack... non, soyons réaliste, j'avais sûrement tout gâché de ce côté-là.
Mais si je faisais ça, si je décidais de rester, ça signifiait abandonner le monde dans lequel j'étais née, tourner le dos à mes parents, à tous ceux que j'aimais et qui faisaient partie de ma vie là-bas. Une vraie trahison qui reviendrait à m'arracher le cœur de la poitrine. Au final, j'en étais tout bonnement incapable. Et puis même si j'avais pu faire abstraction de mon envie de les revoir, il aurait été égoïste de ne songer qu'à mon propre bonheur...
- C'est bien ma puce, m'encouragea ma fausse mère, me coupant dans mes pensées. Tu crois en ton rêve et c'est pour ça que tu vas le réaliser. Je suis heureuse que tu formes une équipe si soudée avec tes Pokémon, on voit bien qu'ils t'aiment et ça c'est très important pour un dresseur.
Je ne répondis pas, occupée à savourer ma part de tarte à la cerise. Après plus d'un mois passé sur les routes à manger des sandwiches ou des repas servis dans les cafétérias des Centres Pokémon - nourrissants mais qui ne cassaient franchement pas des briques -, ça faisait du bien de pouvoir se caler l'estomac avec de bons petits plats. Je devais admettre que s'il y avait un domaine que ma Pokémère semblait maîtriser, c'était la cuisine.
- Au fait, le prof Chen voulait te parler, ajouta-t-elle, il m'a demandé de te transmettre le message.
- Je dois passer au labo pour récupérer Plouf de toute façon, répondis-je en me demandant de quoi il pouvait bien s'agir.
Une fois le repas terminé, je me rendis dans le jardin tandis que Gonflette débarrassait la table. Salade ouvrit les yeux à mon approche et émit un "Zarre" interrogateur. Je lui caressai le mufle, frottant ma main contre la texture rugueuse de sa peau.
- T'es prêt à repartir à l'aventure, mon Saladichou ?
Faut croire que la tendance de ma Pokémère à m'accabler de surnoms ridicules avait fini par m'atteindre moi aussi.
- Florizarre, me répondit-il d'une voix grave qui fit vibrer ma main.
Une autre voix infiniment plus enthousiaste résonna derrière moi :
- Singe !
- Oui Teigne, confirmai-je sans me retourner, on va partir d'ici.
Si tous les autres membres de l'équipe avaient paru apprécier ces quelques journées gorgées de soleil que nous venions de passer au Bourg Palette, Teigne, elle, s'était ennuyée ferme. J'avais ainsi découvert que combattre ne lui suffisait pas : non, il fallait que les duels qu'elle menait signifient quelque chose, qu'ils contribuent à une cause, et elle s'était donc vite lassée d'affronter des Pokémon sauvages à longueur de temps.
- Tu veux bien aller réveiller Pleind'Soupe et le mettre au courant ? continuai-je à l'intention de la Colossinge.
Elle obtempéra, bondissant vers le Ronflex avec empressement. Il ne manquait plus que notre fameux couple ; j'effectuai un rapide tour d'horizon à la recherche de la fourrure blanche plutôt voyante de Maraude, mais la Feunard ne semblait pas être dans les parages.
- Grignotte, Maraude, on s'en va !
La réponse que j'obtins ne fut pas celle que j'attendais :
- Magmar.
Vésuve s'était approché et me toisait à présent de ses yeux de braise. Sa simple proximité fit naître une couche de sueur sur ma peau, j'aspirai une goulée d'air devenu soudain brûlant.
- Vésuve, tu te rappelles de ce que je t'ai dit ? exhalai-je.
- Magmaaar, s'excusa-t-il en reculant.
Puis il désigna mes Pokéballs d'une main tendue et demanda :
- Mag, Magmar ?
- Non, tu ne peux pas venir avec moi, lui répondis-je gentiment mais fermement. Les quelques séances d'entraînement que tu as eues ne sont pas suffisantes, et je ne veux pas prendre le risque qu'il t'arrive quelque chose. Alors en attendant tu vas rester ici avec les autres, d'accord ?
- Maaag.
Traduction la plus proche : "Mais euuuh".
- Je te promets que t'auras l'occasion de combattre bientôt. Et puis si tu veux, tu peux toujours faire un duel amical contre Teigne avant qu'on parte.
- Singe ! approuva Teigne depuis son perchoir.
Elle tentait de réveiller Pleind'Soupe en se servant de son ventre comme d'un trampoline. Jusqu'ici, sans succès.
Vésuve déclina ma proposition d'un "Magmar" mesuré, se contentant d'un regard envieux vers la Colossinge, qui le battait à plates coutures à chaque fois que les deux s'affrontaient. Elle s'était même frottée à lui avec les bras attachés dans le dos une fois, et l'avait mis au tapis en dix secondes chrono. Le pauvre Magmar n'avait même pas eu le temps de lui porter un seul coup de poing.
- Tu sais, lui dis-je à voix basse sur le ton de la confidence, Teigne te bat peut-être à chacun de vos duels, mais toi tu la surpasses dans un domaine très important : tu es doué pour prendre soin des plus petits que toi, et la compassion, c'est une très belle qualité.
En entendant ça, ses flammes flamboyèrent comme si on les avait soudain arrosées d'essence et je dus reculer pour retrouver un air plus frais. Hé bien. Aussi réceptif aux compliments que gentil. J'avais tiré un bon numéro.
- Prends soin de tout le monde en mon absence, OK ? conclus-je avec un sourire à l'adresse du plus récent membre de la Team Léa.
- Magmar ! acquiesça-t-il.
Je rappelai le trio Salade/Teigne/Pleind'Soupe, puis quittai la maison après avoir récolté trois tonnes d'encouragements - merci fausse maman. Encore une journée type mois d'Août sur la Côte d'Azur, notai-je à peine les pieds dehors. Pas que je me plaigne, au contraire, c'était très agréable. Il y avait juste certaines précautions à prendre. Une fois que j'eus vissé ma casquette sur mon crâne pour me protéger du soleil, je criai à nouveau le nom des deux tourtereaux de l'équipe. Là encore, aucun résultat. Ce ne fut que lorsque je me trouvai à mi-chemin du labo qu'ils daignèrent enfin me rejoindre, Maraude trottinant tranquillement derrière Grignotte qui lui arrivait en courant.
- Bah alors, qu'est-ce que vous étiez en train de faire ? J'ai failli partir sans vous !
- Sa... Blaireau ?
- C'était une blague, précisai-je au vu du ton perplexe qu'avait pris Grignotte.
- Blaireau ! s'indigna-t-il.
Grignotte et le second degré n'étaient pas copains, j'avais déjà pu le constater auparavant.
- Feunard, nard, intervint Maraude sans que je puisse déterminer exactement ce qu'elle racontait.
- Tu sais que tu n'es pas obligée de me suivre, lui rappelai-je posément au cas où ce serait une critique de ma qualité de dresseuse - ce qui, avouons-le, était plus que probable.
Elle me fixa de ses yeux rouges si déstabilisants et jappa. Le son aigu et trop proche de moi me déchira les oreilles, mais je comptai ça comme une victoire : elle ne m'avait pas rembarrée comme à son habitude lorsque j'essayais de lui parler.
- Bien, donc vous venez tous les deux, résumai-je avant de les faire rentrer dans leurs Pokéballs.
En voyant les deux rayons rouges réintégrer les balls, je me demandai s'il était possible pour deux Pokémon de partager la même Pokéball. Je posai la question à l'assistant du prof Chen une minute plus tard lorsqu'il m'accueillit dans le labo.
- Non, la technologie des Pokéballs n'admet qu'un seul Pokémon par capsule. Il n'y a que les illégales qui permettent les captures multiples, mais je ne recommanderais pas leur utilisation si tu tiens à tes Pokémon en un seul morceau...
Ma curiosité satisfaite, je le remerciai.
- Le prof Chen est dans les parages ? enchaînai-je.
- Dans le jardin, me répondit l'assistant.
Je suivis son indication et fut accueillie par la vision du prof Chen en train de grattouiller la tête de Plouf, qui avait l'air aux anges. Je me raclai la gorge pour attirer l'attention de l'expert Pokémon.
- Ah, Léa, c'est toi, me dit-il en se retournant.
- Vous attendiez quelqu'un d'autre ?
- Zack m'avait dit qu'il passerait me voir avant d'aller à Jadielle mais je l'attends toujours, avoua-t-il tout en me gratifiant d'un regard bien trop inquisiteur à mon goût.
- Ah bon, me contentai-je de dire.
Ce qui s'était passé entre Zack et moi ne regardait que nous. Il y eut un silence qui fut heureusement brisé par l'intervention de Plouf.
- Léviatooor ! gronda mon géant des mers en guise de bonjour.
- Coucou mon Plouf, lui répondis-je. T'as apprécié de pouvoir dormir dans l'eau pour une fois ?
- Léviaaaa, acquiesça-t-il avec un frémissement des moustaches.
Le prof Chen lui tapota le flanc avec un sourire.
- En fait, il a gêné tous les autres, et ce sont eux qui ont dû dormir dans leurs Pokéballs, m'informa-t-il. Ils n'ont pas aimé ça du tout, surtout ton Lokhlass.
- Lokhlass, confirma Nessie en bramant depuis la mare qui occupait une bonne partie du jardin.
- Désolée les gars... dis-je en contemplant Nessie, Pudding et Igor qui se relaxaient dans l'eau. Et la fille, ajoutai-je pour Croustibat bien qu'elle ne pouvait sans doute pas m'entendre vu que seule sa corne dépassait de la surface. C'était juste pour cette fois, je voulais que Plouf soit en forme afin d'être prêt pour l'arène.
- À ce propos, il faut que je m'entretienne avec toi un instant, me rappela le prof Chen en inclinant la tête vers l'intérieur du labo.
- Je vous rejoins dans un instant, répondis-je en rappelant Plouf dans sa Pokéball.
Je passai ensuite distribuer quelques caresses à Nessie et Igor, puis jetai un regard affectueux à Pudding et Croustibat qui n'étaient pas très portés sur les contacts physiques. Alors que je m'apprêtais à partir, je distinguai soudain une forme sombre en train de remonter depuis les profondeurs du plan d'eau. Froncement de sourcils de ma part. J'avais bien quatre Pokémon aquatiques en plus de Plouf, pas cinq... n'est-ce pas ? La silhouette se précisa - c'était un petit Pokémon -, puis surgit soudain en me crachant une gerbe d'eau à la figure.
- Cara !
Je dévisageai le Carapuce avec effarement puis m'essuyai le visage.
- Alors petit brigand, ça t'amuse d'arroser les gens ? lui lançai-je.
- Cara cara ! s'exclama-t-il avant de replonger vers le fond du bassin.
- Ah, celle-là... soupira le prof Chen. Il va vraiment falloir lui trouver un dresseur, sinon elle finira par vouloir partir toute seule et elle s'attirera des ennuis. Ici elle déprime, et elle se venge en faisant mille et une bêtises.
- Elle est si pressée que ça de partir à l'aventure ?
- C'est un comportement que l'on observe chez tous les Pokémon de débutant : ils sont conçus pour déborder d'enthousiasme à l'idée d'être assigné à un dresseur et se retrouvent frustrés s'ils restent seuls trop longtemps.
- Comment ça, "conçus" ? demandai-je tout en sachant que la réponse ne me plairait pas.
- Sélectionnés pour certains de leurs gènes, si tu veux, m'expliqua le prof. L'élevage de Pokémon a fait d'immenses progrès ces deux dernières décennies, nous sommes à présent capables de modeler le caractère d'un Pokémon à notre convenance.
La pensée que Salade ne me suivait que parce qu'une tripotée de scientifiques avaient bidouillé ses gènes et ceux de ses ancêtres me traversa l'esprit. Déprimant.
- Carapuce ? Cara cara carapuce !
La petite tortue était sortie de l'eau et me tenait un discours survolté tout en agitant ses pattes avant.
- Euh, quoi ? Désolée, j'ai rien compris.
- Je crois qu'elle veut parler à Salade, indiqua le prof Chen.
Ah oui, c'était logique après tout. Ils devaient avoir quasiment grandi ensemble. Je libérai mon mastodonte vert, qui loucha aussitôt sur la Carapuce.
- Florizaaaarre ! Flori, florizarre ! s'exclama-t-il joyeusement avant de la pousser doucement du museau.
La petite bestiole le poussa en retour, se campant sur ses pattes de toutes ses forces.
- Caraaaa ! grogna-t-elle, en plein effort.
J'observai la scène, amusée, puis décidai de les laisser bavarder un peu et emboîtai le pas au professeur qui m'avait attendue. Nous retournâmes dans le labo, où il m'entraîna dans un bureau dont il ferma la porte.
- Il y a un problème professeur ? m'enquis-je alors qu'il prenait en plus la peine de baisser le store de l'unique fenêtre, nous plongeant dans une semi-pénombre.
Son comportement me semblait légèrement parano...
- Léa, dit-il en se tournant vers moi, tu comptes te rendre à l'arène de Jadielle.
- Oui, ça figure sur mon planning de la journée, répondis-je bien que le ton du professeur n'avait rien eu d'une question.
Il lâcha un soupir.
- Le champion de Jadielle n'est pas comme les autres, tu dois être prudente... Il ne respectera pas les règles de la Ligue, tes Pokémon seront en danger.
- Mes Pokémon sont en danger tous les jours, remarquai-je amèrement.
- Davantage, laissa tomber le prof Chen, et ce seul mot résonna entre nous dans la petite pièce comme le bang d'un canon.
- Le champion de l'arène... Comment s'appelle-t-il ? voulus-je savoir. Et pourquoi est-il toujours champion s'il refuse de se soumettre aux règles ?
Le prof secoua presque imperceptiblement la tête, les lèvres pincées en une mince ligne blanche.
- Deux questions auxquelles je ne peux pas répondre.
Je soufflai par le nez, agacée, anxieuse. Le nom de Vivian me trottait à l'arrière de la tête mais je me gardai bien de le prononcer.
- C'est tout ce que vous aviez à me dire ? demandai-je à la place, pressée de prendre la route de Jadielle pour mettre fin à tous ces mystères.
- Pas exactement, non. Tu dois aussi me promettre que s'il te propose un marché, tu n'accepteras pas. Quel qu'en soit les termes.
Un marché ? À quoi pouvait-il bien penser ? Moi je voulais mon huitième badge, point barre. Ça me paraissait plutôt simple ; aucune place pour une quelconque entourloupe comme le sous-entendait le prof.
- D'accord, c'est promis, répondis-je. Je ferai attention et je n'accepterai aucun marché.
Je n'avais jamais eu l'intention d'agir autrement, et si ça pouvait tranquilliser le prof... Ce dernier inclina brusquement la tête.
- Bonne chance, Léa... et si tu vois Zack, dis-lui que je me fais du souci pour lui.
- Le téléphone, ça existe, rétorquai-je avant de pouvoir tenir ma langue.
Zut. Y aurait moyen de revenir en arrière de quelques secondes ?Malheureusement le Destin resta sourd à mon appel, comme à son habitude.
- Il ne répond pas quand je l'appelle, soupira le prof.
Une pointe de culpabilité me fouailla les entrailles. J'avalai ma salive.
- Je lui transmettrai le message si je le vois, dis-je d'une voix mal assurée.
Si le prof remarqua mon trouble, il n'en laissa rien paraître et la conversation s'arrêta là. Après avoir pris congé, je passai récupérer Salade, qui se trouvait en pleine discussion avec la petite Carapuce. S'ensuivirent quelques échanges de "Cara cara" et de "Zarre, Florizarre", puis Salade tapota la tête de la petite tortue d'une de ses lianes dans un geste empreint d'affection et me rejoignit. La Carapuce nous accompagna jusqu'à la sortie, trottinant sur ses gambettes et levant un regard admiratif sur mon Salade. Admiratif, et envieux. Je repensais à ce que m'avait dit le prof sur les Pokémon de débutants. La pauvre devait s'ennuyer à mourir dans le labo...
- Zarre, Flori, Florizarre ? s'enquit Salade lorsque nous fûmes de retour dehors.
- Tu veux parler de Carapuce ? devinai-je, jetant un dernier coup d'œil à la tortue que Johnson avait dû prendre dans ses bras pour l'empêcher de nous suivre.
- Zarre. Flori ?
Il avait pointé une de ses lianes sur son amie d'enfance, avant de faire de même pour lui, et de terminer sur moi.
- Pourquoi je t'ai choisi et pas elle ? Je ne sais pas, Salade. J'imagine que je pensais pouvoir prendre soin d'une plante plus facilement, parce qu'au moins je pouvais relier ça à quelque chose que j'avais déjà vécu... Mais c'était stupide, tu sais. Tu n'es pas comme une plante, et j'aurais sûrement été capable de m'occuper tout aussi bien de Carapuce.
- Zarre.
Soupir de ma part.
- Ouais, c'est une réponse plutôt pourrie, hein ?
Je fis un sourire d'excuse à mon tout premier Pokémon, il me réconforta en glissant une liane sur mes épaules, et c'est ensemble que nous quittâmes le Bourg Palette pour nous diriger vers Jadielle, comme par une même matinée ensoleillée six semaines auparavant. Contrairement à alors, nous ne rencontrâmes presque pas de Pokémon sauvages. Sans doute étaient-ils intimidés par la carrure de Salade. Ou peut-être que c'était ma démarche déterminée qui leur indiquait que j'avais à faire ailleurs et qu'il ne ferait pas bon se dresser sur mon chemin.
- Roucool !
Seul un gros Roucool aux plumes étrangement dorées vint nous embêter. Heureusement il annonça ses intentions en clamant son nom bien avant de fondre sur moi les serres ouvertes, ce qui laissa amplement le temps à Salade de l'intercepter.
- Zarre ? émit le Florizarre à l'intention du volatile qu'il avait immobilisé d'une liane.
- Rou, roucool ! piailla le Roucool.
- Flori, florizarre, gronda Salade avant de relâcher notre invité surprise.
Le piaf s'envola aussitôt, s'éloignant sans plus se préoccuper de nous.
- Qu'est-ce que tu lui as dit, que t'allais lui botter les fesses s'il ne nous fichait pas la paix ?
- Florizarre, me répondit Salade, l'air content de lui.
Comme son ton ne me permettait ni de confirmer ni d'infirmer mon hypothèse, le mystère demeura donc entier. Quelques minutes plus tard après cet incident, nous arrivâmes à Jadielle. Après un passage au centre Pokémon afin de m'assurer que toute mon équipe soit au top de sa forme, je ne perdis pas de temps et me rendis immédiatement à l'arène, songeant avec nostalgie à la première fois où j'avais posé les yeux sur le bâtiment. J'avais alors cru que j'allais devoir affronter le champion, avant d'apprendre qu'elle était fermée pour le moment. Puis je m'étais dirigée vers la route 22, où j'avais capturé Teigne... et où j'étais tombée sur Zack.
Zack.À cette pensée, une boule se forma au creux de mon ventre et mes doigts furent agités d'un picotement. Même quand il n'était pas là, ce mec parvenait quand même à me mettre les nerfs en pelote. Dingue.
Cédant à l'impulsion du moment, je m'emparai de mon portable et composai son numéro. Le
tût de la tonalité retentit une première fois à mon oreille.
Allez, décroche.Je pouvais l'imaginer en train de fixer son téléphone, contemplant mon nom qui venait de s'afficher. L'hésitation. Le doigt qui, peut-être, s'approchait du symbole vert, avant de s'immobiliser...
Décroche, tête de lard.Il devait se demander si j'appelais pour faire amende honorable. Pour lui dire que j'avais eu tort, que je n'aurais pas dû lui cacher la vérité. Pour tout lui raconter.
Décroche, parce que oui, je vais m'excuser. Et ptet même plus.Un
bip catégorique répondit à mes pensées, suivie d'une voix mécanique :
- Vous êtes bien sur la messagerie de Zack Chen. Pour laisser un message...
Je mis fin à l'appel en écrasant mon pouce sur le bouton.
Et entrai dans l'arène, refusant de me laisser distraire par cet échec.
Sous la lumière crue des plafonniers qui contrastait avec la vive clarté du dehors, je découvris l'endroit où j'allais livrer bataille pour mon ultime badge. Dans une salle de la taille d'un hangar, des murs d'argile s'élevaient ça et là, délimitant des zones que gardaient des dresseurs. Ça n'avait pas l'allure d'un vrai labyrinthe, mais ça m'empêchait tout de même de voir certaines parties de l'arène. Le champion devait se cacher quelque part là-dedans. Mes baskets foulèrent le sol de sable, tandis que j'inspirais une bouffée de l'air ambiant. Sec, très sec. Malgré tout, la température était nettement plus fraîche qu'à l'extérieur.
Je m'avançai de quelques pas, me dirigeant tout droit faute d'une meilleure idée. Un mec avec un fouet me barra la route, m'offrant un sourire alors qu'un Arbok serpentait à ses pieds. Je le surnommai d'emblée SadoMaso et répondis à son défi, lui opposant Grignotte.
- Intimidation ! grinça mon adversaire en faisant claquer son fouet au-dessus de la tête de son Pokémon.
L'Arbok siffla et se dressa face à Grignotte, exhibant le dessin sur ses écailles, semblable à un visage à la bouche noire et aux cruels yeux rouges.
- Profite du sable, lance un Tunnel ! intimai-je au Sablaireau.
Il ne demeura figé qu'une seconde avant de se mettre à creuser. En un rien de temps, il avait disparu sous terre.
- Repère-toi aux vibrations que tu ressens, déclara SadoMaso pour son Pokémon. Ne te laisse pas surprendre par ta proie.
Je gardai les yeux fixés sur le terrain, guettant l'endroit où réapparaîtrait Grignotte. Il fallait que ce soit sous l'Arbok, de façon à le prendre en traître... mais le serpent n'arrêtait pas de bouger, ce qui devait compliquer la tâche au Sablaireau. Et puis tout à coup, alors qu'il revenait vers son dresseur, le sol parut s'écrouler sous lui, l'ensevelissant totalement. Je m'approchai un peu et vis Grignotte s'extirper de la longue tranchée qu'il avait créée et se secouer pour se débarrasser du sable, puis jeter un regard satisfait vers son trou. Il avait du creuser juste sous la surface, comptant sur le poids de l'Arbok pour faire s'écrouler ce qu'il restait lorsqu'il passerait à cet endroit. C'était une tactique que nous avions travaillé précédemment, même si nous ne l'avions jamais testé sur du sable.
- Joli coup ! constatai-je.
Le Sablaireau tourna son museau vers moi et émit un petit "Blai" enthousiaste. Une ombre se dressa dans son dos. Des crochets fendirent l'air. Sifflement. La morsure de l'Arbok toucha Grignotte à l'épaule, faisant jaillir le sang. Le Sablaireau couina de surprise et de douleur mêlée, puis voulut se rouler en boule afin d'échapper au serpent, mais ce dernier resserra l'emprise de sa mâchoire dans un chuintement aigu. Une autre image que celle que j'avais sous les yeux s'imposa à moi le temps d'une seconde : celle d'un serpent engloutissant une souris dodue.
- C'est ça, Arbok, l'encouragea son dresseur. Maintenant enroule-toi autour de lui, je veux que tu l'étouffes lentement.
C'était peut-être une technique valable vu le Pokémon qu'il avait, mais l'entendre énoncer un tel ordre me donna quand même la nausée. L'Arbok obtempéra et commença à ramener sa queue vers l'avant pour enserrer Grignotte dans ses anneaux.
- Tranche ! m'exclamai-je rapidement tant que le Sablaireau avait encore les bras libres.
Grignotte cessa aussitôt ses contorsions qui ne devaient pas arranger sa blessure à l'épaule et leva une patte, se débrouillant pour frapper le serpent à la tête malgré sa position désavantageuse. Ses grandes griffes découpèrent une large plaie et emportèrent un œil avec elles, ce qui fit que l'Arbok se cabra et relâcha sa proie. Émettant des sifflements rauques, le serpent se coucha ensuite à terre et refusa de bouger, même lorsque son dresseur se mit à le fouetter.
- Ça suffit maintenant, lui lançai-je au troisième coup de fouet alors que je finissais d'appliquer une Hyper Potion sur la blessure de Grignotte. Vous voyez bien qu'il ne se relèvera pas, alors admettez que vous avez perdu et laissez-moi passer.
L'homme me répondit d'un sourire huileux.
- Qu'est-ce qui te fait croire que je n'ai qu'un seul Pokémon ?
Joignant le geste à la parole, il rappela son Arbok et s'empara d'une nouvelle Pokéball. Ce fut un Tauros qui en émergea. La grosse bête racla le sol de ses sabots, fouettant l'air de ses trois queues.
- Poursuite ! enchaîna SadoMaso.
- Tranche, contrai-je.
Le Tauros chargeait déjà, cornes baissées. Grignotte se contenta de l'attendre, et alors que l'autre allait le piétiner, il mit à profit sa petite taille pour taillader l'une des jambes de son adversaire, juste au-dessus du genou. En retour, il se prit tout de même un coup de sabot, mais son assaut fit trébucher le Tauros qui parvint à se rattraper sur ses trois autres jambes avant de finir le mufle dans le sable. Ses flancs se soulevant rapidement, que ce soit de douleur ou de colère, il souffla, expulsant un nuage d'air chaud de ses naseaux, puis fit demi-tour pour revenir vers le Sablaireau qu'il avait dépassé dans sa course.
- Encore, indiquai-je à Grignotte.
Le fouet claqua au-dessus de la tête du Tauros, exigeant la même chose de lui. Le Pokémon taureau se rua à nouveau sur Grignotte, galopant rapidement malgré sa blessure. Quelques secondes, et puis le choc eut lieu, dévastateur pour l'un des deux adversaires. Le Sablaireau resta campé sur ses pattes tandis que le Tauros tombait à terre, l'une de ses jambes proprement sectionnées. Le sang gicla sur le sable, sang qui maculait également les griffes de Grignotte. Un meuglement déchirant sortit de la gorge du Tauros, le cri d'une bête qui souffrait atrocement. Je me mordis les lèvres. Si son dresseur le rappelait maintenant, il s'en tirerait sûrement...
Mais le Tauros n'eut droit qu'à un coup de fouet particulièrement brutal sur son flanc exposé. La lanière de cuir imprima une fine ligne sanglante dans les poils de l'animal.
- Koud'Korn ! lui ordonna son dresseur.
- Arrêtez, il n'est plus en état de se battre ! l'apostrophai-je.
Le sang qui pulsait du membre tranché était absorbé par le sable et la tâche rouge allait en s'élargissant à chaque seconde. Le Tauros ne bougeait plus, ses jambes restantes agitées de tressautements à intervalles réguliers. Comme si la détresse de son Pokémon ne lui faisait rien, le mec se servit à nouveau de son fouet ; le claquement résonna dans l'air tandis que le bout de l'instrument venait cingler le museau du taureau.
Trop, c'était trop.
- Grignotte...
Le Sablaireau tourna vivement la tête vers moi. Je lui désignai le dresseur des yeux. Il parut hésiter, puis s'approcha du mec qui s'apprêtait à administrer un nouveau coup à son Pokémon et leva une patte, exhibant ses griffes d'un mouvement menaçant. L'autre fronça les sourcils, avant de me gratifier d'un regard incrédule.
- Il est interdit d'ordonner à un Pokémon d'attaquer un humain, me rappela-t-il. Si tu bafoues les règles de la Ligue, tu perds tout droit de défier notre champion.
- Ah, mais le champion de cette arène-ci n'en a rien à faire de ces règles, pas vrai ? Donc je peux demander à mon Sablaireau de vous frapper sans renoncer à ma prérogative de challenger. Ou est-ce que j'ai raté quelque chose ?
Du chantage à la torture. Difficile de croire que j'en étais arrivée là.
C'est pour sauver la vie d'un Pokémon innocent, me justifiai-je.
Le dresseur du Tauros grogna, me jaugeant un instant du regard, puis rappela finalement son Pokémon après de longues secondes tendues. Entre ses doigts, le sommet de la Pokéball vira au gris. Ma gorge se serra. Et tout ça n'avait servi à rien...
- Qui est le champion de l'arène ? lui demandai-je en m'obligeant à passer autre chose, parce que c'était la seule façon pour que je continue à fonctionner : aller de l'avant, ne pas s'appesantir sur mes actes.
- Il ne tient qu'à toi de le découvrir, répondit-il en s'écartant pour me laisser passer.
J'avançai donc. Alors que je contournais l'un des murs pour découvrir une autre partie de l'arène, un nouveau dresseur me défia. Il ne disposait que d'un Sablaireau, une copie presque identique de Grignotte qui donna lieu à un affrontement complètement souterrain alors que les deux Pokémon se rencontraient au milieu de leurs tunnels respectifs. Ce fut Grignotte qui en ressortit vainqueur, traînant derrière lui son congénère évanoui.
Le dresseur suivant, quant à lui, avait toute une tripotée de Pokémon de type roche et sol dont Plouf ne fit qu'une bouchée. Puis vint le tour d'un mec en kimono qui me rappela ceux que Teigne et moi avions combattu au Dojo de Safrania.
- Je suis ton dernier obstacle avant le champion, m'informa-t-il lorsque je lui fis remarquer que l'arène avait une drôle de disposition.
- Bien, allons-y alors, répondis-je, pressée d'obtenir mon huitième badge.
Son équipe correspondait également au type attendu : il débuta le duel avec un Machopeur. Je choisis Grignotte une fois de plus, le Sablaireau était en pleine forme et je voulais économiser les forces de mes autres Pokémon pour le combat contre le champion.
- Vendetta, énonça mon adversaire en croisant ses bras musclés.
En trois enjambées, le Machopeur rejoignit Grignotte et se jeta sur lui. Malgré sa tentative d'esquive, le Sablaireau se retrouva au sol, écrasé par le Pokémon bodybuilder. Lâchant un couinement, il riposta d'un Tranche alors que j'allais lui en donner l'ordre, une attaque bien placée qui remonta le long de la cage thoracique du Machopeur et arracha un grognement au Pokémon. Le dresseur de ce dernier réclama ensuite un Corps Perdu, auquel j'opposai un second Tranche. Au terme d'une manœuvre qui se déroula trop rapidement pour que je la comprenne complètement, le Machopeur expédia Grignotte droit dans le mur après s'être relevé. Je m'attendais à ce que le Sablaireau soit sonné et je sortais déjà une potion de mon sac lorsqu'il se remit sur pieds presque aussitôt, agita son petit nez, puis fonça sur son adversaire. Impressionnée, je le regardai arriver au contact, se glisser sans peine sous le coup de poing qui l'aurait stoppé net, et tournoyer sur lui-même, infligeant une double plaie au ventre du Machopeur. L'immense Pokémon se plia en deux avec un grognement, n'ayant pas d'autre choix que de retenir ses intestins avec ses mains.
- Grignotte... soufflai-je, l'étonnement le disputant à l'écœurement en moi.
Ce fut finalement une troisième émotion qui l'emporta : la fierté.
- Tu assures, dis donc, le complimentai-je en souriant.
- Blai ! opina-t-il, et je suis certaine qu'il m'aurait souri en retour s'il en avait été capable.
Le bodybuilder rappela son Pokémon en faisant la grimace et envoya au combat son deuxième et dernier, à en juger par le nombre de Pokéballs à sa ceinture.
- Machoc ! brailla la petite créature qui apparut sur le sable remué par l'affrontement précédent.
Je jaugeai l'état de Grignotte d'un rapide coup d'œil : probablement fatigué, mais encore en état de se battre. Mais depuis Souris, je ne préjugeais plus seule des capacités de mes Pokémon.
- Comment tu te sens, Grignotte ? Prêt à t'occuper du dernier obstacle avant le champion ?
- Blaireau ! confirma-t-il avec entrain.
- Alors vas-y, Tranche !
- Corps Perdu, déclara quant à lui le dresseur du Machoc.
Le petit Pokémon percuta Grignotte sans attendre. Je vis l'attaque du Sablaireau porter, et ouvrir une plaie à l'abdomen du Machoc, mais ce dernier continua son assaut, et malgré sa moindre taille, projeta le Sablaireau à terre sans effort apparent. Grignotte voulut se relever, grattant le sable de ses pattes, se débattant pour se retourner, mais l'autre lui posa un genou sur le dos pour le maintenir immobile. Et le reste ne prit qu'une seconde. Le Machoc lui saisit la tête de ses deux mains. La ramena en arrière d'un seul coup sec. Il y eut un son très clair, très simple. Un son que je connaissais même sans en être consciente parce que je l'avais entendu tellement de fois dans tous ces films où les méchants tuent des innocents à tour de bras. Mon cerveau peina pourtant à l'enregistrer. Ce son appartenait au domaine de la fiction... alors que faisait-il ici, dans la réalité, à quelques pas devant moi ?
Je ne voulais pas y croire, à ce son.
À ce craquement si caractéristique d'une nuque qui venait de se briser.
Et pourtant, je fus bien forcée d'admettre que je venais de l'entendre lorsque le Machoc relâcha sa prise et que la tête de Grignotte retomba mollement sur le sable. Aussi brutalement que ça, le Sablaireau n'était plus. Je fis quelques pas dans sa direction, les larmes affleurant à mes yeux. Je crois que le dresseur du Machoc déclara quelque chose, mais ses paroles glissèrent sur moi sans laisser de trace. L'une des Pokéballs à ma ceinture s'ouvrit d'elle-même, et je distinguai le mouvement furtif d'un Pokémon à la fourrure blanche à travers mes larmes. Un grognement, un cri de douleur...
Je m'arrêtai.
- Maraude, ça suffit !
La Feunard avait réglé son compte au Machoc et montrait les crocs sur le dresseur du Pokémon fautif.
- Feu, feunard, nard, feu ! me renvoya-t-elle accompagné d'un regard meurtrier.
- Tuer qui que ce soit ne le fera pas revenir, et ça n'apaisera pas non plus ta peine ! la sermonnai-je, essuyant mes larmes d'un geste rageur. Et Grignotte n'aurait jamais voulu ça !
- Feunard... gronda-t-elle en réponse.
Cependant elle n'attaqua pas le mec en kimono, lequel s'empressa de déguerpir en gardant un œil prudent sur la Feunard. Cette dernière s'approcha tandis que je m'agenouillais près de mon Grignotte. Je posai une main sur son petit museau. Voulus dire quelque chose, n'y parvins pas. Maraude me bouscula soudain, se jetant sur le cadavre de Grignotte. Elle lui mordit les babines, le poussa de droite à gauche, lui grogna dessus... s'obstinant encore et encore. Cherchant vainement à éveiller une parcelle de vie dans ce qui n'était plus qu'un morceau de viande.
Je la regardai faire, impuissante, le cœur brisé.
- Nard ! s'écria-t-elle finalement en se tournant vers moi, découvrant ses crocs rougis du sang de Grignotte. Feunard, nard ?!
Pourquoi tu ne l'as pas protégé ? disait-elle. Pourquoi il est mort alors que tu étais censée le rendre plus fort ?
Oui, pourquoi ?Je frappai du poing dans le sable.
- Grâce à Grignotte, je me suis rapprochée de mon but, m'entendis-je expliquer avec un calme trompeur. Il m'a aidé à avancer sur le chemin menant à la victoire et son sacrifice ne sera pas oublié.
Des paroles vides.
- Feunard ? répliqua Maraude.
- Je... J'ai pas compris ce que tu viens de dire, avouai-je.
Elle me tourna le dos, puis après un instant, s'avança en direction de la partie encore cachée de l'arène, là où le mec en kimono nous avait appris que nous y trouverions le champion. Son action fut comme un coup de fouet à mon encontre, et je me relevai. Ce n'était pas fini, nous avions encore tant à accomplir. Je contemplai Grignotte une dernière fois, cherchant dans la vision du Sablaireau étendu par terre un rappel de sa gentillesse, de sa timidité si attachante, du formidable Pokémon qui s'était fait une place dans mon cœur. Je ne trouvais rien de tout cela. Il n'existait plus que dans mes souvenirs à présent. Je le rappelai dans sa Pokéball pour la dernière fois et me détournai, passant à la suite des opérations.
Il me suffisait de tourner l'angle du mur pour me retrouver face au champion. Ce que je fis, suivant Maraude qui marchait devant pour pénétrer ainsi dans une zone délimitée sur trois côtés par autant de murs. Je pivotai à droite, posant mon regard sur un homme qui semblait m'attendre. Le champion de Jadielle. Ses yeux noirs rencontrèrent les miens.
Déclic.
Je reculai sous le choc.
- Il m'a semblé entendre un son bien connu. Tu as perdu quelque chose ? s'enquit Giovanni d'une voix amicale.
Je sentis mes jambes flageoler alors qu'un poids immense s'abattait sur mes épaules, me faisant vaciller. Quoi ? Giovanni, leader de la Team Rocket, champion de l'arène de Jadielle ? Ça n'avait aucun sens...
- Tu sais Léa, l'obstination est une qualité que j'admire, continua le boss des Rocket. Mais malheureusement pour toi, tu as commis une erreur en venant ici.
- Vous, vous... balbutiai-je, incapable de formuler une phrase cohérente. Champion ? Comment...
- Comment puis-je cumuler mes activités criminelles et un poste aussi placé dans la hiérarchie de la Ligue, tu veux dire ? Ah ! Le Conseil des 4 est au courant de qui je suis, bien sûr... Cela les amuse de me laisser être champion d'arène, c'est leur ultime pied de nez, comme un os jeté à un Caninos affamé...
Ses paroles censées m'expliquer la situation ne faisaient que m'embrouiller davantage. Le Conseil des 4 n'était-il pas supposé réguler toute l'activité du circuit Pokémon ? Une sorte d'autorité qui dictait les règles ? Comment pouvait-il compter Giovanni dans les rangs de leurs employés ?
- Je ne peux rien faire légalement contre eux tu comprends, exposa Giovanni. Je ne représente pas un danger... J'ai essayé de faire bouger les choses au début, j'ai même vaincu la Ligue quand j'étais plus jeune, mais ça n'a rien changé. J'ai juste gagné une place en tant que champion d'arène lorsque le champion suivant m'a détrôné. On pense qu'on peut faire évoluer les choses de l'intérieur et au final on se retrouve pris au piège de la même toile d'araignée que l'on voulait combattre... Alors j'ai fondé la Team Rocket, le seul véritable moyen de renverser la tyrannie de ce maudit Conseil des 4 une fois pour toutes...
Je demeurai silencieuse. Giovanni me fixait, semblant attendre une réponse.
- Vous êtes dingue, lâchai-je donc.
- Ah, fit-il en levant un doigt, je crois que le mot que tu cherches est "audacieux". Mais laissons ces considérations de côté, si tu veux bien. La situation qui se présente à nous aujourd'hui n'a rien à voir avec le Conseil des 4, elle ne concerne que toi et moi.
- Où vous voulez en venir ? demandai-je hargneusement. Maraude, attends, ajoutai-je en voyant que la Feunard commençait à s'impatienter.
- Voici ce que je te propose : un duel avec des règles très précises. Nos Pokémon s'affrontent un par un, dans l'ordre de leurs Pokéballs à nos ceintures. Interdiction de les échanger contre un autre en plein combat - si l'un des deux est incapable de continuer, le round revient à l'autre dresseur -, et un seul objet de soin autorisé en tout et pour tout.
Son regard glissa sur mes Pokéballs, un sourire narquois apparut sur son visage.
- Il semblerait que nous ayons tous deux cinq Pokémon prêts à se battre, ça tombe bien.
Je serrai les dents à ce commentaire. Maraude, elle, jappa agressivement.
- Bien sûr je suis conscient que ces règles sont très contraignantes, poursuivit Giovanni d'un ton affable. Pourquoi les accepterais-tu alors que nous pourrions nous opposer dans un duel classique ? Un élément de motivation, donc : si tu acceptes, je prend ma retraite et démantèle la Team Rocket. Tu n'entendras plus jamais parler de nous. C'est ce que tu veux depuis le début, non ?
C'était presque trop beau pour être vrai. Giovanni en personne qui m'offrait l'occasion de mettre fin à la Team Rocket.
- Et sinon ? interrogeai-je, avec l'impression d'être en train d'envisager un pacte avec le diable en personne.
- Sinon, rien ne change, répliqua Giovanni. À moins que tu n'aies le cran de me tuer lors de notre duel, je suppose.
Son expression moqueuse m'indiquait qu'il savait bien que j'en étais parfaitement incapable. L'avertissement du prof Chen me revint en mémoire. À lui aussi, je lui avais fait une promesse. Celle de l'Ossatueur prenait-elle précédence ? J'avais juré à la mère fantôme de la venger en détruisant la Team Rocket, et ce serment-là avait été écrit dans le sang...
- Pourquoi une telle proposition ? demandai-je au boss des Rocket. C'est prendre un sacré risque de votre côté, je vous ai déjà battu à plusieurs reprises dans des conditions moins contraignantes, et le contraire n'est pas vrai.
- Un risque ? répéta Giovanni en levant un sourcil. Je suis étonné que tu n'aies pas encore compris. Au contraire, de telles règles m'avantagent considérablement.
J'eus beau réfléchir, je ne voyais pas en quoi.
- Ta décision ? voulut savoir le gangster.
- J'accepte.
Un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres tandis qu'il se saisissait d'une Pokéball customisée, noire frappée d'un R sur le devant.
- Rhinocorne ! brama son occupant en se matérialisant.
Maraude s'avança, sa gueule déjà bordée de flammes. Cette première combinaison de type ne m'avantageait pas, surtout que j'avais remarqué lors des entraînements que la Feunard était plutôt fragile. Il allait falloir se débarrasser rapidement du Rhinocorne.
- Fais-moi le plaisir d'écraser ce Feunard avec tes Boules Roc, dit Giovanni, donnant ainsi le signal de départ de ce duel aux enjeux considérables.
- Lance un Toxik, Maraude, et reste en mouvement, demandai-je.
La Feunard s'élança sans marquer la moindre hésitation. Je savais qu'elle se battait avant tout pour Grignotte ; la rage qu'elle devait ressentir aurait au moins le bon côté de booster ses attaques. Un premier rocher fusa, qu'elle évita avec grâce en se plaquant à terre, puis un deuxième, qui lui frôla le bout du museau. Tout en continuant à virevolter sur le terrain pour esquiver les lourds projectiles envoyés par le Rhinocorne, elle se positionna et cracha une giclée de liquide violet en direction de son adversaire. Pourtant parti de loin, le jet toucha la bête en plein dans les yeux, suivi une seconde plus tard d'une langue de feu qui vint lui lécher le visage. Le Rhinocorne éternua et secoua la tête, avant de riposter d'une énième balle rocheuse. Cette fois-ci, Maraude ne fut pas en mesure de s'y soustraire : la pierre la percuta durement et l'envoya rouler dans le sable. La Feunard poussa un couinement mi-surpris mi-indigné, puis se releva en s'ébrouant.
- Onde folie, lui indiquai-je, espérant que ça lui laisserait le champ libre pour ensuite balancer tout son arsenal enflammé.
Un jappement aux sonorités étranges retentit. J'eus l'immense plaisir de voir Giovanni grimacer, et son Pokémon émit un grognement interrogatif, avant de renvoyer une pluie de rochers vers Maraude. Il rata cependant quelque peu son attaque parce qu'il y en eut un qui s'écrasa sur son crâne, se brisant en deux, tandis que tous les autres s'éparpillaient au sol sans faire de mal à la Feunard. Ces quelques moments de confusion suffirent pour que la renarde prenne l'avantage et crache un long jet de flamme sur le Rhinocorne. L'assaut brûlant qui visait sa tête le fit reculer si précipitamment qu'il faillit se cogner dans les jambes de Giovanni.
Je m'autorisai un sourire. Tout se passait bien pour le moment, Maraude était en forme et nous avions l'avantage : le Rhinocorne se trouvait affaibli à la fois par le poison du Toxik et le jappement qui avait semé le chaos dans son esprit.
- Séisme, ordonna alors Giovanni.
Le Rhinocorne renifla pour essayer de se débarrasser du mucus violet qui lui poissait les narines, puis se cabra et abattit ses lourdes pattes sur le sol. Un choc titanesque parut ébranler le bâtiment tout entier jusqu'à ses fondations ; la terre trembla, les murs d'argile se fissurèrent. Je faillis perdre l'équilibre, et Maraude, elle, malgré ses quatre pattes, trébucha et se retrouva le nez au ras du sable. Le danger se profilait au-dessus d'elle. Trop concentrée sur son adversaire, elle n'avait pas pensé à s'écarter des trucs qui risquaient de s'écrouler. Je lui criai de ne pas rester là, mais trop tard : un gros morceau du mur le plus proche d'elle se détacha et atterrit sur son arrière-train.
Hurlement de douleur.
- Maraude ! m'exclamai-je, l'angoisse me nouant le ventre.
La renarde grogna dans ma direction, entreprit de ramper pour s'extirper des décombres, puis voulut se redresser. Têtue comme elle l'était, elle refusait d'abandonner... Mais son corps ne suivit pas son esprit, et si ses pattes avant répondaient correctement, ses pattes arrières, elles, restèrent immobiles malgré tous ses efforts. J'hésitai, prise au piège entre inquiétude pour sa santé et nécessité de remporter ce duel. Devais-je la rappeler ? Cela signifiait perdre une des cinq manches... La soigner ? Utiliser le seul objet de soin autorisé dès le premier affrontement ne me semblait pas très avisé...
Alors que je tergiversais, Maraude poussa un jappement rageur, projetant en même temps un jet de feu vers le Rhinocorne qui s'était rapproché. Son geste tenait davantage d'un sursaut de défi que d'une véritable attaque car elle fut incapable de maintenir ses flammes durant plus de quelques secondes et dut se contenter de fusiller son ennemi du regard.
- Mets fin à ses souffrances, ordonna Giovanni à son Pokémon. Une seule Boule Roc bien placée devrait suffire.
Deux choses se produisirent alors simultanément, deux phénomènes qui fendirent l'air en direction de la Feunard. Le premier, un gros rocher aux arêtes déchiquetées, porteur de mort. Le second, le rayon rouge d'une Pokéball, salvateur. Ni l'un ni l'autre n'atteignirent leur cible. Maraude avait roulé sur le côté à la dernière seconde, évitant le lourd projectile comme le jet de lumière. Elle gisait dans le sable, l'air épuisée, la langue pendante, surveillant du regard le Rhinocorne qui se préparait déjà à réitérer son attaque.
- Maraude, ça suffit ! l'implorai-je, une main crispée sur sa Pokéball. Laisse-moi te rappeler, tu seras en sécurité !
J'activai à nouveau la ball, mais elle esquiva le rayon d'une seconde roulade, avant d'en effectuer une troisième pour échapper à la boule rocheuse qui fusait vers elle. Et encore une, puis une autre, sans s'arrêter, misant sur son seul espoir qu'était l'esquive face au tir de rochers nourris du Rhinocorne, se démenant comme une folle malgré ses pattes arrière inutiles, la fatigue qui maculait ses poils de sueur, et les Boules Roc qui menaçaient de l'écraser pour de bon. À un moment, elle essaya de cracher du feu entre deux roulades dans une tentative d'attaque désespérée, mais ne parvint à produire qu'un maigre filet de salive mélangé à du sang.
Et puis pause. Un instant d'accalmie.
Je vis le Rhinocorne s'avancer d'un pas lourd, pour se placer presque à bout portant, planter ses pattes dans le sable et se préparer à décocher une nouvelle volée de rochers. Maraude lui renvoya un regard meurtrier, ses yeux rouges brûlant de haine. Et c'était tout ce qu'elle pouvait faire.
Impossible.
La situation était impossible, et si ça continuait comme ça, j'allais perdre la Feunard comme j'avais perdu Grignotte. Une seule décision s'imposait :
- Je concède cette première manche, annonçai-je.
Oh que ces mots étaient durs à dire... Mais ils sonnaient juste.
Giovanni inclina la tête et rappela son Pokémon. Je fis de même pour Maraude, qui ne protesta même pas, ni ne tenta de se dérober. Trop crevée sans doute. Le sommet de sa ball se révéla bien rouge, mais de mon point de vue, on avait frôlé le gris. Je commençais à comprendre ce que Giovanni avait voulu dire lorsqu'il avait clamé disposer d'un avantage conséquent : moi je n'étais pas prête à perdre mes Pokémon pour gagner, contrairement à lui. Le gangster avait compris ma faiblesse dès le début, et toute sa stratégie était sans doute basée là-dessus.
- Passons au suivant, dit-il courtoisement.
Je m'emparai de la Pokéball de Salade. Le Florizarre émit un "Zarre" grave en débarquant sur le terrain, et le regard que nous échangeâmes me mit un peu de baume au cœur. L'une de ses lianes vint doucement s'enrouler autour de ma main, comme une poigne forte qui m'assurerait que plus jamais je ne tomberai. Je souris et lui frottai le museau en retour. Quoi qu'il se passe, je pouvais toujours compter sur mon Salade pour me remonter le moral.
- Séisme.
L'ordre donné par Giovanni me prit totalement par surprise. Salade, beaucoup moins : ses lianes se déployèrent autour de nous, formant une sorte de filet protecteur vivant. Il intercepta ainsi tous les débris qui nous auraient écrasé autrement, y compris un bout d'une des lampes du plafond et plusieurs gros morceaux de béton. J'espérais que les autres dresseurs avaient tous évacué l'arène, parce que Giovanni semblait bien parti pour la détruire. Lorsque la terre cessa de trembler, je jetai un coup d'œil au-delà de Salade pour identifier le Pokémon que nous devions battre. J'aperçus trois protubérances marrons qui sortaient du sol, et en conçus immédiatement un certain soulagement. Un Triopikeur n'allait normalement pas poser de problème à Salade.
- Tranch'herbe, intimai-je à mon mastodonte. N'hésite pas à expédier deux ou trois feuilles dans la gueule de Giovanni.
Histoire de lui rendre la monnaie de sa pièce pour le Séisme, même si les deux ne se situaient pas vraiment dans la catégorie.
Salade acquiesça silencieusement et se retourna pour lancer son attaque. Une volée de feuilles jaillit, traversa l'espace qui séparait les deux combattants en un instant, puis trancha le corps du Triopikeur à de nombreux endroits, faisant s'écouler un liquide marron. Quelques-uns des projectiles infléchirent leur course pour aller entailler le visage et les bras de Giovanni, qui répéta d'une voix calme :
- Séisme.
Les murs se mirent à vibrer sous la force de l'attaque tandis que le sable sous mes pieds se soulevait en vagues, agités par les sursauts soudains du terrain. Le bruit du métal gémissant résonna tout autour de nous ; le bâtiment dans son ensemble n'avait pas l'air d'apprécier ce traitement. Heureusement, les arènes devaient être construites pour pouvoir résister aux pouvoirs des Pokémon.
- Poudre dodo ! contrai-je.
Salade plaqua son ventre à terre pour orienter son arbre-fleur vers le Triopikeur et expulsa une rafale de poudre verte sur le Pokémon à trois têtes.
Faites que ça fonctionne, pitié... priai-je silencieusement.
Par bonheur, je fus exaucée, et le calme revint progressivement sur l'arène alors que les spores soporifiques faisaient leur effet, les six yeux du Triopikeur se fermant malgré lui.
- Et Tranch'herbe, complétai-je avec la satisfaction d'une stratégie menée à bien.
Une nouvelle fournée de feuilles allèrent découper le Triopikeur, couplé à un claquement de liane vindicatif qui se contenta d'effleurer Giovanni. À son crédit, le gangster resta de marbre, sans manifester ni surprise ni inconfort, et lorsque son Pokémon s'affaissa, poussé sur les rivages de l'inconscience par l'assaut de Salade, il le rappela en conservant l'expression de complaisance qu'il arborait depuis le début. Moi, je ne pus retenir un sourire, mise en confiance par cette victoire. Salade eut droit à une grattouille sur le bout du nez pour le remercier, puis je l'échangeai avec Teigne.
La Colossinge se retrouva face à une Nidoqueen. La gigantesque Pokémon fit craquer ses poings tout en toisant Teigne.
- Un affrontement qui promet d'être tout en finesse, remarqua Giovanni en souriant.
Ma parole, mais ce salopard s'amusait... Il prenait plaisir à ce déferlement de violence. J'allai lui montrer exactement quel en était le prix.
- Tu connais la stratégie, Teigne.
- Singe ! acquiesça-t-elle.
Puis elle fonça, parcourant les quelques mètres de terrain qui la séparaient de son adversaire, et bondit pour lui asséner le coup d'ouverture du duel, un Ultimapoing qui la cueillit en plein ventre. L'autre grogna, leva une de ses pattes arrière, et l'abattit lourdement au sol, déclenchant un nouveau séisme. Prise au dépourvu, Teigne tituba tandis que l'arène toute entière subissait la pression du mini tremblement de terre. Les vibrations destructrices semblaient se concentrer sur le corps de la Colossinge, je la vis serrer les poings et faire le gros dos en attendant que ça passe.
Un grincement au-dessus de moi m'alerta soudain, je levai la tête et découvris que tout un morceau de l'armature métallique qui soutenait le plafond s'était détachée et menaçait de s'écrouler sur moi. Lâchant un juron, je démarrai au quart de tour et courus me mettre en sécurité, me rapprochant ce faisant du cœur du combat ainsi que de Giovanni. Quelques instants plus tard, j'entendis un grand fracas dans mon dos, tandis qu'une giclée de sable m'arrosait le bas des jambes. Ouf. J'avais eu chaud.
- Singe ? interrogea Teigne, gardant un œil sur son adversaire.
- Ça va, la rassurai-je alors que le séisme atteignait ses derniers soubresauts. Continue.
Un Ultimapoing naquit dans la seconde. S'écrasa sur le nez de la Nidoqueen. Craquement d'os brisé, suivie d'une fontaine de sang, et d'un rugissement enragé. Réplique foudroyante. Teigne se prit un coup de corne frontale en retour, corne qui se ficha dans sa chair avec un bruit sec, écœurant. Un bruit qui hanterait mes cauchemars désormais. La Nidoqueen rejeta ensuite vivement la tête en arrière, ce qui projeta la Colossinge en l'air. Elle atteignit les quelques mètres de haut avant de redescendre dans une chute désordonnée, les bras ballants, et de s'écraser au sol, accompagnée d'une pluie de gouttelettes de sang.
Je me précipitai vers elle, un cri d'horreur coincé dans la gorge. Tout en m'agenouillant, je constatai qu'elle respirait encore, laissai le soulagement m'envahir, et me retrouvai en train de déboucher une bouteille de la potion la plus puissante que je possédais avant même d'en être consciente. La main de Teigne jaillit et elle repoussa mon bras alors que j'allais verser le liquide sur sa plaie au flanc, dont les bords à la teinte violette indiquait la présence de poison.
- Arrête, tu en as besoin ! m'énervai-je en me battant pour me soustraire à sa poigne.
- Singe, gronda-t-elle en éloignant fermement ma main qui tenait la potion, la repoussant jusque contre mon ventre.
Tout ça sans m'accorder un seul regard. Elle n'avait d'yeux que pour la Nidoqueen, et l'autre le lui rendait bien, les deux ennemis se fixant comme si elles avaient été seules au monde.
- Nido... queen... souffla la Pokémon bleue, l'air presque aussi mal en point que Teigne.
Elle leva une de ses énormes pattes pour la pointer sur la Colossinge.
- Nido... répéta-t-elle.
C'était peut-être une insulte. Ou alors un défi. En tout cas Teigne réagit aussitôt, se relevant d'un bond pour lui foncer dessus.
- Teigne ! m'exclamai-je.
Mon cri fut couvert par un son semblable au tonnerre qui roula entre les murs de l'arène, puissant et caverneux. Mais ce n'était que le bruit produit par la rencontre des deux poings lancés l'un contre l'autre à pleine vitesse. Les deux Pokémon femelles demeurèrent un instant figées dans leur pose d'attaque, leurs poings respectifs collés contre celui de l'autre, le corps tout entier en extension, et puis elles s'affaissèrent chacune de leur côté, les fesses dans le sable pour Teigne, un genou à terre pour la Nidoqueen. Vidées de leur énergie, leur échange suivant se limita à un regard belliqueux. Le museau de la Nidoqueen pissait toujours le sang et sa respiration trop rauque et trop rapide indiquait qu'elle avait atteint ses limites. Teigne ne se trouvait pas mieux lotie : le poison l'affaiblissait de minutes en minutes, son poing droit n'était plus qu'une bouillie ensanglantée, et elle semblait avoir du mal à rester consciente.
- Cette fois, tu vas me laisser te soigner, lui déclarai-je d'une voix qui n'admettait aucune réplique.
Miracle de chez miracle, la Colossinge ne se déroba pas lorsque j'appliquai la potion sur ses principales blessures, se contentant simplement d'un grognement qui je le savais n'était pas dû à la douleur mais à l'agacement d'avoir à accepter des soins. En face, Giovanni faisait de même, vaporisant sur la Nidoqueen une potion qui avait l'air tout aussi puissante que la mienne. Les plaies des deux Pokémon se résorbèrent et elles se relevèrent en même temps tandis que nous nous écartions.
- Double-pied, ordonna Giovanni à sa Nidoqueen.
Un simple signe de la main me suffit pour indiquer à Teigne ce qu'elle devait faire. Le combat reprit, plus violent que jamais. La Nidoqueen frappa la première, essayant de piétiner la Colossinge sous sa masse considérable. Elle aurait réussi si Teigne n'avait pas bloqué son premier coup de pied, avant de lui expédier un Ultimapoing dans l'autre jambe. Déséquilibrée, la Nidoqueen vacilla...
- Séisme.
...et sauta. Lorsqu'elle retomba, l'arène trembla, et les quelques murs d'argile encore debout s'effondrèrent pour de bon. Le grondement de la terre en furie enfla dans l'air tandis que de nouveaux débris tombaient du plafond. On apercevait le ciel à certains endroits à présent, encore une ou deux autres attaques dans ce genre et l'arène n'aurait plus de toit du tout. Je reportai mon attention sur la bataille, où Teigne venait d'éviter de justesse une poutre métallique qui se planta dans le sol en vibrant, mais pas sa jumelle dont l'extrémité coupante lui arracha un large pan de fourrure. Sans se préoccuper de sa blessure, la Colossinge repartit à l'assaut. Elle gratifia d'un violent coup de poing les côtes de la Nidoqueen, qui réagit par un coup de queue tout aussi brutal. Le large appendice frappa Teigne en plein visage, et au vu des gouttes violettes qui parsemèrent ses poils, je sus que le poison coulait à nouveau dans ses veines.
Pas bon du tout.Teigne n'était pas faite pour ces matchs qui s'éternisaient. Elle, sa spécialité, c'était de mettre KO son adversaire vite et bien, en un ou deux coups. Au-delà de ça, sa résistance entrait en jeu, et ce facteur-là la désavantageait presque toujours par rapport à son adversaire. Tandis que ces pensées me traversaient l'esprit, je plaçai une main sur la Pokéball de la Colossinge. Cependant, il était clair que Teigne n'était pas la seule à s'épuiser : la Nidoqueen peinait également à porter ses attaques. La fin de leur duel se profilait à l'horizon.
- Singe ! tonitrua Teigne en fonçant une fois de plus sur son adversaire.
- Nido ! répliqua la Nidoqueen en se dressant de toute sa hauteur.
Un nouvel échange eut lieu, coup de poing contre coup de pieds. Il se termina avec les deux Pokémon à genoux, chacune à bout de force. À nouveau, elles en furent réduites à s'affronter du regard, luttant pour rester conscientes. Luttant pour leur survie. Je vis Giovanni ouvrir la bouche, s'apprêter à donner l'ordre à la Nidoqueen de continuer. Faire pareil avec Teigne serait signer son arrêt de mort, je le savais. Le poison l'achèverait. Et j'avais déjà joué la carte du "soin".
Il ne me restait donc qu'une solution valable.
- Désolée Teigne, c'est pour ton bien, murmurai-je en la rappelant au sein de sa Pokéball.
L'objet remua un peu au creux de main, la Colossinge protestant depuis l'intérieur. Mais elle se calma bien vite. Je poussai un soupir. Deux à un pour Giovanni, deux victoires qu'il avait engrangées parce que je ne voulais pas que mes Pokémon meurent. Je pouvais encore gagner si je remportais les deux duels suivant. Plus le droit à l'erreur.
Heureusement, c'était au tour de Plouf, qui disposait d'un avantage considérable face au Pokémon de type sol de Giovanni. Le Rhinocorne que le gangster envoya au combat parut d'ailleurs effrayé par mon géant des mers, reculant d'un pas lorsqu'il découvrit qu'il devait se battre contre ça. Cependant son hésitation fut de courte durée, et il s'empressa d'obéir à l'ordre donné par Giovanni. Le sol se mit à trembler. Encore.
- Hydrocanon, pleine puissance ! hurlai-je pour couvrir le bruit infernal du Séisme.
Un torrent d'eau bouillonnante jaillit de la gueule de Plouf, dirigé droit sur le Rhinocorne. La puissance dévastatrice du jet le cueillit comme une fleur et l'expédia dans les airs. Un beuglement de terreur retentit, coupé court lorsque le Rhinocorne heurta durement le mur du fond avant de retomber au sol. Et d'y rester.
Plouf rugit sa victoire.
- Bien joué mon Plouf, le félicitai-je, ravie de ce KO en un coup.
À présent, Giovanni et moi étions à égalité. Tout allait se jouer sur le dernier combat. Alors que je rappelai Plouf, le chef de la Team Rocket fit sortir son ultime Pokémon avec un sourire de vainqueur. L'incertitude m'étreignit quand apparut un Nidoking absolument énorme, qui dépassait Giovanni d'au moins deux têtes. Ses bras massifs qui se terminaient par trois redoutables griffes de quinze centimètres chacune, de la bave dégoulinait de sa gueule garnie de crocs saillants, et la crête de pics qui couraient le long de son dos renforçait de façon offensive son corps cuirassé. Et moi, face à ce monstre, je ne disposais que de Pleind'Soupe. Mon Pleind'Soupe tout mou et tout gentil.
- Ron, ronflex ? demanda-t-il en sortant de sa Pokéball, couché sur le dos comme au sortir d'une sieste.
- Va falloir se donner à fond, t'es prêt ? eus-je le temps de dire avant qu'un énième séisme ne signale le début de ce dernier duel.
Le corps de Pleind'Soupe tout entier fut parcouru de tremblements irrépressibles, une situation qui lui arracha un grondement. Cherchant son équilibre sur la terre en proie aux ondes de choc, le Ronflex parvint à se mettre debout tant bien que mal.
- Force ! lui ordonnai-je, m'égosillant pour qu'il m'entende par delà le vacarme du bâtiment qui commençait à s'écrouler autour de nous.
S'efforçant de faire preuve de rapidité, il courut d'une démarche pesante jusqu'au Nidoking, et voulut le percuter pour le plaquer à terre. Sauf qu'il se montra bien trop lent, et l'autre bestiole monstrueuse n'eut qu'à s'écarter au dernier moment pour que Pleind'Soupe tombe au sol, son ventre ne rencontrant que le sable. Giovanni lança alors un nouvel ordre et le Nidoking le suivit à la lettre, assénant deux terribles coups de pieds dans les flancs du Ronflex. Le sang coula, les griffes du Pokémon sol créant de larges entailles alors que le double coup de boutoir marbrait la peau du Ronflex de meurtrissures violacées.
- Refais un Force Pleind'Soupe, agrippe-lui les jambes ! m'exclamai-je.
Le Nidoking laissa échapper un grognement surpris lorsque Pleind'Soupe le prit à bras le corps, lui fauchant ses appuis pour le faire s'écrouler sur le dos. Un tremblement agita à nouveau le sol, mais cette fois ce fut parce que quatre cent soixante kilos de Ronflex venaient de s'abattre sur le Nidoking. Double gémissement. La bestiole violette avait dû avoir mal, mais Pleind'Soupe n'était pas non plus sorti indemne de cette attaque : l'une de ses pattes saignait, probablement entaillée par les pics dorsaux de son adversaire.
- Nidoking !
Galvanisé par son cri de fureur, le Nidoking réussit à repousser Pleind'Soupe, puis se releva. Le Ronflex l'imita, plus lentement.
Ce qui fit que lorsque Giovanni exigea un énième Séisme, il était encore en train de se redresser.
Et lorsqu'un grincement de fin du monde signala la chute complète du toit, droit sur nous, droit sur
moi, et qu'il se précipita pour me protéger, il se trouvait trop loin.
Beaucoup trop loin.
Je hurlai, je crois - bien que ça soit évidemment d'une inutilité parfaite. Et puis levai les bras au-dessus de ma tête - même remarque. Et me roulai en boule - ou plutôt amorçai un mouvement en ce sens, et là je veux bien admettre que ça augmentait peut-être mes chances de survie. D'un minuscule petit pourcentage.
Fracas. Douleur. Obscurité.
Je perdis peut-être conscience un moment. Peut-être pas. Lorsque j'osai enfin rouvrir les yeux, persuadée d'avoir atterri au paradis - voire en enfer -, seul le noir m'accueillit. Je connus un instant de pure panique, empêtrée dans l'idée que j'étais soudain devenue aveugle, avant de remarquer un coin plus clair que les autres dans mon champ de vision, d'où une faible lumière semblait provenir. Je passai quelques instants à m'efforcer de me calmer, m'obligeant à respirer calmement - au moins j'avais de l'air, c'était déjà ça -, puis vérifiai rapidement que je n'avais rien de cassé. Non, tout semblait en ordre. Ma tête me lançait douloureusement et j'avais la sensation que ma gorge était à vif, tandis que ma bouche me semblait pleine de poussière. Je toussai à plusieurs reprises sans parvenir à me défaire de ce goût de cendres, puis j'entrepris d'explorer l'endroit où je me trouvais.
Mes mains tâtonnèrent dans le sable jusqu'à rencontrer un mur. Un mur chaud et tout doux.
- Pleind'Soupe ? chuchotai-je.
- Ronflex, me répondit le propriétaire du mur, qui n'était pas un mur mais un ventre.
- Ça va mon gros ?
- Ron... flex...
Je me pressai contre lui, la gorge nouée, osant à peine y croire.
- Je sais pas comment t'as fait, mais tu m'as sauvée... Plus jamais je ne te traiterai de gros plein de soupe, c'est promis. Faudrait changer ton surnom en... je sais pas, Buzz l'éclair. Ou Speedy Gonzales.
- Ronflex, commenta Pleind'Soupe.
- Allez, maintenant il ne nous reste plus qu'à sortir d'ici.
À l'instant où je terminais ma phrase, il y eut le bruit du métal raclant le sol dans mon dos, et la lumière du jour nous inonda. Je fis volte-face, clignant des yeux avant de parvenir à distinguer deux silhouettes. Giovanni et son Nidoking, qui nous toisaient au milieu de ce qui restait de l'arène.
- Comme le hasard fait bien les choses, commenta le chef des Rockets. On dirait que ton Ronflex est complètement immobilisé par tous ces décombres. Ce qui signifie donc...
- Vous n'avez pas encore gagné, lui opposai-je rageusement.
- Il serait temps que tu renonces à jouer au héros et que tu redescendes sur terre.
Je crus halluciner lorsqu'il me me tendit la main. Et encore plus lorsqu'il déclara :
- Je te fais cette offre une fois de plus : rejoins la Team Rocket. Une dresseuse de ta qualité, ce serait du gâchis de t'éliminer. Joins-toi à nous dans notre combat contre le Conseil des Quatre. C'est la seule façon dont tu continueras à vivre.
- Non.
Il eut un léger froncement de sourcils en entendant ma réponse. Dire que c'était mon refus qui provoquait ça alors que durant tout notre combat il avait gardé une bonne humeur infaillible.
- Dernière chance, mademoiselle Norelle, me prévint-il.
- Non, répétai-je avec davantage d'emphase.
Il retira sa main. Soupira.
- Nidoking. Sé...
- Métronome.
Une sensation de chaleur qui me frôla l'épaule. L'image rémanente d'un trait de lumière éblouissant, à l'existence trop brève pour être réellement capturée par l'œil humain. Seul le contraste entre son éphémère présence et sa soudaine absence s'inscrivit sur mes rétines.
Et ce fut tout.
Un trou fumant sur le front, l'énorme masse du Nidoking s'effondra. Tué sur le coup.
Je tremblais comme jamais, mais je m'obligeai à croiser le regard de Giovanni. J'y lus la surprise. J'y lus la déception. Et j'y lus la défaite. Inclinant la tête, le gangster annonça d'une voix égale :
- Je n'ai qu'une parole. À compter de ce moment, la Team Rocket vit ces dernières heures. D'ici quelques jours, le nom lui-même ne sera plus qu'un souvenir.
J'acquiesçai, me demandant si j'aurais dû ressentir autre chose que de l'apathie. Voilà, j'avais gagné. La Team Rocket allait cesser d'exister. J'avais tenu ma promesse envers le fantôme de la mère Ossatueur, et les habitants de Kanto allaient pouvoir dormir tranquille, débarrassés de la menace des gangsters.
- Et ceci t'appartient, ajouta Giovanni.
J'attrapai le badge qu'il me tendit, machinalement. Le soupesai au creux de ma main. Ce petit objet m'avait coûté si cher. Je l'aurais sacrifié sans hésiter si ça avait pu ramener Grignotte.
Mais ce n'était là qu'espoirs vains.
***
Bouh, Grignotte... :'( Un Corps Perdu critique d'un Macho niveau 38 alors que lui-même était 46, donc.
Pour Pleind'Soupe, il avait de la marge niveau PV dans le jeu, mais j'ai quand même joué Métronome parce que j'écrivais le scénario dans ma tête en même temps. Et j'ai découvert Lumi-éclat, une attaque que je ne connaissais pas. ^^
Sur un tout autre sujet, j'ai bien peur que la longueur de tous les chapitres à suivre soit très aléatoire, parce que j'ai déjà fait mon découpage jusqu'à la fin et que je compte m'y tenir. Le prochain risque d'être assez court par exemple.Équipe actuelle :

Salade

Teigne

Plouf

Pleind'Soupe

Maraude
Cimetière :

Ficelle

Touffu

Souris

Poilue

Poilu

Princesse

Grignotte