CHAPITRE IX : La réunion [2/2]
- Bah, il n'y a pas grand-chose à dire : un éboulement, un grimpeur isolé, des consignes de sécurité non-respectées, dans les deux cas de figure. Résultat, un gosse de quinze ans qui manque d'y rester, moi qui échappe à une bonne dizaine d'années de taule, au moins, même si les témoins auraient peut-être réussis à me déculpabiliser un peu, et l'association qui échappe à la une des journaux, ce qui dans ce cas précis ne lui aurait sans doute pas fait de pub. Alors après, il est vrai, je me suis un peu énervé sur lui quand tout ça a été fini. Mais vu la situation, était-ce vraiment répréhensible ? Je veux bien croire aux évènements uniques, à la malchance et tout ce que vous voulez, mais vous comprendrez que je me demande si le jeu en vaux vraiment la chandelle ! Mais, puisque visiblement cette histoire n'a pas beaucoup freinée l'enthousiasme de certains, j'ai résolu de profiter du tour annuel des différents groupes pour me proposer et garder en même temps un œil sur Brown.
Un silence s'installa autour de la grande table durant quelques secondes. Puis, le président reprit la parole :
- Oui, réfléchit Mathias. Je comprends ta position, Connor. Si Brown y était resté, je n'aurais pas eu moins de problèmes que toi, et tu dois le savoir mieux que personne. Et puis, bon, en dehors de toute histoire judiciaire, il serait mort, tout simplement ! Ne l'oublions pas, tout de même ! Mais moi, je pense que nous pouvons tout à faire courir le risque, comme nous le prenons avec chacun de nos membres. Je préfère raisonner de façon rationnelle : un évènement de cette ampleur peut théoriquement arriver à n'importe qui, même si c'est très peu probable. Je pense que cet accident est surtout un gros coup de malchance, car il faut avouer que, sur ce coup là, il n'y avait pas grand-chose à faire, même si Brown n'aurait pas dû s'approcher du bord du ravin. À partir de là, sachant qu'en plus, à mon avis, il est encore plus dans l'intérêt de Brown que dans le notre qu'il fasse un peu attention à lui, je ne vois pas de raison particulière pour qu'un tel accident se reproduise. Maintenant, effectivement, s'il y avait encore un problème de cette envergure, il est évident que la question de l'inscription de Brown se reposerait. Très sérieusement, même.
- Bien, je vois. Je pense avoir tout dis. Passons la parole à Enzo qui a l'air de brûler d'impatience à l'idée de la prendre, depuis tout à l'heure.
Mathias fit un signe de tête vers Enzo, pour l'inviter à parler, puis nota quelque chose sur son ordinateur. Après un regard foudroyant vers Connor, le jeune chef prit la parole :
- Personnellement, j'ai tout de suite eu un bon contact avec Brown. C'est un garçon que je trouve sympathique, quoi qu'un peu inhibé et réservé. La mission que j'ai faite avec lui s'est passée sans soucis. En tout cas, sans soucis venant de lui. Par contre, je pense qu'il est bon de mentionner que ce cher Connor était là durant toute la mission. Il était TRES présent, même.
Enzo s'interrompit, et jeta un nouveau regard hostile vers Connor. Celui-ci haussa simplement les épaules.
- Et bien va y Enzo ! Fait toi plaisir, crache le morceau.
- Connor, s'il-te-plait... fit Mathias en fronçant les sourcils.
- Disons que... reprit Enzo. Connor a eu tellement peur de la bonne santé de Brown et de la réputation de l'association qu'il s'est empressé de mettre tout en œuvre pour le faire fuir dès qu'il est arrivé, avant même le début de la mission. Et pourtant, je sentais que Brown n'avait pas l'air très motivé, et qu'il ne devait pas être dans une bonne phase. Je ne lui ai pas demandé de me raconter sa vie, mais ce genre de choses se sent assez facilement. Donc, dès que Brown est arrivé, Connor s'est dépêché de mettre de l'huile sur le feu. Il a de nouveau évoqué l'incident dont nous venons de parler, alors que le jeune garçon devait encore être sous le choc. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, manquer d'y passer me paraît une expérience assez désagréable. J'ai essayé de le remettre rapidement à sa place mais il a continué, et nous avons présenté à Brown une magnifique scène d'engueulade qui lui a à coup sûr donné une très bonne vision de notre association. Non pas que je cherche à donner aux gens une image idyllique de l'E.d.S., mais, la plupart du temps, les membres s'entendent bien entre eux. Jusqu'ici, tu ne nies rien, Connor ?
- Non, mis à part les motivations que tu invoques, qui sont un peu trop ironiques et moqueuses à mon goût.
- Bien. Tu as d'ailleurs fait preuve d'une grande habileté, notamment quand tu as fait remarquer, devant Brown, alors que je tentais de le défendre, que se mettre à chialer après ce qui lui était arrivé n'était pas un comportement très courageux, je m'en souviens très bien ! Et c'est ce que tu appelles une attitude saine et pleine de bons sentiments ?
- Tu déformes tout !
- Et attend ! enchaîna Enzo. Quand Brown, qui n'en pouvait plus, oubliant sa timidité, s'est mit lui aussi à te crier tes quatre vérités, ce qui était je trouve une très bonne chose, et qu'il a fini par partir à grande enjambées, tout ce que tu as trouvé à dire, c'est « Bon débarras » !
- Ca par contre c'est faux ! s'énerva Connor.
- Que... Comment ? !...
- Je n'ai jamais dit ça !
- Que... Tu...
Enzo, choqué, ne trouvait plus les mots. La négation totale et inattendue de Connor lui avait coupée tout effet.
- J'étais là ! Je l'ai très clairement entendu ! Je pourrais le jurer ! Ce n'est pas parce que tu l'as dit doucement que je ne l'ai pas entendu.
- Je n'ai jamais dit ça ! insista Connor.
- Non mais, comment peux-tu ? !...
Enzo bouillait sur place, la situation risquait de dégénérer. Mathias tenta comme il put d'apaiser les tensions.
- Calmez-vous ! Vous ne faites que vous énerver mutuellement, et nous n'avançons pas. L'essentiel est que Brown soit toujours là, non ?
- MAIS !... tenta de protester Enzo.
- Je ne cherche pas à savoir qui a eu tord et qui a eu raison. Apparemment, Connor a eu quelques débordements. Mais, en l'absence de certitudes, et vu que les évènements n'ont pas l'air si dramatiques, peut-être devrions nous rester, pour le moment, dans un statut quo. Maintenant, il faut bien que tu comprennes Connor que malgré l'excellent travail que tu fais dans l'association, tu n'es pas au dessus des règles. Si d'autres personnes se plaignent de nouveau de toi, ou qu'il y a de nouveau des problèmes avérés venant de toi, il faudra bien prendre des mesures. Mais bon, il n'y a aucune raison qu'on en vienne là, n'est-ce pas ? acheva Mathias dans un sourire.
- Je ne pense pas avoir mal agit, mais si ça pose vraiment problème, j'essayerai dorénavant de prendre des gants, répondit Connor avec humilité.
- Sinon, tu tiens toujours à surveiller Brown ?
- Plus que jamais ! Ne t'inquiète pas. Si tu es vraiment sûr de ce que tu fais en gardant ce garçon dans l'association, il ne devrait plus y avoir de problèmes. Je ne t'ais jamais déçu, n'est-ce pas Mathias ?
- Je sais. Mais sache que rien n'est définitivement acquis.
Mathias espérait que tout le monde en avait enfin fini avec ce sujet bouillant, et qu'ils allaient pouvoir reprendre le cours normal de la réunion. Mais Enzo n'avait pas encore tout à fait terminé :
- Avant de finir, je tenais juste à signaler, pour l'anecdote, que quand je disais que ma mission s'était passée sans soucis venant de Brown, c'était une façon elliptique de dire qu'il y avait tout de même eu des soucis.
Mathias fronça les sourcils. Connor poussa un profond soupir et prit sa tête dans sa main, visiblement désespéré. Imperturbable, Enzo reprit :
- La jeune Eva, dont tout le monde ne cesse de vanter les mérites, a manquée de faire rater la mission, et s'est mise en danger, elle ainsi que les autres membres. Alors qu'on tentait de repousser un groupe de Frisons qui menaçaient de faire du grabuge près de Yellow-sur-Mer, elle a délibérément attaquée et tentée de capturer le meneur du troupeau, sans rien demander à personne, ce qui n'a eu pour effet que de provoquer en grand remue-ménage dans le troupeau, qui s'est mit à galoper dans tous les sens et à essayer d'attaquer tout le monde. Seuls le sang-froid des membres et une illusion du Zoroark de Connor a permis d'éviter que la mission ne tourne au désastre.
Mathias leva un sourcil surprit.
- Tiens, je n'étais pas au courant de ça. Après tout, je ne peux pas non-plus savoir tout ce qui se passe dans toute l'association. Tu confirmes ça, Connor ?
- ...Oui.
- Et, poursuivi Enzo, la meilleure, c'est que Connor a eu l'air de considérer l'incident avec très peu de sérieux, alors même qu'il venait de reprocher de nouveau à Brown ce qui s'était passé il y a presque trois semaines.
- Là, franchement, s'énerva Connor, tu ne vas pas me dire que ce n'est pas de l'obsession ! Tu vas t'amuser à analyser mes moindre faits et gestes à la recherche du plus petit défaut qui te permettra de me prendre en tord ? Oui, je n'ai pas hurlé sur Eva. J'ai pensé qu'elle avait suffisamment fait pour l'E.d.S. pour qu'on puisse lui passer une petite erreur de parcours. Et après ?
Enzo voulu répondre, mais Mathias coupa court à la discussion :
- Oui, je crois qu'il faudrait vraiment passer à autre chose. Nous sommes en train de tourner en rond pour rien, alors que nous avons des sujets beaucoup plus importants à traiter. Ce petit incident est certes regrettable, mais nous ne sommes pas là pour faire du cas par cas. Je te conseillerais juste, Enzo, de veiller à ce qu'Eva ne prenne pas trop la grosse tête. Après tout, ce n'est pas parce qu'elle arrive à te battre en combat de Pokémons que ça fait d'elle une deuxième chef.
Mathias ne put retenir un petit rire.
- Bien, cet entracte sur le nouveau petit « phénomène » était très intéressant, mais nous avons assez abordé le sujet. Je vais juste faire une petite synthèse. Brown est donc un jeune garçon qui n'a pas fini son voyage initiatique et qu'on a exceptionnellement, sur une demande de Karl, accepté comme membre. Il n'y a pas de traitement particulier à avoir avec lui, et, de toute façon, Connor a déjà un œil sur lui. Vu que Pourprion devrait être sur son parcours, c'est donc Pedro qui l'accueillera pour ses prochaines participations.
Un grand brun grisonnant d'une soixantaine d'années sourit, à la gauche de Mathias. Ce dernier sembla hésiter un instant, puis demanda finalement :
- Personne n'a rien à ajouter sur le sujet ?
Vu que nul ne bronchait, il soupira intérieurement et poursuivi :
- On reprend donc là où on s'était arrêtés. Alors, Karl, mit à part Brown, que s'est t'il passé de notable dans ton groupe depuis la dernière réunion ?
Tandis que Karl prenait la parole, Mathias Far but une gorgée d'eau. La réunion était encore loin d'être terminée.