____La ruelle étroite était calme et plongée dans l'obscurité. Seules quelques ouvertures entre les toits des habitations permettaient aux rayons blafards de la Lune d'éclairer l'endroit. Il flottait dans l'air un brouillard glacé et les températures, relativement basses pour les nuits de cette saison, dissuadaient les inconscients de s'aventurer dehors. Les pavés reluisaient sous la lumière de l'astre de nuit et toutes les ouvertures creusées sur les façades - portes et fenêtres - demeuraient closes. Le temps semblait figé dans ce manteau polaire et humide.
_Pourtant, une silhouette se détacha rapidement de la brume ambiante et, tel un spectre noir, se faufila dans la rue, rasant les murs avec silence.
_Tout en la traversant avec une aisance remarquable, l'ombre accéléra encore l'allure, passant d'une marche rapide à un rythme plus soutenu.
_Un carrefour apparut et trois autres ruelles s'offrirent à la silhouette qui marqua alors un léger temps d'arrêt.
_Après une hésitation, elle s'engouffra dans la deuxième et bifurqua aussitôt à droite, s'effaçant dans la nuit, le bruit de ses pas effleurant le sol humide.
Seules des trainées de buée trahirent sa présence et sa respiration saccadée.
_À quelques mètres derrière elle, trois ombres glissèrent à sa suite et, sans un mot, empruntèrent la même ruelle.
_Adossée à une façade, la silhouette se taisait, étouffant sa respiration autant que possible. Elle sentait le mur froid et humide qui glaçait son dos et, à sa plus grande horreur, engourdissait petit à petit ses membres pourtant couverts.
_« Dans quelle merde je me suis encore f... »
_L'ombre s'arracha immédiatement à ses pensées. Un bruit de pas cadencé, angoissant, venait vers elle.
_Elle retint sa respiration, comptant sur l'absence de lumière pour se fondre dans la pénombre.
_Les silhouettes s'engagèrent dans la rue, silencieuses comme la nuit.
Se taire._Elles avançaient lentement, comme pour analyser l'endroit dans les moindres détails.
Devenir inaudible..._L'une d'entre elles émit un étrange bruit, à mi-chemin entre un grognement animal et celui d'un Humain.
... inodore..._Toutes trois s'arrêtèrent et ne bougèrent plus. Une silhouette tourna la tête vers le mur suspect.
... invisible._« La nuit est noire et je fais corps avec elle. Je fais corps avec le silence et mon esprit résonne avec la pénombre. Parce que suis une ombre. Je suis une ombre. Une ombre... »
_L'Humain ferma les yeux, tendant toute sa volonté vers un unique point. Il avait l'impression que les battements affolés de son cœur allaient le faire repérer d'une seconde à l'autre.
_Il se concentra jusqu'à ce que son esprit s'embrume, jusqu'à ce qu'il sente la pierre froide dévorer ses entrailles.
C'était ce qu'il voulait. Disparaître.
_Son souffle se calma, ses tremblements frileux cessèrent.
_Les trois individus reprirent leur chemin et disparurent dans la brume de la nuit, sans remarquer le mur légèrement bombé.
Silence.
_L'Humain se détacha doucement de la façade et s'autorisa un demi-sourire dans l'ombre.
Il avait réussi. Elles étaient passées devant lui sans le voir.
__—
_ Du travail de pro ! murmura-t-il avec satisfaction.
_Il soupira de soulagement. Une drôle de sensation lui picota la nuque.
Et comme un vent invisible, il se plaqua au sol.
_Cette réaction pour le moins étonnante sauva probablement son existence.
_La balle siffla au-dessus de sa tête et se perdit dans la pénombre de la ruelle, traçant un sillon dans le brouillard.
L'Humain se releva et, lentement, il se tourna vers la direction qu'avaient pris un peu plus tôt les trois silhouettes.
_Elles étaient là, l'une tenant dans sa main un pistolet.
Les deux autres se tenaient à côté de la première et chacun avaient le visage couvert par une large capuche. Leur corps n'était pas apparent en raison du long manteau qui les couvrait.
Seule la main humaine du tireur était visible.
_« Si je bouge, je suis mort... »
_L'Humain s'avança tout de même vers les silhouettes et les quelques rayons de Lune l'illuminèrent, découvrant son apparence.
_Il ne s'agissait pas d'une ombre, bien au contraire, mais d'un jeune homme d'une vingtaine d'années. Son visage était auréolé de mèches ébouriffées et noires comme la nuit, lisses et brillantes d'une lumière bleutée sous le clair de Lune. Son regard doré et dur fixait les silhouettes avec un mélange de mépris et de concentration. Un long manteau sombre couvrait son corps en descendant jusqu'aux tibias et un large col masquait sa bouche et ses joues.
_Il continuait d'avancer, ignorant les menaces de ses poursuivants.
_Le jeune homme s'arrêta à quelques mètres d'eux et prit la parole.
__—
_ Je m'appelle Nathan. Si vous baissez cette arme, nous pourrons discuter calmement...
_Le tireur poussa un grognement et un cliquetis se fit entendre.
__—
_... ou pas.
_Nathan fit alors un geste qui faillit lui coûter une nouvelle fois la vie.
Il bondit sur le côté, s'écartant de la trajectoire de l'arme.
Une détonation explosa dans la nuit.
Et lentement, le tireur s'écroula au sol comme une poupée de chiffon, sans un bruit.
__—
_ Et de un. Vous ne voulez toujours pas discuter ? fit Nathan en pointant l'arme qu'il avait sorti d'une des poches de son pantalon sombre sur les deux autres silhouettes.
_Ces dernières fondirent sur lui à toute vitesse. Le jeune homme n'eut pas le temps de réagir, surpris. Une des créatures l'attrapa par le bras et, d'une torsion de la main, lui tordit le poignet. Nathan laissa échapper un cri et lâcha contre son gré son pistolet. Un coup de pied le percuta violemment au thorax, l'envoyant rouler sur les pavés humides de la rue. Il tenta de se relever et de récupérer son arme mais la créature abattit son talon sur le pistolet qui se brisa net.
__—
_ Comment...
_Il ne termina pas sa phrase, trop abasourdi. Comment un simple humain avait pu écraser son arme avec une telle simplicité ? C'était comme si elle était faite de porcelaine...
_Nathan se releva lentement, désormais sur ses gardes, une douleur pulsant dans sa cage thoracique.
_« Je sais pourquoi. Ce n'est pas possible autrement. »
_La créature s'approcha de lui tandis que l'autre restait en retrait, dissimulée sous sa capuche noire.
_« Posséder une force suffisante pour briser une arme d'un simple coup de talon ne peut signifier qu'une chose. »
_Le jeune homme évita un coup donné par la silhouette dont il ne pouvait toujours pas apercevoir le visage et porta discrètement sa main à sa cuisse, sous son long manteau.
_« Ce sont... »
_Son geste fut rapide : il roula sur le côté, évitant par la même occasion un crochet de la créature et sa main fit un geste vers elle.
_La silhouette s'écroula en poussant un râle écœurant. Seul le manche du coutelas dépassait de sa gorge ensanglantée.
_En une seconde, Nathan fut sur la troisième créature et, d'un coup de genoux, la fit tomber en arrière sur le sol humide. La capuche de la silhouette glissa, dévoilant son visage.
__—
_... des Hybrides... souffla-t-il.
_Il porta une main à sa bouche, horrifié.
Non. Ce n'était pas un Hybride.
_Le jeune homme était incapable de parler, de dire quoi que ce soit devant l'affreuse créature qui le regardait avec mépris : elle avait le visage d'un Humain d'environ quarante ans, mais toute la partie droite de sa face était parcourue de cicatrices boursouflées et couvertes de croûtes qui laissaient deviner le pelage blanc d'un Mangriff. Son œil droit semblait avoir fondu et il s'en échappait un liquide épais et blanchâtre qui dégoulinait sur la célèbre marque rose distinctive du Pokémon Chat Furet.
_La créature profita de l'absence de réaction de Nathan pour se relever et s'enfuir en courant, saisissant au passage le coutelas. Du sang éclaboussa le sol de la rue quand il le retira grossièrement de la gorge de son compagnon.
Et comme une ombre, il disparut dans la nuit.
_Nathan secoua la tête, l'image de la créature flottant encore dans son esprit.
_Il n'osa pas découvrir les visages des autres individus inerte étendu au sol, sachant pertinemment ce qui l'attendait.
_Puis en passant une main dans ses cheveux ébouriffés, il jeta un regard derrière lui et se lança sur les traces du fugitif.
__—
_ On dirait bien que les rôles s'inversent...
_Nathan courait dans la ruelle sombre, lancé sur la piste de la créature. Le bruit feutré de ses bottes noires s'élevait, cadencé et rapide.
_« Je dois rattraper ce... truc avant qu'il se fasse encore un petit festin. »
_Il grimaça en repensant à la fille qu'il avait vu, baignant dans son sang, le corps à moitié dévoré par les créatures. Elles avaient alors interrompu leur sale besogne, pensant sans doute courir après leur prochain repas.
_« Quoi que ce soit, je vais en profiter pour lui régler son compte. »
_Il bifurqua à droite, empruntant une rue plutôt animée de jour.
_Heureusement, les nuits étant plus froides en cette saison, personne ne s'aventurait dehors.
... Sauf cette jeune femme, qui était sortie au mauvais endroit, au mauvais moment.
_Nathan grimaça. Il imaginait presque la tête que feraient les passants quand ils découvriraient le corps de la fille baignant dans son liquide vital.
Ils paniqueraient bien sûr. La nouvelle se répandrait dans toute la ville comme une traînée de poudre et ferait polémique quant aux raisons de sa mort.
Le jeune homme se baissa sous une fenêtre illuminée et glissa contre le mur jusqu'au bout de la rue. Il opérait avec silence et expérience, comme si se fondre dans l'ombre faisait partit d'un quelconque entraînement.
_Sans doute était-ce le cas : preuve en est la façon dont il s'était débarrassé de ses poursuivants : avec une efficacité mortelle.
_Nathan se redressa et longea une façade jusqu'à une petite ruelle semblable à celle où il avait abattu deux des trois créatures.
L'obscurité était quasi-totale. Pourtant il continua sa route avec aisance, glissant dans la nuit sans problème.
_Le jeune homme continua ainsi pendant plusieurs minutes et finit par déboucher sur une petite place vide. Une fontaine de pierres grises chantait calmement en son centre.
_Les façades étaient percées de portes et trois rues permettaient de quitter l'endroit.
Les volets de bois des habitations étaient fermés et aucune lumière n'y filtrait à travers. Des fleurs, mises dans des pots accrochés aux balcons, pendaient gracieusement aux murs. Non loin de la rue d'où venait Nathan, un panneau accroché au mur indiquait les différentes directions. Les rayons fantomatiques de la Lune inondaient la place.
_Sans se presser, le jeune homme s'avança vers la fontaine et admira son reflet dans l'eau : la peau pâle de son visage, ses mèches noires encadrant un regard doré, son air réservé et distant... Beaucoup de gens disaient de lui, lorsqu'il était adolescent, que cet air froid cachait forcément un lourd passé.
Ils ne se trompaient pas...
_Un bruit de frottement l'arracha à ses pensées. Nathan tourna brusquement la tête : il crut apercevoir une silhouette s'engouffrant dans une ruelle, en face de lui.
_« C'est presque trop facile. »
_Il s'apprêtait à poursuivre le fugitif puis se rappela d'un détail pour le moins important : la créature avait gardé son couteau.
_« S'il croit que je vais me laisser avoir si facilement, il se trompe. Il suffirait qu'il m'attende au coin d'une rue pour m'égorger. Je ne sais pas ce qu'il est, mais j'ai l'impression que cette apparence le rend plus fort... »
_Nathan se dirigea vers la ruelle mais au lieu de continuer tout droit, il dévia sa route sur le côté et commença à escalader une gouttière.
_«... comme un Hybride. »
_Atteindre le toit fut un jeu d'enfant pour lui. Le vent soufflait peu à cette hauteur mais la moisissure dissimulée sur les tuiles et près des cheminées était glissante, aussi allait-il progresser avec prudence.
Un raccourci pour le moins dangereux.
_Il ne lui fallut que quelques secondes avant de repérer sa cible, courant dans une rue déserte, elle aussi.
_Nathan s'accroupit lentement et saisit son deuxième coutelas, accroché par un lien de cuir à sa cuisse. Le frottement de sa main contre son long manteau noir attira l'attention de la créature.
Et, fatalement, elle ralentit.
_Le couteau se ficha dans sa cuisse jusqu'à la garde.
La chose étouffa un cri et se remit à courir, tachant au passage les pavés d'écarlate.
__—
_ Voilà. Maintenant, ce qui compte pour toi c'est de survivre. Combien de temps vas-tu tenir ? murmura Nathan.
_Il aurait pu suivre la chose grâce au sang qui parsemait son sillage, mais cette dernière avait pris soin d'enrouler sa blessure dans un pan de son manteau. Et elle avait maintenant deux coutelas.
_Le jeune homme s'élança à la suite de la créature, résigné, depuis les toits de la ville. La Lune qui les illuminait révélait facilement sa présence, mais qui aurait prêté attention à cette ombre qui bondissait agilement de maisons en maisons ?
_« On verra bien... » acheva le jeune homme alors qu'il se préparait à sauter.
_Devant lui se dressa une tour, sûrement celle d'une résidence d'un bourgeois de la ville.
Nathan n'hésita pas : il accéléra, manquant de glisser sur les tuiles glissantes, et bondit.
Il passa au-dessus d'une rue mais il était trop concentré pour y prêter attention. Ses doigts crochetèrent les pierres de granit humides. Elles étaient glacées.
Il faillit bien lâcher prise, mais son expérience ne lui fit pas défaut.
_Le jeune homme commença à se hisser lentement, luttant contre la brise fraîche qui traversait ses vêtements. Son manteau noir battait dans le vide. En-dessous de lui les pavés de la rue brillaient sous le clair de Lune, une vingtaine de mètres plus bas.
_L'idée d'une chute n'effleura même pas son esprit et Nathan continua à grimper dans la nuit. Lorsqu'il arriva au sommet, il s'accrocha à une épaisse aiguille pointée vers le ciel nocturne et lâcha un soupir de soulagement. En effet, les pierres rugueuses avaient peu à peu engourdi ses doigts.
_Le souffle polaire de la nuit faisait voler son vêtement noir derrière lui et refroidissait rapidement la sueur qui perlait à son front.
_Le jeune homme porta une à une ses mains à sa bouche et souffla dessus dans l'espoir de les réchauffer.
_Du haut de la tour, le spectacle était pour le moins impressionnant : les maisons illuminées d'Ey'Nyrok, seconde ville de la région d'Aciam après la Capitale, formaient des taches lumineuses et dorées dans le ciel nocturne. Apparemment, les gens dormaient, cloîtrés chez eux avec sans doute la certitude exacte que traîner dans les coins sombres la nuit n'était pas une bonne idée. La plupart des rues et places étaient désertes mais Nathan pouvait apercevoir le coin le plus fréquenté, au nord-ouest de la ville, là où les gens festoyaient toujours et ce, même de nuit. Et malgré le fait qu'il soit perché à une trentaine de mètres au-dessus de tout, un son joyeux et rythmé de danse lui parvenait comme un écho lointain.
_« Au moins, il y en a qui s'amusent. »
_Il huma l'air frais, les paupières closes.
_« Espérons pour eux que ça dure. Et pour ça, je dois me charger de la chose. »
_Nathan ouvrit les yeux et scruta les rues des environs avec concentration. Son regard brilla d'une lumière dorée.
_« Où te caches-tu...? »
_De toute évidence, monter si haut ne lui servis à rien, du moins jusqu'à ce que le souffle de la nuit lui porte une étrange odeur.
Du sang.
_« Eh bien voilà... »
_Il bénit son odorat développé et fit dos au vent. Ses cheveux noirs balayèrent son visage pâle et un regard redevenu normal.
_Alors il fit quelque chose d'insensé.
Il écarta les bras et se laissa basculer dans le vide.
_Son corps chuta sur une distance raisonnable, fouetté par son long manteau. Les pierres de granit qu'il avait escaladé un peu plus tôt défilaient maintenant en accéléré tandis que le vent sifflait à ses oreilles. À moins de quinze mètres du sol pavé de la rue, il arqua les hanches et se retrouva sur le ventre, l'air glacé congelant son torse et ses bras. En-dessous de lui, collé à la façade de la tour, un rebord de pierre apparut, surmonté d'un pot de fleur.
_« Désolé d'avance », pensa-t-il simplement.
_Il fléchit légèrement les genoux et, au risque de se le briser, repoussa la petite marche rocheuse d'un coup de talon, ce qui lui permit de s'élancer jusqu'au toit en face de lui. Ses doigts agrippèrent la gouttière métallique heureusement solide tandis que son corps basculait encore dans le vide.
_Le bruit d'un objet brisé retentit dans la nuit.
_Nathan lâcha prise et se réceptionna sur ses jambes pliées, au beau milieu de la ruelle déserte.
_Puis rapidement, il se mit à courir en suivant l'odeur qu'il avait perçu un peu plus tôt. Elle ne lui parvenait presque plus, du fait de l'absence de vent dans le couloir d'habitations, mais il savait désormais où chercher.
_Le jeune homme s'enfuit dans la nuit, abandonnant derrière lui le pot de fleur en morceau.
_Il courut ainsi pendant plusieurs minutes, espérant ne pas se tromper quant à la direction à suivre, passant de rues en rues, traversant des places comme un courant d'air. Pourtant, il comprit qu'il suivait la bonne voie quand une lame siffla à moins de dix centimètres de son visage, sectionnant net dans son sillage mortel une petite mèche de cheveux noire. Devant le jeune homme, la créature disparut au coin d'une rue, traînant avec difficulté sa jambe sans doute devenue écarlate.
_« C'est fini pour lui. Il vient de ralentir sensiblement. Mais je ne peux pas perdre du temps à courir après mon coutelas perdu. Donc on va faire simple. »
_Pour accompagner ses pensées, il dévia sa course sur le côté et prit appui sur un mur. Son élan lui permit d'accrocher une aiguille en fer inclinée à l'horizontale où pendait l'enseigne d'une taverne.
_Au moment où il s'élançait, il sentit que ses bras et son corps commençaient à se fatiguer de cette course folle qui durait maintenant depuis plus de trois heures. Son souffle était fuyant, comme quelqu'un qui venait de faire un deux cents mètres à toute vitesse.
C'était le cas, d'ailleurs.
_Malgré cela, Nathan se retrouva une fois de plus sur les toits, contournant la créature par la droite. Il l'aperçut, boitant au milieu de la rue, salissant les pavés de sang. Son bandage de fortune ne parvenait plus à stopper l'hémorragie et la chose finit par s'arrêter en grimaçant de fatigue et de douleur.
_« Pour que ce truc ait tenu aussi longtemps avec cette jambe lacérée, c'est sûr, il n'est pas Humain. »
_Le jeune homme se redressa de toute sa hauteur et son ombre apparut dans la lumière blanche de la Lune. Le halo d'albâtre fit briller d'un bleu nuit quelques mèches de ses cheveux. La créature leva un visage figé de souffrance vers son poursuivant.
_Elle vit sa proie devenue chasseuse glisser sa main dans une poche intérieure de son manteau, le corps ciselé par les rayons blafards de l'astre de nuit.
_Elle perçut un froissement lorsque son poursuivant passa à sa main gauche une mitaine si noire que les ténèbres semblaient s'y mouvoir.
_Elle sut ce qu'il l'attendait quand Nathan referma ses doigts sur une arme invisible et leva lentement son bras vers elle.
__—
_ Tu veux vivre ? Alors qu'est-ce que tu es ? fit-il d'une voix grave.
_La créature cracha au sol.
Le jeune homme fit la moue.
__—
_ Dommage.
_Il ramena son index et son majeur vers la paume de sa main.
La détonation explosa dans la nuit, résonnant mille fois entre les murs humides.
La créature n'entendit pas cet écho déchirant.
Elle était morte avant d'avoir touché le sol.
_La dernière image qu'elle vit fut celle de ce jeune Humain baissant le bras, perché sur le toit en face d'elle et dressé au milieu de la large Lune blanche, le regard dur. Froid. Impassible.
_Nathan marchait rapidement dans la rue, son coutelas qu'il croyait perdu pendait au lien attaché à sa cuisse.
_Le morceau de tissu noir qui venait d'achever la chose avait disparu dans sa poche, comme si de rien était.
_Son visage était calme, pourtant, sous son crâne, c'était la tempête.
Si avoir tué cette chose n'était pas un problème pour lui, l'avoir fait sans savoir ce qu'elle était, d'où elle venait et pourquoi elle l'avait attaqué était plus embêtant. Le jeune homme tentait de mettre ses idées au clair, sans réel succès. Devant lui, les rues se succédaient, toutes semblables, ce qui accroissait davantage son irritation.
_« Bon, résumons. J'ai passé toute la nuit à courir après une créature inconnue qui ne m'a rien rien appris. Et qui ne m'apprendra plus jamais rien, d'ailleurs. »
_Les mains dans les poches, le cou rentré dans les épaules et la moitié du visage caché par son col noir, il serra les dents. L'air frais de la nuit le fit frissonner et il sentait la fatigue alourdir quelque peu ses mouvements.
_« ... Du moins pas elle. »
_Un bruit de pas furtif attira son attention. Quelqu'un disparut au coin de la rue, en face de lui.
_Un passant pressé, sans doute. Il n'était pas rare à Ey'Nyrok de rencontrer des gens qui s'éclipsaient très tôt le matin - à trois heure, à en juger l'église qui s'élevait loin dans le ciel nocturne -.
_« Et j'ai perdu un de mes couteaux. Mais si je rencontre un danger de mort à l'avenir, je saurais à qui j'ai affaire. »
_En effet, les créatures ne devaient pas se limiter à trois uniquement, il fallait qu'elles se reproduisent pour vivre, comme tous les êtres vivants.
_Nathan tourna au coin de la ruelle et déboucha sur un carrefour commerçant plongé dans la pénombre et totalement désert.
_Il ne fallait pas qu'il s'attarde davantage dans cette ville. Les coups de feu tirés avaient dû alerter plusieurs habitants. De plus, il avait à faire.
_« Je trouverai ce que c'est, en tout cas. Et d'où ça vient. »
__—
_ Hey ! fit une voix au-dessus de lui.
_Nathan leva les yeux, soudainement sur la défensive. Trop tard : quelque chose - une piqûre - s'enfonça dans sa jambe droite et une vive brûlure paralysa son membre.
_Il lâcha un juron tandis que sa vue s'obscurcissait.
Sur le toit, juste en face de lui, une jeune femme le regardait avec un sourire moqueur.
_Le garçon pesta intérieurement : il était piégé comme la créature un peu plus tôt.
Sauf que lui, il n'allait pas mourir, il le sentait.
_Un sourire satisfaisant éclaira le visage de la fille tandis qu'elle sautait en bas du toit pour rejoindre Nathan. Ce dernier sentait une chape de fatigue lourde comme du plomb peser sur son corps et son esprit. Ses paupières s'alourdirent instantanément.
_Il repensa à ce qu'il s'était dit un peu plus tôt.
Rencontrer des gens pressés la nuit n'était pas rare, en effet.
C'était impossible.
Sauf vers les quartiers nord-ouest.
Totalement à l'opposé de l'endroit où se trouvait Nathan.
_Ce fut la dernière pensée qu'il eut avant de sombrer dans les méandres de l'inconscience.
[size=3]oOoOoO~OoOoOo[/size]