Chapitre 4 : Promenade Nocturne
Gaël gara le van sur le bord de la route, presque dans le fossé, et coupa le moteur. Il jeta un coup d'œil à sa montre et constata qu'il était déjà dix-neuf heures. Le soleil se couchait lentement et à cette période de l'année, il ferait nuit dans peu de temps. Cependant, le jeune homme ne craignait absolument pas le noir, ce qui était une faculté essentielle pour le métier qu'il exerçait, et puisque la plupart de ses missions se déroulaient de nuit, il ne serait pas dépaysé.
Toutefois, il se trouvait à l'orée de la forêt et les Pokémon qui y vivaient étaient bien loin de ceux que le chasseur de fantôme avait à affronter. Leur type était complètement différent et son équipe n'était pas préparée à affronter des Pokémon Plante, Insecte, ou pire, Poison. C'était ceux-ci qu'il redoutait le plus. Les Pokémon Poison étaient certes peu résistants, mais leurs capacités étaient redoutables sur la durée. Fort heureusement, la camionnette contenait un certain nombre d'antidotes et il jugea utile de tous les emporter. Alors qu'il réfléchissait au chemin qu'il allait prendre, le téléphone sonna.
- Gaël Magna, annonça celui-ci. Qui est à l'appareil.
- C'est moi, Z, répondit la voix chaleureuse de Miss Zetsu. En cherchant un peu dans les bases de données, j'ai trouvé votre numéro.
- Qu... Que voulez-vous ? questionna le jeune homme d'un ton méfiant. Je ne pense pas avoir besoin de votre aide ici...
- Détrompez-vous, je me suis rendue compte que j'avais oublié de vous donner quelque chose. Enfin, donner, ce n'est pas vraiment le mot. En fait, je pensais que cela vous ferait plaisir de-
- Que voulez-vous ?
- Ne bougez pas s'il vous plaît. J'ai localisé précisément l'endroit où se trouve le van de Jérémie et je voulais vous le répertorier sur votre GPS, inclus dans votre portable. Cela vous permettra de le trouver plus facilement.
- En parlant de cela, je viens de penser à quelque chose... Ce GPS fonctionne sur les mêmes bases que ceux des fourgons, pas vrai ? Cela signifie donc que vous pourriez nous pister avec, quoi que tout le monde puisse dire !
- Dites-moi, Gaël, êtes-vous un scientifique ou un informaticien ?
- Euh... Ni l'un ni l'autre...
- Cela se voit. Ne quittez pas votre position.
- Mais-
Et elle raccrocha aussi brusquement. Soudain, le téléphone émit un petit bip sonore et la carte des environs s'afficha sur l'écran. Le même point rouge que celui apparut sur les écrans de la Section N°1 était présent, lui aussi, et indiquait une zone avoisinante. Le van en question devait se trouver à quelques dizaines de mètres.
Ayant pris connaissance de la chose, le jeune homme ouvrit la portière et se jeta sur la route qui se transformait en sentier, quelques mètres plus loin. Des deux côtés de la route, des pins et des chênes faisaient à la fois rempart et porte vers la nuit. Gaël inspira et traversa le fossé pour s'enfoncer dans les bois humides.
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Cela faisait approximativement dix minutes que le chasseur de fantômes marchait lorsqu'il arriva dans une petite clairière bien dégagée où le sol avait certainement été aménagé pour former un parking. En face du mur végétal d'où il s'extirpa se trouvait les ruines d'une usine désaffectée depuis déjà bien longtemps. L'endroit formait un creux dans la forêt, accessible aux voitures par la route qui reprenait un peu plus loin.
Mais ce qui attira l'attention du jeune homme, c'était la petite camionnette typique des employés de Ghosteria qui était garée bien sagement à l'entrée. Gaël s'en approcha, le sourire aux lèvres. Il était peut-être ici finalement. Cependant, plus il s'approchait, plus il comprit que quelque chose d'anormal s'était passé ici. Les pneus, qui, au loin, paraissaient normaux avaient été littéralement éventrés et le pare-brise comme les fenêtres étaient couverts d'impacts.
Le jeune homme leva sa torche lentement et découvrit la carrosserie du véhicule, en ouvrant des yeux effarés. L'intégralité du van avait été lacérée par des griffes visiblement très puissantes et la peinture était tombée en lambeaux, formant de longues bandes horizontales qui flottaient avec le vent.
« C'est pas vrai... » murmura gravement l'agent de Ghosteria.
Il fit le tour de la camionnette et arriva devant la portière du conducteur. Celle-ci était entrouverte, et de nouvelles traces de griffes étaient visibles, comme si elles avaient tenté d'arracher la porte ou de la bloquer, alors que quelqu'un essayait désespérément de la fermer.
Gaël ouvrit la porte en entier et passa prudemment sa tête dans le fourgon.
« Y'a quelqu'un ici ? » questionna t-il. « Hé ho ! »
N'obtenant aucune réponse, il se retira et composa le numéro du Dr Zetsu. Celui-ci sonna et c'est une voix saturée qui lui répondit :
- Gaël ? Vous avez... shhh... quelque cho... shhh ? questionna Z.
- Miss Zetsu, vous m'entendez ? Merde, ça capte mal. Je suis près d'une vieille usine, j'ai trouvé quelque chose d'inquiétant et-
- Je... shhh –tends mal... shh. Entrez... shhh... usine.
- Dans l'usine ? Bon, d'accord.
Le jeune homme se dirigea vers le portillon d'entrée qui était visiblement scellé par un cadenas, auparavant. Auparavant, car à présent, il avait été déchiqueté et il n'en restait que la chaîne. Gaël porta la main à sa ceinture, serrant l'une de ses Pokéballs. Cette usine n'était pas sûre, cela paraissait évident.
- Vous m'entendez ? Miss Zetsu ?
- Ca va mieux. Vous avez trouvé le van ? répondit l'intéressée d'une voix plus distincte.
- Oui, ça et autre chose...
- Jérémie ?
- Si c'était aussi simple. J'ai l'impression qu'il ne plaisantait vraiment pas. On dirait que le fourgon est passé dans un abattoir. Il est griffé et déchiqueté de partout et le pare-brise, les fenêtres et les phares sont complètement éclatés. C'est un miracle qu'ils tiennent encore. Et aucune trace de Jérémie. Visiblement, il n'est pas ici. Et vu l'état du van, il est peu probable qu'il soit en meilleur état. Face à quelque chose d'aussi puissant, il n'était pas de taille. On lui a bel et bien tendu un piège.
- Voilà qui est ennuyeux. Nous en reparlerons plus tard, je vais en informer notre patron bien-aimé. Je pense que vous pouvez revenir et nous aviserons. Erhiam va sûrement faire le nécessaire pour envoyer une équipe de recherche dans cette forêt. D'ailleurs nous pourrons sans dou-
- Professeur Zetsu ? Professeur Zetsu, vous êtes là ?
Gaël jeta un œil à l'écran. La conversation avait coupé. Sans doute le problème de réseau. Alors qu'un courant d'air froid passait dans le dos du jeune homme celui-ci constata qu'il faisait nuit, à présent. Il décida de retourner au van, et, machinalement, il se tourna vers la porte d'entrée de l'usine, à laquelle il tournait le dos depuis le début. Celle-ci était ouverte.
Ce fut comme si une vingtaine de glaçons coulaient lentement de sa nuque vers ses talons. La porte n'était pas ouverte quand il avait passé le portail et ce n'était certainement pas un coup de vent qui l'avait ouverte, vu sa taille. Le chasseur de fantômes jeta son regard de gauche à droite, scrutant la forêt silencieuse. Trop silencieuse. Les Hoothoot s'étaient tus. Seules les feuilles crissaient lentement, portées par le vent. Mais il n'y avait pourtant plus de vent depuis déjà quelques minutes...
« Bordel ! » pensa Gaël. Il voulut faire demi-tour mais la grille de l'usine se referma toute seule. Il agrippa les barreaux et tira de toutes ses forces, mais il ne parvint pas à l'ouvrir. Il se rendit compte que quelque chose tirait la grille, de l'autre côté. Lentement, de longues griffes mauves se dessinèrent autour des barres métalliques. Puis une ombre jaillit brusquement du portail et Gaël, sous l'effet de la surprise, perdit l'équilibre et tomba à la renverse. Il constata avec effroi que la chaîne et le cadenas se reconstituaient lentement, derrière l'ombre. Les morceaux déchirés s'emboîtaient les uns avec les autres, sans que personne n'y touche.
- Enflure ! s'écria le jeune homme.
Il se releva d'un bond et se mit à courir le long de la palissade bétonnée qui entourait l'usine, n'attendant pas que la créature finisse son oeuvre. Peut-être y avait-il un autre portail à l'arrière ? Quelque chose qui puisse l'aider à s'échapper ? Il réfléchit à ses Pokémon, tout en courant. Il n'avait malheureusement aucun Pokémon Vol et il lui était donc impossible de s'échapper par la voie des airs.
Lorsqu'il arriva enfin derrière l'usine, il constata qu'il n'y avait aucune issue. Son cœur battait la chamade. Le monstre était tout proche et s'il ne savait pas de quel Pokémon il s'agissait, il lui était impossible de le combattre convenablement. Soudain, l'ombre apparut au croisement. Des yeux rouges et cruels étincelèrent tandis qu'elle se rapprochait lentement, toutes griffes dehors.
Paniquéé, Gaël tournait la tête à toute vitesse. Il ne pouvait pas continuer à contourner la palissade, car il serait toujours bloqué. La seule issue qu'il apercevait était cette porte qui menait à l'usine et qui se trouvait juste à côté de lui. Il se jeta sur la poignée. La bête n'était pas encore à son niveau mais elle ne se pressait pas. Elle savait sans doute qu'il ne lui échapperait pas. En effet, la porte était rouillée et elle refusait catégoriquement de s'ouvrir.
- BORDEL ! hurla Gaël. Enfoiré, tu m'auras pas comme ça ! Ponchien, à toi !
Il jeta sa Pokéball en l'air et fit apparaître son fidèle compagnon qui grognait hargneusement en contemplant la créature qui, en assistant à ce spectacle, recula d'un mètre. Cependant, elle reprit vite confiance en elle et se prépara à se jeter sur ses deux proies, ses griffes acérées qui semblaient mourir d'envie de taillader leurs chairs.
- Ponchien, tu es prêt ? Ca va se jouer à quelques secondes seulement !
- Wouf ! acquiesça le Pokémon.
- Alors c'est parti ! Bélier sur cette porte !
Au moment même où le chien fonçait sur la porte, le monstre fonçait sur le chien. Cependant, la porte céda la première et la créature manqua son attaque de peu, les deux compagnons étant déjà entrés dans le bâtiment.
- Guide-moi, mon vieux ! Faut qu'on trouve une fenêtre ! cria Gaël en suivant le Pokémon qui se dandinait aussi vite qu'il le pouvait.
Dans l'obscurité, il était impossible au chasseur de fantômes de repérer l'endroit où il se trouvait exactement, aussi il se fiait à l'excellente vue de son ami.
Celui-ci l'emmena dans un escalier où il manqua de trébucher plus d'une fois puis ils entrèrent dans une pièce où une large fenêtre laissait passer la lumière de la lune. Le jeune jeta un coup d'œil à travers ; ils se trouvaient juste au-dessus du portail verrouillé.
- Merci, mon ami. Va vite te reposer, je vais nous sortir de là, lança Gaël d'un ton rassurant.
Il fit rentrer Ponchien dans sa Pokéball et jeta un très léger coup d'œil à la fenêtre. Elle était vieille et fragile, comme il l'espérait. Soudain, un vent glacé envahit la pièce. La chose était là. Elle le fixait de ses yeux pleins de rage et semblait exulter à l'idée de le voir coincé dans la pièce qui n'avait qu'une issue.
Mais le jeune homme ne lui fit pas ce plaisir plus longtemps et il prit un léger élan avant de se jeter contre la fenêtre qui céda aussitôt. Il tomba sur le sol graveleux du parking, le bras droit écrasé sous le reste de son corps. Il grogna de douleur mais il n'avait pas le temps d'y réfléchir. Il se releva en titubant, sonné, et dans un effort intense, il grimpa dans le fourgon vandalisé, claqua la porte de toutes ses forces et tourna la clé dans le contact avant d'appuyer sur la pédale de l'accélérateur. Il se pencha sur le côté pour trouver l'unique zone qui avait échappé aux impacts et il quitta tant bien que mal la forêt, après avoir pris soin d'allumer le GPS. Arrivé à la sortie, il emprunta la route n°54 qui menait à Norande en essayant de conduire malgré son bras blessé et sa mauvaise vue. Cependant, il vit trop tard le camion-citerne sur lequel il fonçait. Il donna un ultime coup de volant et tout s'éteignit.