Chapitre 75 : Mur de Fer
L'instruction mortier se poursuivait dans le camp, chapeautée par Pascal. Niryo ne quittait jamais les lieux, certains avaient même remarqués qu'il dormait dans le tube de l'une des pièces, pour les surveiller. Cette découverte apportait une preuve supplémentaire, postérieure au jugement de Gilles, certains affirmant qu'il devait bien occuper cette place depuis plusieurs semaines déjà. Enfin, le petit Pokémon ne faisait pas que monter la garde, car il finit par devenir celui des rebelles qui maîtrisait le mieux le fonctionnement de l'artillerie. Ils n'avaient récupéré que trois mortiers en état de marche, aussi, le Marcacrin et son adjudant-chef travaillaient d'arrache-pied (ou d'arrache-patte) sur la construction d'une batterie d'artillerie artisanale. A partir de pièces endommagées, P'tit Nours avait eu l'idée de remplacer le système d'amorce défectueux par un adaptateur monté sur un interrupteur de prise électrique.
Ils n'avaient guère eu l'occasion de s'entraîner à les servir, car il était encore plus difficile de trouver des munitions de gros-calibre que celles des fusils d'assaut. Il fallait aussi pouvoir viser une zone sûre, pour ne pas risquer de déclencher des tirs de contre-batterie de la part de l'adversaire. Ils espéraient donc que le système qu'ils avaient mis en place fonctionnerait et que leur technique de visée n'était pas complètement faussée.
L'œil du Marcacrin ne s'était pas remis, il était arrivé à l'ouvrir, mais celui-ci avait gardé une teinte d'un blanc vitreux ; le médecin déclara alors qu'il n'y avait plus d'espoir qu'il recouvrît un jour la vue. Pascal et lui avaient donc décidé qu'il était hors de question qu'il retournât se battre au front. De plus, il était devenu le grand spécialiste des systèmes d'artillerie : il avait parfaitement su trouver sa place à l'arrière. Lui et son humain étaient sans aucun doute le couple le plus atypique, mais aussi le plus efficace. Ils se chargeaient de faire et de refaire les démonstrations pour que leurs élèves pussent bien visualiser la technique.
Les pièces de mortiers avaient été récupérées lors d'un coup de main monté par les rebelles sur une position ennemie, à l'occasion d'une faille qu'ils avaient repérée. En quelques heures à peine, l'attaque avait été montée. Ils n'avaient peu de temps pour exploiter l'erreur ennemie, aussi, tous les ordres avaient dû être préparés en vitesse, sans rien laisser au hasard pour autant. Le groupe d'assaut, commandé par Malik (ce qui expliquait son absence lors du jugement), avait parfaitement réussi la mission et rapporté les mortiers, dont certains avaient été endommagés par les militaires eux-mêmes pour tenter justement de les rendre inutilisables après leur retraite précipitée.
Le cours commença par un rappel, sous forme de démonstration. P'tit Nours se tenait sur le système de molettes de réglage de la visée, attendant les ordres.
................- T'es prêt, mon P'tit Nours Polaire préféré ?
Le Pokémon acquiesça d'un petit cri plein d'entrain.
................- Ok. Cinq. Trente et un neuf cent soixante-douze séparatif quarante-sept deux cents vingt-sept. Trois, un, neuf, sept, deux séparatif quatre, sept, deux, deux, sept. C'est bon ?
Encore une fois, P'tit Nours laissa échapper un petit bruit affirmatif. Il descendit de son perchoir, en laissant traîner une patte pour activer le tir grâce à son interrupteur improvisé. Enfin, il utilisa Laser Glace pour stabiliser le mortier. L'adjudant-chef fit semblant de replacer un obus dans le tube, Niryo vérifia la visée. Les deux recommencèrent cette opération plusieurs fois. Enfin, Pascal conclut son cours et le couple entreprit alors de faire pratiquer leurs élèves.
La leçon se termina bien plus vite que prévu, alors que les premiers combattants seulement s'approchaient de la pièce pour essayer, car Vaillant-Rescapé traversa tout le campement en long et en large en hurlant :
................- Les Pokémon, les Pokémon nous attaquent !
Aussitôt, sans même prendre la peine de confirmer les dires de l'Insécateur, les humains lâchèrent toutes leurs activités pour se munir de leurs armes et se placer en faction dans les bâtiments. La défense devait s'organiser vite et bien, car ces ennemis étaient spécialement rapides : ils seraient arrivés dans très peu de temps. Vaillant-Rescapé s'étonna d'ailleurs de tant de témérité de la part des Pokémon… A son époque, même les combattants les plus agiles n'osaient pas s'aventurer près des constructions humaines, alors oser une attaque frontale sans même jouer sur la discrétion n'aurait pas effleuré l'esprit du plus virulent de tous ! Depuis son départ, ils avaient dû nettement se renforcer… Cela n'augurait rien de bon concernant l'issue de cet affrontement.
Dès que les formes des Pokémon furent suffisamment proches pour que les tirs pussent les atteindre, les humains firent feu sans même prendre le temps d'identifier la menace. Un bruit métallique répondit aux claquements des rafales, alors qu'un énorme Bastiodon galopait lourdement à la tête de ses troupes. La plupart de ses alliés se protégeaient derrière lui, aussi, quand ils arrivèrent à proximité du campement, presqu'aucun n'avait encore été touché. La terre se mit à trembler sous le poids de l'immense chef, qui ne ralentit même pas l'allure lorsqu'il défonça un mur de protection bâti à l'entrée. Le portail, ouvert, se trouvait juste à côté, mais sans doute, par volonté d'effrayer, il avait choisi de passer par là.
Alors que les humains auraient sans doute mieux fait de fuir désespérément, conscients qu'ils n'avaient aucune chance, ils gardaient l'air confiant. Certains se tournèrent vers Vaillant-Rescapé, d'autres vers les autres Pokémon… Ceux qui restaient n'osaient pas quitter des yeux cet ennemi si puissant. Dans tous les cas, tous faisaient une confiance aveugle à leurs nouveaux alliés, convaincu que grâce à eux, ils allaient l'emporter. Au vu de l'expression effrayée de Terreur-des-Hommes, cela n'était pas vraiment une certitude pour elle.
Les Pokémon se dispersèrent dès qu'ils pénétrèrent dans le camp ; les combattants s'écartèrent du Bastiodon comme un Voltali projette ses dards électriques. Les plus solides s'attaquaient aux infrastructures elles-mêmes tandis que les volants harcelaient sans répit les humains postés aux fenêtres. Des incendies se déclarèrent, sous l'influence de puissants Lance-Flamme. En quelques minutes à peine, le chaos régnait déjà. Sans aucun doute, cette armée nombreuse de Pokémon avait été étudiée spécialement pour prendre ce lieu : il serait très difficile de la vaincre. Au centre de ce chaos, Bastiodon hurla d'une voix forte :
................- Vaillant-Rescapé, en voulant aider les humains, tu nous as humiliés auprès du Grand, mes amis et moi ! A présent, je fais une affaire personnelle de te vaincre, ainsi que tous les humains qui souhaiteront te suivre dans la défaite !
Les humains se retrouvaient de plus en plus aculés. Le Bastiodon avançait de front, protégeant ses alliés. Il attaquait rarement et ses capacités étaient d'une si piètre qualité qu'il eût mieux fait de ne pas en utiliser une seule pour ne pas se ridiculiser… Cependant, sa seule présence fournissait un barrage de taille face aux balles, si bien que les Pokémon puissants mais peu résistants palliaient sans mal sa force de frappe. Si les rebelles tentaient à un seul moment de contourner la protection sur pattes, les attaquants quittaient leur cachette, abattant sans hésitation les humains.
Niryo arriva derrière Vaillant-Rescapé. Sa si petite taille et le bruit de la bataille l'avait fait passer inaperçu, aussi, quand il interpela l'Insécateur aux prises avec un Coxy, son interlocuteur sursauta.
................- Pascal et moi avons trouvé le moyen de mettre en déroute le Bastiodon, lui souffla-t-il à l'oreille, après avoir escaladé l'Insécateur. Mais pour y arriver, il faut que nous allions à l'armurerie. Surtout, que nous y soyons tranquilles. Peux-tu te charger d'organiser la défense s'il te plaît ?
................- J'y vais, s'empressa de répondre Vaillant-Rescapé.
Sans même prendre le temps de terminer son face à face avec le Coxy, il se détourna. Le Marcacrin toujours juché sur son épaule, il parcourait les rues avec une détermination extrême. Quand il trouvait un chemin trop engorgé, ou tenu par l'ennemi, il bifurquait immédiatement, manquant parfois de désarçonner son cavalier. Ce dernier lui indiquait toujours l'itinéraire le plus court. Quand les deux passèrent devant Terreur-des-Hommes, Vaillant-Rescapé la héla. Comme son ami l'avait fait avant elle, elle abandonna son adversaire, après l'avoir empêtré dans quelques Toiles dont il s'extirperait probablement bien trop vite.
Pascal attendait au coin de l'armurerie, le visage et les bras trempés de sueur, résistant tant bien que mal à plusieurs Pokémon. Son visage s'illumina à la vue du Marcacrin, qu'il gratifia d'un signe de tête reconnaissant. L'adjudant-chef quitta l'angle de la construction pour s'y faufiler rapidement, Niryo sur ses talons. Vaillant-Rescapé stoppa net le Rattatac qui aurait aimé le suivre à l'intérieur, d'un revers de lame.
L'ancien militaire attrapa un fusil sur un râtelier, tandis qu'il mit sa propre arme dans le dos. Le Marcacrin récupéra dans un tiroir des mèches tissées auparavant par la Migalos. Il traversa ensuite la pièce pour sortir une bande de cartouches de fusil de chasse. Puis, il embrassa des yeux la réserve de matériel, ce qui le fit soupirer de dépit. Enfin, Pascal revint de la pièce voisine avec un bidon d'essence et les deux amis s'échangèrent un regard désolé. Ils n'eurent pas besoin de parler pour se comprendre… Il leur manquait le matériel principal : un contenant.
Alors que le Marcacrin s'apprêtait à quitter la pièce pour aller chercher ce qui leur faisait défaut, l'adjudant-chef le retint d'un signe :
................- Tu n'arriveras pas à porter les bouteilles, P'tit Nours. Reste à l'abri, en plus, tu seras bien plus agile pour retirer les plombs que moi et mes mains tremblantes.
Pascal sortit prudemment du bâtiment. Devant lui, Aleph-Zéro se battait avec acharnement contre un Fouinar. Ce dernier lui lacérait le torse de ses griffes, alors que l'Insécateur tentait de le repousser à coups de patte. Il arriva à l'éloigner, mais son adversaire revint à la charge, le regard haineux. Le Pokémon Normal s'agrippa à la gorge de son ennemi de toujours, crocs dehors. Malgré les attaques de lame, il refusait de lâcher prise, profitant du manque d'élan de Vaillant-Rescapé, qui l'empêchait de frapper fort.
Au moment où l'adjudant-chef arriva, le lieutenant Malik abandonna son adversaire pour se rapprocher d'eux, hésita quelques secondes, puis, voyant que son allié commençait à peiner à respirer, pris sous les assauts, il dégaina son pistolet et l'arma. Il ne prit qu'un instant pour ajuster le tir. Le coup partit. La détonation effraya d'abord Vaillant-Rescapé, qui craignit d'avoir été touché, ou pire, visé. Mais il n'avait rien. La balle arracha un pied au Fouinar et traversa la base de sa queue pour ressortir au milieu de son dos.
Les yeux de Malin-Fureteur brillèrent soudain d'un éclat d'affolement. Le choc lui fit lâcher prise ; Vaillant-Rescapé le repoussa immédiatement d'un violent coup de lame. Le Fouinar se tourna alors vers son bourreau, le regard empli de haine. Il se propulsa en avant, laissant une marque de sang derrière lui. Il ne semblait ressentir aucune douleur… Sous le choc de son attaque, Malik s'effondra sur le dos. Il reçut plusieurs coups de griffe avant que son assaillant finît par perdre sa force, s'agiter vainement et finalement s'immobiliser complètement. L'adjudant-chef se précipita vers eux, écarta le corps du Fouinar d'un geste paniqué. Le lieutenant haletait, la veste ensanglantée. Pascal le regarda sans comprendre, puis enfin, il réalisa : il ne survivrait pas aux griffures et morsures du Pokémon enragé. En effet, quelques instants plus tard, Malik cessa de respirer, gardant les yeux désespérément vides et fixes.
Vaillant-Rescapé échangea un regard d'excuses avec Pascal. Il ne comprenait pas ! Malin-Fureteur était mort, il avait reçu une blessure mortelle : les organes vitaux étaient touchés ! Pourtant, avant de mourir, il avait eu le temps d'emporter avec lui le lieutenant…
................- C'est l'adrénaline, ça, murmura-t-il désolé. Le coup n'a pas fait assez de dégâts… Ce n'est pas de ta faute, dit-il à l'adresse de l'Insécateur que la situation semblait affecter.
Puis, comme il avait une mission à remplir, il se détourna. Vaillant-Rescapé resta encore quelques secondes interloqué. Il revint enfin ses esprits et se relança dans la défense du bâtiment. Rassuré sur son état, l'adjudant-chef reprit sa course à travers les bâtiments pour gagner la salle principale. La grande majorité des réunions et autres activités de groupe d'y déroulait, aussi il espérait y trouver ce qu'il cherchait. Il ne se trompait pas, car, dans un coin de la pièce étaient entreposées des bouteilles en verre, vides et bien alignées. Il en prit trois dans chaque main, par le goulot, sans manquer de faire tomber les autres dans sa précipitation.