Chapitre 17 : Les Agents du Chaos
Nathan était accablé par l'incompétence de ses hommes. Tout un groupe d'une trentaine d'hommes de la Garde Gouvernementale, sur-entraînés et armés, ainsi qu'une dresseuse d'élite, et ils avaient pris la fuite face à un groupe de huit personnes. Et voilà maintenant que ce qu'il voulait éviter le plus était arrivé : Archangeos était revenu, et avait donné le Don à ces enquiquineurs. Mais pour quelle raison ? Qu'espéraient-ils faire ? Plongé dans ses réflexions, il en oublia presque le directeur Dakon Varnellan, de la Garde Gouvernementale, devant lui, ainsi que Madison, qui devaient attendre d'un air penaud que Nathan les traite de bons à rien. Mais il n'en fit rien. Il se contenta de sourire. Laisser transparaître sa colère aurait été inutile.
- Encore une fois monsieur, j'assume la totale responsabilité de l'échec de mes hommes, disait Varnellan.
Dakon Varnellan, le chef de la Garde Gouvernementale, était le premier et le plus fidèle des alliés de Nathan. Bien sûr, la Garde Gouvernementale se devait en théorie d'obéir à n'importe quel triumvir, mais Varnellan n'agissait jamais que sur ordre de Nathan. C'était un homme assez grand, la quarantaine, avec des cheveux noirs courts et une cicatrice qui partait du front pour arriver sur le menton. Il était le meilleur soldat du Triumvirat, et le second de Nathan. Ce dernier n'avait même pas besoin de le manipuler pour qu'il le serve de son plein gré.
- Mais non, mais non, Dakon mon ami, le rassura Nathan. Tout va bien. Je sais bien que face à Archangeos, tes hommes auraient été bien embêtés. On sait au moins ce qu'il en est, à présent.
Varnellan hocha la tête, mais Madison fit la moue.
- Pas moi. Je ne comprends rien à ce qui se passe ! C'était qui, ce Pokemon ? Qu'est-ce que Ad et ses amis veulent faire avec lui ? Tu veux bien m'expliquer ?
Nathan haussa les épaules d'un air désabusé.
- Que sais-je des projets de ma sœur, cousine ? Je sais juste qu'Archangeos est un très ancien Pokemon, très puissant, capable de conférer un pouvoir surnaturel aux humains. Et il l'a sans doute fait avec la bande d'Adélie. Peut-être complotent-ils contre le gouvernement. En tous cas, il faut les arrêter.
Cette réponse ne sembla pas satisfaire la jeune fille.
- Et cet Odion ? Ad a dit que son but était de l'arrêter, et a émit des doutes à ton sujet. Selon elle, tu serais de mèche avec lui.
En lui-même, Nathan fulminait. Cet abruti de Prince des Ténèbres avait donc vendu la mèche à Adélie ! Si jamais elle parlait et qu'on la croyait...
- Intéressant, admit-il. Et toi, tu la crois ?
Madison soutint son regard.
- J'aurais tendance à dire oui, en effet. Ta sœur a beaucoup de défauts, et je la déteste, mais elle me parait bien plus sincère que toi, qui as toujours su manipuler tout ton monde.
Varnellan échangea un regard inquiet avec son maître, mais Nathan resta calme et décontracté.
- Que dois-je comprendre, chère cousine ?
- Que je ne te fais pas confiance, Nathan, et je pense que tu le sais. Mais ça n'a pas d'importance. Si tu travailles avec cet Odion pour je ne sais quoi, ça te regarde. En fait, je me fichais de mon père, et je me fiche des autres qui pourront mourir. Maintenant que je suis lancée, je veux juste faire ramper Ad devant moi. Et si je dois travailler avec toi pour en avoir le pouvoir, ça me va... pour le moment.
D'abord surpris, Nathan éclata de rire.
- Je dois dire que je t'ai sous-estimé, Madison. Tu me ressembles bien plus que je ne le pensais. Tu as raison. Servir ses propres intérêts et sentiments, sans se soucier de ceux des autres, est la seule chose qui importe. Je pense que tu pourrais devenir...
Mais il fut coupé par Odion, qui défonça presque la porte de son bureau, son visage congestionné par la haine et l'excitation.
- Il est revenu ! Je l'ai senti ! Archangeos est de retour, et il a créé d'autres Gardiens ! Je sens leur présence, sans arriver à les localiser avec précision...
Nathan soupira. Débouler comme ça dans son bureau, sans se soucier des personnes présentes... voilà bien le genre de comportement qui faisait du Prince des Ténèbres un allié incommodant. Heureusement, Varnellan était dans le secret, et Madison se souciait apparemment bien peu de venger son père. Elle dévisagea quand même Odion avec suspicion.
- Oui mon ami, je l'ai senti aussi, répondit Nathan. Et ce n'est pas tout. Archangeos semble avoir débloqué le Don pour que les Gardiens puissent utiliser la facette cachée de leurs pouvoirs. Ils vous en veulent beaucoup, apparemment. Archangeos n'a pas fait ça depuis Maleval l'Obscur.
- Comment vous savez ça ?
Nathan lui servit un sourire onctueux, en faisant briller la paume de sa main de la lumière du Don. Odion recula, dégoûté.
- Notre cher Archangeos doit ignorer que je possède le Don. Bon point pour nous. Je pourrai sentir sa présence, et peut-être celle des nouveaux Gardiens. Enfin, on n'y est pas encore. Seigneur Odion, laissez-moi plutôt vous présenter deux de nos importants alliés. Le directeur Dakon Varnellan, chef de ma Garde Gouvernementale, et Madison Hugerson, ma cousine.
Odion leur lança un regard comme s'ils étaient d'insignifiants moucherons. Varnellan s'inclina brièvement, mais Madison resta bien droite, à défier le Prince des Ténèbres du regard.
- Vous ne m'aviez pas dit que j'avais tué le père de cette gamine ? Demanda-t-il avec insolence à Nathan. Pourquoi elle nous aide alors ?
- Sans doute parce qu'elle est intelligente, et qu'elle sait se ranger du côté des puissants, avança Nathan.
Le regard de Madison dut déplaire à Odion, car il appela dans sa main son sombre pouvoir de mort.
- Je n'ai pas besoin d'insectes à mes cotés, pas plus que je ne partage mon pouvoir.
Il s'apprêta à lancer sa sphère mortelle sur Madison. Nathan se leva, mais n'eut pas besoin d'intervenir. Un éclair noir s'échappa de la paume de Dakon Varnellan, pour s'enrouler autour du bras d'Odion, lui empêchant tout mouvement. Madison fut surprise, mais pas plus qu'Odion.
- Qu'est-ce que cela ?! Ôtez-moi immédiatement cette chose impure de mon bras ! Comment oses-tu m'attaquer, misérable ?!
- Mille excuses, Seigneur Odion, fit Varnellan, mais je ne peux vous laisser causer du tort à la cousine de mon maître. Veuillez vous calmer, alors je vous libérerai.
Cela ne fut pas du goût du Prince des Ténèbres, qui bougea son autre bras pour déployer un rayon noir sur Varnellan. Celui-ci recula un peu sous l'effet de la Déferlante, mais ce fut tout. Odion ouvrit grand ses yeux gris.
- Que... Tu es un Agent du Chaos, toi aussi ?
Varnellan hocha la tête.
- Maître Dialine m'a fait l'honneur de le servir en intégrant sa noble caste. Grâce aux pouvoirs que j'ai obtenu du Seigneur Diavil, je sers la volonté de Maître Dialine, le chef des Agents du Chaos, et vous devriez faire de même.
La colère revint en Odion.
- Absurde ! Je ne sers que moi ! Je suis le dieu de ce monde - que dis-je ? - de l'Univers entier ! Dialine a beau être le chef des Agents du Chaos, ça m'est égal. Voilà longtemps que j'ai cessé de servir le Seigneur Diavil.
Nathan tenta de calmer le jeu.
- J'entends bien, Seigneur Odion. Je ne vous demande nullement de devenir mon vassal. Seulement de suivre le plan que j'ai conçu pour que nous nous approprions ce monde. Je puis vous assurer qu'il vous sera autant bénéfique à vous qu'au Seigneur Diavil. Et vous aurez la joie de pouvoir tuer tant qu'il vous plaira, notamment Archangeos et ses nouveaux Gardiens de l'Harmonie. Je vous prierais juste de ne point vous en prendre à mes alliés, qui sont aussi les vôtres.
Odion renifla méprisamment, mais consenti à baisser ses bras.
- Je vous remercie. Dakon, libère le Seigneur Odion maintenant.
- Oui monsieur.
Il claqua des doigts, et l'éclair noir qui avait entouré le bras d'Odion disparut. Ce dernier se massa son bras paralysé et regarda désormais Varnellan avec suspicion. Odion n'aimait guère qu'on dispose de pouvoirs qu'il n'avait pas.
- Combien avez-vous d'Agents du Chaos à vos ordres ? demanda-t-il à Nathan.
- Oh, la plupart œuvrent loin de cette région, pour d'autres causes du Seigneur Diavil. Ici, il n'y a que mon ami Dakon.
- Et moi, dit soudain Madison.
Nathan cligna des yeux.
- Pardon ?
- Je veux devenir comme vous trois. Je veux avoir le pouvoir de battre enfin Ad. Si je sers tes projets, c'est la moindre des choses, non ?
Nathan fut agréablement surpris, car il sentait que Madison était sincère.
- Eh bien, ça peut facilement s'arranger. Si tu...
Mais Nathan fut une nouvelle fois interrompu par une visite impromptue. C'était cette fois ces deux confrères du Triumvirat, Charlus Akenvas et Eléonore Sochenfort. Ils semblaient assez furieux.
- Cela suffit, Dialine, commença le vieil Akenvas. Vous ne pensiez tout de même pas que vous pourriez nous cacher longtemps ce que vous maniganciez ?
Nathan s'adossa contre son siège, faisant discrètement signe à Varnellan de ne pas intervenir.
- Eh bien, à vrai dire, si, c'est que j'ai pensé, avoua-t-il. Vous aurais-je sous-estimé ?
Sochenfort agita ses grosses mains remplies de bijoux devant elle.
- Nous vous observons depuis longtemps. Nous savions que vous prépariez un truc pas net. Nous sommes aussi chez nous, au Triumvirat. Nous savons tout ce qui s'y passe, et l'alliance que vous avez conclu avec ce... cet homme !
Elle désigna fébrilement Odion, qui haussa les sourcils.
- Je peux tuer ces deux là ? Demanda-t-il à Nathan.
- Attendez un moment, s'il vous plait. Ma réponse dépendra de ce qu'ils auront à me dire.
Eléonore Sochenfort frissonna, ayant bien saisi la menace, mais Akenvas se gonfla d'orgueil.
- Tu oses nous menacer, gamin, toi qui est le dernier venu au Triumvirat ?! Ton père était bien plus respectable que toi. Depuis le début, je ne t'ai jamais aimé.
- Voilà qui n'est guère surprenant, répliqua Nathan. Vous n'avez jamais aimé quiconque ayant dépassé l'âge de la puberté.
Nathan faisait référence aux ignobles goûts sexuels d'Akenvas. Nathan savait depuis longtemps qu'il usait de son immunité au Triumvirat pour abuser de dizaines de jeunes filles. D'ailleurs, le regard qu'il avait lancé à Madison en entrant avait été très clair pour Nathan. Akenvas rougit face à l'insulte. Sochenfort préféra calmer le jeu. Elle avait assez d'intelligence pour voir qu'en présence d'Odion et de Varnellan, ils feraient mieux de ne pas trop énerver Nathan.
- Nous ne comptons pas vous dénoncer, Nathan, fit-elle. Nous voulons juste... notre part du gâteau.
- Vraiment ? Et que pensez-vous que le gâteau sera ?
- Nous vous avons entendu le dire il y a quelques instants. Le monde !
- Ainsi que les pouvoirs que vous semblez avoir donné au directeur Varnellan, ajouta Akenvas. Nous sommes aussi des triumvirs, nous les méritons autant que vous !
Nathan s'amusa de l'arrogance et de la prétention de ces deux bourgeois idiots. Mais comme Akenvas l'avait dit, ils étaient aussi des triumvirs, et Nathan ne pouvait pas s'en débarrasser comme ça s'il voulait conserver le soutien et l'amour du peuple. Par contre, les mettre sous ses ordres... ça serait bénéfique, oui.
- Fort bien, dit-il. Mais il y a une chose que vous devez savoir, chers amis. Je suis le chef des Agents du Chaos, la caste qui utilise les pouvoirs que vous convoitez. Si vous désirez en faire partie, vous devrez suivre mes instructions.
Akenvas se rembrunit, et Sochenfort demanda :
- Mais nous aurons droit à régner sur le monde aussi quand il sera à vous ?
- Assurément, fit Nathan. Les Agents du Chaos règnerons tous au nom du grand Seigneur Diavil.
- Alors c'est d'accord. Donnez-nous ces pouvoirs, et nous ferons comme vous l'entendrez, approuva Sochenfort.
- En privé seulement, hein ? Ajouta Akenvas. Devant le peuple, il faut que nous restions égaux.
- Bien sûr bien sûr...
Pour le moment du moins, pensa Nathan. Arrivera un moment où ce ridicule Triumvirat n'aura plus raison d'être, et où tout le pouvoir lui reviendrait à lui. Et si d'aventure Akenvas, Sochenfort ou même Odion n'étaient pas d'accord, Nathan s'en débarrasserait... définitivement.
- Eh bien, fit-il en se levant, venez donc, chers amis. Toi aussi Madison. Nous allons faire de vous des Agents du Chaos, selon vos souhaits. Ainsi, nous serons six à Naya.
Nathan bougea un de ses livres dans la grande bibliothèque de son bureau. Aussitôt, le meuble bougea, laissant apparaître un passage, sombre et lugubre. Sochenfort déglutit.
- Où allons-nous, au juste ?
- Rencontrer votre nouveau maître.
Nathan rentra dans la pièce cachée, qui était arrondie et sans autre issue. Au centre se trouvait un cristal noir. Le cristal dont Nathan se servait pour communiquer avec son maître. Quand tout le monde fut entré, même Odion et Varnellan, Nathan plaça ses mains sur le cristal, qui se mit à briller d'une lueur bleue sombre. Nathan se tourna vers les trois futurs Agents, qui ne pouvaient détacher leurs yeux du cristal qui commençait à faire apparaître plusieurs silhouettes immatérielles, disposées en cercle autour du cristal.
- Voici nos camarades des autres régions, expliqua Nathan. Avec eux six, nous sommes au complet. Ils seront les témoins de votre adoubement.
Et puis, au centre du cercle formé par les autres Agents du Chaos, une autre silhouette apparut. Une silhouette non humaine. Varnellan s'inclina aussitôt, et même Odion fit disparaître sur son visage son éternelle grimace arrogante pour la remplacer par une expression de respect... ou alors était-ce de la crainte ?
- Saluez notre Seigneur, ordonna Nathan. Le futur maître de ce monde. Le grand Diavil, le Pokemon du Chaos !
La silhouette sombre se fit plus distincte. On y distinguait à présent des ailes, et une tête cornue. Sur ses bras, sa tête et son torse brillaient des saphirs qui semblaient aspirer la lumière pour la transformer en ténèbres. Akenvas, Sochenfort et Madison ne purent rien faire d'autre que s'incliner devant cette apparition, qui amena avec elle la peur et le froid quand elle commença à ricaner d'une voix qui semblait venue des Enfers même.
***
Ad se mit à frissonner, sans savoir pourquoi. Et ce n'était sûrement pas l'air marin. Geran se tourna vers elle, et Ad sentit qu'il avait la même impression de malaise.
- Oui, répondit-il à sa question muette. Quelque chose a perturbé le Don. Quelque chose de mauvais vient de se passer.
- Odion ?
- Peut-être... ou peut-être pas.
Faute de plus de précisions, Ad revint à la contemplation de la mer. Elle lui évoquait pleins de souvenirs de son enfance, souvent pas très gais, car la demeure familiale des Dialine était toute proche de la mer, non loin de Port Oligo. Mais ce n'était pas de là qu'Ad et Geran étaient partis pour rejoindre le Verger sur l'île de Terrebasse. Tout d'abord, Ad et tous les autres, avant de se séparer, s'étaient rendus à Cancrania, ville désormais fantôme, pour que Ad retire tout l'argent qu'elle pouvait en liquide dans un distributeur de billets. Pourquoi Cancrania ? Justement parce que c'était une ville fantôme depuis le passage d'Odion, et ainsi, personne à la banque n'irait enregistrer le numéro de sa carte de crédit pour en avertir les autorités, comme toute banque aurait fait étant donné qu'Ad était recherchée par le Triumvirat.
Ensuite Ad avait partagé sa petite fortune en trois, pour chacun des groupes, qui en auraient sans doute besoin. Puis Ad et Geran étaient partis pour Sandalia, la ville la plus au sud du grand désert, qui donnait sur la mer. À cette occasion, Geran avait appris à Ad comment utiliser le Don pour attirer à eux des Pokemon pour qu'ils viennent les aider. Enfin, la théorie seulement ; le but était d'utiliser leur Don le moins possible pour ne pas se faire repérer d'Odion. C'était donc Rétrectis, avec ses perles, qui communiqua avec les deux Pokemon vol les plus proches aptes à les transporter sur leur dos, à savoir un Rapasdepic et un Altaria.
Geran, sans doute dans un souci de galanterie, lui avait laissé le Pokemon Dragon cotonneux. Si Ad n'appréciait guère qu'on se montre galant avec elle, elle n'avait pas protesté. C'était bien plus confortable de voyager à dos d'Altaria que de Rapasdepic. Et puis... que Geran fasse preuve d'attention à son égard la dérangeait moins que si c'était Kinan par exemple. Peut-être parce que Geran était plus âgé, plus expérimenté, plus sûr de lui, alors qu'Ad se trouvait un peu paumée dans cette histoire. Ça, ou une autre raison, qu'Ad ne voulait absolument pas envisager. Ad avait pensé qu'ils auraient continué jusqu'à l'île de Terrebasse à dos de Pokemon, mais une fois arrivé à Sandalia, Geran avait décrété qu'il serait plus prudent de prendre le bateau. Quand la jeune fille lui avait demandé pourquoi, il avait répondu :
- Odion s'attend à ce que nous nous déplacions à dos de Pokemon. Et s'il dispose des forces de l'ordre de ton frère pour nous rechercher, il aura placé plusieurs barrières aériennes tout autour de Naya si jamais l'envie nous prenait de quitter la région.
Ad vit bien vite que Geran avait raison. En effet, des rafales et hélicos du Triumvirat ne cessaient de passer et de repasser dans les cieux au dessus de la mer. Mais il y avait aussi un contrôle lors de l'embarquement des personnes sur le ferry, et leurs visages étaient affichés un peu partout. Ad et Geran avaient tenté de se relooker en s'habillant façon dresseurs de Pokemon, et Ad avait donné au passage l'une de ses Pokeball vide pour que Geran y enferme son Rétrectis qui aurait paru quelque peu voyant à l'air libre. Mais leur déguisement ne suffirait pas à un contrôle d'identité. Toutefois, Geran n'avait pas parut inquiet en se présentant au vigile avant l'entrée sur le ferry.
- Vos cartes d'identités, je vous prie ?
Ad avait sentit d'un coup le Don de Geran qui se mit à s'échapper de son corps, en direction du vigile.
- Nul besoin de contrôler nos identités, cher monsieur. Nous sommes d'innocents dresseurs, se rendant à l'arène de Basseterre.
Le garde fut un moment comme déboussolé, puis acquiesça.
- Bien sûr... Veuillez m'excuser, et bon voyage.
Il les laissa passer sous le regard ahuri d'Ad, qui l'aurait forcément trahi si le vigile avait tous ses moyens. Geran lui avait sourit.
- Le but premier du Don est d'inspirer un sentiment de grande confiance voire d'adoration à tous ceux que nous rencontrons, humains ou Pokemon. C'est souvent utile lors de nos missions, bien qu'on soit appelés à ne pas l'utiliser à tout va.
Ad voyait plus ou moins ce qu'il avait voulu dire. Quelqu'un comme Kinan n'aurait pas hésité longtemps avant de se servir du Don pour impressionner toutes les filles qui passaient devant lui. Arceus en soit remercié ; ça n'aurait pas marché sur elle, la première personne sur laquelle il aurait essayé, car le Don ne pouvait agir sur le Don. Le trajet Sandalia-Terrebasse prenait trois heures environ. Ad en profita pour réfléchir à sa situation.
En trois jours seulement, la voici passée du statut d'inventrice et mécanicienne fortunée à celui de guerrière de la justice, recherchant un morceau des paroles d'une ancienne comptine censée rendre mortel un psychopathe accro aux meurtres gratuits, et ce en compagnie d'un garçon provenant du passé, et tout cela en s'étant découvert des pouvoirs surnaturels et en échappant aux forces de son triumvir de frère qui voulait, pour une raison inconnue, la voir derrière les barreaux. Et ses compagnons, qui jadis n'étaient que des machines ainsi que deux Pokemon, étaient aujourd'hui un ancien Maître Pokemon, une criminelle de la Team Rocket, deux Malwares, le fils d'amis ainsi qu'un guitariste de groupe de rock. Dit comme ça, tout cela semblait tellement ridicule qu'Ad ne put s'empêcher de rire. Ce son très rare attira l'attention de Geran.
- Tu m'avais donné l'impression de ne pas avoir le rire facile, et voilà que tu rigoles sans raison ?
Ad se reprit et haussa les épaules.
- Vaut mieux rire que pleurer de tout ça.
- Tu as raison. Et t'entendre rire est fort agréable à l'oreille.
Ad se détourna, gênée. Elle avait compris que Geran ne parlait comme ça que parce que c'était ainsi qu'on parlait à son époque. Mais de nos jours, beaucoup de ses phrases seraient facilement passées pour des tentatives de drague. Et si Ad devait passer plusieurs jours avec lui à fouiller une forêt mortellement dangereuse, elle allait vite devoir se décoincer. Elle retourna à l'intérieur du navire et se rendit au bar.
- La boisson la plus forte que vous avez en stock, s'il vous plait.
Le barman l'observa d'un air soupçonneux.
- Vous avez une carte d'identité, mademoiselle ?
- Pourquoi faudrait-il une carte pour acheter à boire ?
- Afin de vérifier que vous êtes bien majeure.
Ad grimaça. Mais au lieu de commander un coca ou autre truc du genre, elle laissa échapper un peu de son Don, comme Geran l'avait fait à l'embarquement.
- Je suis majeure. Vous n'avez pas besoin de vérifier.
Le barman acquiesça.
- Oui, vous êtes majeure. Désolé d'avoir douté de vous.
Il lui versa un liquide sombre dans un grand verre, dont rien que la senteur manqua de faire défaillir Ad. Parfait.
- Ça vous fera quinze Pokédollars.
Ad continua à laisser filtrer son Don.
- Mais pour moi, ça sera gratuit, n'est-ce pas ?
- Bien sûr, je vous l'offre ! Vous avez l'air si aimable...
Ad sourit et but une gorgée de sa boisson explosive. Le Don était vraiment marrant, finalement. Mais valait mieux ne pas l'utiliser de la sorte à proximité de Geran. Pour sûr, elle faisait un piètre Gardien de l'Harmonie.