Chapitre 70 : Ombre Portée
Le jour prévu, les rebelles étaient prêts à partir. Les sacs étaient faits, tous alignés sur le sol ; les hommes, devant leurs affaires, attendaient en armes l'heure du départ. Le groupe total se scindait en deux. A la tête du premier, se trouvait le lieutenant Malik, accompagné du colonel et de Vassili, l'autre partie était commandée par le lieutenant Victor. Ils avaient pu récupérer une mitrailleuse, ce qui représentait pour eux un atout majeur. Son porteur était un homme trapu, qui avait jeté l'énorme arme sur ses épaules. Il passait ses mains par-dessus quand il s'ennuyait, attitude qui ne manquait pas de le faire remarquer en lui donnant une envergure monstrueuse. Il ne quittait jamais son camarade qui lui, se chargeait des bandes de cartouches, qu'il avait enroulées autour de son torse.
En quelques minutes, tout le détachement avait quitté les lieux et disparu dans la végétation. Niryo avait mis longtemps à faire ses adieux à son adjudant-chef, mais s'en était finalement séparé pour suivre ses semblables, juché sur la croupe du Ponyta. Il partageait sa place avec Dimitri, qui avait décidé de ne pas marcher, pour soulager sa jambe. Vassili tenait Newton au licol, accompagné d'Eclair-de-Liberté lourdement bâté et d'Inès, qui marchait de l'autre côté du cheval enflammé.
Ils marchèrent toute la journée ; le soleil déclinait à l'horizon quand le lieutenant arrêta la marche. Malik expliqua, en quelques minutes, que la colonne attendrait là jusqu'à la nuit noire. Ils entreraient ensuite dans le village, où un contact les attendrait pour les héberger jusqu'au lendemain, leur permettant ainsi de traverser les zones habitées en marchant toujours dissimulés par l'obscurité. Dès que la pause fut annoncée, Eclair-de-Liberté se laissa immédiatement tomber au sol pour aller se lover contre son dresseur. En soupirant, il ferma les yeux, exténué par la marche. Il s'endormit, rapidement pour une fois, alors que Vassili ne parvenait pas à trouver le sommeil. Etendu sur le dos, ce dernier se perdait dans ses pensées, celles-ci occupant toute son attention.
Quand le lieutenant réveilla les combattants, on ne voyait même pas à un mètre devant soi. Les nuages avaient gardé la chaleur du jour, mais ils masquaient les étoiles de la nuit sans lune. Lentement, les hommes formèrent une colonne, à tâtons. Ils posèrent chacun la main sur l'épaule de celui de devant, puis, tout doucement, la grande chaîne se mit en route. La progression s'avérait très difficile. Plusieurs combattants trébuchaient souvent, aussi ils furent tous très soulagés quand la densité de la végétation diminua un peu. Au loin, on apercevait quelques petits points lumineux émanant probablement de maisons, puisque le maigre éclairage public était éteint à cette heure avancée de la nuit.
Une fois arrivé aux abords des bâtiments, les combattants se lâchèrent les uns les autres, mais ils avaient tout de même du mal à continuer à suivre la silhouette de celui de devant. Malik était le seul à savoir précisément où il allait. Parfois, quand il s'arrêtait pour vérifier son chemin, les autres, derrière, se rentraient dedans. Le lieutenant se retournait alors, énervé qu'on fît du bruit, mais personne ne le voyait. Il s'arrêta bientôt et tout le monde se plaqua contre les habitations. Dans un coin encore plus sombre du mur se trouvait un homme, écharpe remontée jusqu'aux yeux, bonnet vissé sur la tête. Il partit sans un mot, longeant la façade jusqu'à une grande porte coulissante.
Rapidement, tous les rebelles disparurent dans l'immense bâtiment. Il s'agissait d'un hangar de stockage, dans lequel on trouvait toutes sortes de sacs, entassés sur des palettes sans ordre apparent, jetés là depuis un certain temps pour certains. Il n'y avait guère de place, mais les combattants n'étaient pas difficiles : ils trouvèrent tous un endroit pour se coucher, plus ou moins confortablement, en attendant le lendemain. Juste derrière la porte, deux hommes montaient la garde, écoutant tous les bruits de l'extérieur avec attention.
Le lendemain, l'ambiance fut assez particulière. Les fusils reposaient sur les murs, qui en étaient de ce fait quasiment recouverts. Les hommes se déplaçaient, slalomant dans la pièce, le plus silencieusement possible. De rares mots s'échangeaient à voix basse. On prévoyait toutes sortes de cachettes au cas où quelqu'un viendrait visiter le hangar. Le lieutenant sortit quelques fois, quand on vint le chercher ; il quittait toujours la pièce en se faufilant dans la porte entrebâillée. Cette ambiance laissait planer une certaine tension dans l'air, mais relative, ce qui la rendait encore plus oppressante. Les communications radio finirent par faire sursauter tout le monde à la fin de la journée…
Le seul événement de la journée prit une importance énorme : il s'agissait de la distribution de nourriture. Chacun recevait sa part, regardée souvent avec autant d'admiration qu'une relique sacrée. Eclair-de-Liberté faillit attaquer un des combattants dans le but de lui prendre la ration qui lui avait été attribuée, tant il avait faim. Heureusement, Vassili s'aperçut assez vite de l'énervement de son Pokémon ; il le retint à temps, alors qu'il grondait à l'adresse de son dresseur qui lui serrait une touffe de poils pour le maintenir en place. Ce semblant d'altercation ne fit qu'ajouter un cran supplémentaire à la tension qui régnait déjà dans le hangar… Le repas n'avait apaisé la faim de personne, il l'avait même amplifiée…
Alors qu'il représentait normalement encore plus de source d'inquiétude, le départ nocturne fut accueilli très positivement. Aussi vite qu'ils étaient entrés, les rebelles ressortirent dès que le partisan défit le cadenas de la porte, se fondant dans l'obscurité de la nuit avec empressement. Cette fois, quelques étoiles éclairaient les rues, il était ainsi possible aux rebelles d'apercevoir l'homme de devant à une distance de marche plus normale. Ils avaient néanmoins l'impression de se déplacer sans avoir aucune idée de ce qui se trouvait devant eux. Newton avait été recouvert d'une couverture, ce qui masquait entièrement la lumière qu'il émettait. Il ne s'en trouvait que plus déstabilisé, lui qui avait toujours eu l'habitude de s'éclairer la nuit. Aussi, il gardait la tête haute et respirait bruyamment, de sorte à filtrer le plus possible les odeurs qui arrivaient à ses narines. La présence de Vassili le rassurait suffisamment pour qu'il ne s'enfuît pas au grand galop, pourtant, il avait du mal à conserver une allure régulière ; il piaffait par moments ou tirait son dresseur en accélérant brutalement. Eclair-de-Liberté gardait la tête collée contre la cuisse de son humain, position qui ne l'aidait pas à se déplacer aisément. A l'inverse, Terreur-des-Hommes et Vaillant-Rescapé restaient côte à côté, très détendus : la Migalos voyait assez bien dans l'obscurité et son ami lui faisait entièrement confiance pour le guider.
Quelques heures plus tard, la végétation recommença à nouveau à se densifier. Loin de se désoler d'en retourner à une progression difficile, les rebelles apprécièrent finalement ce retour à couvert. Ils cessaient enfin d'avoir l'impression d'être observés à chaque pas qu'ils faisaient, craignant moins de tomber nez à nez avec l'ennemi. Bientôt, ils ne tardèrent pas à demander une pause qui leur fut accordée. Arrivé en territoire potentiellement tenu par l'adversaire, la section devait se scinder. Pendant un temps, le colonel demanda à ce qu'on répartît les Pokémon dans chaque groupe, mais il abandonna l'idée en voyant leur réaction. Finalement, chaque chef de groupe prit ses compagnons habituels. Vaillant-Rescapé se retrouva à la tête des membres de son espèce, accompagné de Vassili, son frère, non séparé de sa garde et de deux membres de son fan-club : le président Denis et Gilles, un homme assez réservé.
Aussitôt que les groupes, d'une dizaine de personnes en moyenne, se furent perdus de vue, l'ambiance sembla tout à coup plus obscure. Les hommes marchaient de manière bien moins assurée. Puis, quelques centaines de mètres plus loin, Eclair-de-Liberté murmura, inquiet :
................- Vous sentez ? C'est des Pokémon, non ?
................- Je vais voir ! glissa Terreur-des-Hommes.
Elle disparut instantanément à travers les arbres, sans que personne ne remarquât son départ, pour ne pas inquiéter les humains. Il ne lui fallut que quelques instants pour réapparaître à côté de Vaillant-Rescapé, aussi vite qu'elle était partie. Elle eut à peine inspiré pour parler qu'un bruissement se répandit dans les feuilles. Dans la nuit, une ombre noire sauta sur Gilles qui s'effondra sous l'effet du choc.
Aussitôt, la panique se répandit dans les rangs, en même temps que les cris de Pokémon déchaînés résonnaient dans la nuit. Le groupe se fit assaillir de toutes parts. Les humains donnaient des coups de couteau dans le vide, alors que des attaques illuminaient quelques fractions de secondes la scène. Eclair-de-Liberté paniqua quelques secondes, rattrapé par son traumatisme du combat passé. Pourtant, il défendit sans hésiter son dresseur et dès qu'il eut utilisé sa première capacité, il sentit toute la rage déferler en lui. Pour la première fois depuis ce terrible jour, il se sentait enfin libéré ; son esprit n'était enfin plus tourmenté par ses horribles souvenirs.
L'Elecsprint se montrait particulièrement violent. Il arrachait sans hésiter toute la chair qu'il pouvait attraper, enfonçait violemment ses crocs à travers la peau, libérait des décharges surpuissantes. Il mettait en pratique tout l'art du combat que lui avait transmis Vaillant-Rescapé, sans se soucier de tuer un Pokémon d'un seul coup de mâchoire. Dans son coin, Vaillant-Rescapé se battait avec plus grande classe et élégance. Comme il l'avait implicitement promis à son supérieur, il ne restait pas en retrait, encore moins qu'il ne défendait les Pokémon. Cependant, il ne portait, dans la mesure du possible, aucun coup mortel. Il utilisait ses capacités comme en match, mettant K.O. ses adversaires, ce qui suffisait, à son sens, à remporter la victoire. Il ne quittait pas la compagnie de Terreur-des-Hommes, avec qui il formait un duo de choc, notamment pour déceler les adversaires.
Bientôt, un Sabelette fit son apparition, criant ordres et contre-ordres. Il exigeait qu'on trouvât rapidement l'Elecsprint et qu'on confirmât la présence des deux traîtres. Vaillant-Rescapé tenta de rester caché, mais il ne pouvait pas passer inaperçu. En trois bonds, le petit Pokémon sol se planta face à lui, accompagné d'un Doduo. Entre les deux, un Fouinar glissa prudemment la tête, avant de siffler :
................- Alors, je n'ai pas fait tout ce chemin pour rien… Les rumeurs étaient donc vraies, le Grand t'a vraiment mis la serre dessus, sale traître ! Depuis le temps que je le disais… Un Pokémon comme toi ne mérite pas de vivre, c'est pour cette unique raison que j'ai accompagné le Grand jusqu'ici.
................- Vaillant-Rescapé… reprit le Sabelette d'une voix plus amicale. Que fais-tu ici ? Fuis, abandonne ces humains qui ne pourront rien t'apporter. Il ne faut pas nous diviser. Je ne suis pas venu ici pour te tuer… Je voulais seulement découvrir qui était l'Elecsprint de la dernière fois... Mais toi, toi, tu es un grand guerrier depuis toujours dévoué à notre cause, si j'en crois ta réputation d'antan !
................- Ce que je souhaite n'a pas changé : nous devons garder notre liberté ! répondit Vaillant-Rescapé. Cependant, nous nous trompons en faisant la guerre aux humains sans aucune distinction… Nous avons tout à gagner à nous allier avec ceux-là, qui ne nous sont pas hostiles. Il faudrait faire négocier le Grand avec notre colonel, ils peuvent s'entendre. Je vous servirai volontiers d'interprète.
................- Ils t'ont monté la tête, reprit le Sabelette en arrêtant Malin-Fureteur d'un geste avant qu'il ne prît la parole à sa place. Je répète : il ne faut pas montrer des Pokémon divisés.
................- Je ne reviendrai pas sur ma décision, vous m'avez chassé, j'ai trouvé un moyen de continuer à me battre pour nous. Formons une grande alliance, je me répète moi aussi, la victoire sera facile.
................- Jamais nous ne nous souillerions à combattre pour des humains, ils ne nous utiliseront plus !
................- Alors allez-vous-en ! Laissez nous nous battre et combattez au moins le même ennemi de votre côté.
................- Non, je ne partirai pas ! Nous avons le dessus, nous ne devons pas perdre une occasion de montrer aux humains que nous sommes plus forts qu'eux. Ils ne pourront qu'accepter la suprématie des Pokémon après notre victoire.
................- Ne perdons surtout pas une occasion d'éliminer nos traitres, ajouta Malin-Fureteur d'un ton acide qui lui valut un regard réprobateur.
................- Tu ne comprends pas, il faut que nous soyons simplement alliés. Ils nous considèrent comme leurs camarades… Je ne veux pas avoir à vous tuer, mais je défendrai mes humains. Si vous ne voulez pas nous laisser, réglons au moins cette affaire entre nous.
................- Très bien, faisons un match, le vaincu s'en va. Si tu perds, n'oublie pas de prendre tes humains avec toi.
................- Tu n'en auras pas le loisir, car tu ne partiras pas, continua le Fouinar. Je ne te laisserai pas partir d'ici en vie !