« Il faut du temps
Pour aperçevoir une amie dans le miroir
Il faut du temps
Pour oser se voir sans se mentir et sans fard
Pour en arriver à se dire
Voilà comme je suis et en sourire »
Le miroir - Chimène BadiÀ leur arrivée à l'Arène, Blanche proposa aux deux adolescents la tasse de chocolat chaud contre laquelle Sandra les avait mis en garde. C'était une jeune femme de dix-huit ans, qui en paraissait douze grâce à sa coiffure de fillette, et qui portait un chemisier blanc avec une jupe courte et des chaussettes montantes, lui donnant presque l'air d'une écolière en uniforme.
Ils étaient rassemblés dans une pièce terriblement rose. La moquette, les rideaux, le papier peint, les fauteuils... Si Cassy ne connaissait pas encore cette friandise quelques heures plus tôt, elle avait désormais l'impression de se trouver au cœur d'une gigantesque barbe-à-papa. C'était écœurant, au même titre que la boisson que la Championne leur avait servie.
Seul Sylvain paraissait l'apprécier, à moins qu'il ne fasse semblant politesse. Cassy, elle, retenait sa respiration à chaque nouvelle gorgée, grimaçant lorsque ce goût édulcoré lui restait en bouche. Quand elle ne buvait pas, elle remuait machinalement le contenu de sa tasse, perdue dans ses pensées.
Elle ne cessait de se repasser mentalement la conversation qu'elle avait eue avec la voyante. Sylvain se trompait en prétendant qu'il s'agissait tous de charlatans. Même avant d'user de la projection astrale, cette femme avait deviné des choses troublantes à son propos.
Elle avait évoqué un but que Cassy poursuivait, à moins que ce ne soit l'inverse. Cela s'appliquait parfaitement aux meurtriers de sa famille. Elle avait quitté Sinnoh et sa ferme natale par le passé pour les traquer, or c'était maintenant elle qui était pourchassée et qui devait se cacher, notamment sous une fausse couleur de cheveux.
Ces prédictions n'étaient cependant rien comparées à ce qui s'était produit ensuite. La jeune fille continuait à s'interroger sur cet élément des plus incongrus, sans parvenir à lui donner un sens. Elle avait pourtant le sentiment que les facultés procurées par les glyphes étaient capitales.
- Tu es bien songeuse, remarqua Sylvain tandis que Sandra prenait congé de Blanche. Tout va bien ? Tu as radicalement changé d'attitude depuis que tu as mis les pieds dans la tente de cette diseuse de bonne aventure.
- Ce n'est rien. Elle m'a simplement dit des choses qui m'ont un peu chamboulée.
- Elle t'a annoncé des mauvaises nouvelles ?
- Pas vraiment. Elle a mentionné mon meilleur ami, mentit Cassy.
- Celui avec qui tu es plus ou moins en froid ? Pourquoi n'essayes-tu pas de discuter avec lui, au lieu de te torturer avec des voyantes plus que douteuses ?
- Je... C'est plus compliqué que ça en a l'air.
Ils attendaient dans la rue, devant l'Arène, que Sandra achève ses adieux avec Blanche et qu'elle les rejoigne enfin. Après la température surchauffée du petit salon de la Championne, ils grelottaient dans le froid de ce mois d'octobre, qui annonçait déjà l'hiver prochain.
- Et tu ne désires pas en parler, n'est-ce pas ? constata Sylvain. J'ai l'impression que tu éludes mes questions.
- Non, c'est juste que... C'est très dur pour moi d'aborder ce sujet. Nous avons longtemps été très liés, jusqu'au jour où quelque chose s'est mis entre nous. C'est alors que tout a basculé.
- Je vois... Il est tombé amoureux de toi, c'est ça ? À moins que ce ne soit l'inverse ?
- Absolument pas, répliqua Cassy d'un ton plus sec qu'elle l'aurait souhaité. Il n'y a jamais rien eu d'autre qu'une amitié sincère et indéfectible entre nous.
- Alors tu n'as pas à t'inquiéter. Si vous tenez autant l'un à l'autre, vous finirez par vous réconcilier, ça ne fait aucun doute.
L'adolescente ne répondit pas et fut heureuse de voir Sandra marcher jusqu'à eux, mettant ainsi un terme à une conversation sur laquelle elle ne tenait pas à s'appesantir. Il ne se passait pas un jour sans qu'elle songe à Régis et, comme elle demeurait sans aucune nouvelle de lui, son angoisse perdurait.
Alakazam et sa capacité Téléport les ramenèrent à Ébènelle en une fraction de seconde. Ils se matérialisèrent devant l'entrée privée de l'Arène, que la maîtresse des lieux déverrouilla pour leur permettre de pénétrer à l'intérieur. Comme l'après-midi touchait à sa fin, elle choisit de ne pas donner de travail à Cassy, non sans lui assurer qu'elle rattraperait le temps perdu dès le lendemain.
La jeune fille décida de profiter de son temps libre pour se rendre dans la bibliothèque. Elle doutait de trouver un ouvrage intitulé
Glyphes mystérieux : explication et mode d'emploi, mais elle espérait qu'étudier l'aiderait à se changer les idées. Son mal de crâne ne l'avait pas quittée depuis sa rencontre avec la voyante et le fait de réfléchir sans cesse ne l'aidait pas.
Sylvain la rejoignit, à son grand dam. Si elle appréciait sa compagnie, Cassy souhaitait pour l'instant être seule, et surtout ne pas avoir à faire la conversation. Elle se rassura cependant en constatant que, accaparé par sa thèse sur laquelle il était venu travailler, le Topdresseur ne se montrait pas plus loquace qu'elle.
Alors qu'elle observait les reliures des différents livres entreposés sur les étagères, l'une d'elles attira le regard de l'adolescente. Elle était noire, en cuir, et ne portait aucune inscription. Cassy s'en saisit. La couverture était aussi vierge que la tranche, aussi l'ouvrit-elle à la première page. Un message avait été calligraphié à la main, à l'encre d'un vert sombre.
Pour Sandra, en souvenir d'un combat mémorable.Il n'était signé que de la lettre « M », ce qui éveilla la curiosité de Cassy. Elle feuilleta l'ouvrage, pour découvrir qu'il s'agissait d'une sorte de grimoire. Intriguée, elle l'étudia plus avant. Et si c'était là-dedans qu'elle pouvait trouver les réponses à ses questions ? Elle déchanta bien vite en constatant que c'était plus un recueil de rituels et d'enchantements qu'une encyclopédie.
Cassy allait le refermer quand elle tourna la page d'un nouveau chapitre. Il était consacré aux diverses méthodes permettant d'entrer en contact avec quelqu'un. Plusieurs techniques étaient répertoriées, et certaines semblaient plus faciles à appliquer que d'autres.
Portée par l'enthousiasme, l'adolescente songea qu'elle tenait peut-être le moyen de s'adresser à Régis et de prendre de ses nouvelles, mais elle se ravisa. Malgré l'affection qu'elle portait à son meilleur ami, ce n'était pas à lui qu'elle avait le plus besoin de parler actuellement, mais à Lilith. Il n'y avait qu'elle qui pourrait l'éclairer sur les événements survenus à Doublonville.
Cassy cala le livre sous son bras et repoussa sa chaise. Si elle voulait se lancer dans un rite ésotérique, il valait mieux qu'elle soit seule. Tandis qu'elle se dirigeait vers la porte, Sylvain se détourna de son calepin pour s'enquérir :
- Où vas-tu ?
- Dans ma chambre. J'ai... quelque chose à faire.
- Tu ne devrais pas rester toute seule si tu n'as pas le moral, déclara-t-il avec gravité. Ce n'est pas sain, tu risques de te morfondre encore plus. Il ne faut pas que tu te laisses abattre.
Cassy leva les yeux au ciel, se flagellant intérieurement pour avoir eu l'idée de justifier son désarroi en évoquant son meilleur ami. Elle aurait mieux fait de s'abstenir, car Sylvain semblait déterminé à ne plus la laisser tranquille alors qu'elle n'aspirait qu'à cela.
- Je vais bien, lâcha-t-elle. J'ai été un peu remuée sur le moment, mais c'est terminé.
- Écoute... Je sens bien que ce n'est pas facile pour toi de te confier, mais si tu veux me parler, je...
- Non, je ne veux pas. Tu es très gentil, Sylvain, mais tout ce dont j'ai besoin, c'est que tu arrêtes de me relancer à ce sujet. Je t'ai dit que j'allais bien et je le pense réellement. Il n'y a pas de quoi en faire tout une histoire.
Le ton employé par Cassy trahissait son agacement et, l'espace d'une seconde, elle s'en voulut de s'être montrée aussi désagréable alors que son ami essayait juste de la réconforter, mais c'était plus fort qu'elle. Elle avait trop de choses en tête et un secret à préserver. Sans accorder à Sylvain le temps de réagir, elle tourna les talons et quitta la bibliothèque.
Quatre à quatre, elle gravit les marches jusqu'à l'étage et avala la distance qui la séparait de sa chambre. Après avoir refermé la porte derrière elle, elle traversa la pièce pour déposer le livre qu'elle avait emporté avec elle sur son bureau. Tandis qu'elle tirait la chaise pour s'asseoir, elle fut interpelée par ce qu'elle aperçut sur son lit.
Un paquet était posé à plat au centre du matelas. Cassy l'observa attentivement. Elle l'avait vu entre les mains de Sandra, à Doublonville, et avait songé qu'elle avait fait elle aussi quelques emplettes avant de rejoindre Blanche à l'Arène. Piquée par la curiosité, elle l'examina. L'emballage était plutôt léger et ne portait aucune inscription. N'y tenant plus, elle le déchira.
- Oh !
Une nouvelle tenue s'offrit à ses yeux, et pas n'importe laquelle. C'était une combinaison, semblable à celles que Sandra portait au quotidien. D'un bleu violacé, elle possédait des manches bouffantes qui dénudaient les épaules et presque tout le reste des bras. Une paire de cuissardes et de longs gants synthétiques l'accompagnaient, ainsi qu'une attache argentée pour nouer les cheveux.
- Parce que rien n'est plus énervant qu'une mèche dans les yeux, commenta une voix qui la fit sursauter.
Accaparée par la découverte de l'habit, Cassy n'avait pas entendu la porte de sa chambre être rouverte. Sandra se tenait dans l'encadrement, nonchalamment appuyée contre le chambranle. Elle souriait, ce qui lui arrivait de plus en plus fréquemment depuis qu'elles avaient fait la paix. Les joues de l'adolescente se teintèrent de rose, pendant que la Championne poursuivait :
- J'espère que la taille conviendra. Il aurait été préférable d'avoir tes mesures, mais j'ai dû me contenter de celle de tes vêtements, sans quoi ça aurait gâché la surprise.
- Elle est magnifique, mais que me vaut l'honneur d'un tel cadeau ?
- Tous les dracologues qui se respectent portent une combinaison digne de ce nom, or ce n'était pas dans les boutiques de Doublonville que tu en trouverais une. Je fais fabriquer les miennes par un tailleur installé sur l'Île du Lys, à Sinnoh. Je lui ai donc passé commande par visiophone et il s'est arrangé pour faire livrer le colis chez Blanche, aujourd'hui, afin que je puisse le récupérer. Je craignais qu'il ne soit pas prêt à temps, mais cet homme est un professionnel remarquable. Bon..., ajouta Sandra en frappant dans ses mains. Qu'attends-tu pour l'essayer ?
Le fait de recevoir des mains de la Championne un présent d'une telle valeur mettait Cassy mal à l'aise, tout en la comblant de joie. Elle ne se le fit pas répéter et se précipita dans la salle de bain, à l'intérieur de laquelle elle s'enferma. Tandis qu'elle troquait ses affaires contre sa nouvelle tenue, elle admirait sa qualité. Celui qui l'avait conçue avait effectivement réalisé un excellent travail.
Sandra avait évoqué l'Île du Lys, et l'adolescente esquissa un sourire. Elle songea à l'habit que Cynthia avait fait confectionner pour Léa avant son premier Concours et dans lequel elle ressemblait tant à une plante. Elle aurait volontiers parié que la Championne de Sinnoh s'était adressée au même tailleur que la dracologue.
Cassy constata avec bonheur que ses gants dissimulaient son glyphe. Tant qu'elle les porterait, elle n'aurait pas à s'en préoccuper, elle qui veillait constamment à ce que personne ne la découvre. Elle rassembla ses cheveux sur l'arrière de son crâne, les fixa pour former un chignon, puis enfila les cuissardes souples qui s'élevaient jusqu'au-dessus de ses genoux.
Avant de quitter la pièce pour retrouver Sandra, elle s'accorda un instant pour se mirer dans la glace. Tout comme Léa, elle avait le sentiment de porter sur elle le type auquel elle était associée. Ce n'était pas pour autant que son symbole réagissait, contrairement à celui de la voyante.
Cassy songea à son ancienne camarade de classe. Y avait-il eu du changement, de son côté ? Avait-elle développé une faculté quelconque ? Pourquoi ces symboles ne fonctionnaient-ils pas de la même manière pour chacun de leurs propriétaires ? Et surtout, que cachaient-ils vraiment ?
Elle soupira, secoua la tête pour tenter de recouvrer un visage impassible, puis se détourna du miroir dans lequel elle se contemplait. La main sur la poignée de la porte, elle prit une profonde inspiration et ouvrit. Sandra l'attendait, impatiente de découvrir à quel point sa nouvelle tenue lui seyait bien.