« My future is overrated
Watch my mind explode
Into a thousand pieces
Come quickly »
Indian Rope Trick - YohannaCassy s'arrêta devant une tente aux draperies colorées. La plupart étaient violettes, mais quelques-unes possédaient une teinte jaune vif qui contrastait avec les autres. Une ouverture était à peine visible dans cet enchevêtrement de tissu, car du velours épais la dissimulait. L'adolescente le souleva pour pénétrer à l'intérieur.
L'atmosphère étouffante la happa aussitôt, rendant sa respiration difficile. Il faisait terriblement chaud et une forte odeur d'encens flottait dans l'air, entêtante au point de lui donner la migraine. Cassy eut peur de se sentir mal, en dépit de quoi elle rabattit le pan de l'entrée derrière elle.
Une boule de cristal s'illumina au centre de l'espace, auréolant les parois d'un nimbe blanc aux nuances bleutées. La jeune fille fronça les sourcils, se demandant qu'est-ce qui l'avait poussée à entrer ici. Pourquoi son instinct l'avait-il inexorablement conduite vers l'étrange stand d'une voyante ?
Une gitane était assise de l'autre côté d'un guéridon recouvert par une nappe pourpre. Malgré la pénombre, Cassy put observer sa silhouette corpulente et le turban qui ornait sa tête, duquel s'échappaient des mèches plus noires que la nuit la plus sombre. Sa peau mate était mise en valeur par le haut blanc, fermé par des lacets, qu'elle portait. Sa jupe, quant à elle, était magenta.
- Installez-vous, je vous en prie, invita-t-elle d'une voix à la gravité insoupçonnée.
- Je ne suis pas certaine de... Je ne sais pas... Je ferai mieux de... bredouilla Cassy.
La diseuse de bonne aventure la fixait de son regard brun pénétrant, comme si elle tentait de lire dans ses pensées. Faisant fi de ses réticences, l'adolescente prit place sur un tabouret branlant. Au même moment, un Meditikka la fit sursauter en surgissant de nulle part pour s'installer sur la table et prendre la boule de cristal sur ses genoux. La situation devenait presque angoissante.
- Je vois un lourd passé, murmura la femme qui paraissait en transe. De la colère... Non, plutôt de la rancœur. Il y a un but, mais est-ce toi qui le poursuis ? Ou l'inverse ? Tu ignores qui tu es vraiment, pas plus que tu ne sais quelle est ta place en ce bas monde. Tu vagabondes à la recherche de ton identité.
Au Bourg-Palette, Sacha ne manquait jamais une occasion de lire son horoscope, et Régis avait expliqué à Cassy ce dont il s'agissait, affirmant qu'il n'y avait rien de plus sot d'un point de vue scientifique que des prédictions astrologiques hasardeuses. Contaminé par son scepticisme, elle n'avait jamais cru à ces racontars.
Ce que cette voyante lui disait avait cependant de quoi la rendre méfiante. Était-elle simplement chanceuse ou distinguait-elle tout cela à travers Cassy ? Cette pensée suffit à la faire frissonner. Si elle pouvait voir cela, alors que pouvait-elle découvrir d'autre ? De la brume flottait dans la boule de cristal, qui émettait un léger sifflement. Tout ceci mettait l'adolescente mal à l'aise.
- Je vois des femmes autour de toi. Elles occupent ou occuperont une place majeure dans ta vie, certaines guides, d'autres piliers. Elles comptent énormément pour toi. L'une d'elles en particulier semble omniprésente. Elle hante ton esprit. Vous êtes à la fois si différentes, et pourtant identiques... Elle est source de savoir, mais aussi de nombreux maux. Elle attend autant de toi que tu attends d'elle.
Cassy déglutit péniblement pendant que la voyante posait ses paumes au contact de la boule de cristal. Son corps s'arqua et sa tête s'affaissa brutalement, comme si elle avait été prise d'un malaise ou d'un assoupissement soudain. Par réflexe, la jeune fille tendit une main dans sa direction pour la secouer un peu.
Son bras retomba mollement sur la table. Il semblait vide de force. Le reste de ses muscles ne tardèrent pas à l'imiter et elle tomba de son siège pour s'écraser par terre, sur le flanc, incapable de se relever. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, mais elle sentait la réalité s'effondrer lentement autour d'elle.
Tout devint noir, tandis que Cassy plongeait dans un songe étrange. Elle ne se trouvait pas dans les limbes, et Lilith était absente. Seule la voix lointaine de la bohémienne lui parvenait par bribes. Les ténèbres laissèrent soudain place à des tourbillons multicolores, à dominance rose. Prise de panique, l'adolescente chercha un moyen de s'arracher à cette illusion, en vain.
- Quel est ce secret que tu caches, jeune fille ? demanda la voyante.
- Je... Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
- Tu mens. Dis-moi la vérité.
- Ah !
Cassy poussa un hurlement de douleur. Elle avait l'impression que sa tête allait exploser d'une seconde à l'autre tant elle lui faisait mal, comme si des ongles lacéraient son cerveau. Elle se concentra, tentant de repousser l'esprit de la gitane qui opprimait le sien. Comme son timbre s'affaiblissait progressivement, elle pensa qu'elle était sur le point de se libérer.
Lorsqu'elle revint à elle, Cassy était étendue sur un tapis moelleux, les yeux rivés sur la voûte en toile de la tente. Elle était haletante et couverte de sueur, ainsi que cela avait été le cas lors de ses derniers échanges avec Lilith. La voyante la dominait de toute sa hauteur et ne paraissait pas éprouvée, contrairement à sa victime.
Elle lui offrit sa main pour l'aider à se redresser, mais l'adolescente hésita à s'en saisir. Cette femme ne lui inspirait pas confiance, à juste titre. Constatant qu'elle hésitait, la gitane l'empoigna de force par le bras, mais au lieu de la décoller du sol, elle retroussa sa manche pour dévoiler la marque du dragon.
Cassy se débattit, mais c'était peine perdue. Grâce à sa solide corpulence, l'autre était assez robuste pour la retenir aussi longtemps qu'elle le désirerait. Que voulait-elle ? Comment avait-elle deviné pour son glyphe ? Que prévoyait-elle de lui faire ? Était-elle de connivence avec ceux qui la traquaient ? Comment la jeune fille allait-elle se tirer de cette situation ? Sylvain interviendrait-il si elle tardait à reparaître ?
- Qu'est-ce que c'est ? aboya la bohémienne en la secouant avec virulence. Dis-moi ce que tu sais !
- Rien du tout, mentit Cassy. Juste une cicatrice que je dois à la brûlure d'un Magby.
- Les Magby ne laissent pas de telles traces. Parle ! Depuis quand possèdes-tu ce symbole ? Que signifie-t-il ?
L'adolescente réussit tant bien que mal à asséner un coup de pied à son agresseuse, ce qui lui coupa le souffle. Elle en profita pour se soustraire à elle et recula précipitamment en s'aidant de ses mains et de ses pieds, car elle était toujours à terre. La gitane l'y rejoignit en se tenant les côtes.
- Attends ! souffla-t-elle laborieusement. Je suis désolée, je ne voulais pas te faire peur. Je suis obsédée par cette marque depuis que...
À défaut de trouver les mots adéquats, la voyante arracha brutalement le turban qu'elle portait et repoussa les cheveux qui lui tombèrent devant le visage pour dévoiler son front, orné d'un cercle. Cassy l'identifia aussitôt comme le symbole du type psy. Recouvrant un peu de sang-froid, elle fusilla la femme du regard et aboya d'un ton qui aurait sans doute satisfait Sandra :
- Et vous ? Que savez-vous ?
- Rien, confessa la gitane, penaude. C'est pour cette raison que je me suis montrée si agressive. Je souhaite vraiment obtenir des réponses. Depuis que cette chose est apparue, je... je ne suis plus moi-même.
- Comment est-ce arrivé ? interrogea Cassy. Vous avez été attaquée par un pokémon ?
- Pas exactement. C'était il y a quatre mois, environ. Je me suis blessée à la main avec un couteau de cuisine et je perdais beaucoup de sang. Meditikka a utilisé sa capacité Soin afin de me guérir. La chair s'est refermée, laissant une cicatrice. Quand j'ai ouvert l'armoire à pharmacie pour chercher de la pommade, j'ai tout de suite remarqué ce dessin. Je sais qu'il représente le type psy tel qu'il est gravé sur la sainte relique du Tout-Puissant, mais ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi il est là.
- Je ne peux vous répondre avec précision, mais je sais qu'il n'y a aucune explication logique ou scientifique à tout ça. C'est de la magie. Dix-sept glyphes, représentant les dix-sept types d'Arceus, sont destinés à apparaître. J'ignore encore dans quel but, ce qu'ils signifient réellement et surtout à quoi ils peuvent servir.
- À nous transmettre des pouvoirs, murmura la voyante.
- Comment ? Qu'avez-vous dit ?
- Depuis que je porte ce symbole, j'ai... certaines capacités dont je ne disposais pas avant. Je ne suis pas un imposteur, j'ai toujours eu un don pour scruter l'avenir et, parfois, j'ai des visions. Ce que je suis en mesure de faire grâce à ce glyphe, cependant, ça n'a rien à voir.
- Qu'entendez-vous par là ? s'enquit précipitamment Cassy. Quelles sont vos facultés ?
- Ce que je t'ai infligé tout à l'heure, dans ta tête... C'est l'œuvre d'un don qui est apparu en même temps que cette marque. C'est une sorte de projection astrale. Mon esprit se détache de mon corps pour pouvoir pénétrer celui d'une autre personne, mais comme elle a instinctivement tendance à résister, c'est très douloureux pour elle.
- Vous êtes entrée... à l'intérieur... de mon crâne ?
Cassy n'en croyait pas ses oreilles, et pourtant... Elle songea à l'état dans lequel elle se trouvait au moment de reprendre conscience. La respiration saccadée, le corps moite, les muscles cotonneux... Elle était plus épuisée qu'après avoir couru un marathon et elle avait surtout mal à la tête, ce qui ne s'était d'ailleurs pas encore estompé. Était-il possible que les glyphes procurent à ceux qui les portent la capacité de se dématérialiser ?
Dans ce cas, pourquoi Lilith lui avait-elle raconté toute cette histoire à propos du venin de son Séviper ? Et pourquoi leurs échanges n'étaient devenus vraiment pénible qu'après plusieurs conversations ? Force était d'admettre que sa méthode de communication était différente de celle de la gitane, malgré quelques similitudes.
- Je possède un glyphe depuis plus longtemps que vous, indiqua Cassy. Pourquoi n'ai-je pas développé ce talent ?
À sa connaissance, les autres non plus. Léa n'avait révélé aucun don particulier, en dépit des types plante qui composaient son équipe, et si cela avait été le cas de Sven, il aurait probablement cessé de prendre son glyphe pour une cicatrice. Qu'en était-il de Lilith, en revanche ? Lui avait-elle volontairement tu cette information ?
- C'est peut-être en lien avec mes facultés de voyante, supposa la femme. Le type psy se rapporte à l'esprit. Si ça se trouve, ce symbole n'a fait qu'accroître des aptitudes psychiques que je possède déjà naturellement.
- Comment avez-vous découvert la... projection astrale ? questionna Cassy en butant sur le mot.
- J'étais avec une cliente tout ce qu'il y a de plus ordinaire et, comme toujours, Meditikka a utilisé ses pouvoirs pour faire léviter ma boule de cristal. Au moment de poser les mains dessus, je me suis retrouvée projetée hors de mon corps. Devenue immatérielle, je pouvais me voir, profondément assoupie. J'ai poussé l'expérience à son paroxysme en pénétrant dans l'esprit de cette femme. Je me suis ensuite exercée avec d'autres visiteurs, jusqu'à maîtriser parfaitement la technique, puis j'y ai renoncé, car mes clients ressortaient de ma tente échevelés, ce qui n'est pas bon pour mon commerce. Je n'emploie désormais plus la projection astrale qu'en de rares occasions.
Cassy fronça les sourcils de concentration, réfléchissant à la situation. Les glyphes offraient-ils vraiment de tels pouvoirs à leurs porteurs ? Dans ce cas, pourquoi ni Léa ni elle et sans doute ni Sven n'en avaient encore fait l'expérience ? Et surtout, en quoi cela leur était utile ?
Si seulement elle pouvait s'adresser à Lilith... Elle lui aurait posé la question et la Première aurait peut-être enfin consenti à lui accorder quelques éléments de réponse. Étaient-ils des sortes d'hybrides ? Des Gijinkas inversés, en quelque sorte, humains avec ses capacités pokémon ?
- Qu'est-ce que tu en penses ? insista la voyante, l'arrachant à ses réflexions.
- Je l'ignore. Tout ce dont je suis sûre, c'est que vous devez garder le secret, décréta Cassy avec le plus grand sérieux. Je ne sais pas pourquoi ni comment vous avez obtenu ce don, mais si des personnes malintentionnées le découvrent, elles pourraient vouloir s'en emparer. Moins de gens seront au courant et plus vous serez en sécurité.
- Tu es la première à qui j'ai révélé tout ça.
- Faites en sorte que je sois la seule, dans ce cas. Et d'ailleurs, vous ne m'avez jamais vue, d'accord ? Nous ne nous sommes pas rencontrées, je ne porte pas de glyphe et nous n'avons pas discuté du vôtre. Croyez-moi, ça vaut mieux pour nous deux.
- Je serai une tombe.
Cassy remercia la femme d'un bref signe de tête, puis secoua ses habits, poussiéreux par endroits à cause de la saleté qu'ils avaient essuyé sur le tapis. Sylvain l'attendait probablement au-dehors et elle ne voulait pas attirer son attention sur un détail anormal. Après avoir jeté un dernier regard à la gitane, elle quitta la tente.
Elle retrouva son ami devant un stand de pinces à Poké-poupée, contre lequel il fulminait. Son grappin avait lâché sa prise à mi-chemin de la sortie pour la troisième fois consécutive. Il s'arracha à son activité lorsqu'il aperçut du coin de l'œil Cassy qui marchait à sa rencontre.
- Tu as été longue, commenta Sylvain. Je commençais à m'inquiéter. Il ne faut pas faire confiance aux diseuses de bonne aventure, tu sais. Ce sont toutes des mythomanes qui inventeraient n'importe quel mensonge pour te soutirer de l'argent.
- Celle-ci ne faisait pas exception à la règle, répondit Cassy en se forçant à esquisser un sourire. Et si nous partions, à présent ? Je crois que la fête foraine, aussi amusante soit-elle, commence à me donner un peu mal au crâne, avec toute cette agitation.
- Voilà qui explique pourquoi tu me parais soudain aussi pâle. Vos désirs sont des ordres, miss. Allons retrouver Sandra à l'Arène de Blanche.
Le Topdresseur lui offrit galamment son bras, auquel l'adolescente s'accrocha. Ils quittèrent la foire, laissant derrière eux le bruit et la foule. Cassy aurait voulu qu'il en soit de même pour ses nouvelles préoccupations, mais elles étaient parties pour rejoindre l'interminable liste des questions auxquelles elle avait désespérément besoin de réponses.