« On a tous au fond du cœur des choses qui traînent
Un truc qui nous fait du mal, qui nous entraîne
On voudrait se sentir fort, pousser des ailes
On voudrait crier plus fort, briser nos chaînes »
Chante - Louisy JosephCassy et Sven n'échangèrent pas un mot tandis qu'il la menait au nord d'Azuria, à proximité d'un lieu nommé la Caverne Azurée. C'était là où le jeune homme avait installé Galopa pour la nuit. Il n'avait pas eu besoin de le faire rentrer dans la grotte : son pourtour comportait de nombreux renforcements et il avait attaché le cheval de feu dans l'un d'eux. C'était étroit, mais un petit tapis d'herbe verte lui avait permis de se nourrir copieusement.
- Bon..., déclara Sven pendant que Cassy suspendait ses affaires à sa selle. Je suppose que nous nous reverrons. Nous nous revoyons toujours.
Elle acquiesça, sans réellement prêter attention à ses paroles. Elle avait toujours l'esprit accaparé par Lilith et les nouvelles découvertes qu'elle avait faites à son sujet. Elle avait le sentiment d'être dépassée, voire oppressée, et cela ne lui plaisait guère. Un profond malaise s'était emparé d'elle depuis qu'elle avait écouté Sven lui parler de cette femme.
Elle lui avait sauvé la vie, mais à quel prix ? Cassy savait qu'elle avait une dette tacite envers elle, or qui souhaiterait être redevable envers une démone ? Cette idée la fit frissonner, et ce fut à peine si elle sentit la bouche de Sven se poser sur la sienne, après qu'il lui eut souhaité bonne chance.
Elle réussit à se reprendre au moment de se mettre en selle et lui adressa un signe de la main, qu'il lui rendit. Elle talonna ensuite son Galopa et, à défaut d'avoir une destination précise en tête, elle se dirigea vers l'est. Pour l'heure, l'important était de mettre le plus d'écart entre le Bourg-Palette et elle.
Tandis qu'elle cheminait, elle envisagea de se rendre à Carmin-sur-Mer, en faisant un crochet par Lavanville et les routes moins pratiquées qui y conduisaient plutôt que de traverser Safrania, la capitale de Kanto. Elle avait emporté de l'argent liquide avec elle et elle avait amplement de quoi se payer un trajet en bateau. Hoenn lui apparut comme une évidence, une région beaucoup plus éloignée que Sinnoh, dans laquelle elle n'avait jamais mis les pieds et où elle n'avait aucune attache.
Cassy suivait la rivière qui s'écoulait au nord d'Azuria lorsqu'elle aperçut un plan sauvage de baies Chérim. Elle n'avait pas très faim, d'autant qu'elle avait pris de la nourriture pour la suite de son voyage dans le garde-manger de Sven avant de partir, avec son accord, mais ce n'était pas avec gourmandise qu'elle les regardait. Une idée venait de lui traverser la tête.
Pendant un temps, ses parents avaient cultivé cette variété de fruits à la ferme. Ils étaient mous et sucrés, ce qui les rendait particulièrement agréables au goût, mais leur principal défaut était d'être particulièrement salissants. Leur jus teintait les mains d'une couleur orangée, qui mettait souvent plusieurs jours à disparaître, même en se les lavant régulièrement, avec une généreuse quantité de savon.
Ce n'était pas sa peau que Cassy avait l'intention de colorer, mais ses cheveux. Elle les avait coupés en quittant Sinnoh et sa ferme natale, mais à présent, elle devait procéder à un changement plus radical encore. Grâce à ces baies, elle pourrait roussir ses boucles noires, au moins jusqu'à ce qu'elle se procure une teinture de meilleure qualité.
Elle retira son chemisier blanc et le collier offert par Régis pour son anniversaire afin de ne pas les salir, puis, armée d'une pierre, elle entreprit de broyer les fruits sur les feuilles d'arbre les plus épaisses qu'elle avait réussi à trouver. Quelques-unes se déchirèrent, mais elle parvint à obtenir assez de pulpe pour l'appliquer à ses cheveux.
Agenouillée au-dessus de la rivière, elle entreprit de masser son crâne jusqu'à la pointe des racines et prit garde à ne pas oublier une seule mèche. Quand elle eut terminé, elle plongea la tête dans l'eau glacée, qui lui arracha un frisson. Les extraits de baies furent nettoyés, mais la teinte orangée demeura.
Cassy observa son reflet à travers la surface. Elle était loin de la couleur rousse qu'elle souhaitait obtenir, mais c'était toujours mieux que rien. Elle-même avait du mal à se reconnaître avec cette nuance si différente du noir ébène qu'elle avait toujours arboré. Après avoir changé d'identité, voilà qu'elle changeait de tête.
Elle fit tremper longuement ses mains dans la rivière, car elle n'avait pas pu échapper à leur coloration. Elle savait qu'elles ne reviendraient pas si facilement, mais elle les garda tout de même enfoncées dans l'eau durant d'interminables minutes. Elle finit même par ne plus les sentir, tant le froid les engourdissait.
Quand elle les sortit enfin, il lui fallut patienter avant de pouvoir recommencer à bouger les doigts et ainsi boutonner son chemisier. Elle y parvint maladroitement. Elle sortit ensuite son collier de la poche dans laquelle elle l'avait rangé, pour ne pas risquer de le perdre, mais ne l'attacha pas immédiatement à son cou.
Elle l'observa en laissant échapper un soupir mélancolique et dut refouler les larmes qui faisaient briller ses yeux. Elle était terriblement inquiète pour Régis, ainsi que pour le professeur Chen. Elle aurait volontiers céder tout l'or du monde pour avoir ne serait-ce que de leurs nouvelles.
Comme si son chagrin n'était pas assez intense, Cassy songea également à Léa. Était-elle toujours à Sinnoh ? Cynthia veillait-elle encore sur elle ? L'adolescente osait croire que oui, mais cela suffirait-il ? Elle connaissait la réputation de la Championne et ses compétences en tant que dresseuse, mais il était question d'assassins. De gens prêts à tout pour parvenir à leur fin et qui, à la vue de l'hélicoptère avec lequel ils avaient traqué Cassy, ne manquaient visiblement pas de moyens.
La jeune fille secoua la tête. Dire qu'elle les avait tous mis en danger... Comment pourrait-elle se le pardonner ? Et eux ? Le lui pardonneraient-ils ? Le professeur Chen était sans doute furieux, après ce qui s'était passé l'autre nuit, à condition bien sûr qu'il soit toujours en vie pour lui en vouloir.
Cassy n'était pas seulement en danger : elle le semait dans son sillage. Qui savait si elle n'avait pas fait de Régis une cible et qu'elle ne l'avait pas condamné, tout comme elle, à devoir fuir pour sauver sa vie ? L'incertitude la rongeait et c'était encore pire que tout. Elle imaginait des scénarios plus horribles les uns que les autres.
Malgré ses efforts pour réfréner sa peine, Cassy sentit ses pleurs s'écouler le long de ses joues. Elle les essuya du revers de la main qui tenait son pendentif, puis le fit tourner entre ses doigts tremblants. C'était tout ce qu'il lui restait de Régis, désormais. Ce collier et ses souvenirs. Elle referma son poing sur le bijou et le pressa contre sa poitrine.
« Tu portes le glyphe du dragon. Deviens ce dragon. »
Cassy sursauta. L'espace d'un instant, elle eut peur de s'être assoupie, mais elle était parfaitement réveillée. Ce n'était pas un cauchemar. Il s'agissait d'une simple réminiscence des paroles que Lilith avait prononcées avant de contribuer à sa fuite du laboratoire.
Cassy écarta doucement les doigts et la chaîne se faufila entre son pouce et son index pour pendre dans le vide. Le pendentif en forme de dragon était toujours là, au creux de sa paume. Elle l'étudia encore un long moment, tâchant de mettre de côté les regrets qu'il lui inspirait pour aller à l'essentiel.
Devenir le dragon ? Comment ? Seule, elle avait le sentiment qu'elle n'y arriverait pas. Jusqu'à présent, elle avait toujours pu compter sur Régis et sur Cynthia, mais à présent, elle ne pouvait plus se reposer que sur elle-même. Elle était incapable de se métamorphoser de la sorte, malgré toute la volonté dont elle était prête à faire preuve.
En dépit de la crainte que Lilith lui inspirait de plus en plus, Cassy se surprit à se demander ce qu'elle lui dirait, en cet instant. Sans doute qu'elle était idiote, ou qu'elle ne réfléchissait pas assez. Était-ce vraiment si évident que cela ? L'adolescente baissa une nouvelle fois les yeux sur le collier.
Bien sûr que oui ! Cassy secoua la tête, affligée par sa propre stupidité. Comment avait-elle pu ne pas y songer avant ? Tout était là, juste sous son nez. Il n'y avait pas besoin de chercher plus loin, et pourtant elle avait été incapable de s'en rendre compte. Pour un peu, elle se serait giflée.
C'était une métaphore. Elle ne devait pas devenir un dragon au sens littéral, ou même moral, mais simplement une dresseuse spécialisée. Une dracologue, selon l'expression adéquate. Et qui était le dracologue le plus célèbre dont elle ait entendu parler jusqu'à présent ? Peter Lance, le Maître de Johto.
Cassy n'était pas folle, elle ne pouvait pas se présenter au Plateau Indigo pour réclamer une entrevue avec le Champion, mais déjà, une idée germait dans son esprit, tandis qu'elle rassemblait toutes les connaissances dont elle disposait à son sujet. Elle savait qu'il était originaire d'Ébènelle, et que c'était sa cousine Sandra qui dirigeait l'Arène.
C'était là-bas que Cassy devait aller. Si elle parvenait à trouver les mots justes pour s'adresser à la jeune femme, elle parviendrait peut-être à la convaincre de la mettre en relation avec Peter. Elle ignorait encore ce qu'elle pourrait dire, mais c'était son seul plan, aussi ne devait-elle pas se laisser décourager par des détails.
Ébènelle était une petite ville située au nord de Johto, à flanc de montagne. Lorsque Cassy songea à la manière dont elle allait s'y rendre, elle déchanta rapidement. Le moyen le plus simple et le plus rapide pour gagner la région voisine était de passer par Jadielle, car une route traversait la frontière, or cela nécessitait de revenir sur ses pas.
Elle s'accorda quelques minutes de réflexion, évaluant ce qui était le moins risqué. Elle pouvait continuer à suivre sa première idée, qui consistait à rejoindre Carmin-sur-Mer pour embarquer à bord d'un bateau, mais en partance pour Johto et non pour Hoenn. À moins de se résoudre à faire demi-tour, malgré le danger.
En agissant de la sorte, elle risquait fort de se jeter entre les griffes de ses poursuivants. Ils la guettaient peut-être quelque part, s'attendant à la voir revenir au Bourg-Palette. Ou ils avaient fini par comprendre qu'elle avait réussi à leur échapper et ils écumaient maintenant le reste du territoire, auquel cas le voyage jusqu'à Carmin-sur-Mer s'annoncerait tout aussi périlleux.
Cassy hésita un long moment, soupesant le pour et le contre. Tout comme le jour où elle s'était enfuie du Centre Pokémon de Mérolia, deux ans plus tôt, elle avait le sentiment de tenir son destin entre ses mains et de le jouer avec audace. Oserait-elle recommencer ? Aurait-elle la même chance, cette fois-ci ?
Le visage de Régis, familier et rayonnant, se matérialisa dans son esprit. Il réussit à lui arracher un sourire et un sanglot dans le même temps, avant qu'elle se ressaisisse. Elle n'était partie que depuis trois jours, or elle ressentait déjà le vide que son absence provoquait en elle. En dépit de la distance qui s'était instaurée entre eux au cours des dernières semaines, Cassy ne pouvait nier qu'il faisait partie d'elle.
Sans lui, elle n'avait plus rien à perdre. Ce fut ce qui la motiva. Elle serra une nouvelle fois son collier entre ses doigts, une lueur déterminée dans le regard. Après tout, les dragons étaient vifs, impétueux et téméraires. Pourquoi pas elle ? Elle mit le pied à l'étrier et passa sa jambe par-dessus le dos de Galopa.
- En avant, mon brave, ordonna-t-elle. Cap sur le Mont Sélénite et Argenta ! Nous allons à Johto.
Son pokémon poussa un hennissement, puis effectua sa première foulée dans un galop moyen. Cassy avait l'impression de sentir l'assurance s'emparer d'elle, la conviction qu'elle réussirait coûte que coûte. Même la montagne dans laquelle elle s'était perdue la veille ne l'effrayait pas. Elle retrouverait son chemin, et elle le tracerait jusqu'à Ébènelle.