« Tout n'est pas comme dans un rêve
Comme on croit tout feu tout flamme
Tous les voiles un jour se lèvent
Car tout se fane
Et tout s'achève »
Tout est éphémère - CléopatreCassy garda pour elle la conversation qu'elle avait eue avec sa mystérieuse interlocutrice onirique. Elle venait juste de renoncer à son enquête et elle n'avait pas l'intention de se jeter sur le premier semblant d'information venu. Elle ne faisait pas confiance à cette femme, dont elle n'était même pas certaine de l'existence.
Qui qu'elle soit, elle ne revint plus la hanter, par la suite. Cassy en arriva à la conclusion qu'il ne s'agissait que d'une manifestation de son esprit, d'un personnage créé de toutes pièces par son inconscient. Elle s'était en quelque sorte encouragée elle-même, puis s'était reproché de baisser les bras, avant de retrouver la paix.
Comme la jeune fille l'espérait en revenant au Bourg-Palette, sa vie reprit un cours parfaitement normal. Oubliés les glyphes, les plaques d'Arceus et les assassins de sa famille qui couraient toujours. Elle ne pensait à rien d'autre qu'à son travail, et à la façon de l'accomplir de mieux possible.
Régis se vit proposer un poste par le Musée d'Argenta, qui désirait mener des recherches sur les créatures préhistoriques. Il partageait son temps entre l'établissement et le laboratoire, ce qui permit à Émilien d'hériter de la plupart de ses autres travaux. Cassy, quant à elle, prenait soin des pokémon, de plus en plus nombreux, en bonne éleveuse qu'elle était.
Plus d'une année s'écoula, en toute tranquillité. Le jour de son dix-septième anniversaire, l'adolescente obtint du professeur Chen un jour de congé, ainsi que l'autorisation d'organiser une petite fête. Tôt le matin, elle partit pour Jadielle à dos de Galopa. Elle avait l'intention de réaliser quelques emplettes avant de rejoindre Régis à Argenta.
Dans un supermarché, elle acheta tous les ingrédients nécessaires pour préparer un délicieux gâteau, ainsi que quelques décorations colorées pour ajouter de la couleur. Même si cela lui serrait le cœur, elle souhaitait reproduire la recette que sa mère réalisait autrefois, à base de baies chocco.
Une fois ses courses faites, Cassy déposa son sac en plastique dans la sacoche en cuir de Galopa avant de se remettre en selle. Elle prit la direction d'Argenta. Si une journée de marche séparait cette ville de Jadielle, elle mit une heure pour effectuer le trajet à dos de pokémon. N'étant pas pressée, elle maintint sa monture au petit trot tout du long, sans quoi elle aurait été plus vite.
Midi sonnait quand elle arriva au musée. Elle attacha Galopa à un parking pour vélo, situé juste devant le bâtiment. Il lui évoquait un peu celui de Charbourg, bien qu'il soit plus grand et qu'il ne possède pas de serre. Cassy pénétra à l'intérieur et se dirigea vers l'accueil, où elle s'annonça comme étant l'une des assistantes du professeur Chen.
L'homme qui la reçut contacta Régis par le biais d'une ligne interne et, après que celui-ci eut confirmé, l'employé la conduisit jusqu'à l'un de leurs laboratoires privés. Ils en possédaient quatre, en tout. Cassy retrouva son ami, qui abandonna aussitôt son microscope pour venir l'embrasser.
La salle dans laquelle il travaillait n'était pas très spacieuse, mais elle était bien agencée, d'autant qu'il avait la chance d'en disposer pour lui seul. Régis s'excusa, car l'expérience qu'il avait entamée le matin même n'était pas terminée. Cassy allait devoir patienter un peu avant qu'ils puissent quitter les lieux ensemble.
- Pour me faire pardonner, je t'invite au restaurant. Qu'est-ce que tu en dis ?
- Que j'accepte avec plaisir, répondit l'adolescente. Si tu veux, je peux t'apporter mon aide, à condition que ce soit à la portée de mes compétences. À deux, nous aurons plus vite terminé.
Régis la remercia d'un sourire et lui tendit son calepin, en la priant de noter toutes ses remarques. Cela lui épargnait le désagrément de devoir se détourner de son microscope pour écrire lui-même ses observations. Ils gagnèrent un temps précieux et, une trentaine de minutes plus tard, ils avaient terminé.
Cassy ne connaissait presque pas Argenta, pour n'y être venue qu'une seule fois, à l'époque où elle étudiait à l'École des dresseurs de Jadielle. Elle s'en remit donc à son ami pour le choix du restaurant dans lequel ils allaient déjeuner. Régis opta pour un établissement à l'allure sympathique, surnommé la Cave aux Racaillou. Deux pokémon en plastique encadraient l'entrée, pour décorer.
Un serveur, qui portait une chemise grise, assortie au papier peint, les conduisit jusqu'à une table qui jouxtait la fenêtre. Il leur remit le menu, très varié. Cassy et Régis délibérèrent un long moment avant de se décider. Ils sélectionnèrent chacun des plats différents, afin de pouvoir goûter celui que l'autre prendrait.
Le scientifique fit placer une bougie sur le frambysier qui leur serait servi en dessert, en l'honneur de Cassy. Il était si copieux qu'il aurait facilement pu être destiné à six personnes, mais si délicieux qu'ils accomplirent l'exploit de ne pas en laisser une miette.
- Merci pour ce repas, dit la jeune fille. Je n'aurais pu imaginer de cadeau plus délicieux.
- C'est sûr, parce que j'en ai un autre, et il ne se mange pas, affirma Régis, avant que son visage se rembrunisse. Enfin... Plus j'y pense et plus je crois que c'est une mauvaise idée. Je n'aurais pas dû... Je...
- Quoi ? Qu'est-ce que c'est ?
Cassy ponctua sa question d'un regard interrogateur et le jeune homme, pour toute réponse, glissa la main dans la poche de sa veste, d'où il tira un petit écrin en velours bleu. Il le tendit à l'adolescente, qui le fit tournoyer entre ses doigts. Elle tentait de deviner son contenu avant de l'ouvrir.
- Oh...
Il s'agissait d'une chaîne en argent, accompagnée d'un pendentif. Ce n'était pas un bijou classique, mais une figurine à l'effigie d'un dragon. Les traits de Cassy affichèrent diverses expressions, de la surprise au froncement de sourcils, en passant par l'esquisse d'un sourire. Finalement, elle écarta ses cheveux qui, en l'espace de deux ans, avaient considérablement repoussé, et demanda à Régis :
- Tu peux me l'attacher, s'il te plaît ?
- J'avais peur que tu réagisses mal, avoua-t-il, penaud, en contournant la table.
- Si les gens voient que je porte un collier comme celui-ci, ils seront d'autant plus convaincus que la marque sur mon bras est un tatouage, fit remarquer Cassy avec un haussement d'épaules. Ils me prendront pour une inconditionnelle passionnée de dragons.
Malgré ses efforts pour paraître sereine, elle ressentit un léger malaise lorsque Régis fixa le fermoir au niveau de sa nuque. Elle ne lui en voulait pas vraiment, mais la simple vue de ce pendentif fit remonter à la surface de sa mémoire tout ce qu'elle s'était efforcée de chasser depuis qu'elle avait quitté Sinnoh.
- Tu sais... commença-t-elle dans un murmure. Je me demandais si... Si c'est vraiment mon anniversaire, aujourd'hui.
- Pourquoi ça ?
- J'ai appris à treize ans que j'en avais quinze. Si mes parents m'ont menti sur mon âge, ils ont aussi bien pu le faire sur la date, et sur Arceus sait quoi d'autre. Si ça se trouve, je ne me suis peut-être jamais appelée Katharina Granet.
- Une chose est sûre, en tout cas, c'est qu'à présent, tu es Cassy Rilène. Et par les pouvoirs qui me sont conférés en temps que confident attitré et meilleur ami, je déclare solennellement que ce jour sera celui de ton anniversaire.
- Je te remercie, Régis. Du fond du cœur.
Le scientifique déposa un baiser sur sa joue, puis regagna sa place. Le serveur leur apporta les deux cafés qu'ils avaient commandés, ainsi que l'addition. Dès que Régis l'eut réglée, ils quittèrent le restaurant. Galopa les avait suffisamment attendus dehors, attaché à un banc public. Quelques enfants l'observaient à distance, n'osant pas l'approcher car sa haute stature les intimidait.
Cassy se hissa sur le dos du pokémon, puis aida son ami à en faire de même. Si, au début, Régis n'avait pas été très à l'aise, il s'était rapidement habitué à ce mode de déplacement, qui ne le différenciait finalement pas trop du Dracolosse de son grand-père.
Ils chevauchèrent jusqu'à Jadielle, où Galopa commença à montrer des signes de lassitude sous le poids de ses deux cavaliers. Pour lui permettre de se reposer un peu, ils mirent pied à terre et Cassy traîna mollement l'équidé dans son sillage, qui passait à présent plus de temps à brouter qu'à avancer.
Ils trouvèrent en chemin plusieurs arbustes à baies sauvages, sur lesquels la jeune fille décida de cueillir quelques fruits, pour agrémenter le gâteau qu'elle n'avait pas renoncé à préparer, malgré l'imposant frambysier qu'ils avaient déjà mangé à Argenta.
- Loin de moi l'idée de douter de tes compétences culinaires, mais j'ai rarement eu l'occasion de te voir aux fourneaux, fit remarquer Régis. Ce sera comestible ?
- Parce que Môssieur est un cuisinier hors-pair, Môssieur se croit permis de dédaigner les tentatives des autres ? Tu vas le regretter, mon cher.
Le scientifique se baissa de justesse pour échapper à l'Oran que Cassy lui jeta au visage et répliqua aussitôt en cueillant une Pêcha, avec laquelle il l'atteignit à l'épaule. Moins d'une minute plus tard, c'était une véritable bataille de nourriture qui faisait rage au cœur de la route 1.
Épuisés, ils finirent par déposer les armes – ou plutôt les fruits – de leur plein gré, sans pour autant cesser de se lancer des piques et de se rire au nez. Ils étaient dans un état déplorable, couverts de pulpe, de jus et de pépins qui leur collaient à la peau. Leurs vêtements auraient besoin d'un bon nettoyage et leurs cheveux étaient poisseux.
Au lieu de regretter leur attitude immature, ils s'esclaffèrent presque durant tout le kilomètre qui les séparait encore du Bourg-Palette. Cassy était littéralement pliée en deux et devait prendre appui sur l'épaule de Galopa pour se soutenir. Ils étaient toujours hilares lorsqu'ils atteignirent le laboratoire.
C'était grâce à des moments comme celui-ci que la jeune fille ne regrettait pas d'être rentrée à Kanto. Elle était heureuse, et ce bonheur qu'elle avait longtemps cru perdu, elle ne le devait qu'à Régis. Elle espérait de tout son cœur que l'avenir serait aussi radieux que les mois qui s'étaient écoulés depuis son retour.
Ils accédèrent à la propriété du professeur Chen par le parc, où Cassy retira la bride et la selle de son Galopa, qui trottina en direction de ses congénères. Les deux adolescents se demandaient comment ils allaient pouvoir se faufiler à l'intérieur du laboratoire sans attirer l'attention sur eux, car les escaliers menant à l'étage n'étaient accessibles que par la salle de recherches, or le grand-père de Régis ferait probablement un malaise en les voyant ainsi.
- Hum... J'ai peut-être une idée, déclara le jeune scientifique. Je vais demander à Caninos de créer une diversion.
Il possédait ce pokémon depuis peu. Le chien de feu avait été abandonné par son dresseur après qu'il se fut cassé la patte et recueilli par l'infirmière Joëlle de Jadielle alors qu'il mourait de faim. Elle l'avait soigné, alimenté et gardé quelques jours en observation, puis elle avait demandé au professeur Chen de le prendre un moment avec lui, afin qu'il puisse profiter de la compagnie bénéfique de quelques semblables.
Régis s'étant entiché de lui, il avait décidé de l'adopter, mais il préférait ne pas avoir à le faire rentrer dans une pokéball tant que le Caninos ne serait pas totalement guéri, raison pour laquelle il demeurait au Bourg-Palette quand son nouveau maître se rendait à Argenta.
- Va m'attendre près de la porte, conseilla Régis. Je vais le chercher, nous te rejoindrons dans un instant.
Cassy acquiesça et prit la direction du laboratoire, pendant que son ami s'éloignait vers la zone où Caninos avait l'habitude de s'amuser avec ses congénères. Parvenue aux abords du bâtiment, elle était sur le point de s'accroupir pour ne pas risquer d'être repérée depuis une fenêtre quand la porte vitrée s'ouvrit à la volée.
Elle se raidit, mais ce ne fut pas le professeur Chen, ni l'un de ses employés, qui franchit l'encadrement. Il s'agissait d'un Pikachu, suivi de près par un garçon aux cheveux noirs indisciplinés et aux yeux bruns ingénus. Dès que son regard se posa sur Cassy, plutôt que de juger son état déplorable, il lui adressa un grand signe de la main.
- Eh ! Salut, toi ! s'exclama-t-il. Tu te souviens de moi ? Je viens de rentrer de Sinnoh. Je suis Sacha, le copain de Régis.