Chapitre 67 : Lutte
La défense s'organisait peu à peu. Chacun trouva son rôle dans la vie des rebelles. Ils n'avaient guère de bâtiments à leur disposition, aussi, ils dormaient tour à tour à la belle étoile, dans un climat assez détendu. Vaillant-Rescapé avait repris l'entraînement au combat de Vassili. Cette activité leur valait un intérêt certain de la part des humains : ils profitaient souvent d'un public conséquent de spectateurs qui les encourageait l'un et l'autre sans distinction, grâce à de grands cris passionnés. La tension retombait en même temps que les tâches à accomplir diminuaient, aussi, ils s'intéressaient facilement à ce genre de distraction. Malgré la supériorité flagrante de l'Insécateur, celui-ci montrait des signes fréquents d'inattention, qui lui faisaient parfois prendre de mauvais coups.
En réalité, le sacrifice d'Yvon avait bien plus affecté Vaillant-Rescapé qu'il ne le laissait paraître. Il se sentait bien mal à l'aise ; il avait l'horrible sentiment d'avoir trahi la confiance du jeune humain. Le fait que celui-ci fût un modèle d'innocence l'affectait encore plus. Il lui semblait en effet qu'il n'avait accompagné les humains que par la force des choses. Pourtant, certains avaient visiblement attribué à sa présence lors des combats une preuve d'allégeance sans faille de sa part. Cependant, il avait la conviction de n'être là que par un concours de circonstances : il ne comblait pas les attentes de son subordonné. Il ne se mentait pas à lui-même pour autant ; il ne regrettait nullement d'être encore en vie et n'eût pas échangé leurs places s'il l'eût pu.
Par contre, il s'en voulait de s'être laissé emporter par l'ivresse de la bataille et de s'être battu avec tant d'ardeur pour la cause humaine. Passée la première satisfaction naturelle des preuves de reconnaissance, ces dernières n'avaient fait que renforcer sa culpabilité : il ne souhaitait pas atteindre le statut de héros chez les humains car il ne leur était pas dévoué. Si l'occasion pour lui s'en présentait, il les quitterait sans grand regret. Seule l'attitude de camaraderie que les rebelles entretenaient avec lui apaisait ses tensions psychologiques internes. Il avait été très surpris d'être accueilli aussi facilement comme l'un des leurs... Le fait qu'il y eut été contraint lui donnait cependant l'impression que son intégration lui était légitime bien que non acquise a priori.
Heureusement, Terreur-des-Hommes réconfortait l'Insécateur sans compter... Ces moments de tendresse lui rappelaient qu'il était encore bien un Pokémon et qu'il pouvait encore jouir d'instants intimes comme un membre à part entière de son espèce. A l'inverse, il lui était pénible de constater qu'Eclair-de-Liberté adoptait de plus en plus le comportement d'un Caninos apprivoisé. Il suivait Vassili à une distance toujours inférieure à quelques mètres, ne s'éloignant que pour quérir quelques caresses auprès de ses camarades. Il participait en tant que spectateur à la plupart des réunions humaines, le museau appuyé dans ses pattes quand la discussion se menait dans le calme, adoptant diverses postures significatives quand les combattants s'enflammaient. Evidemment, il défendait toujours le point de vue de Vassili.
L'Elecsprint cachait parfaitement à tous la raison de ce soudain intérêt pour les débats. Il souffrait de la solitude d'une manière particulièrement violente. S'il s'éloignait, il lui semblait voir des hommes dans les buissons ; son odorat affirmait repérer une odeur de sang. Alors, la panique le prenait, il accélérait son trot jusqu'à galoper à en perdre haleine, faisant des écarts incontrôlés. La mort le poursuivait sans cesse. Il peinait alors à s'en remettre, il lui fallait longtemps patienter pour ne plus rien laisser paraître de sa crise passée... Vaillant-Rescapé lui avait assuré que cela lui passerait alors il n'avait nulle raison de se montrer faible en le confessant à quiconque : Vassili avait d'autres Chaglam à fouetter.
Ses nuits n'étaient guère plus paisibles. Il se réveillait plusieurs fois dans son sommeil, en sursaut et haletant. Il se redressait aussi vite que s'il avait été monté sur ressort. Il regardait, inquiet, dans toutes les directions, sans parvenir à se souvenir où il se trouvait. Il cherchait les ennemis, vérifiait que Vassili se portait bien... Seulement après ça, il reprenait lentement sa respiration et ses esprits ; il pouvait alors calmer les tremblements de ses postérieurs.
Le temps passait et Vaillant-Rescapé se détendait progressivement. Du moins il perdait peu à peu sa mine renfrognée, notamment grâce aux efforts de Terreur-des-Hommes pour rester, elle, toujours enjouée et de bonne humeur. Vassili retrouva lui aussi une humeur heureuse : il riait de bon cœur avec ses camarades humains. Bien qu'il ne délaissât pas l'Elecsprint, bien au contraire, celui-ci s'enfermait dans son secret sans que personne ne s'en aperçût. Il cachait ses crises nocturnes ; recherchant la compagnie le jour, il parvenait à oublier lui-même son malaise et participait sans retenue aux activités de la communauté. Cela lui valut de se retrouver admirablement intégré parmi les humains. Loin d'éveiller les soupçons, sa bonne humeur toujours grandissante laissait croire qu'il trouvait de mieux en mieux sa place.
Niryo ne s'ennuyait pas non plus. Il découvrait les humains avec un intérêt sans limite. Il se renseignait sur tout... Quand quelque chose de nouveau se passait ou que les rebelles suivaient des instructions diverses, on pouvait être sûr de voir un petit groin émerger d'un coin de la zone, puis une petite boule de poils venir s'installer confortablement aux côtés d'un humain. Il amusait tout le monde avec sa petite taille, sa curiosité et son air de peluche, ce qui lui valut le surnom amical de P'tit Nours.
Les habitudes à peine prises furent bien vites bouleversées... Un matin, un branlebas de combat secoua tous les rebelles. Ils devaient se laver, eux et leur tenue, puis se rassembler au centre du camp bâti. Les lieutenants les placèrent, les déplacèrent et les replacèrent une bonne dizaine de fois. Tantôt les Pokémon s'intégraient à la section, tantôt ils étaient à part. Finalement, Malik décida de les placer à côté de ses hommes. Il passa enfin de longues minutes à trouver quelle position de garde-à-vous adaptée à leur physionomie prendre. Quand tout le monde fut installé, on savait que l'attente durerait encore... Des bruits circulaient dans les rangs sur la suite des événements. On annonçait la venue d'une troupe qui devait les relever, puis la présentation au colonel, ou encore la venue du grand chef de tout le mouvement insurrectionnel, pour en finir à annoncer l'arrivée de grands penseurs étrangers qui devaient leur apporter du soutien. On avait vu arriver une escorte nombreuse de rebelles et même un véhicule, disait-on, il s'agissait donc forcément quelqu'un d'important !
Alors que les rumeurs allaient encore bon train, le lieutenant Malik hurla le garde-à-vous qui mit tout le monde d'accord. Fabrice arriva, cachant au mieux sa légère tension. Il prit le commandement des troupes, puis fit demi-tour. Enfin, il salua. Un pas irrégulier se fit entendre sur le chemin de terre. Le colonel arriva, appuyé sur une béquille, démarche bancale mais déterminée. Il salua à son tour et récupéra les hommes à ses ordres. Suivi par le Fabrice, il commença à passer les rebelles en revue. Nombreux étaient ceux qui peinaient à soutenir son regard perçant ; ils faisaient tous l'effort de le cacher au mieux.
Il passa devant Eclair-de-Liberté, qui fut sans doute le plus fier de tous à ce moment. Le Pokémon électrique dut presque se retenir de remuer la queue tant il se sentait heureux d'être accepté dans le groupe de son humain. Dimitri remarqua son attitude et lui adressa un sourire confiant quasi imperceptible. Terreur-des-Hommes venait ensuite. Elle ne soutint pas son regard jusqu'à la fin, pas qu'il l'impressionnât, il était simplement admis qu'elle ne lui appartenait pas et il ne lui en tint d'ailleurs pas rigueur.
Vaillant-Rescapé, au contraire, leva la tête à l'excès et ne lâcha pas les yeux de son vis à vis. Il lui lançait clairement un défi, celui de seulement oser lui demander de se soumette à son autorité. Le colonel ne dit d'abord rien, mais il s'arrêta pour le regarder en face. Comme il avait salué les chefs de section, il fit de même devant l'Insécateur. Ce dernier détourna légèrement la tête sans pour autant cesser de le regarder. Il quitta son garde-à-vous, affichant maintenant presque une posture de combat. Le colonel abaissa son salut et dit d'une voix ferme mais extrêmement posée :
................- Sors des rangs.
Vaillant-Rescapé hésita quelques secondes. Il ne voulait pas obéir et se soumettre, mais rester parmi les humains portait également une signification qui ne lui plaisait pas. Il fit finalement un pas en arrière puis tourna les talons.
................- Si tu veux partir, je ne donnerai pas l'ordre de te poursuivre, reprit le colonel d'un ton de défi. Sinon, attends-moi devant le poste de commandant, sergent.
Les hommes se retinrent de s'entreregarder avec étonnement. Sans même plus adresser un regard à l'Insécateur, Dimitri finit sa revue des troupes aussi calmement qu'il l'avait commencée, puis rendit le commandement aux lieutenants. En repartant, il frôla l'Insécateur qui ne se retourna pas.
................- Tu as une drôle de façon d'honorer tes camarades morts sous tes ordres au combat. Il s'agit de respect, Aleph-Zéro et je ne supporterai jamais que tu restes indifférent. Pars, ou respecte un choix sur lequel tu ne peux pas t'engager à moitié. Les vies de mes hommes sont trop précieuses pour les donner à un opportuniste... Je sais que tu comprends ce que je veux dire et que tu feras un choix à la hauteur de ce que tu vaux. Je te fais confiance, car tu as celle de mon frère et tu as gagné celle de nombre de mes hommes, au point qu'ils t'aient confié et offert leur vie. Respecte ton honneur et ne reste pas si tu ne le peux pas, je ne te force pas ! Et je ne t'en voudrais pas, même si je sais que cela est bien le dernier de tes soucis...
Terreur-des-Hommes rattrapa Vaillant-Rescapé. Son regard désapprobateur disait tout ce qui était nécessaire de savoir pour connaître son avis sur l'attitude insubordonnée de l'Insécateur. Elle eut cependant la décence de ne prononcer aucune parole sur ses pensées. Elle se contenta de lui demander avec douceur :
................- Tu veux partir ?
Son ton annonçait clairement qu'elle le suivrait sans rien ajouter s'il répondait par l'affirmative.
................- Je veux savoir ce qu'il a à dire à son sergent, déclara l'Insécateur d'un ton ironique.
Le dernier mot avait été prononcé avec tout le mépris qu'il avait pu mettre dans un seul terme. Il ne laissa même pas le temps à son amie de répondre, il enchaîna, la voix hachée par de la colère :
................- S'il s'imagine que je vais lui être aussi fidèle qu'un Caninos en me donnant un titre... Il ne m'achètera pas juste parce que je me bats bien, pour se servir de mes compétences ! Tu vas voir qu'il va me flatter, et me rappeler que je lui dois une vie pour me faire culpabiliser. S'il me fait la morale, je le découpe en morceaux, ce colonel !
................- Je ne crois pas qu'il pense ainsi, tempéra la Migalos. S'il fait ton éloge, je crois que ce sera bien parce que tu l'as mérité. Quant à son offre de partir, il te la refera après son discours, je n'en doute pas. Il est trop dévoué à sa cause pour risquer quoique ce soit avec toi. Et il t'estime sincèrement, j'en suis persuadée !
................- Nous verrons... Je te parie trois baies Sitrus que j'ai raison sur son compte.
................- Pari tenu, je suis sûre de moi !