Il suffira d'une étincelle D'un peu de jour Pour Allumer le
Il suffira d'une étincelle D'un peu de jour Pour Allumer le feu
Ayant quelque chose comme du sang d'insomniaque dans les veines, je me réveillai le lendemain matin bien avant Catherine. Celle-ci semblait plus paisible que jamais ; je ne l'avais jamais vue aussi sereine, et ça me faisait drôle de la voir arborer un demi-sourire dans son sommeil alors que je l'en croyais incapable après tout ce qu'elle avait vécu – tout ce à quoi elle avait survécu. Je me levai en veillant à ne pas la réveiller puis allai prendre mon petit-déjeuner en faisait le moins de bruit possible. Lorsque ce fut fait, je préparai celui de Catherine avant de rejoindre sa chambre et de m'asseoir sur la chaise que j'avais déplacée la veille. Je ne me lassais pas de la contempler. C'était comme si... la voir aussi placide suffisait à mon bonheur. Ça me semblait idiot et pourtant, c'était exactement ça. Tout simplement ça.
Quand la jeune femme s'éveilla, elle entrouvrit doucement les paupières avant de les ouvrir brusquement en grand en notant ma présence. Son sourire ne s'était pas évanoui.
« B... bonjour... » balbutiai-je, dérouté, tandis qu'elle s'étirait.
Catherine sourit de plus belle devant ma gêne, mettant définitivement à mal mon hypothèse selon laquelle elle ne pourrait plus jamais être heureuse dans cette vie.
« Bonjour Marc...
– Bien dormi ? m'enquis-je en me levant pour aller ouvrir les volets.
– Mmmh... quelle heure est-il ?
– Huit heures et demie passées.
– Déjà ? s'étonna Catherine en se redressant brusquement. Mais pourquoi ne m'as-tu pas... »
Le reste de sa question ne franchit pas la barrière de ses lèvres ; je me retournai pour l'interroger du regard mais, lorsque son regard croisa le mien, elle baissa les yeux en rougissant et se dirigea vers la cuisine. Je l'y suivis.
« Tu n'aurais pas... »
La jeune femme s'interrompit en sentant la tiédeur de son bol de lait. Elle alla le mettre au four à micro-ondes en me demandant avec une gêne perceptible :
« Tu es réveillé depuis longtemps ?
– J'ai toujours été très matinal, éludai-je.
– Tant que ça ? »
Mes lèvres s'étirèrent en un sourire. Je n'avais jamais vu Catherine aussi joyeuse auparavant, et sa bonne humeur était contagieuse. Elle avala son petit-déjeuner en quatrième vitesse, prétextant que cette journée était celle de son fils et qu'il fallait le rejoindre au plus vite, qu'on avait assez perdu de temps comme ça. Je me doutais que nous allions arriver bien avant que le garçon ne se réveille mais je restai silencieux. Pendant que je débarrassais la table, la jeune femme alla se changer. Elle revint vêtue d'une robe à fleurs haute en couleurs, d'un autre temps qu'elle aurait visiblement préféré connaître à celui d'aujourd'hui. Elle faillit me reprocher d'avoir débarrassé la table mais se reprit au dernier moment, se contentant de secouer la tête avec un sourire gêné aux lèvres.
« On y va ? lui demandai-je, l'air de rien.
– Deux petites minutes, le temps de faire un brin de toilette... » répondit la jeune femme en s'éloignant en direction de la salle de bain.
Trois minutes plus tard, elle revint, un parfum de fleur flottant agréablement autour d'elle.
« En route ! » dit-elle en passant devant moi aussi vite que le lui permettait sa robe en me prenant par la main.
Dans la bonne humeur qui était de rigueur en ce jour si spécial, nous nous rendîmes à l'hôpital le plus vite possible. Une fois arrivés, nous passâmes prendre le petit-déjeuner de Paul à la cantine de l'hôpital avant de rejoindre sa chambre d'un pas impatient. Des décorations de toutes sortes y avaient été installées pendant le sommeil du garçon qui dormait encore, de la banderole "Joyeux anniversaire Paul !" aux dessins des autres patients accrochés aux murs en passant par les guirlandes de Noël. Ne manquait plus que le cadeau que j'apportais moi-même. J'essayai de le déposer sur le chevet – sans succès si bien que je le gardai dans mes mains – puis, nous asseyant côte à côte, Catherine et moi veillâmes Paul qui ne tarda pas à se réveiller. Ses yeux s'ouvrirent en grand en découvrant les couleurs vives dont on avait paré sa chambre en l'espace d'une nuit ; lorsque son regard se posa sur nous, le garçon se jeta dans les bras de sa mère avec un sourire béat.
« Maman !
– Bon anniversaire mon chéri ! »
Lorsque la mère et le fils desserrèrent leur étreinte, je souhaitai également un joyeux anniversaire à Paul en lui tendant mon cadeau.
« C'est pour moi ?
– Bien sûr ! »
Le garçon défit fébrilement le papier cadeau tandis que sa mère et moi échangions un regard excité. Il poussa un cri d'émerveillement en découvrant le bijou de technologie qu'il y avait à l'intérieur.
« C'est un... déguisement de robot ? s'enquit-il d'une voix hésitante en pensant, après réflexion, que ce n'était pas une bonne idée de lui offrir un costume qu'il ne pourrait même pas enfiler vu son état.
– Pas un simple déguisement de robot, Paul. »
Intrigué, le garçon sortit chacune des pièces de la combinaison et les posa à côté des membres adéquats.
« Je peux l'essayer ? Après m'être habillé, je veux dire ?
– Prends un peu de forces avant, mon chéri, une journée bien remplie t'attend. »
Paul se ne le fit pas dire deux fois ; avec un appétit monstre, il engloutit son petit-déjeuner puis nous l'aidâmes à assembler les divers morceaux de "robot" sur lui. Le principe était simple : j'avais voulu lui faire goûter une dernière fois l'air pur du dehors et la beauté de la nature et, surtout, lui redonner le bonheur de marcher et de se mouvoir comme tous les autres enfants de son âge. L'exosquelette m'avait demandé un travail fou mais le temps passé dessus pesait bien léger à côté du succès de mon entreprise. Il fonctionnait effectivement à la perfection : Paul se mouvait sans difficulté, comme si les rouages de sa maladie s'étaient momentanément enrayés. Après avoir assuré aux médecins et infirmières que l'enfant ne risquait rien – en versant notamment un pot-de-vin aux plus réticents –, nous fûmes libres d'emmener Paul au parc d'attraction qu'il avait toujours rêvé de visiter. Nous étions si heureux de passer du bon temps ensemble, loin de l'hôpital, que nous ne remarquions même pas les regards intrigués ou vaguement intéressés que nous lançaient les autres.
Catherine avait usé d'un doux euphémisme en assurant le matin à son fils qu'une journée bien remplie l'attendait. Le pauvre chou la trouvait juste d'enfer – cela se lisait clairement dans ses yeux où brillait depuis le matin une nouvelle lueur – et aurait probablement souhaité qu'elle ne terminasse jamais. Hélas, toutes les bonnes choses ayant une fin, nous avons dû le ramener à l'hôpital alors que la nuit était déjà tombée depuis quelques temps – nous avions passé la soirée à nous goinfrer de pop-corn devant un chef d'œuvre d'animation qui nous émut tous aux larmes.
Lorsque je garai ma voiture sur le parking de l'hôpital, le garçon dormait déjà à poings fermés ; je le portai doucement jusqu'à sa chambre d'hôpital suivi de près par sa mère qui ne lâcha pas sa main de la nuit. Quant à moi, je ne me séparai pas d'eux de toute la nuit car, sans pouvoir nous l'avouer, Catherine et moi savions l'un comme l'autre que c'était pour cette nuit ; cette certitude nous plongeait dans un état de sérénité étrange qui nous permettait de ne pas perdre pied avec la réalité, de ne pas sombrer dans le désespoir. Ce fut donc quasiment sans surprise que, à l'instant fatidique où Paul rendit l'âme, nous entendîmes le signal sonore qui rythmait le pouls du cœur du garçon à la milliseconde près se figer sur une dernière note lugubre. On essaya de le ranimer, de lui rendre la vie par tous les moyens possibles et imaginables, mais Catherine comme moi savions que tous leurs efforts étaient vains. Un tel acharnement nous paraissait tellement injustifié que nous essayâmes de dissuader les urgentistes d'opérer mais ils ne nous écoutèrent pas – et, comme nous les comprenions, nous ne leur en voulûmes pas. C'est donc avec résignation que nous nous retirâmes dans le couloir et, tandis que nos sanglots déchiraient le silence tout relatif du couloir baigné d'une lumière blanche trop intense pour nos yeux fatigués, nous découvrîmes la puissance d'un amour plus fort que la mort qui, une fois nos larmes taries, se manifesta à travers un baiser qui prit les couleurs de l'évidence au premier contact. J'avais trouvé le sens de ma vie.