Entre infini et au-delà de Cyrlight

« Aller plus haut, aller plus haut
Et croire encore à l' avenir
Aller plus haut, aller plus haut
Se rapprocher de l' avenir »

Aller plus haut - Tina Arena


Lorsque Léa apprit le projet de Cynthia de les conduire jusqu’au sommet du Mont Couronné, elle en sautilla de joie. Elle n’était pas vraiment arcésienne et n’avait que de vagues notions religieuses, mais comme tout le monde ou presque, elle avait entendu parler des mythiques Colonnes Lances. La perspective de les voir de ses propres yeux l’exalta plus encore que tout ce qu’elle avait déjà découvert depuis son arrivée à Sinnoh.

La mauvaise nuit qu’elles avaient passée sur le sol rocailleux et inconfortable de la route 207 promettait de rendre l’ascension qu’elles s’apprêtaient à entreprendre plus ardue que prévu. La détermination de Cassy suffisait cependant à lui faire oublier ses courbatures, au contraire de Léa qui ne pouvait s’empêcher de geindre tous les dix pas.

— Tu devrais profiter du voyage pour capturer un second pokémon, lui conseilla Cynthia, peu avant qu’elles atteignent l’entrée de l’une des nombreuses galeries qui parcouraient les entrailles du Mont Couronné. Si mes souvenirs sont bons, le Concours d’Unionpolis impose une prestation double.

L’effet de ce conseil fut immédiat. Léa en oublia son corps fourbu pour commencer à réfléchir au choix de son nouveau partenaire. Un monologue remplaça ses plaintes récurrentes, et Cassy n’aurait su dire ce qui, des deux, était le plus pénible.

— Hum… Qu’est-ce qui pourrait m’aller ? Un type feu, peut-être. Il compenserait les faiblesses de Bulbi. Oh, mais il paraît qu’ils peuvent avoir un caractère têtu… Non, je devrais plutôt prendre un pokémon glace. Il y en a dans la montagne ? Quoique, la glace, c’est trop froid. Un oiseau, alors ? Mais c’est tellement banal… Il me faut un partenaire beaucoup plus original. Et si…
— Et si tu te spécialisais dans les plantes ? l’interrompit brusquement Cassy. Ça, ce serait original.
— Dans… les plantes ? couina Léa.
— Le type ne fait pas tout, en combat, et encore moins en Concours. Ce qui compte, c’est la stratégie et, dans ton cas, l’harmonie. Or, quoi de plus harmonieux que deux pokémon appartenant à une même catégorie ? Songe à toutes les possibilités que ça t’offrirait.

Cassy s’en voulut de sa recommandation, qui était entièrement basée sur une arrière-pensée. Peut-être qu’une seule créature assortie au glyphe ne suffisait pas. Peut-être en fallait-il davantage pour que le symbole réagisse, d’une manière ou d’une autre. Et comme il était plus facile de s’entourer de plantes que de dragons, cela faisait de Léa un cobaye idéal.

— Ça ne risque pas de me handicaper ? demanda Léa d’une voix flutée. Si mon adversaire a une équipe entièrement feu, par exemple ? Ou vol ?
— Regarde les Champions d’Arène, intervint Cynthia, qui avait certainement compris les motivations de Cassy. Ils sont généralement spécialisés dans un type, et ça ne les empêche pas d’être de redoutables adversaires.
— C’est vrai… Et puis, les fleurs, c’est tellement joli. C’est décidé ! Le premier pokémon plante que je croise, il est à moi !

Son enthousiasme retomba bien vite lorsqu’elle comprit que ce ne serait pas dans le réseau de tunnels du Mont Couronné qu’elle en trouverait un. L’obscurité et l’environnement rocheux n’étaient pas du tout propices à la prolifération de créatures végétales.

Cynthia ouvrait la marche, une lampe torche à la main afin d’éclairer le sol irrégulier sur lequel elles progressaient en file indienne. Léa, intarissable, commentait tout ce qu’elle voyait, et même ce qu’elle ne voyait pas. Cassy se réjouit intérieurement lorsqu’un Nosférapti, dérangé par ses bavardages incessants, tenta de la réduire au silence avec une attaque Cru-Ailes.

La fillette l’esquiva en se baissant à la dernière seconde, mais elle fut si choquée par cette offensive qu’elle consentit enfin à se taire. Après cet incident, seul le bruit de leurs pas continua à troubler le calme des galeries, de plus en plus étroites et difficilement praticables à mesure qu’elles prenaient de l’altitude.

Soudain, Cynthia s’arrêta net, et Cassy, dans son dos, s’immobilisa juste à temps pour ne pas la percuter. Un rapide regard lui révéla ce qui avait contraint la Championne à interrompre sa progression : elles avaient atteint un cul-de-sac.

— Vous vous êtes trompée de chemin ? s’enquit l’adolescente.
— Non, je suis sûre que nous sommes sur la bonne voie. C’est plutôt ce mur qui n’a rien à faire ici.
— On devrait peut-être faire demi-tour et prendre un autre tunnel, suggéra Léa, dressée sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir l’obstacle par-dessus l’épaule de Cassy.

Cynthia ignora son commentaire et tendit sa lampe à la jeune fille, qui s’en empara. Elle passa ensuite sa main sur la paroi rocheuse, dont la surface paraissait très inégale. Alors que Cassy suivait son geste avec le faisceau lumineux, elle poussa un cri de surprise et bondit vers l’arrière, heurtant Léa de plein fouet.

— Quoi ? Quoi ? s’affola aussitôt celle-ci.
— Je… Ça va vous sembler absurde, et vous allez sans doute me prendre pour une folle, mais… Le mur. Je crois qu’il a bougé.
— Il a bougé, confirma Cynthia. Et tu n’es pas folle, pas plus que cette chose est un mur.
— Qu’est-ce que c’est, alors ?
— Une agglutination de Racaillou. Mettez-vous à couvert, les filles. Il va falloir passer en force, et ils risquent de ne pas apprécier. En avant, Carchacrok ! Utilise Casse-Brique !

Le dragon à la silhouette agressive jaillit hors de sa pokéball à une vitesse impressionnante. Léa, par réflexe, sortit son Pokédex afin d’obtenir des informations sur son espèce, mais Cassy ne lui laissa pas le temps de les entendre. Elle la tira par le bras pour la placer à l’abri dans un renfoncement, non sans lui préciser que le moment était très mal choisi pour s’instruire.

À distance, elles regardèrent Carchacrok lever la patte pour exécuter un mouvement puissant. Son aileron acéré percuta le centre de la masse formée par les Racaillou, qui roulèrent en cascade sur le sol. La plupart d’entre eux furent sonnés par l’attaque, mais quelques-uns brandirent leurs poings belliqueux en direction de leur assaillant. Un grondement menaçant de sa part suffit à les convaincre de renoncer au combat.

— Dépêchons-nous avant qu’ils changent d’avis et que leurs amis reprennent connaissance, préconisa Cynthia. Il est tout sauf recommandé de livrer un affrontement dans un boyau aussi exigu que celui-ci. Une seule capacité mal dirigée, et c’est toute la voûte qui pourrait nous tomber dessus.

Léa blêmit d’effroi, et Cassy fut obligée de la prendre par la main pour la forcer à slalomer entre les Racaillou. Elles coururent ensuite sur plusieurs dizaines de mètres et ne ralentirent l’allure qu’une fois que Cynthia estima qu’elles étaient hors de danger.

Elles s’accordèrent un bref répit pour reprendre leur souffle, car elles étaient toutes les trois hors d’haleine, après quoi le Maître de Sinnoh rappela Carchacrock dans sa ball. Cela fait, elles reprirent leur ascension, mais pas pour longtemps. Le ventre de Léa ne tarda pas à crier de famine, et celui de Cassy décida de l’imiter.

— Est-ce qu’on est encore loin du sommet ? interrogea Léa tandis qu’elles se sustentaient avec des sandwichs et quelques barres de céréales.
— Nous avons parcouru la moitié du chemin, à peu près, mais le plus dur reste à faire, déclara Cynthia. C’est pour ça que nous devrons accélérer l’allure si nous voulons arriver là-haut et établir notre campement avant la nuit.

Le Maître de Sinnoh n’exagérait pas. La largeur des galeries se réduisit davantage, le degré d’inclinaison des pentes s’intensifia et, à trois reprises, elles durent même escalader des résidus d’éboulement. Comme Léa était à bout de forces, ses amies devaient souvent revenir sur leurs pas pour l’aider à franchir les obstacles.

À cela s’ajoutaient également les pokémon sauvages, dont la férocité semblait proportionnelle à l’altitude. Un Gravalanch tenta de leur rouler dessus, et elles furent peu après agressées par une horde de Nosféralto déchaînés. Heureusement, le Carchacrok de Cynthia les tira d’affaire à chaque fois.

— Courage, nous y sommes presque ! affirma-t-elle pour les motiver.

Ni Cassy ni Léa ne relevèrent. Elles étaient trop épuisées pour songer à ouvrir la bouche, et bientôt, elles le seraient également trop pour envisager de faire ne serait-ce qu’un pas de plus. Les roches saillantes avaient éraflé leurs habits, et la poussière qu’elles soulevaient sur leur passage s’était collée à leur peau, ainsi qu’à leurs cheveux. Elles faisaient vraiment peine à voir.

Elles poussèrent un soupir de soulagement lorsqu’un carré lumineux leur apparut enfin à l’extrémité d’un tunnel qui leur avait donné jusqu’ici l’impression de ne jamais se terminer. Cela les encouragea à fournir un dernier effort et, quelques minutes plus tard, elles surgissaient à l’air libre dans le sillage de Cynthia. Elles respirèrent à pleins poumons, trop heureuses de se soustraire enfin à cette désagréable odeur d’humidité qui flottait dans les entrailles du Mont Couronné.

Elles se trouvaient sur le flanc de la montagne, où s’étendait une zone herbeuse d’une centaine de mètres carrés. Le vent frais qui soufflait à cette hauteur les fit frissonner, et Cassy sortit la cape de Sven de son paquetage pour la jeter sur ses épaules, tandis qu’elles contemplaient le crépuscule. Le sommet se recouvrait d’un magnifique manteau de feu dans la lueur orangée du couchant.

— L’ascension est rude, mais elle en vaut la peine, ne serait-ce que pour cette vue, commenta Cynthia.
— Où sont les Colonnes Lances ? s’enquit Léa. Je ne les vois nulle part.

Cynthia pivota sur elle-même pour désigner une paroi abrupte, dans laquelle un escalier au nombre impressionnant de marches avait été taillé à même la pierre. Un petit panneau de bois, malmené par les années et les intempéries, indiquait qu’il menait au plateau du Mont Couronné.

— C’est par là, mais nous n’irons pas plus loin ce soir. D’ici peu, il fera noir comme dans un four, et il serait trop dangereux de nous laisser piéger par les ténèbres alors que nous sommes cernées par le vide. Nous allons dormir ici, et nous terminerons notre escalade demain matin.

Les filles, éreintées, n’envisagèrent même pas de protester. Elles déposèrent leurs sacs à terre et entreprirent de dresser le camp pendant que Cynthia préparait le dîner. Cassy n’avait plus l’énergie nécessaire pour gravir ne fut-ce qu’un mètre de plus dans l’immédiat, et de toute façon, les Colonnes Lances ne risquaient pas de s’envoler. Elles étaient là depuis l’aube des temps, et elles le seraient jusqu’à la fin.