Chapitre 10 - Les guérisons
Quand il rouvre les yeux, Stéphane est sur le dos, avec un plafond pour champ de vision. Il se relève brusquement, faisant tomber un linge humide de son visage. Il regarde autour de lui, apeuré, tel un petit animal acculé. Il tente de se lever mais se ravise en sentant une douleur à son bras, où il découvre une aiguille à perfuser. Il prend alors une grande inspiration et s'assoit sur le bord du lit. Il reprend ses esprits et détaille la salle dans laquelle il se trouve.
La pièce est blanche, du sol au plafond. De petits néons d'un bleu léger donnent une teinte apaisante aux murs. De chaque côté, deux lits côte à côte sont ingénieusement disposés. Du matériel médical est rangé consciencieusement dans une armoire aux portes de verre, à la tête de sa couche, au coin de la pièce. Il laisse planer son regard sur le reste du mobilier et aperçoit un petit bureau muni d'une lampe sur pied très originale tout près de l'entrée. Il est le seul patient, et le pied de perf attaché à son pli du coude indique que son hydratation devait être limite quand il s'est évanoui.
- Merde, j'me suis évanoui ! Où est Insécateur ! cria-t-il en se levant brusquement.
Il tente alors de faire le tour du lit, met se rend vite compte que son état n'est pas au mieux lorsque sa tête se met à tourner. Il se rattrape de justesse en tendant son bras libre sur son couchage et en déposant rapidement son postérieur sur le matelas dénudé de ses draps. Il laisse les vertiges se dissiper et avant qu'il n'ait le temps de réitérer une tentative de décollage, l'infirmière Joëlle arrive au pas de la porte.
- Vous n'êtes pas encore assez reposé pour vous lever monsieur, dit-elle d'une voie douce et angélique.
- Mais il faut que je…, argumente Stéphane avant de se faire couper.
- Ne vous en faites pas, l'Insécateur que vous transportiez a été pris en charge, son état est grave mais son statut vital n'est plus en jeu. Heureusement que vous êtes arrivé assez vite, rajoute-elle en baissant le regard, sinon, je ne pense pas que nous aurions pu le sauver, finit-elle en relevant la tête vers Stéphane comme pour le remercier.
Stéphane sens son cœur se gonfler. L'air lui semble plus léger, plus doux, presque savoureux. Ces mots ont sur lui le meilleur des effets thérapeutiques. Il se sent libérer et baisse le visage vers ses genoux en souriant de bonheur. Son soulagement est tel, qu'avec sa condition physique, quelques gouttes coulent le long de ses yeux jusqu'à l'orée de sa bouche. C'est à cet instant que Rubys apparait. Stéphane lève la tête les yeux encore mouillés et voit son accompagnatrice se jeter sur lui en hurlant de joie.
Elle le sert si fort que Stéphane se sent obligé de la restreindre pour pouvoir continuer à respirer. Il la remercie de s'être inquiétée pour lui et découvre le visage marqué de la jeune femme. Ces yeux sont rouges de pleurs et ses joues écarlates font ressortir les cernes creusées qu'elle a dû acquérir à force de larme. Devant ce spectacle mélange de tristesse et de beauté, il ne peut s'empêcher de la serrer à son tour de tout son cœur dans ses bras lui répétant plusieurs fois pour la calmer :
- Ne t'inquiètes pas, je vais bien, je vais bien…
- Tu m'as fait si peur, tu es tombé dans le coma !
Stéphane se détache légèrement de Rubys très étonné, le regard perdu. Il laisse voyager ses yeux une nouvelle fois autour de lui et devine une horloge, avec l'heure et la date, accrochée au-dessus de l'encadrure cendrée de la porte. Il a juste le temps de s'apercevoir qu'il vient de passer quasiment trois jours complets sur ce lit que ces deux petits pokéamis lui sautent dessus, le renversant sur ses draps. Fouinette pleure, Thor sourit mais tous deux sont soulagés et heureux de retrouver enfin leur dresseur dans de bonnes conditions. Ils échangent des étreintes chaleureuses, des regards complices, des éclats de rire, mais Stéphane se reprend, dessinant un visage aux traits plus sérieux.
- Il faut reprendre la route, fait-il avec un ton lourd est posé. Tu sais pourquoi nous sommes partis Rubys ? ajoute-il avec un air presque coupable.
- … Je comprends, nous avons déjà perdu plusieurs jours de marche et cela pourrait être compliqué par la suite si nous en perdons plus, répond-elle en réfléchissant. Mais même en marchant rapidement, nous ne pourrons pas rattraper ces jours… finit-elle la voie faiblissante.
Stéphane lâche un grand soupir en se laissant tomber sur son oreiller. Les bras en croix derrière la tête, il repense à tout cela. Il commence à chercher une solution quand l'infirmière l'interrompt dans son processus de réflexion.
- De toutes manières, vous ne pouvez quitter cette chambre aujourd'hui, place-t-elle avec sagesse et fermeté, vous n'êtes pas encore complètement valide, la preuve en est des vertiges dont vous avez été victime tout à l'heure. Et pas de complainte, ajoute-elle l'index fixé vers lui.
Il soupire de nouveau. Il sait qu'elle a raison et malgré son ton autoritaire, le visage de l'infirmière rayonne de pureté et de gentillesse. Il ne peut se résoudre à aller contre sa prescription.
- Néanmoins, demain, je peux vous amener à Hudrosisle, si vous êtes mieux portant, fait-elle souriante en se redressant.
Stéphane et Rubys se regarde intrigués. Il se redresse sur le bord du lit et avant qu'il ne fasse sortir le moindre mot de sa bouche, l'infirmière détaille la situation.
- Nous sommes ici un peu perdus en termes de localisation. Pour avoir en permanence des soins et du matériel médical, nous allons chaque semaine dans cette grande métropole pour nous ravitailler. Bien entendu, il nous faut absolument un véhicule pour cela. Ajoute-t-elle d'un ton serein. Le départ n'est initialement prévu que dans deux jours, mais avec vos arrivées, nous pouvons nous permettre d'avancer ce déplacement, et de vous y amener, si vous le désirez bien entendu. Explique la jolie infirmière aux cheveux roses, le visage respirant la générosité.
- Bien sûr ! crie Stéphane le regard s'illuminant d'espoir. Merci beaucoup, vraiment, vous nous êtes d'une grande aide ! additionne-t-il en se tournant vers Rubys pour approbation.
- Nous vous sommes extrêmement reconnaissants de votre geste infirmière Joëlle, s'incline Rubys avec respect.
- Alors c'est parfait ! Reposez-vous aujourd'hui et nous pourront partir demain ! fait-elle alors avec un large sourire satisfait.
Elle se retourne en saluant nos deux amis et repart à ses occupations. Stéphane s'appuie sur ses mains, légèrement derrière lui, puis se pose sur ces coudes, les jambes toujours ballantes dans le vide. Il les balance doucement puis relève le buste et avec un air surpris et demande à Rubys :
- Mais j'y pense, y'a pas de moyen de transport dans ton village ? Il doit bien être ravitaillé lui aussi pourtant ? s'interroge-t-il alors.
En y repensant, il n'a pour le moment croisé aucun véhicule, aucun moyen de transport autre que le vélo et les pieds. Pourtant, dans ce monde aussi, il devrait y avoir d'autres façons de voyager autre que par la voie du sol ou à la force des jambes. Il pense surtout à tous ces commerces, restaurants, qui doivent bien avoir un apport qui vient en masse d'une manière, ou d'une autre.
- Mon village vit en autarcie. Il s'aliment lui-même de ce qu'il produit. Seul des produits médicaux et technologiques nous sont fournis. Ils passent tous par hélicoptère, plusieurs fois par mois, explique-t-elle, posée et concentrée. De plus, l'écosystème autour de notre village doit être protégé, et donc, aucune grande route n'a été construite en ce sens, met-elle en valeur avec un soupçon de fierté.
- Très bien, je comprends mieux. Donc, si je suis ton raisonnement, à partir d'ici, le paysage va changer, et les envions ne seront pas aussi protégés que cela peut l'être chez toi ? questionne Stéphane après réflexion.
- Tout à fait, réplique Rubys, et plus on sera proche de la ville, moins nous rencontrerons de pokemon sauvage.
Cela attriste quelque peu Stéphane, même s'il s'en doutait. Il repart dans ses pensées et ne voit pas Rubys s'approcher de lui. Elle se plante devant lui afin de le faire réagir et il finit par relevé la tête d'un air surpris. Il voit alors le visage de sa partenaire de route prendre des traits doux, presque amoureux. Il se sent rougir et ne peut s'empêcher de sourire bêtement. Ils restent ainsi, quelques instants à se contempler l'un l'autre, sous le regard interrogateur du Magnéti et du Fouinette.
Alors que Rubys s'apprête à parler, Capumain sors de sa pokeball et se dresse entre les deux parties. Il semble avoir ressenti la situation qui se jouait à côté de lui et à forcer son évasion de son orbe bicolore. Il tend les bras de chaque côté de son corps, comme pour interdire tout échange entre eux deux. Rubys, très étonné, se baisse vers lui en pliant les jambes et lui caresse tendrement la tête. Il se retourne vers sa dresseuse et elle le prend dans ses bras. Rubys se relève, et c'est finalement Stéphane qui reprend la parole.
- Tu pourrais m'aider à aller voir Insécateur et son petit s'il te plait ? lui demande-t-il presque implorant en lui montrant des béquilles du doigt, près de l'armoire.
- Très bien, mais fais attention, accorde-t-elle.
Elle essaie de lui tendre le bras pour l'aider quand Capumain s'enroule autour de celui-ci pour empêcher tout contact physique entre Rubys et Stéphane. Il semble sentir passer des sentiments entre eux deux, et de manière protectrice, il cherche à les séparer pour éviter peut-être une nouvelle déception à sa maitresse. Elle lance un regard mélange d'incrédulité et de colère à son pokemon qui commence à se recroqueviller sur lui.
- Non, laisse Rubys, il cherche à te protéger, je commence à comprendre maintenant, fait-il observateur. Il n'est pas asocial, il n'a juste pas envie de te voir souffrir et je le comprends, finit Stéphane en fixant un regard amical à Capumain.
Ce dernier relâche quelque peu sa prise et commence à se diriger vers Stéphane en reniflant l'air qui l'entoure. Il arbore un air interrogateur et s'intéresse de manière inhabituelle à ce dernier. Il descend du bras de Rubys, ahurie par ce que vient d'évoquer Stéphane et le comportement de son petit singe.
Le petit pokemon à la queue gantée s'avance lentement vers les jambes suspendues de Stéphane. De manière très surprenante, il saute sur ces genoux avant de s'y assoir. Il le regarde avec attention, la tête penchée sur le côté d'un air pensif. Il semble tenter de savoir ce que pense réellement Stéphane et ne comprend pas encore tout à fait pourquoi tout à coup, il se met de son côté. Il attend, et montre à Stéphane qu'il désire plus d'explications pour comprendre la situation. Stéphane, surpris de prime abord, se dessine un visage aux traits taquins.
- Oui, tu as bien compris ce que je viens de dire, affirme Stéphane approchant ses yeux de ceux du Capumain.
Le Capumain ne s'attendant pas à cette tournure, bondit en arrière, puis s'enroule autour du cou de Rubys avant de s'assoir sur l'épaule de celle-ci. Il semble toujours vouloir des explications, bien que plus rassuré sur l'épaule de son dresseur.
- Ecoute, le professeur m'a raconté un peu ton passif, je m'excuse vraiment pour tout Rubys, confesse alors Stéphane en se tournant vers sa jolie accompagnatrice. Je n'ai jamais pensé un instant que tu avais pu vivre tout ça, j'ai été égoïste de croire que mes paroles régleraient les problèmes, ajoute-t-il les yeux humides de culpabilité, pardonne moi Rubys et toi aussi Capumain, finit-il dans un sourire fautif.
Rubys se sent fondre, son cœur tiens encore par miracle dans sa poitrine. Elle prend les mains de Stéphane et tente de répondre à ces paroles qui l'ont ébranlée. Elle entrouvre lentement les lèvres, mais avant que son n'en sorte, Capumain se jette au cou de Stéphane qui, abasourdi, se redresse brusquement avant de se figer. Pourtant, Capumain ne semble pas agressif, bien au contraire. Il se place sur son épaule et lui caresse légèrement l'arrière de la tête comme pour le rassuré. Rubys n'en reviens pas. Oubliant presque les paroles que Stéphane vient de prononcer, elle n'arrive pas à croire qu'un étranger qu'elle ne connait que depuis quelques jours se lie d'amitié avec son pokemon, d'habitude si taciturne. Elle ne sait plus par quoi commencer.
- Mais… que… enfin, que se passe-t-il ? questionne Rubys deux doigts de chaque main sur ses tempes. Comment un inconnu peut mieux comprendre Capumain que moi ?
- C'est parce que tu ne te comprenais pas toi-même, c'est pour ça que tu ne voyais pas pourquoi il agissait comme cela, répond Stéphane, en mimant d'un geste de la tête a Capumain de rejoindre sa maitresse.
Le petit pokemon s'exécute en signant de la tête puis se blottit contre Rubys pour lui montrer son affection.
- Tu vois, il sait par quoi tu es passé et il en a conclu que les hommes qui s'immiscent dans ta vie sont mauvais, explique Stéphane. Alors que de ton côté, tu devais penser que le problème venait de toi, accumulant tellement d'échecs amoureux que tu ne pouvais pas croire que tu jouais seulement de malchance… Du coup, t'as même pas vu qu'il essayait de te protéger ! Tu pensais juste qu'il se renfermait comme toi, tu l'as fait pour protéger ton cœur, termine Stéphane avec une douceur dans la voix que Rubys n'avait pas encore entendu jusqu'à présent.
Rubys sent ses jambes la tromper. Elle finit par se recroqueviller sur elle-même, Capumain entre ses bras. Elle réfléchit si intensément qu'elle en parait déboussolée. Capumain la câline comme il peut mais au bout de quelques minutes passées sans qu'aucun ne bouge, Rubys se relève, séchant gracieusement des larmes naissantes sur le bord de ses yeux empreint d'apaisement. Elle remercie de la tête Stéphane en lui envoyant une regard plein de chaleur et caresse la tête de son petit ami à poil violet avant de lui demander de retourner auprès des autres pokemon, qui, voyant les échanges devenirs plus sérieux s'étaient permis de sortir de la pièce. Elle prend une grande respiration et s'avance lentement vers Stéphane qui se lève avec délicatesse de son lit. Elle baisse tout d'abord la tête et s'approche à quelques centimètres de son ami. Elle semble vouloir poser sa tête sur le torse de l'homme qui lui fait face et dans un élan de douceur, il tente de l'enserrer doucement dans ces bras. Tout à coup, avant même qu'il ne finisse par l'étreindre, elle relève soudainement le visage et lui vole un doux baiser. Elle s'écarte aussitôt et arbore un grand sourire, ces pommettes rouges écarlates. Stéphane décontenancé continue de sentir la douce chaleur de ses lèvres sur les siennes encore quelques instants, comme si ce baiser avait duré de longues heures. Son cœur bat si vite qu'il pourrait battre tous les record de vitesse s'il pouvait courir seul. Sa pensée se floute, jusqu'à ce que Rubys s'explique sur son geste.
- Depuis des années, la seule personne qui m'aime pour ce que je suis et que je pourrais aimer en retour n'est pas de ce monde, raille-t-elle, mais cela me redonne espoir en l'amour et je voulais te remercier pour ça Stéphane, achève-t-elle sur un ton plus mélancolique.
Ils échangent quelques regards complices puis Rubys finit par s'incliner en remerciant Stéphane et se dirige vers la sortie. Stéphane ne voulant pas terminer comme cela la rattrape d'un pas assuré et lui empoigne le bras avec légèreté. Elle se retourne et il lui répond :
- Merci. Merci de me pardonner, merci de m'aider. J'espère que nous pourrons continuer à voyager sans que notre relation ne se détériore. Pas d'ici certes, mais mes sentiments eux le sont, et même s'ils ne seront jamais concrétisés, je veux que tu saches que je serais toujours avec toi, même après mon départ et que je veillerai à ce que tu trouves un homme qui s'occupera bien de toi, à travers Capumain, dit-il avec sincérité.
Quelques larmes se dessinent sous le regard amoureux de Rubys et elle se jette dans les bras de Stéphane en sanglotant pour trouver du réconfort. Cette fois, elle se laisse étreindre sans bouger, laissant le flot de sa détresse s'étendre sur le tee-shirt de son amour. Elle sait que cet amour lui est interdit, mais elle sait que si elle l'aime lui, elle pourra en aimer d'autre.
Après quelques minutes à pleurer, Rubys se calme et, s'essuyant les joues de la paume de ses mains, elle dit à Stéphane :
- Viens, allons vérifier la condition des Insécateur ensemble. Et merci, vraiment, joint-elle d'un soupir de soulagement.