Chapitre 8 : Moi, corps meurtri
Personnage narrateur : Estelle
Je ne sens plus rien, que la douleur des cordes qui me meurtrissent les poignets et les chevilles, m'attachant fermement à cette chaise bancale. J'ai mal à de trop nombreux endroits pour que je puisse les compter. Je préfère me rappeler de ce qu'il s'est passé. Pour tenter d'oublier les coups et les questions agressives.
Une demi-heure de balade forestière s'est écoulée avant que mon chef ne reprenne les choses en main. Il a rapidement compris que nos hommes avaient échoué, et en particulier, par la faute de qui. J'aurais dû me douter qu'il découvrirait quelque chose. Lance me connaît bien. Il sait de quoi je suis capable. Mais je ne peux rien lui dissimuler très longtemps... Il est furieux de ne pas avoir pu participer au siège de la Tour Radio en plus d'avoir perdu "son" Noctali. Du coup, il passe ses nerfs sur moi, à présent. La nuit est très avancée. Je ne sais pas depuis combien de temps Ivy est seul dans la nature. J'espère qu'il est déjà loin...
Une nouvelle claque me fait vaciller. Il n'y va pas de main morte. Désormais, je vois toute l'ampleur de sa brutalité véritable, celle qui était restée enfouie pour mieux se servir de moi. Il est trop tard pour réparer mes erreurs. Aurais-je compris cela plus tôt, j'aurais fui la Team Rocket pour devenir une véritable dresseuse Pokémon et affronter le Maître de la Ligue, ce que je me suis toujours interdit. Le plan de nos chefs aurait été grillé. Quel dommage... Ce soir, j'en suis sûre, mon aveuglement va me coûter la vie.
-Tu vas parler, oui ?! rugit celui que j'aimais encore d'une passion dévorante ce matin.
Nouvelle claque, de l'autre côté cette fois-ci. Je serre les dents. Pas question de faire montre de ma faiblesse. Devant mon absence de réaction, il se décide à frapper à nouveau sur le point sensible : l'endroit où les griffes d'Ivy ont entaillé ma chair. Le sang s'échappe dans un nouveau flot alors que je ne peux retenir une exclamation de souffrance brute.
Il a un rire sadique. A cet instant, je n'ai qu'une envie : le détruire ! Lui faire mordre la poussière ! Je veux le faire saigner, le faire souffrir comme il l'a fait avec moi ! Mais je suis impuissante, si fatiguée et si moulue... Comme si j'avais couru la journée entière...
Ivy, petit chéri, où es-tu ? As-tu réussi à fuir, comme je te l'avais conseillé ? C'est tout ce qui m'importe. Les larmes perlent aux coins de mes yeux piqués d'étoiles. Ivy...
-Où est mon Noctali ?!
Ivy... Je t'aime mon Evoli adoré...
-Réponds, traîtresse !
Ma poitrine se soulève au rythme de mes sanglots, mais les cordes sont trop serrées pour me permettre de respirer convenablement. Je n'en ai cure à présent ! Ivy, si tu dois survivre, sois heureux, je t'en prie... Je n'ai plus que toi. Fais en sorte que mon sacrifice n'ait pas été vain !!
La baffe est magistrale, calculée et d'une précision redoutable. Ce n'est plus une brûlure sur ma peau, mais un incendie. Lance m'attrape à nouveau par le menton. Si j'avais un tant soit plus de forces, je lui cracherais au visage !
-Je répète ma question une dernière fois... Où est mon Noctali ?!
-Je... ne... sais pas...
Déchirure à l'épaule droite. Mes larmes ne veulent plus cesser de couler. Je lutte pour passer de l'autre côté, mais Lance ne m'en laissera pas l'occasion. Son rictus de sadisme s'est transformé en une terrible grimace de rage. Ce visage a toujours signifié une chose, une seule et unique chose pour moi : une promesse de mort ! Sauf qu'elle m'est adressée...
-Je sais que tu l'as aidé. Des témoins ont confirmé. Tout ce que je veux savoir, c'est où il est. Tu peux bien me dire ça, non ?
-Je n'en... sais rien...
La rafale que cette réponse déclenche me laisse sonnée. Chacun de mes muscles me fait souffrir. Je ne savais pas que j'en avais autant.
Le ton de Lance devient doucereux. Je le vois à travers la brume de la douleur tirer son propre poignard de sa botte et en plaquer la lame contre ma gorge.
-On change de question, étoile. Tu l'as aidé ?
Je répondrai à n'importe quoi pourvu qu'il arrête.
-Oui, dis-je dans un souffle.
-Et tu lui as demandé d'aller quelque part en particulier ?
-Non...
-Où est-il ?! (Il enrage, je ne l'ai jamais vu dans un tel état.) Où est cet Evoli ?!
-Loin d'ici... J'espère... Très loin... De toi... Lance chéri...
Il lève son poignard, et j'attends l'impact avec résignation. Cette vie ne peut plus rien m'apporter. Je serai ravie de la sacrifier pour Ivy ! Je n'ai plus rien à perdre.
La porte vient de s'ouvrir. Qui peut bien...
-Chef ! On m'informe que l'état d'urgence est déclaré !!
-Comment ça ?! s'énerve Lance en rangeant son arme de mauvaise grâce.
-Tous les Commandants et tous les Sbires disponibles sont appelés à la Tour Radio ! C'est une urgence déclarée par le commandant Amos, notre chef en l'absence de...
-Oui, bien sûr, je connais bien Amos ! Que se passe-t-il, enfin ?!
-Un gamin... Un simple gamin...
Le Sbire des Sbires semble hésiter devant la rage contenue de son Commandant, mais il lui suffit d'un regard de sa part pour comprendre qu'il doit se dépêcher s'il ne veut pas se retrouver à ma place !
-Un gamin est en train de semer la pagaille dans la Tour, il a battu presque tous nos sbires et se dirige droit vers le cœur du bâtiment !
-QUOI ?!
L'étonnement de Lance ne dure pas longtemps. En un instant, il reprend le visage que je lui ai toujours connu. Sûr de lui, un brin sarcastique.
-J'y vais. J'ai déjà eu affaire à ce gamin par le passé, je crois. Mais cette fois, ça ne se passera pas si facilement. Il va souffrir... (Il se tourne vers ses trois assistants, qui me surveillent toujours.) Vous, restez là et gardez la traîtresse. Je pars chasser cette fouine de nos étages...
Je perçois plus que je ne vois la porte se fermer derrière lui... Les trois gardes s'avancent aussitôt vers moi, des sourires sadiques barrant leurs visages sombres. Je sais très bien ce qu'ils vont me faire. Adolescente, je me suis moi-même amusée à... Quelle horreur. Je ne veux pas subir ça !! Mais au lieu de saisir un instrument de torture quelconque, ils se figent à mi-parcours. Je reprends mes esprits avec difficultés. Qu'est-ce que...
A mes pieds se tient une petite silhouette que je n'aurais jamais espéré revoir...
Une larme roule sur ma joue meurtrie.
Merci, Ivy.