Ch. 11 Se croire invincible (Luxya)
C'est marrant. Je n'avais jamais été autant dépassée par les évènements. J'étais fatiguée. J'aurais donné n'importe quoi pour dormir quelques heures de plus, mais non. Non. Il fallait se lever, recommencer notre marche interminable. Il fallait continuer de se battre, pour finalement peut-être arriver à rien. Il fallait continuer de faire semblant, continuer de vivre cette routine totalement inintéressante, tout en espérant qu'on s'entende mieux entre nous quatre. Enfin, je ne me faisais pas trop de soucis là-dessus, en voyant la manière dont Démétrios et Linda s'entendaient drôlement bien depuis la veille. Je ne pouvais m'empêcher de ricaner en me rappelant que Dem la méprisait il y a peu. C'est peut-être le désespoir d'avoir aucune fille sous la main qui le poussait à draguer à droite à gauche.
Enfin, je dis ça, mais il reste quelqu'un que j'apprécie. C'est juste que... j'étais énervée quoi. Alors j'étais là, plantée en tailleur, pendant que Tennessee brûlait de la chair de Nosferapti pour manger, et que les deux autres gusses gloussaient comme des Lockpin excités. Je regardai les stalactites pointues qui me menaçaient, lisses et brillantes. Tout en observant le plafond de la grotte, je trouvai un harpon pendu à une lame ficelée. La lame perçait un squelette, probablement d'un Nosferalto vu la grande taille. De voir une arme si perfectionnée et récente aussi intacte, je n'hésitai pas une seconde et commençai à enjamber quelques rocailles pour l'attraper. Je grimpai tranquillement, avançant tout en humant l'odeur de viande juteuse.
- J'ai l'impression de ressembler à Pierre, à cuisiner pour vous tous là... C'est pas aux femmes de faire ça normalement ? grommela Tennessee.
- Je sais pas cuisiner, je grille tous mes plats... sourit Linda accompagnée de Dem.
Je me retournai rapidement pour crier à son adresse, à plusieurs mètres loin d'elle.
- Tu sais pas faire grand-chose en fait !
- La ferme, répondit-elle.
- Moh, quelle répartie, riai-je.
Tennessee ricana également, tout en enfonçant le clou. Il déclarait que je n'avais pas tort, et qu'il était temps qu'elle se mette à se battre. Démétrios prit la défense de Linda, en disant que c'était louable qu'elle veuille conserver ses mains pures de n'importe quel sang.
- Ah ouais, même si nos vies sont en jeu ? demanda Ten.
Je les laissai converser, continuant à me battre tout seule avec l'arme. Pour la peine, je comptais bien me garder ce magnifique harpon. Au moment où j'allais agrippé la crosse, mon bleu à la joue cogna, et j'eus le réflexe d'aplatir ma main dessus, un peu agacée dans le même temps qu'ils en aient rien à foutre de savoir ce que je trafiquais. C'était très intelligent, puisque je basculai en avant.
- Mais qu'est-ce que tu trafiques ?! s'énerva Ten. Tu fais un de ces boucans !
Je grognai, tout en me hissant douloureusement à l'aide des piques de pierres pour remonter sur la plateforme où j'étais. Une fois remontée, je pus sauter pour récupérer le harpon. Bien que la lame fut un peu rouillée, elle restait vachement utile et bizarrement jolie.
Quand j'arrivai à leur hauteur, et qu'ils me virent brandir l'arme, les genoux sanglants, seul Démétrios leva le pouce.
- Et mon bout de viande ? demandai-je, penaude.
- Là, me désigna Linda.
Elle me montra une pièce de viande d'environ trois centimètres carré. Je virai au rouge, et écarquillai les yeux.
- C'est une blague ? J'ai l'air si maigre que ça ? J'ai un estomac moi aussi !
- T'avais qu'à être là à l'heure, j'ai dit qu'on mangeait. Puis deux Nosferapti, ça fait pas beaucoup à avaler pour quatre.
Ah mon Dieu... Son ton calme, son regard évasif, sa mine « je-m'en-foutiste ». Autant de choses que je ne supporte pas voir quand je suis énervée. Ça me révulse. Alors je lui sautai dessus. Oui, je sautai sur Tennessee.
- Espèce d'enfoiré, je suis celle qui se bat le plus avec toi pour nous protéger, et c'est comme ça que tu me remercies !!
Et la folie aidant, je lui collai un coup de poing dans le nez. Linda et Démétrios se mirent à hurler. J'entendais des « Ça ne te ressemble pas ! » « Calme-toi ! » et autres foutaises. Et même si je savais que je faisais carrément n'importe quoi, ça m'était égal. Au moins, j'étais proche de quelqu'un. Tennessee se débattait habilement, et c'était encore plus distrayant pour moi que d'éviter les droites qu'il envoyait. Un autre coup de genou dans le ventre, laissant un peu de sang sur son t-shirt, et c'est lui qui mena la danse, me renversant. De tout son poids sur moi, il m'étrangla avec sa main gauche, et tira mes cheveux vers l'arrière avec la main droite. Ce fut assez imprévisible pour moi. Il ne semblait pas plus musclé de Démétrios, et pourtant, sa poigne était impressionnante. Linda secoua la tête, apeurée et dépassée, tandis que Dem était prêt à tout moment à se jeter sur nous. Mon bleu relança.
- T'aimes ça, être violentée ? se moqua Ten en souriant de toutes ses dents.
Je le dévisageai, choquée de tels propos. C'était amusant de découvrir de nouveaux aspects chez mes acolytes. Tennessee avait un vrai côté sadique, ça montrait au moins qu'il ne se donnait pas un genre. Alors que moi, je ne savais pas encore. Pour conserver mon air de gamine rageuse, je lui crachai dessus, et lui rendit son sourire. La bouche de Démétrios s'arrondit, et il lâcha son stylo qu'il avait sans doute prévu d'abattre sur nous. Linda se releva intempestivement et courut près de son nouveau petit copain. Tennessee se rapprocha de moi, et me susurra :
- T'as raison, p'tite guerrière du clan. T'es fière de faire couler du sang, moi aussi. Pour ça, je vais faire preuve de maîtrise en évitant de casser ton joli nez.
Il déplaça une mèche de mes cheveux tout doucement, me fixant avec un air dominant. Dem flippait au moindre de ses gestes.
- L'ennui, c'est que c'est aux Pokémon que tu dois faire payer le prix de ta souffrance. Pas à moi. Souviens-toi de ça, et qui sait, on deviendra peut-être plus que de simples amis.
Je respirai bruyamment, les yeux grands ouverts sur lui. Son regard noir me saisit ; j'eus une pointe au cœur. On dit que les yeux sont les fenêtres de l'âme. Si tel est le cas, Tennessee devait être un bien sombre personnage. Il était effrayant. Mais je discernai autre chose, quelque chose d'attirant. Il s'appuya sur ses deux mains, autour de ma tête, et se releva d'un coup sec.
- Allez, on décampe maintenant.
= = =
Inutile de le cacher, j'étais un peu en retrait. Après tout, je le méritai entièrement. Démétrios et Linda avaient quand même mis ça sur le compte de la détresse mentale dont nous faisions tous l'objet. Sans doute étions-nous embarqués dans un cercle vicieux, combinant la chaleur, le manque de communication humaine, de nourriture, d'eau, où nous allions tous finir par y laisser la vie. Après tout, vivre dans la peur, dans l'adrénaline, c'était pas bon pour nos cœurs, victimes d'un trouble dont ils n'étaient pas responsables. C'est impossible à comprendre de toute façon. Personne ne pouvait comprendre la douleur qui saisissait notre époque, celle où on avait vu nos familles et nos Pokémon mourir sous nos yeux, alors que nous étions impuissants.
Je marchai tout en secouant l'avant de mon débardeur, et en faisant traîner la lame de mon nouvel harpon. Je regardai mes pieds, comme si j'étais une vilaine fille, privée de jouer avec ses copains. Devant moi, Linda secouait ses cheveux pour amuser Dem, imitant les pubs que l'on voyait passer à la télé il y a quelques années. Elle se retourna rapidement vers moi. Pas une goutte de sueur sur son front, juste une peau bien propre. Je faisais pitié à côté d'elle.
- Tu t'es calmée, Nikita ?
- Xena la Guerrière lui irait mieux, elle a les yeux gris ! renchérit Démétrios.
Je les regardai tous les deux, copains comme Grotichon. Je m'adressai avec un poil de rancœur au grand brun à la chemise blanche toute sale.
- Dis-donc, moi qui pensais qu'on s'entendait bien tous les deux Dem, ça fait plaisir de voir que tu arrives aussi vite à changer d'amie.
Réaction étonnante, Dem se mit simplement à rougir, sans démentir. Je crois qu'on est tous bizarres, en fait.
- Je pensais qu'être ami avec vous trois était possible, non ?
- Bien sûr que oui ! sourit rayonnement Linda.
- On dira ça, oui, confirmai-je.
Au bout de plusieurs kilomètres, nous voilà enfin arrivés dans une nouvelle ville
: St Louis – Missouri. Ville devenue connue grâce à la Route 66. Aujourd'hui, elle est ravagée. C'était une ville dont les richesses avaient explosé lorsqu'elle avait commencé à produire énormément de sérum AB-6.
- La priorité, c'est de trouver de l'eau. Puisque vous deux, vous semblez bien vous entendre, vous allez ensemble sur l'aile Est. Ambre, on va vers l'Ouest. On ne revient pas sans eau.
- Quelle heure ici ? demanda Linda en regardant sa petite montre.
- 14 heures.
- Ça nous fait deux heures tapantes, et hop c'est parti ! cria Démétrios en se mettant à courir dans le sens opposé.
- Attends-moi ! grogna Linda.
Tennessee me dévisagea, avec son regard sombre, pendant que Linda rattrapait son acolyte.
- J'ai l'impression de me faire toiser par mon père...
- Ne me compare pas à ton père, c'est totalement inapproprié, déclara-t-il en se remettant en route.
Son sac sur le dos, pendant que je réajustai mon arc par peur de voir sortir des Pokémon, nous commençâmes par pénétrer dans un ancien grand magasin. Quelques caddies étaient encore assemblés devant l'entrée déchiquetée par des gros Pokémon. Il y avait un Aligatueur qui gardait les lieux, seul, à moitié assoupi. La chaleur à midi était terrassante, et malheureusement pour lui, on allait en profiter.
- Essaye ton harpon.
C'était dit avec un ton si commanditaire que je n'ai fait qu'obéir comme un automate. Grâce à la précision acquise avec mon arc, ce n'était pas compliqué de viser. Ten me poussa un peu en me donnant une tape sur l'épaule pour que je m'avance.
- Sinon la corde n'aura pas assez de jeu, inculte.
Ni une ni deux, je me rapprochai discrètement. Une fois à quelques mètres du Pokémon Eau, je tirai, la lame perçant son œil. Il s'écroula instantanément. Nous nous rapprochâmes à la hâte. Ten sortit un sac plastique de sa poche, où on avait précédemment mis les bouts de chair des Rapasdepic. Il dépeça le Pokémon et enfourna plusieurs morceaux dans le sac, pendant que je rembobinais la corde de mon arme.
- Tu vises comme une vraie chasseuse. Mon père t'aurait bien aimé.
- À propos, si tu me parlais un peu de ta famille ?
Il referma le sac, et se mit à marcher à ma suite, enjambant des blocs de béton.
- Et pourquoi je t'en parlerais ?
- Tu seras bien obligé d'en parler à l'un de nous un jour, si tu veux tenir.
- J'ai été éduqué de manière à ne pas avoir à compter sur les autres. J'ai pas besoin de parler pour « tenir. »
Je me renfrognai. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Qu'on était faibles ? Je ne suis pas faible. Sa réponse me fit donner un coup de crosse sur une étagère. Elle était tellement fragile qu'elle s'écroula. Quelques boîtes de conserves cachées roulèrent jusqu'à mes pieds.
- Pas besoin de t'énerver, déclara-t-il tout en ramassant les boîtes.
- T'es bien placé pour me dire ça, hun, répondis-je aussi vite.
Il sourit, et pencha la tête sur le côté.
- Pourquoi autant de froideur ? Je suis sûre que tu as longtemps été une gentille fille...
- La date, tranchai-je, irritée.
- Mmm, elle est un peu dépassée. Elles sont mangeables quand même, on les prend. Maintenant, on trouve de l'eau.
L'eau se trouve souvent dans des trappes. Les commerçants cachaient leur propre réserve. On s'amusait donc à taper le sol avec nos pieds, en espérant que ça sonne creux. Voilà qui me déstressait un peu.
- Tu aurais pu te jeter sur Linda au fait.
- Non.
- Et pourquoi cela ? demanda-t-il. C'est elle qui ne te supporte pas depuis le début.
Cette fille... Elle contribuait grandement à ma folie en tout cas. À se lier avec Démétrios tout en me regardant avec son air possessif, à me rabaisser continuellement comme si j'étais un Pokémon sauvage. J'aurais pu me jeter sur elle, oui.
- Mais ça n'aurait pas été aussi intéressant. Si je me bats contre Linda, j'en fais qu'une bouchée. Elle ne peut pas me maîtriser, elle est trop fragile. Ça donne pas envie de lui faire du mal.
- Mais pas moi, je vois, acquiesça Ten en donnant un coup de talon sur un carreau blanc. T'es une drôle de fille, Weaver.
- Et toi un drôle d'imbécile, « Nixon », répondis-je à sa façon.
Ça ne le fit pas sourire. Il défonça le carreau avec son pied. En actionnant un petit loquet dessous, on put ouvrir la trappe.
- Bingo.
Des packs d'eau à un mètre trente sous terre. Inutile de dire qu'on a fait le plein, essayant de porter plus que ce que l'on pouvait. L'heure commençait à tourner, et nous voyions bien qu'il nous était impossible de prendre toutes les bouteilles. Je commençai à me hisser sur le sol pour remonter, quand Ten agrippa mon jean déchiré et me ramena vers lui, presque en me faisant tomber, s'il ne m'avait pas rattrapée.
- Regarde.
Je regardai la direction qu'il pointait du doigt, dans la cave, et quelques mètres plus loin, une lueur verte émanait de l'obscurité du lieu.
- Du sérum AB-6 ?
- On dirait bien. On se tire de là, ça vaut mieux. On doit rejoindre les autres.
Recommençant donc ma tentative de remonter, ce fut grâce à Tennessee qui me fit la courte échelle que je parvins à me remettre sur pied. Le tirant par les mains, il sortit aussi. Nous prîmes un maximum de bouteilles, même si nous regrettions tout de même de ne pas pouvoir prendre les autres.
- ... Un caddie, dit le militaire.
Mais oui ! Quelle idée de génie ! Il partit en trottinant en chercher un, pendant que je commençais à rassembler quelques broutilles trouvées sur les étagères alentours : boîtes d'allumettes, un filet, une casquette, une Super Potion et un Max Repousse. Trop pratique, ça. Pour le coup, j'étais vraiment contente de moi d'avoir trouvé une telle chose. Au village, on en avait eu beaucoup pendant une période. Alors tous les deux jours, à tour de rôle, les jeunes du village accompagnés de quelques adultes, les utilisaient aux quatre entrées, afin de repousser pas mal de Pokémon. Et dire que ça vaut 700 Pokédollars...
Tennessee arriva avec le caddie à la hâte, alors que j'entendis un bruit.
- Il est bien, il roule super vite, s'enthousiasma-t-il. Allez, on met tout dedans.
On empilait les bouteilles, les conserves. Je lui montrai mon Max Repousse, en haussant les sourcils.
- Ah. Voilà qui nous sera utile.
Une fois tout bien posé dans notre nouveau compagnon, on sortit du magasin, de peur que quelque chose nous tombe dessus. Il poussait le caddie tranquillement, en rasant les murs, pendant que moi, plusieurs mètres devant, j'observai les endroits dans lesquels nous nous enfoncions pour voir si aucun Pokémon n'y était. C'était plutôt calme.
- Tu aimes bien Démétrios ? me demanda Ten.
Je tombai des nues. Le grand gaillard qui s'intéresse à ce que je peux penser des autres. Après avoir jeté un œil par dessus un grand buisson, je raclai un peu ma gorge.
- Oui, il est gentil. Il est drôle surtout. C'est pour ça que Linda se sent aussi bien avec lui, et pas avec toi.
- C'est gentil de me le rappeler.
- Oh, mais avec plaisir mon cher.
Il me donna un coup de caddie. Mon couinement dû l'amuser, car ce fut l'une des rares fois où il sourit naturellement.
- Linda se sent mal avec moi, mais ce n'est pas ton cas si j'ai bien compris.
- Disons qu'avec toi, je m'offre une certaine sécurité, répondis-je.
- C'est ça.
Oui, c'était exactement ça. Au moins, avec lui, on ne pouvait pas se sentir en danger. Puis on se ressemblait. C'était le leader, mais je me sentais juste derrière. Il avait la tête sur les épaules, et ne reculait devant rien. Qu'on le veuille ou non, ça en jette. Et c'est vrai qu'à côté, y avait l'anti-héros. Démétrios. On ne peut pas lui enlever tout le charme que fait son innocence. Mais je me disais juste que si c'était pour qu'il me considère comme un assassin, je préférais amplement le laisser avec la fille chaste de toute marque de sang. J'avais peut-être plus besoin de me lier avec quelqu'un qui comprenait ce que je ressentais, quelqu'un d' « entaché » plutôt que d'essayer de cacher perpétuellement celle que je suis pour paraître plus humaine auprès de Dem. Parce que le problème, c'est que si personne ne tue, qui le fera ?
Au bout de vingt minutes, où l'on attendait plus ou moins patiemment Démétrios et Linda, nous commençâmes à nous laver, après s'être désaltérés. La chaleur était on ne peut plus étouffante. Si on avait pu avoir un thermomètre à disposition, je pense qu'il aurait facilement pu donner 110 Fahrenheit (44 degrés à peu près). Donc c'était presque réconfortant d'être trempés. Les deux silhouettes ne tardèrent pas à se montrer, les bras pleins. Il y avait un sourire sur le visage de Linda, que même la mort de l'un d'entre nous n'aurait pu effacer. Ten et moi eurent donc l'envie irrépressible de savoir ce qu'ils avaient ramené. J'étais en train de refaire ma tresse quand je vis le garçon s'agiter dans tous les sens.
- Hé ho ! Ne nous attendez pas surtout ! cria Dem.
Une fois arrivés, il me glissa un chuchotement discret dans l'oreille, digne du plus gros dragueur.
- J'aurais pas eu l'occasion de te revoir en sous-vêtements.
- Et je ferai en sorte que tu ne l'aies plus avant un moment, répondis-je en remontant mon débardeur pour ne laisser aucune vue.
Linda leva les yeux au ciel. Ils posèrent tout au sol. Ils avaient trouvé à manger surtout. Du saucisson, du miel, de l'huile, du sucre... Et même du vin. On avait trouvé le strict minimum en grande quantité, ils avaient trouvé les mets d'une qualité exquise. Ils nous expliquèrent qu'ils avaient trouvé tout ça dans la remise d'un bâtiment policier. Tennessee était visiblement très fier de sa petite équipe d'exploration.
- Si vous saviez grâce à vous, la viande d'Aligatueur ce que ça va donner, glacée au miel...
- Vous avez de la viande, encore ?
On leur montra ce qu'on avait déniché. Allumettes, conserves de poissons, de légumes secs, sauces en sachets. Plus la viande d'Aligatueur, bourrée dans un sac en plastique plein à craquer.
- Je crois qu'on peut aisément dire qu'on a décroché le pactole aujourd'hui ! On est gagnants sur tous les points ! s'exclama l'autre fille, euphorique.
Pour le coup, j'étais entièrement d'accord avec elle. Par souci d'entente, je lui adressai un joli sourire ; elle me rendit mon acte de bonté en me sautant dans les bras. Tennessee et Démétrios nous dévisagèrent, complètement ahuris. Cette fille est vraiment TROP lunatique. Elle se sépara de moi quand Ten toussota. On devait répartir ingénieusement nos munitions, nos provisions et les bouteilles dans nos sacs, au cas où on était attaqués par des Pokémon. Pour ça, j'étais armée. Arc, flèches, harpon, couteau. Je rivalisais avec Ten et son Desert Eagle. Dans le caddie, nous décidâmes de laisser uniquement le surplus de bouteille. St Louis fut une ville incroyablement minée d'or pour nous. J'étais d'ailleurs très étonnée de la voir aussi déserte. Je n'avais même pas vu un seul cadavre, ni un seul squelette.
Et là, en pensant à ça, je compris quelque chose.
- Dites... Si il n'y absolument aucun trace de vie humaine ici, ce serait pas parce que...
- ... Ça serait le repère d'un gang de Pokémon ? termina Dem.
Je me retournai vivement vers lui, acquiesçant, un peu effrayée. Il sourit, presque gêné.
- J'y avais pensé !
Il était mignon Tennessee à nous avoir dit « La seule route non fréquentée par ces saloperies », un truc du genre. Parce que jusque là, j'ai l'impression qu'on a vu QUE ça. Je me gardai de le dire, car Tennessee me saisit le bras et commença à me traîner. Il suffit que j'émette une crainte concernant une éventuelle présence de Pokémon, et pouf, me voilà envolée derrière mes trois compagnons. Démétrios poussait le caddie assez vite, et Linda était en tête. Elle courrait vite sous cette chaleur écrasante ; en plus, elle portait un sac assez chargé, des mets les plus exquis. Ben oui, c'est celle qui se bat pas, donc au moins, elle a la viande, le miel et tout le toutim. Comme le caddie était très lourd, et qu'on courrait un peu pour rien pour le moment, je décidai d'aider le brun en le poussant.
- Mets pas tes mains sur mes fesses, hein ! ricana-t-il, essoufflé.
- C'que tu peux être bête toi, des fois ! grommelai-je.
Tennessee courrait aussi plutôt vite, malgré le sac qu'il portait et qui devait peser pas mal de kilos. En levant les yeux, je distinguai un panneau nous indiquant que pour quitter la ville, il fallait prendre la sortie 40.
Pour prendre la sortie 40, il fallait traverser le Mississippi.
- Là ! Le pont ! cria Dem en s'arrêtant d'un coup.
Son cri m'étonna, et je trébuchai comme une patate à cause d'une de mes tongs, m'affalant derrière lui.
- Oh Arceus, ça va Ambre ? Désolé !
- On peut ralentir je pense maintenant, on s'éloigne du centre-ville, déclara Ten en calmant le pas.
Ouais. Me relève pas surtout. Déjà que j'avais mes genoux abîmés pour récupérer mon fusil harpon, j'avais pleins de petits gravillons incrustés dedans. Mignon.
- Ta tong a rendu l'âme, déclara Linda. Elle a bien tenu depuis tout ce temps.
En effet, ma tong était morte. J'avais donc un pied nu. Ça allait être très pratique. Pieds nus ou en bottes, nous nous engageâmes prudemment sur le pont en fer. Mais en fait, prudemment ou pas, nos pieds résonnaient sur la matière. Puis le caddie faisait un boucan d'enfer. Démétrios qui jusque là semblait très attaché à nos trouvailles, proposa quelque chose.
- Imaginons on se fait attaqués sur ce pont ? Il vaudrait peut-être mieux planquer le caddie et les victuailles jusqu'à avoir établi une sécurité ?
- Ouais, comme ça pendant qu'on vérifiera le pont, un Kecleon aura bouffé tout ce qu'on a galéré à ramasser ? répondis-je, sur le même ton.
- Dans ce cas, Linda reste avec !
Tennessee se retourna vers Démétrios. Il le considéra avec un regard hautain.
- Cette fille ne sait pas se battre. Un coup de Psyko et elle est K.O, ricana-t-il.
- Je suis juste là ! Pas besoin de parler de moi comme ça. Ce qu'on peut faire, c'est que Dem et moi, on traverse en courant, pendant que vous assurez nos arrières ?
- Avec un arc et un flingue presque vide ? ironisa Ten.
Je sortis doucement de ma poche mon Max Repousse dont j'étais si fière.
- Non, avec ça.
Précautionneusement, j'ouvris donc la petite fiole. Démétrios s'élança avec le caddie et commença à le pousser à toute allure. Linda l'arrêta par le col de la chemise, et il freina brusquement.
- Crétin. Un Max Repousse s'écoule au rythme de nos pas, pas par rapport au temps. Tu peux rester statique pendant une heure, les vapeurs ne s'échapperont pas. Donc plus on marche tranquillement, mieux ce sera.
Et nous voilà partis pour traverser ce long pont. L'odeur qui émanait progressivement était vachement dissuasive. Si j'étais un Pokémon, c'est clair que je me serais pas ramenée. C'est pas que ça pue, mais le parfum très spécial, d'un mélange de vieilles épices utilisées au siècle dernier, a la particularité d'écœurer. Voilà, c'était plus écœurant pour un humain qu'insurmontable ou autre. La fiole couvrait une bonne partie de la surface métallique, c'est pourquoi on décida qu'il faudrait se magner une fois arrivés aux trois quarts. Linda prenait encore de l'avance, tirant le caddie par l'avant, tandis que Dem le poussait de toutes ses forces.
- Tu vas te faire les bras comme ça, c'est bien ! souris-je.
- Oui, c'est bien de voir le bon côté des choses ! renchérit-il, satisfait. Vivement qu'on se lave, puisque vous ne nous avez pas attendu.
- La fiole sera vide dans 3... 2... 1... Et voilà.
Nous démarrâmes notre course. Les deux en caddie allaient plus vite que nous, se tapant un sprint effarant, pendant que Ten et moi étions toutes armes dehors. Jugeant la situation dénuée de danger, je rattrapai le duo devant. Et là.
Deux Ludicolo tombèrent de nulle part, PILE DEVANT LA SORTIE DE CE FOUTU PONT. Linda hurla, ayant presque failli atterrir dans les bras de l'un des Pokémon.
- FAITES QUELQUE CHOSE !! continua-t-elle de crier.
Démétrios saisit le caddie, puis se mit sur le dos. Il était hors de question pour Tennessee d'utiliser ses balles, visiblement. Comme j'avais déjà une flèche d'encocher, mais que Linda restait plantée debout, je décidai de profiter du marchepied que formait Démétrios. Je sautai sur son dos, puis dans le caddie, sur les packs d'eau, pour avoir une parfaite visibilité. Je perçai l'œil d'un des deux Ludicolo, alors que Tennessee courut vers l'autre. Ce dernier utilisa son Fouet Lianes sur Linda qui se retrouva à quelques mètres du sol, apeurée.
- Je vous ai dit de FAIRE QUELQUE CHOSE !!!
Pendant que Ten se débattait avec le deuxième Ludicolo, qui balança donc Linda à terre pour se concentrer sur le militaire, j'ordonnai expressément à la fille de prendre le caddie et de se barrer avec. Il fallut lui répéter plus fort, pour qu'elle se remette du choc de la chute. Elle tira notre compagnon en fer sur plusieurs mètres et s'enfonça dans le paysage. Je fus rassurée dans un sens, parce qu'en étant là, elle ne nous aiderait pas plus, et aurait été le sujet d'une morte certaine. Et je pèse mes mots. Parce que ce que je vis après les Ludicolo, fut bien pire que ce que nous avions vu jusque là. Derrière nous, du côté arrière du pont dont nous venions, et c'est Démétrios qui nous le fit réaliser, accouraient des Laggron, des Musteflott et des Akwakwak. Certains sortirent de l'eau du Mississippi et montèrent jusqu'à nous. Là, la peur me saisit. Colorant mon visage d'une couleur bleuâtre, j'ai bien cru que j'allais vomir. Ils étaient trop. On allait mourir. Je voyais toutes les images de ma triste vie défiler encore une fois. Je n'eus même pas le temps de réfléchir qu'une déferlante d'eau nous propulsa contre les Ludicolo morts.
- Ben tu l'auras eu ta douche, content ? grommela Ten à Dem.
À peine nous étions nous relevés que des Pifeuil apparurent derrière les cadavres. En cerclés, nous fûmes contraints de nous rapprocher du milieu du pont, le temps de réfléchir.
- Les Laggron et Akwakwak sont trop nombreux ! paniquait Démétrios.
- Tu oublies les Musteflott, dis-je, essayant de voir où est-ce qu'une flèche ferait le plus de dégâts.
Dans le même temps, je lui balançai mon harpon. Quand il atterrit dans ses mains, un bruit déchirant retentit. Le pont se mit à trembler. Il nous suffit de regarder à travers les grands barreaux de fer, pour constater qu'un Wailord au loin s'apprêtait à nous pulvériser. C'était évident maintenant. Tous les gens mourraient là. Après tout, les Pokémon étaient tapissés ici, à attendre que quelqu'un se pointe. C'était plutôt futé. Les hommes croient qu'ils sont sauvés, qu'ils peuvent s'échapper de la ville tranquillement, le cœur léger, la méfiance évanouie. Puis les Pokémon frappent à ce moment, sadiques, avec une fierté puant à des kilomètres. Malgré cela, je ne peux m'empêcher d'aimer ces sales bêtes. Quelle imbécile je fais, je suis si naïve.
Démétrios commençait à stresser avec mon arme dans les mains. Il se tourna vers moi, paniqué, alors que tous les Pokémon se précipitaient vers nous, Wailord y compris.
- COMMENT ÇA MARCHE CE TRUC ? POURQUOI Y A UNE LAME AU BOUT DU FLINGUE ??
- Parce que c'est le but ! criai-je en tirant une flèche sur un Akwakwak.
Il tira au pif dans le tas, alors que j'allai récupérer cette flèche rapido. Il s'en fallut de peu pour que la lame me transperce la boîte crânienne.
- ET SI TU SAIS PAS VISER, TU ME LE RENDS ! hurlai-je cette fois-ci.
Par chance, il réussit à tuer un Musteflott. Je fus teintée de son liquide cramoisi au visage et dans les cheveux. Pour aider Dem à aller plus vite, j'arrachai la lame pour qu'il la rembobine. Pendant ce temps, je ne voyais pas vraiment d'autres Pokémon nous sauter dessus. Ils étaient en retrait, puis là, puis absents, puis... omniprésents. Sans pour autant être menaçants. Je n'arrivai pas à partir en courant, je me sentais obligée de me battre. Visiblement, Démétrios aussi. Toutes mes flèches partirent, et Démétrios commençait à manier le harpon plus facilement.
- Où est Tennessee ? demanda le brun en chemise et cravate.
Il était vers les Ludicolo. Il coupait avec son couteau les lianes échouées sur le sol et les nouait entre elles. J'allai le voir quand une déferlante d'eau s'abattit sur mon compagnon d'infortune et moi-même, nous précipitant contre les barres de fer du pont. Cramponnés contre celles-ci, on pouvait tomber d'une minute à l'autre. Peut-être que Linda aurait été utile, à ce moment-là ?
- TENNESSEE !!!!
Je soupirai, mes oreilles sifflant par le cri rauque de Démétrios. Prenant appui sur les barres, je me jetai sur un Akwakwak mort, récupérai ma flèche et l'enfonça dans le ventre d'un Pifeuil. Le Wailord arrivait, et il était juste trop gros et trop effrayant.
- Ces Pokémon ne sont pas réels ! déclara Ten avec ses mains autour de la bouche.
Qu'est-ce qu'il chantait ? Que les trente Pokémon que je voyais n'étaient qu'une illusion ? Que le reflet de mon imagination ? ... ? Le Reflet...
- Dem ! Ça ne sert à rien, ils utilisent l'attaque Reflet ! lui dis-je alors qu'un autre Pifeuil me donna un coup de pied.
- Et Provoc aussi bande de décérébrés, vous êtes assez contrôlés pour rester à vous battre une bonne dizaine de minutes encore ! grommela Tennessee qui nouait les cordes à n'en plus finir.
Je trouvais ça ridicule. Mais le pire, c'est que c'était vrai. Tellement vrai, il m'était impossible de partir. Il fallait que j'attaque. Il fallait que je tue. Même si je ne le voulais plus. C'était une envie inexorable qui nous rapprochait un peu plus de la mort. Parce qu'au vu de la situation dans laquelle nous étions embrigadés, on ne risquait pas de faire long feu indemnes.
- EH BIEN SAUVE NOUS, CRÉTIN ! criai-je au militaire.
- C'est ce que je fais !
- Ah ouais ? grogna Dem en rembobinant le fil du harpon, puis en tirant sur un Laggron – qu'il visa mal. Alors pourquoi tu tricotes des lianes ??
- PARCE QUE VOUS ALLEZ VOUS FAIRE EMPORTER PAR LE WAILORD !
Il me lança la liane et m'ordonna de la nouer autour de ma taille aussi fort que je le pouvais, et Démétrios fit de même. Après quelques efforts pour aller au plus vite, nous voilà donc noués à chaque extrémité de la longue corde végétale, respirant mal. On épuisait nos forces à tirer sur les Pokémon, existants comme inexistants. Sur mes trois flèches, j'en avais perdu une. Déjà que je devais systématiquement les ramasser, ça n'allait pas être facile du tout désormais. De plus, la sang du Musteflott qui avait atterri sur mon visage ne partait pas bien, et avait réduit un tant soit peu ma visibilité. La grosse baleine était tout près, et le dernier réflexe que j'eus, ce fut de demander à Démétrios de jeter le harpon à Tennessee, histoire de ne pas perdre cette arme dont j'étais tombée amoureuse. Wailord fendit le pont dans un cri déchirant, strident, rythmé d'un écho sifflant.
Là. Le Laggron que Démétrios avait précédemment blessé mais non tué, s'avança vers moi dans un dernier espoir de vengeance. Je vis, malgré les secousses improbables de la surface métallique paraissant si solide, et les battements qui cinglaient dans ma tête, son regard vindicatif, puis un liquide verdâtre luisant renfermé dans une seringue.
- AMBRE !
Après que Laggron se jeta sur moi, alors que nous commencions lentement à nous effondrer dans un silence humain mais un grondement naturel, dans les bras du Mississippi, la seringue s'enfonça dans mon diaphragme ; et mon dernier regard avant de fermer les yeux, encadrait Démétrios en train de s'agiter dans tous les sens, et Tennessee au loin tirer avec son Desert Eagle sur le Pokémon qui venait de m'empoisonner au AB-6.