Aide-toi et le ciel t'aidera de Kydra

Vassili, Dimitri et Vaillant-Rescapé restèrent tous trois interdits de longues minutes devant l'écran après un court génériques et quelques remerciements. Dans la version passée à la télévision, l'émission se terminait par une interview des deux adversaires. Pour cet enregistrement, le Maître n'apparut que quelques secondes à l'écran, avant que l'image ne se brouillât et qu'apparût, à la place des commentaires de Thibaut, une émission sur la reproduction du Lovdisc. La date apparaissait en bas et si les deux frères avaient bonne mémoire – ce qui était sans doute le cas – la fin du CD avait été effacée quelques jours après la diffusion du match par l'ajout de ce reportage qui semblait fort peu intéressant. Pourtant, personne n'osa se lever pour arrêter les acclamations du présentateur subjugué par la nage d'une femelle.

Vaillant-Rescapé secoua la tête en apercevant le poisson rose, alors que le match lui trottait encore dans la tête. Au-delà de la simple puissance des assauts, dont il s'émerveillait sans nul doute, il ne pouvait oublier les comportements des dresseurs... Une telle complicité entre un Pokémon et un humain lui semblait impensable, inimaginable. Malgré sa récente prise de conscience et sa nouvelle résolution, il ne croyait pas à ce qu'il venait de voir. Il savait pourtant qu'il n'y avait aucun doute possible. Il avait bien vu Toupah se battre avec la même dévotion que celle qu'il reprochait à Eclair-de-Liberté... Dans le cas du Grodrive, contre toute attente, il semblait que cela le rendait plus fort que n'importe quel autre de ses congénères. On aurait dit qu'on lui eût prêté un cerveau supplémentaire, une volonté de fer et une envie de se battre sans équivalent. Le dresseur n'était rien de plus que son prolongement et inversement... Il ne sut jamais vraiment bien comment l'idée lui vint, mais il en éprouvait de la joie, ainsi, étonnement, qu'un peu de jalousie...

Le Gallame, quand il s'était retourné alors qu'il allait achever l'Ectoplasma, avait eu le même regard que s'il s'était trouvé face à sa propre conscience. Enfin, quand il avait repris ses esprits, il avait eu le regard du mâle pour sa femelle, non celui du dominé pour son maître. Il avait comme voulu protéger un semblable de l'attaque du spectre... Cela, l'Insécateur l'avait déjà vu avec Eclair-de-Liberté... Non, ce qui choquait le plus Vaillant-Rescapé, c'était plutôt l'humaine. Celle-ci avait soutenu son Voltali comme le Posipi utilise Coup D'Main. Elle avait regardé son Caratroc comme la mère Kangourex surveille son petit. Elle avait repris Nédavra à l'ordre, comme Protectrice-Colérique protégeait ses semblables des mauvais coups lors des combats amicaux. Enfin, elle avait accompagné le Grodrive dans la défaite comme Terreur-des-Hommes avait osé quitter la forêt pour rejoindre la quête de l'Insécateur...

Alors, il repensa au regard de Pokémon de Vassili, à l'amitié des inséparables Neïko et Naïma, au comportement de Pokémon de Masha... Vaillant-Rescapé se prit à douter. Les humains étaient-il de la même espèce que lui ? Cela lui semblait totalement absurde. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de douter. Il n'osait pas non plus poser la question à Terreur-des-Hommes, car reconnaître si clairement son erreur lui semblait inenvisageable. Il se mit à fixer Vassili, le plus discrètement possible, pour tenter de percer le mystère. Non, il ne pouvait pas être un de ses semblables. Il ne pouvait pas communiquer avec lui par des paroles claires, il était d'une faiblesse incroyable, encore pire qu'un Magicarpe ! Ce fut à ce moment que les regards se croisèrent. La tristesse dans les yeux de l'humain réveilla la compassion naturelle de l'Insécateur. Il lui sembla se retrouver en présence du jeune Eclair-de-Liberté tentant de réveiller son père du lourd sommeil de la mort. Assurément, Vassili n'était pas si éloigné du Pokémon. L'instinct prit le dessus ; Vaillant-Rescapé se rapprocha au contact de son voisin, puis posa amicalement une lame réconfortante sur son dos.

Alors que l'Insécateur se sentait étrangement bien, pour une fois depuis longtemps, enfin en paix autant avec lui-même qu'avec son entourage, il remarqua le sourire en coin de Terreur-des-Hommes. Soudain, il eut une envie de s'écarter, le plus vite possible, pour enfin nier ce qu'il avait fait. Il ne le fit pourtant pas ; la séparation n'arriva que quand Eclair-de-Liberté s'impatienta, quand l'agitation revint : Vassili s'écarta de lui-même, sans même faire attention à l'événement improbable qui venait d'arriver.

................- C'est comme ça que je veux être quand Vassili et moi on sera grand, fit le plus jeune en s'ébrouant, le pelage chargé de l'électricité statique de l'excitation. Ils sont trop forts !

Vaillant-Rescapé se contenta d'émettre un petit son en réponse, guettant la future réflexion de son amie, déjà à la recherche de la réponse cinglante qu'il pourrait utiliser. La discussion n'eut pas le temps d'arriver. Dimitri se leva enfin, pour arrêter le reportage qui commençait à irriter tout le monde. Ensuite, il se racla la gorge.

................- Revenons-en à des considérations plus... actuelles ! Je voulais te confier cette mission, mais puisque tu t'acharnes à ne pas vouloir l'accepter, je vais devoir me contenter de me servir de mon frère comme messager. C'est bien dommage...

Avec lenteur, le colonel se leva du lit, ramassant ses béquilles de manière gauche. Il se déplaça non sans mal jusqu'à un bureau. Il ressemblait bien plus à un faible infirme qu'à un chef militaire, une fois tourné de dos. Il farfouilla dans un tas de papiers, parcourant la pile de documents à plusieurs reprises. Il jura ensuite puis s'exclama d'un ton soudain étrangement jovial :

................- C'est pas possible, où j'ai bien pu mettre ce truc-là ? lança-t-il d'une voix forte, en se dirigeant cette fois vers une armoire cadenassée. Au moins, on n'aurait pas pu tenter de m'extorquer des renseignements...

Enfin, il leva triomphalement trois morceaux de papier chiffonné, qu'il fourra dans la poche de la veste de son frère sans même lui laisser le temps de les consulter.

................- Le messager n'a pas le loisir d'être au courant, anticipa-t-il en agitant sa main pour chasser une éventuelle question. Mais tu peux toujours le lire, c'est codé...

Dimitri marqua une pause et éclata d'un rire dément. Ensuite, il se colla à l'oreille de son frère pour murmurer aussi bas que si la pièce avait été pleine d'oreilles indiscrètes :

................- Donné par un de mes contacts fiables : les plans d'une caserne, les horaires de relève des gardes, quelques informations bien utiles... et des éléments pour une future attaque, dont tu feras partie, naturellement... Tu es quand même mon frère ! ajouta-t-il d'une voix à nouveau forte. Remettez-vous en route, on a assez traîné comme ça.

Le colonel étreignit Vassili, puis le poussa presque vers la porte, du moins, autant que ses béquilles le lui permettaient. Naturellement, les Pokémon suivirent, Eclair-de-Liberté en tête. Mais, rapide, Dimitri les arrêta juste avant que son frère ne franchît le seuil.

................- Non, non, vous, vous restez, je n'en ai pas fini avec vous. Je dois encore vous parler...

Le jeune frère se retrouva donc enfermé dehors, à attendre devant la chambre. Il trouvait la situation étonnante, mais avec Dimitri, rien n'était vraiment décalé. Il se contenta de tâter la poche où se trouvaient les documents secrets. Il avait du mal à résister à l'idée de les sortir, quand bien même ils étaient codés. Il y jeta un rapide coup d'œil, n'y trouvant, comme il aurait pu s'y attendre, qu'un charabia incompréhensible. Des dessins étaient également tracés, mais ils n'étaient guère explicites à une étude non avisée.

Quand la porte s'ouvrit à nouveau, Vassili sursauta, comme un petit garçon prit en flagrant délit de bêtise. Il rangea précipitamment le document dans sa poche. Ce fut bien inutile, car Dimitri ne lui accorda même pas un regard. Une conversation à l'air bien sérieux avec la Migalos et l'Insécateur accaparait toute son attention. Eclair-de-Liberté sauta au dehors comme un Spoink de sa boîte, manquant même de jeter au sol son dresseur. Niryo lui emboita le pas, bien plus posément. Il encouragea Newton à le suivre, puis escalada la porte, pour accéder à la clenche.

................- Au lieu d'agiter la queue comme un bébé Caninos devant ton dresseur que tu as laissé depuis à peine cinq minutes, veux-tu bien pousser cette porte, s'il te plaît ! pria le Marcacrin.

L'Elecsprint quitta son occupation à contrecœur pour s'exécuter. Niryo appuya avec une synchronisation extrême sur la poignée. Les deux avaient refermé la porte, sans bruit, d'une patte de maître !

................- Comment font-ils pour parler ? s'étonna Vassili, pour lui-même.

Le Marcacrin se frotta à lui, puis grimpa le long de sa jambe. Comme s'il pouvait se faire comprendre, il répondit, en langage Pokémon :

................- Tout simplement comme toi : il bouge la langue et ouvre la bouche tout en émettant des sons avec ses cordes vocales. C'est pareil pour les Pokémon. D'ailleurs, vous êtes bien les seuls à ne pas nous comprendre, si c'est plutôt ce que tu voulais dire. Mais ça ne fait rien, ne t'en fais pas, les trois-là se débrouillent très bien...

Bien que l'humain ne comprît pas, la coïncidence était trop forte pour que Niryo n'eût pas cherché à lui répondre.

................- Non, je ne voulais pas dire se parler de cette manière. Simplement, je sais bien que les Pokémon et leur dresseur se comprennent... Je sais aussi que vous nous comprenez. Je me demande juste comment Dima comprend ce qu'Aleph-Zéro peut bien lui répondre.
................- Eh bien tout simplement parce qu'il s'arrange pour ne solliciter que de brèves réponses de notre part, que nous pouvons faire passer par des gestes simples. Si tu me demandes si je t'aime bien, je peux me frotter à toi pour acquiescer, expliqua-t-il en joignant le geste à la parole. Si tu veux savoir qu'elle sera ma réaction en présence de tes amis, je peux me reculer pour t'expliquer que je resterai en retrait ou grogner pour t'affirmer que nous ne nous entendrons pas. C'est simple, la discussion. D'ailleurs, je te signale que tu la pratiques souvent avec Eclair-de-Liberté et même avec Vaillant-Rescapé !
................- Arrête ! C'est frustrant de parler chacun dans son coin...
................- Tu es le seul à parler dans ton coin... Mais puisque tu n'aimes pas, je veux bien que tu me grattes sous le ventre, déclara Niryo en s'allongeant sur le dos, toutes les pattes écartées.

Vassili accepta volontiers la proposition du Marcacrin. L'humain ne put s'empêcher de lâcher un petit rire en constatant qu'il entretenait lui aussi une discussion avec un Pokémon, qui savait d'ailleurs très bien se faire comprendre quand il en éprouvait le besoin.

Enfin, les deux autres quittèrent la chambre. Terreur-des-Hommes, en tête, affichait un air mitigé, tandis que Vaillant-Rescapé sortit pensif. Contrairement au petit Marcacrin poli, aucun d'eux ne se donna la peine de fermer la porte. Bien que Dimitri le fît, il n'adressa pas pour autant de nouvelles paroles à son frère. L'Insécateur passa devant Vassili, sans le regarder et se mit en route vers la sortie. Les autres lui emboitèrent le pas.

Etonnement, Vaillant-Rescapé s'arrêta de lui-même devant la chambre où logeaient leurs compagnons de route. Il attendit aussi Vassili qui tapa à la porte pour leur annoncer le départ, puis il patienta aussi jusqu'à ce que les trois humains fussent prêts. Le groupe repartit pour le chemin en sens inverse.