You may say I'm a dreamer
On me chasse. Je déteste ça. Je suis forcé de rester dans mon nid, seul, parfois sans pourvoir manger quoi que ce soit. On me prive de tout, on me met à l'écart. Et je ne peux rien faire. Je cherche juste un quotidien normal, mais j'en suis venu à constater que personne ne me laissera connaître une telle chose. Et maintenant, je suis là, à désirer passer ne serait-ce qu'une journée qui soit "normale".
Je suis jaloux, des autres, et de leur bonheur, et je n'ai plus que mes larmes pour me consoler.
Et, la nuit, quand mon habit noir me protège enfin, je peux voler, déployer ma puissance, et montrer mes rêves à la sombre clarté de la nuit. Toutes les nuits, je vole en silence, en paix. Et la Lune est ma seule compagnie, ma seule confidente. Et je ne peux que me cacher de la sorte, je n'ai pas le choix, parce que je suis victime de la réputation de mes aïeux.
Et chaque nuit, je réfléchis à ce que serait le monde sans tous ces préjugés, toutes ces idées préconçues sur chacun. J'aimerais vivre dans un monde où on est accepté, où chacun pourrait voler de ses propres ailes, sans avoir à se cacher, sans avoir à masquer ses sentiments. Je veux juste un monde simple, qui paradoxalement est si difficile à atteindre pour Nous. Je sais que je ne suis qu'un rêveur parmi tant d'autres, mais m'enfermer dans ce rêve impossible reste ma seule source de réconfort. Et c'est seulement la nuit que je ressens ce qui semble s'approcher le plus d'une forme de bonheur. Si je le pouvais, je sourirais. Mais j'ai un bec ; je ne peux pas. Et je pense que c'est exactement pour cela qu'on m'a toujours mal vu, mal compris.
Lorsqu'on me croise, ou même que l'on m'aperçoit, les gens ne voient rien d'autre qu'un sombre oiseau, coiffé de cette plume rouge et de cette large collerette blanche. Et mes yeux perçants et noirs, cerclés de noir, fondus dans cet habit noir qui me permet de me cacher, ne font qu'effrayer les quelques Pokémon que je croise. Et c'est après avoir été fuit pendant des années que j'ai décidé de prendre tous ces préjugés à revers, et de fuir à mon tour, loin, là où personne ne pourra jamais me chasser.
Et aujourd'hui, je suis au fin fond de cette forêt, dont le nom m'est inconnu, dont le nom m'importe peu. Et chaque bruit provoque en moi une réaction immédiate. Et je me cache.
Depuis, personne ne sait qu'un Corboss vit ici. Et les quelques Pokémon que j'entr'aperçois semblent connaître un quotidien heureux, sans problème majeur. Et même si je les jalouse tous, je sais qu'une fois la nuit tombée, je ne les verrai plus, et je pourrai prendre mon envol nocturne, et profiter de la nuit, et de son calme plat et rassurant.
Finalement, la nuit m'offre le bonheur que je n'ai jamais connu en essayant de m'intégrer aux autres. Parce que malheureusement, je ne le pourrai jamais avant des décennies. En ce monde, on est en permanence jugé, selon des critères préconçus, et desquels la plupart des êtres ne connaissent pas l'origine, ni même le sens.
Et c'est face à la Lune que je me trouve enfin beau, fort, et heureux. Je peux enfin profiter de ce que j'ai toujours recherché.
Je ne sais pas si, un jour, tout cela changera. Mais, cela ne m'importe plus, je n'ai plus besoin des autres. Pour le moment, j'ai trouvé un semblant de paix dans la solitude dans laquelle je m'enferme. Et je m'en sors, et cette situation me convient, de plus en plus.
Je m'y fait, et je sais que tout se passe bien. Je mange à ma faim, je n'ai personne qui me chasse, ou qui me dicte ma conduite. Les humains sont à l'écart, et les Pokémon ne s'aventurent jamais loin des grands points d'eau. Or, je suis ici bien à l'écart de tout cela, et je le vis parfaitement bien.
Mais au fond, je sais que je ne suis pas totalement heureux. Je sais qu'il m'arrive encore de pleurer, en m'imaginant ce que serait tout cela si je n'avais ne serait-ce qu'un ami.
Si je regrette ce genre de chose, c'est parce que j'ai, il fut un temps, connu une amitié.
C'était un être des ténèbres, comme moi. Je savais que nous pouvions rester seulement tous les deux, et que je pouvais voler comme je le voulais avec. Je savais que je pouvais me reposer sur quelqu'un.
Et c'est encore à cause de cette faiblesse que je l'ai perdu. J'ai toujours eu peur de l'affrontement, de l'adversité. Et je savais que, même si je le devais, je ne pourrais jamais me battre. Le peu d'attaques que je connaissais me sert à chasser, ou à me cacher.
Et ce jour, alors que le soleil terminait sa course dans l'océan rose, nous sentions que quelque chose n'allait pas. Vous savez, on dit que les Pokémon ont un sixième sens, qui peut les prévenir d'un danger. Et mon ami, avait ce don, plus que quiconque. Les humains l'appellent Pokémon Désastre à cause de cela. Et c'était là une des raisons pour lesquels je l'appréciais particulièrement. Car tout comme moi, il était victime des rumeurs et préjugés des autres. Et c'est dans ce rejet de l'Autre que nous nous sommes entendus et retrouvés.
Mais ce soir-là, il avait pressenti ce qui arrivait, et commençait à paniquer. Il avait peur, peur de ne rien avoir sous contrôle. Il tremblait, et des perles aqueuses brillaient au coin de ses yeux. Je ne savais pas comment le calmer, je me sentais encore une fois impuissant, inutile.
Puis, la menace s'est avérée. Des eaux surgit un gigantesque Pokémon, qui jusqu'ici m'était totalement inconnu. Il était apparu là, au milieu de la mer, et avait commencé à provoquer une gigantesque tempête sur les côtes. Je fuyais lâchement, et mon ami restait planté là, les pattes enfoncées dans le sable, comme s'il était prêt à affronter ce titanesque oiseau, dont les ailes gigantesques ressemblaient à des mains de magicien. Ses yeux étaient rouges, et il hurlait, faisant fuir tous les êtres des environs.
Sachant que je ne pourrai pas fuir en volant, je me cachai dans un trou, creusé au fil des années par la marée. Et j'observai mon ami, qui, d'un seul bond, se retrouvait sur le dos du titan, et commençait à le mordre, et à lui asséner des coups qui auraient mis à terre n'importe quel autre humain ou Pokémon. Mais l'oiseau des mers ne semblait pas souffrir. Il ne faisait qu'hurler, montrant se rage à coups de tornades et d'ouragans. Et mon ami s'accrochait, à la force de ses crocs et de ses griffes, au dos de son ennemi, qui commençait à saigner. Son sang bleu coulait le long de son cou ; la bête souffrait, et sentait sa rage bouillante monter, pour enfin s'intensifier. D'un coup d'aile, il renvoya mon ami sur le sable, et l'ensevelit sous des litres d'eau, jusqu'à ce qu'il étouffe, et que la vie quitte son Être.
J'assistai à cela, triste, déchiré et impuissant, ne pouvant pas fuir, ni même bouger. J'avais juste peur, et je ne pouvais rien faire. Je fermais les yeux. Puis je les rouvrais, je ne voulais pas fuir cela du regard. Je me disais que je devais regarder, par respect pour mon ami. Même si je ne savais pas de quel genre de respect il pouvait s'agir.
Et je commençai à pleurer. Puis je tombai.
Lorsque je me réveillai, la plage était de nouveau claire, calme et propre. Les Lakmécygne avaient commencé leur habituel ballet nocturne au-dessus de la mer.
Mais ce n'est qu'en m'approchant que je m'apercevais qu'ils ne célébraient pas la nuit. Non. Au beau milieu d'un grand nénuphar en fleur, gisait Absol. Et les Lakmécygne dansaient pour lui, dans une harmonieuse danse funèbre, qui se voulait à la fois belle et mélancolique.
Je ne pouvais pas en voir plus. Je m'envolai donc, sans me retourner, prenant conscience de la solitude à laquelle je devrai désormais faire face.