Mon corps guérit lentement. Mes côtes se ressoudèrent et les lacérations sur mes mains dues au morceaux de verre se refermèrent. La médecine était plus avancée ici, et avec l'aide de potions équivalentes à celles des Pokémon mais adaptées à la physiologie humaine, je ne conservai aucune traces physiques de mes blessures. Côté mental, c'était une autre histoire. Il y avait des cicatrices qui ne se refermeraient jamais, et j'allais devoir l'accepter.
Malgré tout, je devais continuer. Combien de fois cette phrase allait-elle revenir ? Elle n'en était pas moins vraie. Continuer, alors que tout avait changé... Reprendre la route, reprendre la quête des badges alors que mon frère était là, dehors, quelque part...
Continuer sans Léonard.
Cette pensée-là était tranchante et je la maniais avec précaution de peur de m'y couper. Je n'étais pas retournée sur sa tombe - j'avais fait mes adieux pour de bon le jour de son enterrement - mais cela ne m'empêchait de penser à lui chaque jour.
Continuer sans Léonard, donc. La tâche me paraissait insurmontable.
Et puis si mon frère avait échoué à battre le jeu alors qu'il en connaissait certainement les moindres recoins... quelle chance avais-je, moi la novice ultime ? Ça me semblait futile d'essayer. Le fait qu'il pensait que je pouvais y arriver, que j'avais du 'potentiel', c'était vraiment la cerise sur le gâteau.
Mon frère le psychopathe croit en moi. Youpi.Et je ne savais toujours pas ce qu'il attendait de moi. Ça n'avait rien à voir avec la proposition de Giovanni de rejoindre la Team Rocket, ça j'en étais sûre. Lorsque j'avais rencontré Vivian au mont Sélénite, il savait déjà que je refuserai. Ses paroles étaient restées gravées dans ma mémoire.
Je te proposerai bien de nous rejoindre si je ne connaissais pas déjà ta réponse.Alors quoi ? Voilà aussi pourquoi je devais continuer. Pour mettre à jour ses plans, et les faire échouer. Et puis ensuite rentrer à la maison. Tout ça en gardant intacte ma santé mentale. Grand programme.
Je m'y attelai donc. Pleind'Soupe remplaça la Pokéball grise de Poilu tandis que j'envoyais à ma fausse mère le Pokémon offert par le père de Léonard. C'était une magnifique créature des mers qui ressemblait peu ou prou au monstre du Loch Ness - d'où son surnom, Nessie, - mais la place de Pokémon aquatique dans l'équipe était déjà prise. Le Lohklass constituerait donc un plan de secours au cas où... non. Je refusais d'y penser.
Mon équipe fixée, je descendis à nouveau vers Parmanie, sans me presser, tout en entraînant Pleind'Soupe et Princesse. La Miaouss s'amusait avec les Pokémon poisson des dresseurs que nous rencontrions, et je dus la rappeler à l'ordre plus d'une fois alors qu'elle gardait les pauvres bêtes dans la gueule, l'air d'un requin qui venait de se trouver une proie. Pleind'Soupe, lui, dormait tout le temps, mais il disposait d'une curieuse attaque à base de ronflements (ne me demandez pas comment ça marchait) qui lui permettait de participer aux combats. Je faisais aussi très attention à ne le faire sortir de sa Pokéball que si l'endroit où on se trouvait pouvait supporter son poids (je m'étais faite avoir une fois, on ne m'y reprendrait pas une deuxième).
Je passai ainsi quelques jours baignés de soleil à arpenter la côte, prenant mon temps, laissant mes Pokémon donner le rythme. Si Plouf trouvait une petite crique où il voulait barboter, on s'arrêtait pour quelques heures, et si Princesse n'avait pas envie de marcher car elle s'était tordue la patte dans un duel du matin, on passait le reste de la journée à se prélasser. La Miaouss évolua d'ailleurs au bout de trois jours de ce traitement et parada en conséquence pendant une bonne heure. Elle avait gagné en majesté, marchait à présent sur quatre pattes, et le joyau sur son front était devenu un point couleur rubis. On aurait presque pu la prendre pour un chat normal au lieu du Pokémon qu'elle était, n'eut été sa taille : les chats d'un mètre de long ne couraient pas les rues - sans parler des trente kilos qu'elle pesait désormais. Évidemment, un tel changement signifiait qu'elle devait en faire profiter de chacun de mes Pokémon. Comment auraient-ils pu vivre sans être tenus au courant de son incroyable beauté ?
- Zarre, fit Salade la septième fois qu'elle vint le trouver pour lui mettre ses poils tout soyeux sous le nez.
- Persian ?
- Zarre, répéta-t-il.
Les poils de Princesse se hérissèrent en crête le long de son dos et elle sortit ses griffes. Mode démon : enclenché.
- Persian ! cracha-t-elle.
- Zarre, réitéra Salade d'un ton neutre.
Le connaissant, ce n'était pas une critique mais sûrement un gentil rappel à l'ordre. Du genre 'Ça va, on a compris que tu avais évolué. Tu peux arrêter maintenant.' Plus modéré, tu meurs. Sauf que la Persian détestait se sentir rejetée, à quelque degré que ce fut. Elle bondit d'indignation et Salade fut alors la cible d'une attaque de type crachefeule catégorie trois avec option griffes en furie. Il supporta l'assaut durant quelques secondes, puis enroula une de ses lianes autour du corps de la Persian avant de l'expédier tête la première dans la mer. Pragmatique, mon Florizarre.
Il y eut un
splash, une gerbe d'écume, et un cri rauque de chat en colère.
- Zarre, ajouta Salade avant de fermer les yeux et de reprendre sa sieste.
- Singe, conclut Teigne d'un air approbateur.
Une interaction typique entre mes Pokémon, quoi.
Le soir-même, alors que je contemplais les étoiles, allongée sur mon sac de couchage, la sonnerie de mon portable me tira de ma rêverie. Je l'avais fait réparer dans une petite boutique de Safrania avant de quitter la ville, partant du principe que je ne pouvais pas rester éternellement coupée du monde. Mon cœur se mit à battre plus vite alors que je repensais immanquablement à la dernière fois qu'il avait sonné. Et si je prenais l'appel pour entendre à nouveau la voix de Vivian ? Il y avait des chances pour qu'il connaisse désormais mon numéro...
Les mains tremblantes, je m'emparai du téléphone pour mettre fin au suspens. C'était Zack. Je ne m'étais jamais sentie aussi soulagée de voir son nom s'afficher à l'écran.
- Ouais ? fis-je en décrochant.
- Toujours en vie ? constata-t-il. Impressionnant. Je suppose qu'on doit s'attendre à ce que la Team Rocket annonce son démantèlement d'un instant à l'autre.
Il se croyait drôle, le bougre.
- Ça viendra, lui assurai-je en laissant glisser la pique.
- Hinhin. T'en es où ?
Pas de surprise concernent le sujet de notre conversation. D'un autre côté, il m'était difficile de résumer mon avancement. Techniquement, je me trouvais au même point que la dernière fois qu'il m'avait posé la question - quatre badges, moitié du parcours -, mais il s'était passé tellement de choses depuis...
Je coupai la poire en deux :
- J'suis en route pour l'arène de Parmanie.
La vérité, avec le moins de détails possibles.
- T'as un train de retard, déclara-t-il d'une voix où perçait sa satisfaction. Moi j'affronte Morgane demain matin.
- Et t'es encore debout à cette heure ? m'étonnai-je.
Il devait être aux alentours de deux heures du matin.
- Il se trouve que l'entraînement de nuit, ça forge le caractère, se justifia-t-il. Les réflexes des Pokémon deviennent plus rapides quand tu les forces à bosser alors qu'ils y voient moins bien, et ils gagnent en assurance.
- Ou peut-être que t'arrivais pas à dormir et que t'avais envie de m'appeler.
Mais... qu'est-ce qui m'avait pris de sortir ça ?
Un rire à l'autre bout de la ligne.
- Avoue que ça te plairait, non ?
- Ouais.
Ma bouche allait-elle s'arrêter de dire des conneries ?
- Hé bien, désolé de te décevoir. Je suis vraiment en train de m'entraîner. J'ai simplement pensé à toi parce que mon Alakazam vient de dégommer une Miaouss comme la tienne.
- Perdu. C'est une Persian maintenant, le corrigeai-je.
- Persian ! renchérit la concernée en interrompant un instant son ronronnement pour réaffirmer sa supériorité.
- Cool. Tout espoir n'est pas perdu pour toi.
Ce fut à mon tour de rire. Venant de Zack, tout compliment était bon à prendre.
Mon regard se perdit dans le ciel nocturne. Malgré la pollution lumineuse, on distinguait tout de même quelques centaines de minuscules points qui brillaient là-haut, tels des diamants éparpillés sur la voûte céleste.
- Hé... tu t'y connais en astronomie ? lui demandai-je. Y a une étoile qui m'intrigue.
Bruits feutrés, suivi d'un glapissement aiguë. Un Pokémon de plus venait de se faire avoir par l'Alakazam.
- Continue Alakazam... (Puis, plus fort :) Laquelle ?
- La plus brillante en ce moment, presque au zénith.
Je l'avais repérée depuis quelques temps déjà. Elle me rappelait l'étoile du berger de la Terre : c'était toujours la première à apparaître dans le ciel lorsque le soleil se couchait.
- C'est celle d'Artikodin.
- Qui ça ?
Je l'entendis souffler d'agacement.
- Artikodin. L'un des trois oiseaux légendaires, celui qui a tout pouvoir sur la glace. On dit qu'il génère les courants d'air froid. Tu manques cruellement de culture générale pour quelqu'un qui veut devenir maître Pokémon, Léa...
- Je ne veux pas devenir maître Pokémon, je veux juste rentrer chez moi.
Encore la vérité. Enfin presque.
- Qu'est-ce qui t'en empêche ? voulut-il savoir.
Et là, le terrain commençait à devenir glissant.
- Tu comprendrais pas.
- Quoi, c'est un truc de fille ? Ou bien c'est parce que t'as peur de te représenter devant ta petite maman sans les huit badges ?
- Non, c'est...
J'hésitai. Et si je lui disais ? Quelles en seraient les conséquences ? Me rirait-il au nez ou bien parviendrais-je à le convaincre ?
- Vas-y, balance, m'encouragea-t-il.
Je restai silencieuse. Les secondes s'égrenèrent.
- Tu te rappelles d'avant ? dis-je finalement.
- Avant ?
Vu le ton de sa voix, il était clair qu'il ne me suivait pas.
- Avant qu'on reçoive notre premier Pokémon... Notre enfance, tout ça.
- Évidemment... J'ai pas encore une mémoire passoire comme pépé. Où tu veux en venir Léa ? C'est ptet l'heure tardive mais tu m'as perdu là.
- Comment j'étais ? Je veux dire, est-ce que j'étais différente, ou... ?
Je laissai ma phrase en suspens. Difficile de la finir, de toute façon. 'Ou est-ce que je n'existais pas' était trop bizarre pour être prononcé à voix haute.
- Pas vraiment, répondit-il. T'as toujours été une feignasse doublée d'une chieuse entravée par ses idéaux...
- Tu peux parler, espèce de sale petit cafard à l'ego surdimensionné ! le coupai-je.
- ...et qui prend très facilement la mouche.
Ouais, bon. Là je plaidais coupable.
- Et mes parents ? Ma mère est là, mais où est mon père ?
- Léa, tu...
Gros blanc.
- Ton père est mort.
Ah. J'aurais peut-être du me renseigner avant de m'engager dans cette voie-là.
- La même année que mes parents, ajouta-t-il, et là je me traitais d'idiote.
- Je sais. Excuse.
- Tu vas me dire ce que tu as derrière la tête ? Ça te ressemble pas de poser tout un tas de questions stupides. D'habitude ton rayon c'est plutôt les actions stupides.
- C'est juste... qu'il y a des failles. Des trucs qui collent pas, et j'essaie de leur donner un sens.
- Ça s'appelle la vie, laissa-t-il tomber, laconique.
- Ouais, mais...
- Le jour où tout collera, le jour où t'auras tout compris, où y aura plus aucun secret à découvrir... tu seras morte.
- Réjouissant.
- Mais non pas moins vrai, rétorqua-t-il.
Je soupirai
- Merci de me remonter le moral.
Pas sûre si j'étais ironique ou pas en lui disant ça.
- Ça va ? me demanda-t-il après une longue hésitation.
Normalement c'est au début de la conversation qu'on la pose, cette question-là... mais Zack ne faisait jamais les choses comme tout le monde.
- On s'inquiète pour moi ?
Il émit un bruit de gorge qui pouvait passer pour un démenti.
- Te flatte pas. J'ai juste besoin d'une rivale au top de sa forme. C'est pas drôle d'affronter un paillasson.
Un paillasson, hein ? J'allais lui en faire bouffer des paillassons, moi !
- Ça ira mieux demain, répondis-je en fin de compte.
- OK. Bon, ne traîne pas trop, hein ? On se voit à Cramois'île.
- Tenu. Bye.
- Bye.
Je raccrochai, des questions sans réponse tournoyant dans mon esprit. Avais-je pris la place d'une autre fille en atterrissant ici ? Ou bien le monde n'avait-il commencé que quand j'avais débarqué et tous les souvenirs de Zack étaient des faux ? Non, il y avait eu Vivian avant... Je poussai un grognement d'irritation. C'était trop compliqué, tout ça.
Délaissant ces pensées, je me perdis à nouveau dans la contemplation des étoiles. Mes yeux se fixèrent sur celle d'Artikodin... l'oiseau de glace... Et c'est comme ça que je finis par m'endormir.
****
La terre trembla. Réveillée en sursaut, je me levai d'un bond, tous les sens en alerte. Un séisme ? Ha non. C'était juste la queue de Plouf qui venait de s'abattre au sol. Bien bien. Retourne te coucher, Léa.
Sous mes yeux, il recommença, visant Teigne qui se tenait à quelques mètres de là.
Hein ? Nonmaisattendezunepetiteminute !La Colossinge esquiva le coup de massue du géant aquatique et riposta par un uppercut qui toucha Plouf au flanc.
- Mais ça va pas la tête ? m'écriai-je en me précipitant entre eux deux, trébuchant à moitié hors de mon sac de couchage et me rétamant par terre comme une grosse carpe.
Ils se figèrent - Teigne un poing prêt à frapper, Plouf la gueule grande ouverte - et me regardèrent.
- Singe, émit la Colossinge.
- Comment ça, un entraînement ?
- Léviator, renchérit Plouf. Léviaaaa.
- Un entraînement où vous faites très très attention et où vous promettez de ne pas vous faire mal ?
- Singe !
- Ha, de ne pas vous faire trop mal... Tout va bien, alors.
Aucun des deux ne détecta le sarcasme dans ma voix. Ils me fixaient, attendant que je leur laisse la voie libre afin de pouvoir reprendre leur activité de foutage sur la gueule mutuellement assistée. Je ne tentai même pas de les raisonner et obtempérai, allant plutôt préparer le petit-déj histoire de me réveiller. Mon estomac approuva ma décision à grands renforts de gruiiks. Princesse et Grignotte vinrent quémander leurs croquettes ; eux aussi étaient affamés. Je leur en donnai un peu à chacun, et comme tout les matins ils lorgnèrent la part de l'autre afin de vérifier que je ne faisais pas de favoritisme. Grignotte sembla estimer que cette fois encore c'était à peu près égal, et il engloutit sa ration. Princesse l'imita, mangeant au moins dix fois plus lentement. Mon Salade se contenta des rayons du soleil levant, Pleind'soupe dormait encore (normal), et les deux fous de l'équipe en étaient toujours à essayer de se mettre au tapis l'un l'autre.
Tout en mangeant, je songeai à ce que j'allai faire aujourd'hui. Boucler le trajet jusqu'à Parmanie et affronter Koga. Peaufiner les tactiques utilisés par Princesse et Pleind'soupe. Penser à Léonard moins de dix fois dans la journée. La dernière était la plus dure, mais je ne pouvais pas fonctionner comme ça, avec à chaque pas l'envie de m'arrêter parce qu'il n'était plus là. Je décidai que j'allais m'en tenir à cette résolution et puis petit à petit, je réduirai le nombre. Il n'atteindrait jamais zéro, mais c'était déjà un pas dans la bonne direction.
L'estomac plein, je sonnai le départ. Mes Pokémon me rejoignirent, tous plus ou moins prêts, sauf Pleind'soupe que je fis rentrer dans sa Pokéball. Teigne mit un dernier coup de poing à Plouf, Princesse termina sa toilette, et nous reprîmes la route. La matinée se déroula normalement, sans aucun événement exceptionnel. Nous traversâmes à nouveau sur le territoire des dresseurs d'oiseaux, ce qui constitua un bon entraînement pour Princesse qui s'amusa beaucoup avec son Onde de Choc. Pleind'soupe, lui, encaissait leurs coups de bec en ronflant et répliquait par son attaque mystérieuse. Nous fîmes une pause vers midi pour un bref pique-nique, et arrivâmes finalement à Parmanie en début d'après-midi.
Après l'arrêt de circonstance au centre Pokémon pour une remise en forme, ce fut l'heure de vérité. Je me dirigeai vers le repère de Koga, une grande bâtisse dépourvue de fenêtres qui ne m'inspirait franchement pas confiance. L'intérieur avait toujours l'air aussi sombre, constatai-je en y jetant un coup d'œil. Je pensais être à l'abri de ce genre de choses, mais juste avant d'entrer, je fus assaillie par une vague de souvenirs et dû serrer les dents alors que l'image du corps de Léonard affalé sur une chaise me revenait en mémoire. Cela me semblait si distant et si proche à la fois. Une éternité. Une semaine. Je refoulai le chagrin que je sentais monter.
Pas le moment, Léa.J'eus soudain envie de revenir au tout début, lorsque je n'avais que Salade avec moi et que tout était simple. Sauf que c'était un mensonge aussi. Ça n'avait jamais été simple, et je m'étais toujours sentie piégée. Je n'avais jamais eu le choix sur ce que je devais faire, et je ne l'avais pas non plus à présent.
J'ai dit pas le moment.J'entrai. Puis j'attendis quelques instants que mes yeux s'accommodent au changement luminosité, et je fus en mesure de distinguer des formes dans la pénombre. La sensation d'être observée naquit au bas de mon dos, avant de se transformer en un frisson qui remonta jusqu'à ma nuque. Désagréable. Je remarquai de plus qu'une odeur étrange flottait dans l'air, comme un mélange d'encens et de résine de pin.
Contrairement aux autres arènes dont j'avais fait l'expérience jusque là, il n'y avait aucun obstacle en vue. Pas de rochers qui bloquaient la vue, pas de passerelles au-dessus de bassins d'eau, pas de haies fleuries. Juste une grande salle remplie d'ombres. Haussant les épaules, je m'avançai. Le champion devait se trouver tout au fond, comme d'habitude. Un pas, deux, trois... personne ne me défiait ? J'accélérai, m'imaginant déjà face à Koga, quand tout à coup...
BLAM-Aïe. (Onomatopée très mal faite de Léa qui se prend un mur.)
Contre toute attente, je venais de me cogner dans un truc invisible. Je touchai le machin d'une main, cherchant une faille. Mais non, c'était du solide, et d'au moins deux mètres de hauteur pour autant que je puisse en juger. Je grommelai.
Jeux d'esprits, jeux pourris.
- Alors, que penses-tu de notre labyrinthe au murs transparents ? Pas mal, non ? C'est une idée de Koga en personne.
La question venait d'un mec affublé d'un costume aux couleurs bariolés, visibles même avec le peu de lumière tant elles étaient criardes. Il me sourit, avant de se saisir de trois Pokéballs et de se mettre à jongler nonchalamment.
- Ça m'a surpris mais ça m'empêchera pas d'atteindre Koga, répondis-je.
- Ce n'est pas le but. Le mur c'est pour la frustration... C'est nous qui sommes les obstacles.
Et là dessus, il se saisit habilement d'une de ses
balls et relâcha le Pokémon à l'intérieur d'un petit mouvement du poignet. Un Kadabra apparut, sa proverbiale cuillère brandie à la verticale devant lui.
- Euh... Je croyais que c'était une arène de type poison ? remarquai-je.
- Tu es mal renseignée.
Soit.
- Princesse, vas-y. Et éclaire-nous un peu, qu'on puisse voir ce qui se passe.
Un Flash illumina les environs, et la Persian profita de son effet aveuglant pour attaquer d'emblée avec une Morsure. Ses mâchoires se refermèrent sur le bras droit du Kadabra, celui tenant la cuillère - décidément, elle aimait bien les coups dans ce genre-là. Le Pokémon psy recula, ses yeux emplis de terreur, et demeura figé lorsque son dresseur lui donna l'ordre de riposter. Ma Princesse était-elle si terrible que ça ? Elle revint à la charge, tout en grâce et en souplesse, visant cette fois le bras gauche. Touché. Une plaie identique à la précédente marquait à présent la chair du Kadabra.
- Soigne-toi et contre-attaque, fit le dresseur en constatant les dégâts.
Les yeux du Kadabra se mirent à briller d'une vive lueur jaune, et ses blessures commencèrent à se résorber. Pas de temps à perdre ou tout serait à refaire.
- Princesse, Onde de...
Crépitement électrique. Elle n'avait pas attendu mon ordre. La lance de foudre zigzagua et vint frapper la cuillère argentée du Kadabra. Ce dernier émit un cri mental tandis qu'une odeur âcre de fourrure brûlée atteignait mes narines, puis s'écroula, épuisé. Le dresseur le rappela et fit quelques passes avec les balls avant de faire appel à un autre Pokémon. Celui-ci était plus imposant, et d'apparence humanoïde également. Sa peau d'un jaune pastel semblait toute lisse, et son nez épaté lui donnait un air peu engageant. Curieusement, il tenait une sorte de pendule dans sa main droite, auquel il imprima immédiatement un mouvement de balancier. Droite, gauche, droite, gauche... Je forçai mon regard à s'en détacher.
- Hypnose, lança mon adversaire à l'intention de son Pokémon. Endors moi cette Persian.
C'était donc à ça qu'il servait... Le mouvement du pendule se fit plus ample et Princesse se mit à se balancer au même rythme.
- Attention Princesse, si tu t'endors ça va décoiffer ta fourrure !
Les oreilles de la Persian se couchèrent soudain sur son crâne et elle sauta droit sur l'impudent qui avait l'audace d'essayer de la rendre moche. Ses dents claquèrent dans le vide à quelques centimètres seulement du poignet du Pokémon psy, mais elle réussit à lui labourer le ventre en retombant. Il n'apprécia visiblement pas le cadeau, répliquant d'une attaque psychique qui fit vibrer l'air. Princesse cracha en retour et lui envoya une bonne dose d'électricité.
- Et maintenant une Rafale psy, décida le dresseur.
Le pendule du Pokémon psy se mit soudain à luire tel un soleil miniature. Je mis une main devant mon visage pour me protéger, et entrevis une explosion de lumière à travers mes doigts. Princesse poussa un miaulement de douleur. J'abaissai mon bras et dû cligner plusieurs fois des yeux avant de recouvrer un semblant de vue. Ma Persian était toujours debout, sa queue s'agitant avec violence. Tout à coup, elle se ramassa au sol et bondit alors que son adversaire remettait en mouvement le pendule qui s'était arrêté.
Les crocs de la Persian se plantèrent dans le poignet du Pokémon psy, pile là où elle avait visé cette fois. Du sang gicla. Elle termina le travail par un vicieux coup de griffe au visage, et l'autre en lâcha son pendule qui alla s'écraser au sol dans un tintement. Il se pencha pour le ramasser, mais son dresseur le rappela, estimant qu'il avait perdu.
Le Pokémon suivant était un Smogo, ce qui concordait déjà plus avec une arène de type poison. Il s'attira les foudres de Princesse avec son attaque Détritus, qui macula d'une substance noirâtre et nauséabonde le poil de la Persian. Enragée, elle se jeta sur le mécréant, et en deux claquements de mâchoire, il n'était plus en état de se battre.
- Je m'incline, indiqua mon adversaire. La voie est libre. Bonne chance pour atteindre notre champion.
Hé bah, il était pas rancunier...
- Merci.
Je sentais que j'allais en avoir besoin. Après avoir soigné Princesse, je continuai, négociant le labyrinthe invisible et affrontant tour à tour ninjas et jongleurs. Les dresseurs de l'arène étaient soit entièrement vêtus de noir, soit au contraire tout colorés, et leurs comportements différaient grandement. Les jongleurs m'accostaient d'eux-mêmes, n'hésitaient pas à blaguer, et leurs Pokémon - de type psy pour la plupart - ne cherchaient pas à se cacher. Les ninjas, par contre, restaient invisibles, se contentant d'envoyer au combat leurs Pokémon de type poison qui s'amusaient à flanquer la frousse aux miens, quand ils ne les empoisonnaient pas dès le début du combat. Je ne savais jamais à qui j'allais avoir affaire et le contraste me maintenant constamment sur mes gardes. Mes Pokémon non plus n'appréciaient guère la particularité de cette arène, mais nous progressions néanmoins.
- Tu sais Princesse, t'es pas très logique... lui fis-je remarquer alors que nous venions d'affronter un dresseur dont le Smogo avait de nouveau sali la fourrure de ma Persian. Tu as râlé quand ce Smogo t'as couverte de bave, mais lorsqu'il pleut tu sautes allègrement dans les flaques... Tu trouves pas ça un peu contradictoire ?
- Persian Persian Persian, rétorqua-t-elle en se coulant contre ma jambe.
- Ah je vois... seule Princesse a le droit de salir Princesse, déchiffrai-je.
- Perssssian.
Mine de rien, je commençais à comprendre comment fonctionnait la Persian. Un petit pas pour Léa, un grand pas pour les relations humains/Pokémon.
Alors que je contournai un angle du labyrinthe, un petit frisson me parcourut la nuque. Je regardai aux alentours. Personne.
- Je sais que vous êtes là, dis-je à voix basse.
En réalité c'était du bluff : ça faisait déjà trois fois que je faisais ça à divers moments sans que personne ne se montre en réponse. Mais là j'avais semble-t-il vu juste car la tête d'un serpent sortit des ténèbres, sa langue fourchue goûtant l'air dans ma direction. Il se dressa, s'exposant entièrement à la lumière, et je pus constater que les écailles de son large poitrail dessinait comme une tête de mort. Un Arbok. L'immense Pokémon ondula vers nous.
- Prête ? fit une voix à mon oreille
Je fis volte-face en un éclair. Rien. Je ne vis que des silhouettes lointaines dans la pénombre, au-delà du cercle de lumière maintenu par Princesse. Et pourtant...
- Prête, répliquai-je en faisant sortir Pleind'Soupe.
Un ronflement résonna dans l'air alors que l'imposante masse du Ronflex se matérialisait. L'Arbok se propulsa aussitôt vers lui avec un sifflement strident ; ses crocs brillèrent et s'enfoncèrent dans l'oreille de Pleind'Soupe, qui ne broncha pas. Le serpent délaissa le bout de chair déchiqueté pour se dresser alors de toute sa hauteur et s'enrouler autour du cou de mon Pokémon. Son long corps écailleux formait comme une corde vivante autour de la nuque du Ronflex. L'Arbok était en train d'essayer de l'étouffer.
Le ronflement s'intensifia, semblant incommoder le serpent géant : il secoua la tête et tint bon. Puis l'attaque gagna petit à petit en puissance, jusqu'à ce que les narines de Pleind'Soupe vibrent et que chacune de ses inspirations promette le tonnerre. Les coups sonores frappèrent l'Arbok, qui relâcha sa prise malgré lui. Je vis chaque ronflement l'affaiblir, jusqu'à ce qu'il glisse à terre, inanimé. Ronflezilla avait encore frappé.
- Tu peux continuer, siffla une voix juste dans mon dos.
Je ne pris pas le peine de me retourner : je savais qu'il n'y aurait personne.
Finalement, au bout d'une heure, j'atteignis le centre de l'arène tant convoité. Un homme occupait l'endroit, me tournant le dos, une cape rouge flottant derrière lui. Sa posture était confiante et relâchée, et il avait l'air inconscient de ma présence. Je m'apprêtai à l'interpeller lorsqu'il fit volte-face, sa cape accompagnant son mouvement de façon dramatique. Maintenant que nous nous trouvions face à face, j'en profitais pour le détailler davantage. Il portait des vêtements amples dans les tons noirs et rouges. Ses yeux brillaient telles deux billes noires enchâssés dans un visage aux traits sévères, et sa coiffure en piques accentuait son air imposant. Très classe, et plus qu'un peu intimidant. Ma main au feu que c'était Koga.
- Trop bruyante, lança-t-il.
- Pardon ?
- Tu es trop bruyante, jeune fille. Tu n'arriveras jamais à prendre ton adversaire par surprise comme ça.
- Je préfère me battre à la loyale.
Il sembla surpris de ma réponse.
- Même si ça signifie perdre ?
J'hésitai.
- Je n'ai pas encore perdu.
- Aujourd'hui, tu en feras l'expérience.
D'un geste fluide, il libéra un Smogo. Je choisis Salade pour lui faire face. Mon Florizarre faisait figure de monstre par rapport au petit Pokémon violet qui flottait au-dessus de nous, mais je savais que ce dernier pouvait se révéler un redoutable adversaire.
- Vampigraine, on commence sur une valeur sûre, indiquai-je à Salade.
Salade acquiesça et éjecta une volée de graines vers le Smogo. Le doute me prit : est-que ça allait marcher sur un Pokémon qui n'avait pas de corps à proprement parler ? Apparemment ce n'était pas un obstacle car je vis les graines se planter dans sa forme gazeuse et commencer à briller. En réponse, le Smogo vint se placer juste au-dessus de la tête de Salade et lâcha un nuage vert caca d'oie à l'apparence huileuse. Salade grogna alors que le cargo nauséabond lui bouchait la vue et fit claquer une de ses lianes au hasard, qui manqua sa cible.
- Encore, ordonna Koga.
Son Pokémon produisit un nouveau nuage qui enveloppa entièrement la partie avant de Salade. Le Florizarre eut le réflexe de reculer pour se sortir de là, mais sa peau était déjà recouverte de la substance poisseuse et puante.
- Tranch'herbe.
Les feuilles de Salade touchèrent au but, dispersant le gaz dont le Smogo était constitué. Le Pokémon poison descendit lentement jusqu'à se trouver à terre. Je me préparai déjà à affronter le suivant lorsque Koga sortit une potion et en aspergea son Pokémon. Il se reforma aussitôt et reprit son envol, avant d'envoyer sur Salade un liquide concentré tout poisseux qui sentait encore plus mauvais que le précédent. Le Pokémon plante lui réexpédia une volée de feuilles tranchantes. Elles coupèrent son corps en deux, mais il reprit forme tout de suite après.
Coriace.Un brouillard envahit les environs, créé par le Smogo qui décrivit de grands cercles autour de Salade afin de l'enfumer. Mon Florizarre lança ses lianes à l'assaut de son adversaire, mais elles claquèrent dans l'air sans toucher leur cible. Je grognai de frustration. Ce combat n'allait-il jamais en finir ? Plus il s'éternisait et plus mes Pokémon risquaient de se blesser... Peut-être que si...
La voix grave de Koga coupa court à mes pensées :
- Destruction.
Je n'eus pas le temps de réagir. Une lumière intense éclaira l'arène entière alors que le Smogo obéissait. Salade absorba le plus gros de l'explosion, mais je sentis tout de même le souffle chaud de la déflagration sur mon visage. Le silence revint après le grondement abyssal de la détonation. Je rouvris les yeux ; je n'avais même pas conscience de les avoir fermés.
- Zaaaaaarre ! rugit Salade, fêtant sa victoire, et l'étau qui me comprimait le cœur se desserra.
Je le rappelai, toujours quelque peu ébranlée par ce qui venait de se passer. Koga, lui, s'emparait déjà de sa Pokéball suivante.
- C'est légal un coup comme ça dans un combat de la Ligue ? l'interpellai-je.
- Il n'y a pas de règles quand le but est de gagner, rétorqua-t-il.
Pas de pitié, donc.
Il relâcha son Pokémon et il s'avéra que la Pokéball renfermait un Grotadmorv.
- Grignotte... décidai-je.
Le Sablaireau posa un regard surpris sur adversaire, qui n'était ni plus ni moins qu'une grosse masse de morve, mais violette. Puis il se campa sur ses quatre pattes, attendant mes instructions.
- Attaque-le par en-dessous, Grignotte.
Il creusa un trou dans le sol à une vitesse éclair et disparut dedans.
- Lilliput, déclara le champion, et la taille du Grotadmorv se réduisit de moitié.
Quelques secondes s'écoulèrent durant lesquelles il y eut une série de bruits sourds sous nos pieds, puis Grignotte jaillit de son tunnel, touchant l'autre par en-dessous. Le Grodtadmorv trembla comme de la gelée, et en réaction vomit sur le Sablaireau un liquide à moitié solide qui dégoulina sur les plaques écailleuses de Grignotte. Celui-ci répliqua par une coup de griffe qui rata sa cible. La substance sortie de l'estomac du Grodtamorv l'aveuglait, si bien qu'il ne pouvait pas viser correctement.
Koga administra de nouveau une potion à son Pokémon. C'était le premier champion que j'affrontais qui faisait usage à outrance de cette tactique, et cela m'énerva.
- Éboulement.
Grignotte se concentra et des rochers tombèrent en pluie sur son adversaire. Manque de bol, le Grotadmorv rétrécit encore alors que les projectiles allaient l'atteindre, et il parvint à les éviter.
- Toxik, contra Koga.
C'est quoi ça ?J'obtins la réponse lorsque le Grotadmorv ouvrit sa bouche et qu'il en sortit une vague de fluides marronâtres qui toucha Grignotte de plein fouet. Le Sablaireau se retrouva tout mouillé de cette substance qui avait l'air acide et dont l'odeur âcre emplissait déjà l'air. Je contins mon envie de vomir à grand peine. Qu'est-ce que ça devait être pour Grignotte... Il retroussa son petit museau et fonça sur l'adversaire. Ses deux pattes avant se croisèrent et frappèrent, un double Tranche qui creusa deux sillons jumeaux dans le corps malléable du Grotadmorv. Ce dernier beugla et rétrécit à nouveau, ce qui fit que la seconde attaque de Grignotte manqua son coup.
- Recommence, indiquai-je au Sablaireau.
Koga donna le même ordre, si bien que le Grotadmorv n'était plus gros du tout ; il avait plutôt la taille d'un Miaouss à présent. La stratégie du champion, constatai-je, était très efficace. Grignotte monta à l'assaut et rata le Grotadmorv une première fois. Puis une deuxième... Une troisième... Ses griffes touchaient le sol ou l'air, mais jamais son adversaire qui rétrécissait encore et encore.
Je finis par le rappeler et envoyai Teigne à sa place. La Colossinge savait ce qu'elle avait à faire, et son Ultimapoing toucha l'autre en plein dans sa masse glougloutante. Elle se reçut en échange un crachat noir à l'odeur acide qui poissa sa fourrure et n'allait sans doute pas tarder à lui attaquer la peau. Furieuse, elle tenta de mettre un nouveau coup de poing au Grotadmorv, mais il se montra plus rapide qu'elle et cette fois la substance âcre toucha Teigne en plein visage, l'aveuglant. Elle frappa au hasard, créant un trou dans le plancher.
- Singe ! beugla-t-elle.
Elle porta une main à ses yeux et frotta, mais ils demeurèrent fermés, et je compris qu'elle ne pouvait plus les ouvrir. Avec un juron, je la fis revenir dans sa Pokéball.
- Plouf, je compte sur toi mon gros...
Le Léviator était à peine sorti qu'il se prit un lui aussi un projectile dégoûtant. Ni une ni deux, il répliqua en fonçant dans le Grodtadmorv, la gueule grande ouverte. Ses mâchoires se refermèrent sur son adversaire avec un bruit étrange, une sorte de shlurrrp étouffé, et le Grodtadmorv se retrouva coupé en deux. Enfin !
Koga le rappela et se saisit de son avant dernière Pokéball. Un Smogo en émergea, identique à celui qui avait combattu Salade.
- Hydrocanon.
Pas de quartier. Ce duel se jouait vraiment trop serré, je n'allais pas lui donner l'occasion de faire se suicider à nouveau son Pokémon. Plouf ouvrit une gueule béante et un jet d'eau d'une puissance phénoménale en jaillit, sous haute pression. Le Smogo parvint cependant à l'éviter de justesse, au prix d'une manœuvre qui l'amena au ras du sol. Il se mit soudain à émettre de la brume, camouflant le terrain et réduisant à néant la visibilité.
- Recommence Plouf, tant qu'on y voit encore quelque chose.
Il m'obéit, et cette fois son attaque atteignit sa cible : elle projeta le Smogo au loin, si bien que je le perdis de vue. Koga ne prit pas la peine de le rappeler et s'empara de sa dernière Pokéball. Elle s'ouvrit pour laisser apparaître un Smogogo. Quant à moi, je fis sortir Pleind'Soupe ; il était plus costaud et encaisserait mieux si jamais le champion décidait de nous refaire le coup de la Destruction. Le Ronflex dormait toujours, et je me résolus à faire usage de la Pokéflute - je n'étais pas téméraire au point de jouer un match contre Koga avec un Pokémon complètement amorphe. Dès la première fausse note, il ouvrit les yeux et se redressa. Après avoir jeté un coup d'œil autour de lui, il se tourna vers moi.
- Ronfleeex ?
- Considère ça comme ta gym du mois le gros. Lance un Coup d'Boule sur le truc moche à trois têtes.
- Rooonn ! grogna-t-il.
D'une démarche pesante, il s'approcha du Smogogo et lui tomba littéralement dessus. L'autre se dégagea et répondit par l'habituel dégueulis qui puait, ce qui étonnamment n'eut pas l'air de gêner Pleind'Soupe. Les Ronflex avaient peut-être un sens de l'odorat réduit ? En tout cas, il réitéra sans attendre son attaque qui consistait à s'asseoir sur le Smogogo (il n'avait visiblement pas saisi le concept du Coup d'Boule, mais ça marchait, alors pourquoi se plaindre ?). Cet échange se produisit encore une fois, identique en tout point, puis Pleind'Soupe tituba et s'effondra sur le dos. Il avait l'air d'avoir du mal à respirer ; en y regardant mieux, je vis que l'épaisse substance noire crachée par le Smogogo lui était rentrée dans le nez. Il tenta de la gratter de ses griffes, mais elle collait sans relâche, et plus il s'acharnait plus cela empirait.
Je le fis rentrer dans sa
ball avant qu'il ne s'étouffe. Et hésitai. À qui faire appel ? Princesse était encore trop faible, Salade lui se trouvait déjà mal en point... Grignotte idem, de même pour Teigne. Je passai donc la main à Plouf. Il n'était pas tout frais, mais je n'avais pas vraiment le choix.
Le Smogogo lui fonça dessus, décidé à en finir.
Une seule chance.
- HydroCanon ! m'écriai-je.
Plouf rugit et l'eau jaillit en trombe de sa gueule pour aller percuter le Smogogo. La puissance du jet le repoussa en un clin d'œil et l'emporta haut, très haut... Il retomba hors de notre vue, au loin dans les ténèbres.
Koga hocha la tête.
- Tu m'as battu. Le badge Âme est à toi.
Il avança une main au creux de laquelle reposait un badge rose en forme de cœur. Je m'emparai de la preuve de ma victoire sans un mot.
- Ton lien avec tes Pokémon est fort, mais il te manque un élément indispensable... commença Koga.
- Je ne veux pas de conseils de la part d'un type qui trouve que tuer ses propres Pokémon est une stratégie valable, l'arrêtai-je.
- Ne sois pas arrogante, me rabroua-t-il. On a tous à apprendre les uns des autres. Je suis certain que même un gamin débutant avec sa tribu de Pokémon insectes possède un savoir qui nous échappe à tous deux. Il existe autant de points de vue différents que de personnes en ce monde, et chacun d'entre nous possède une partie de la vérité. Je suis prêt à te livrer la mienne, et tu la rejettes ?
Vu comme ça...
- Je vous écoute.
- La victoire revient à ceux qui savent surprendre leur adversaire. Ne sois pas prévisible, jeune fille. Tu signerais ton arrêt de mort. Au contraire, joue sur la surprise, sois là où ton adversaire ne t'attend pas. Innove, et ne te laisse jamais enfermer par les règles établies.
Je ne m'attendais pas du tout à ça, et fut agréablement surprise. Ça avait l'air d'un très bon conseil.
- J'essaierai, déclarai-je.
- Bonne chance, jeune dresseuse.
Je m'éloignai, faisant signe à Plouf de me suivre.
- Oh, une dernière chose, ajouta le champion.
Je me retournai, vaguement anxieuse.
- Oui ?
Ses yeux brillaient dans la pénombre. Deux diamants noirs.
- Les duels se gagnent avec la tête, pas avec le cœur.
La phrase résonna de façon sinistre dans la grande arène. J'eus l'étrange pressentiment qu'elle allait revenir me hanter d'ici peu.
***
À nouveau ce vide blanc, et cette voix familière qui résonne.
- Plus de la moitié du chemin, et il te reste encore tant à apprendre. Et tant à perdre.
- Juste pour une fois, j'aimerais bien que tu me dises un truc gentil, la Chieuse, je rétorque.
- Un surnom très approprié, tu t'en rendras bientôt compte. Mais dis-moi, quelle est ta stratégie ?
Et c'est reparti pour un tour.
- De quoi tu parles ? je demande obligeamment.
- De Vivian, bien sûr. Il te connaît mieux que personne, et il n'hésitera pas à exploiter ce savoir. Tes sentiments sont une faiblesse, et il s'en servira contre toi, comme il l'a déjà fait par le passé. Que comptes-tu faire lorsqu'il reviendra à la charge ?
- Je me défendrai.
- Jusqu'à la mort ? Tu sais que c'est la seule issue possible si tu fais ce choix, n'est-ce pas ? Il ne renoncera pas... et tu n'es pas assez forte pour t'opposer à lui. Il te brisera ou il te tuera.
- Non.
Un seul mot. Qui claque dans le silence qui s'ensuit.
- Il y a une autre solution, offre la voix sur un ton qui se veut tentateur. Une option si évidente, si simple...
- Laquelle ?
- Se servir de lui. Feindre d'être de son côté et le piéger à son propre jeu.
Silence.
- Non, je répète finalement. Jamais.
- Et pourtant, avec son aide, tout irait beaucoup plus vite... Il sait tant de choses que tu ignores.
- Il ne m'a même pas demandé de le rejoindre.
- Pas encore, corrige la voix. Mais ça ne saurait tarder. Et lorsque tu auras acquis sa confiance, lorsqu'il ne se méfiera plus, tu auras tout le loisir de le poignarder dans le dos.
La dernière phrase résonne dans le vide, froide et clinique.
Je réponds par un rire.
- Tu es exactement comme lui, la Chieuse. Un Vivian version féminine. Dingue. Chtarbée. Bonne à enfermer.
- Deux voies, assène-t-elle. Un seul choix. Le croisement approche. Ne te trompe pas.
Le rêve se délite et je tombe...***
J'étais de retour à Safrania. Après avoir remonté la côte en une seule journée suite à mon duel contre Koga, j'avais passé la nuit au centre Pokémon, et j'étais à présent prête à affronter Morgane. Alors que j'arpentais les rues de la ville, me dirigeant vers l'arène, je passai par inadvertance dans une grande rue marchande. Quantités de magasins et de restaurants occupaient chaque côté du trottoir, et quel que soit l'endroit où se posait mon regard, il allait de tentation en tentation. En plus, c'était les soldes. Je résistai vaillamment et continuai mon chemin.
Teigne, elle, succomba quelques minutes plus tard. Pas aux magasins ni aux restaurants, non. Elle ne put tout simplement pas résister au bâtiment qui jouxtait l'arène.
- Singe ! s'exclama-t-elle en l'apercevant.
Un Dojo. Pas étonnant. Elle se précipita à l'intérieur sans même m'attendre. Je réprimai un soupir et la suivis. J'avais à peine franchi la porte que je me trouvai le point de mire d'une dizaine de mecs en kimono visiblement en plein entraînement.
- Euh... Bonjour.
- Colossinge ! fit Teigne en sautillant près de moi, frappant ses deux points l'un contre l'autre.
- La petite fille nous défie ? me lança un des hommes d'une voix amusée.
- Plutôt la grande Colossinge...
- Singe ! confirma Teigne en s'avançant vers la personne la plus proche.
Il y eut un concert de bruits électroniques alors que les hommes relâchaient leurs Pokémon. Teigne se retrouva face à des Machoc et des Machopeur, ainsi que des Férosinge et des Colossinge comme elle.
- Si tu parviens à tous nous vaincre, le maître te testera, déclara l'un des dresseurs.
Je hochai la tête tandis que Teigne se campait sur ses deux jambes. Un claquement de langue signala le début des duels. C'était parti. Le premier adversaire de la Colossinge, un Machoc, tomba dès le premier coup de poing. Teigne fanfaronna quelques secondes avant de faire signe au suivant de s'avancer. Les Pokémon des dresseurs avaient formé un cercle autour de la Colossinge, et attendaient patiemment que vienne leur tour. Un Férosinge sortit du rang, répondant à l'invitation, et se jeta sur Teigne, l'air féroce. S'ensuivit un bref échange de coups au terme duquel il se retrouva à terre, puis un autre s'avança, prenant la place de son compatriote.
Je sentais que ça allait être long...
- Utilise tes Ultimapoings en coups d'ouverture, suggérai-je à Teigne, et alterne avec Balayage et Tomberoche ensuite.
Elle suivit mes instructions, et réduisit petit à petit le nombre de ses adversaires en employant sa tactique du 'si tu me frappes je te frappe deux fois plus fort'. Les coups pleuvaient sur elle, mais elle tenait bon et ripostait avec ferveur, toute heureuse de pouvoir enfin donner libre cours à ses pulsions guerrières. Je devais parfois lui administrer un pshitt de potion pour lui permettre de continuer sans danger, ce qu'elle acceptait de mauvaise grâce.
Finalement, elle vint à bout du cercle de Pokémon au bout d'une bonne heure en terrassant un dernier Colossinge d'un Ultimapoing brutal. Je poussai un soupir de soulagement alors que Teigne entamait sa danse de la victoire, en sueur mais aux anges. Le dresseur qui m'avait adressé la parole au début hocha la tête.
- Tu as gagné le droit d'affronter le maître.
Ha oui, c'est vrai que c'était pas fini... Je m'avançai vers le fond de la salle, jusqu'à me trouver devant le grand maître du Dojo, un homme chauve aux larges épaules et aux muscles apparents. Il s'inclina face à moi, et je fis de même sans trop savoir pourquoi.
- Laisse-moi éprouver ta force, déclara-t-il en libérant un Pokémon que je n'avais encore jamais vu.
Grand, à la peau brune, disposant de long bras et de jambes qui paraissaient montées sur ressort, il semblait taillé pour le combat. Son corps était tout plat, et seuls deux grand yeux indiquaient l'emplacement de sa tête - il ne possédait apparemment ni nez ni bouche.
- Fais attention, Teigne...
Mon avertissement se révéla inutile, car Teigne, pressée d'en finir, décocha un formidable coup de poing dans le ventre du Pokémon inconnu, ce qui le projeta contre le mur le plus proche. K.O. direct.
- Okay...
- Singe ! s'exclama-t-elle.
Traduction : 'Trop facile !'. Ou bien : 'Raboule le suivant !'.
Le maître du Dojo fit appel à son second Pokémon sans émettre de commentaire. Celui-ci avait également une forme humanoïde, mais disposait bien du nombre réglementaire de nez et de bouche (un de chaque, oui, je précise on ne sait jamais). Son visage allongé était surmonté par une crête qui imitait une chevelure, même si on voyait clairement que ça n'en était pas une. En prime, il donnait l'impression d'être habillé d'une tunique violette avec une sorte de jupe - un kilt ? - et ses poings n'étaient ni plus ni moins que des gants de boxe. Niveau bizarrerie, il faisait fort.
- Ultimapoing, Teigne. Vite fait bien fait.
- Poing glace, dicta mon adversaire à son Pokémon.
Les deux combattants s'élancèrent au même instant. Le choc eut lieu quelques secondes plus tard quand le poing fermé de Teigne vint frapper le gant de boxe ourlé de givre de l'autre. Craquement cristallin. La glace gagna les phalanges de Teigne, puis progressa rapidement, s'étendant jusqu'à son poignet, emprisonnant toute sa main. La Colossinge secoua la tête et brisa la gangue de glace d'un coup sec contre le sol, mais son adversaire avait déjà mit à profit son avantage et son autre poing fonçait vers Teigne, une traînée de flammes dansant dans son sillage. Je crus qu'elle allait se le prendre en pleine face, mais au dernier moment Teigne s'aplatit au sol et balança ses jambes en ciseaux, visant la cheville du Pokémon humanoïde. L'impact le déséquilibra et il bascula, son coup de poing se perdant dans l'air. Teigne termina le travail alors qu'il était à terre par un Ultimapoing au visage, et il se retrouva dans les vapes.
La Colossinge sautilla sur place, célébrant sa victoire.
- Félicitations, fit le maître du Dojo en s'inclinant à nouveau. Tu as prouvé ta valeur, et ce faisant tu remportes un de nos Pokémon de combat. Kicklee ou Tygnon. Lequel choisis-tu ?
J'allai lui répondre lorsque je réalisai que j'avais déjà obtenu un Pokémon dans cette zone : le Locklass offert par le père de Léonard. Selon les règles de la Ligue, je ne pouvais pas en capturer un deuxième. Je déclinai donc poliment son offre.
Il était midi lorsque nous ressortîmes du Dojo.
- Qu'est-ce que t'en penses ? demandai-je à Teigne. On se fait un petit resto avant d'aller affronter Morgane ?
- Singe ! approuva-t-elle.
Nous n'en avions pas fini avec Safrania.
Loin de là.
***
Un chapitre plutôt tranquille... J'ai réquisitionné Zack pour que ça ne soit pas que du combat, et la voix mystérieuse qui aime squatter les rêves de Léa fait une nouvelle apparition, mais à part ça, ça colle purement à la trame du jeu.Équipe actuelle :

Salade

Teigne

Grignotte

Plouf

Princesse

Pleind'Soupe
Cimetière :

Ficelle

Touffu

Souris

Poilue

Poilu