Aide-toi et le ciel t'aidera de Kydra

Vassili, une fois la surprise passée, était ému aux larmes. Il ne savait pas quoi dire, tant il avait de questions à poser, de sentiments à évacuer et même d'aventures à relater. Il profita donc de l'étreinte avec son frère durant tout le temps qu'elle se prolongea, sans un mot. Puis, quand les deux hommes se séparèrent, il resta bouche bée, comme s'il avait eu en face de lui Arceus lui-même.

................- Moi aussi, ça me fait tellement plaisir de te voir... Mais tout de même, remets-toi ! Tu es un grand garçon maintenant. Présente-moi plutôt tes Pokémon, puisqu'ils sont à l'air...

Le dresseur s'exécuta, soulagé que le colonel eût trouvé un sujet facile pour amorcer la conversation. Il n'omit pas de rappeler que l'Insécateur était lié à un événement marquant de leur jeunesse, à savoir le jour où il avait perdu un morceau de doigt. De plus, il ne s'offusqua nullement de la réplique de son frère sur l'émotion qu'avaient provoquée ces retrouvailles, le sachant souvent assez cassant. Dimitri salua les Pokémon comme il l'aurait fait avec des humains, habitué à les côtoyer... Au départ, Vaillant-Rescapé lui tendit la lame timidement quand il avança sa main, mais sans qu'il pût expliquer pourquoi, il se sentit plus à l'aise dès que le contact fut établi. Le simple fait de le toucher avait suffi à lui faire éprouver une sorte de confiance qu'il ne parvenait pas à expliquer.

................- Tu pourrais peut-être les rentrer, maintenant, pour que nous parlions tous les deux...
................- En réalité, je leur ai promis... hasarda Vassili qui ne savait pas trop comment aborder cette histoire devant son frère. Enfin, on a l'habitude maintenant de ne jamais utiliser les Pokéball, Aleph-Zéro y est, pour ainsi dire, allergique.
................- Très bien, très bien... concéda le colonel sans même prendre la peine de cacher une part de sa déception. J'imagine qu'il vaut mieux que je ne leur demande pas de sortir non plus... Dans ce cas, je vais leur présenter Ieva, comme ça, pendant qu'ils feront connaissance, j'en profiterai.

Le colonel détacha une Pokéball de son ceinturon. Celle-ci libéra, dans une belle lumière rouge, une Solochi. La petite dragonne se mit à courir à travers toute la pièce, fonçant dans tous les murs et les meubles. Elle rencontra également Eclair-de-Liberté, ce qui la fit hésiter. Finalement, elle se décida à aller chercher des caresses auprès de la valeur sûre que représentait son dresseur. Dimitri posa la main sur la tête recouverte de poils... Le Pokémon essaya alors de le mordre, pour jouer, mais elle n'y parvint pas. L'humain sourit amicalement.

................- Elle est mignonne... Je ne suis pas aussi doué que Masha, mais j'avais besoin de compagnie : l'exil, ce n'est pas marrant ! On s'entend bien, tous les deux, je crois que nos caractères vont bien ensemble. Mais je t'assure, c'est une vrai agitée ! Elle faisait ça aussi dans l'appartement, je te raconte pas le bazar... Dans ces moments, on ne regrette pas l'invention de la Pokéball !

Vassili se demanda quelques secondes si son frère lui reprochait son comportement envers ses Pokémon, ou si la remarque avait été lancée à de seules fins humoristiques. Il n'eut pas le temps de régler la question, puisque dès que les Pokémon commencèrent à s'intéresser à Ieva, le colonel, qui avait déposé ses béquilles, posa le bras sur les épaules de son frère, pour l'inviter à se tourner vers lui.

................- Alors, Vassili... Ce que nous attendions tous est enfin là. Je suis heureux de pouvoir le voir de mes yeux, je craignais que ce n'arrive jamais... Dès que j'ai appris ce qui se passait ici, je suis revenu, en prenant les précautions nécessaires, naturellement... Mais le temps que j'arrive, tu étais déjà parti. Cela m'a vraiment déçu, car j'espérais te revoir à mon arrivée ! Enfin, nous sommes réunis, tous les deux... Si seulement Masha... Alors, dit-il en changeant brusquement de ton, je te mets à la tête de la première section... ou de la troisième ?

Comme le colonel vit la mine étonnée et déconfite de Vassili, il hésita avant de reprendre :

................- Alors, capitaine... la première compagnie ? Non plus ? Commandant ? Ou alors, tu veux déjà ta place à mes côtés, petit ambitieux !
................- Mais enfin, c'est ridicule ! Je n'en veux pas, de toutes ces stupidités ! Ce n'est pas pour cela que nous nous battons ! C'est horrible, ce que tu veux faire. Je t'en prie, ne sois pas comme ceux que tu combats ! Je n'ai ni ton charisme, ni même les capacités d'assumer un tel poste. Tu le sais, alors ne me les confie pas. Je refuse ta proposition, s'énerva Vassili voyant que son frère ne répondait pas.
................- Ah, Vassia... reprit Dimitri qui éclata d'un rire franc. Tu n'as pas changé ! Mais c'est bien, c'est bien... Seulement, tu comprends, nous avons besoin de cadres qui ont reçu une instruction militaire et politique, et à qui je peux faire confiance, sur tous les plans ! Tu es ce genre de personne !
................- Je viens de revenir, répliqua le plus jeune, je n'ai plus aucune notion de l'actualité ici ! Je ne peux pas prendre une place de cadre, c'est déplacé ! J'appréhende déjà mon retour, vis-à-vis de Vincent : nos visions diffèrent totalement au sujet des Pokémon et je sais qu'il n'est pas le seul à penser ainsi... Je ne veux en aucun cas semer la discorde ici, nous n'avons vraiment pas besoin de ça en plus ! Me donner un poste de responsabilité ne ferait qu'accentuer tous ces problèmes...
................- Vincent avait tort sur bien des sujets et ses propos n'ont plus aucune valeur. Il n'aura plus l'occasion de t'en vouloir ; personne ne doit à présent faire cas de ce qu'il a pu te dire. Personne !

Vassili s'étonna de voir son frère se mettre presque en colère si soudainement. Il lui lança un regard interrogateur, pour l'amener à expliciter sa dernière prise de parole, dont il n'avait pas compris les sous-entendus, clairement présents.

................- Vincent était un traitre. Il est passé en jugement et il est mort.

Cette nouvelle étonna Vassili. Il ne s'entendait pas vraiment avec cet homme, ayant de nombreux sujets de désaccords, tant au niveau idéologique que pratique, pourtant, il lui avait toujours semblé dévoué à leur cause commune. Après tout, de l'eau avait coulé sous les ponts depuis son départ. Il se pouvait donc bien que la véritable allégeance du traitre, bien dissimulée auparavant, se fût révélée lors d'un événement qu'il avait manqué. La pointe d'énervement mêlée de gêne qui ressortit du ton de Dimitri à cette annonce venait sans doute du fait que les infiltrations étaient monnaie courante et accablaient leur force armée, provoquant souvent de nombreux morts...

................- Cela ne règle pas tout à fait notre problème, s'obstina Vassili. Mon retour en est facilité, certes, mais je ne peux pas abandonner Eclair-de-Liberté, ni les autres et il est hors de question que je les rentre dans les Noigrumes... Il faut voir comment on nous a regardés quand nous sommes arrivés au camp !
................- Les Pokémon ne sont pas et n'ont jamais été nos ennemis, Vassia, tu le sais et nous sommes d'accord sur ce point... Ils ne le sont devenus que par de malheureuses circonstances, mais ce n'est pas un état de fait. Il nous faut justement nous allier : nous avons un ennemi commun !
................- Je le sais bien ! Seulement, j'ai vraiment peur de créer un malaise dans nos rangs... Puis, je ne sais pas non plus quelle attitude employer si nous nous retrouvons confrontés à des Pokémon !

Discrètement, Vassili jeta un regard furtif en direction de Vaillant-Rescapé, pour s'assurer qu'il ne les regardait pas à ce moment. Il en profita, en désignant l'Insécateur d'un mouvement discret, pour glisser dans l'oreille de son frère :

................- Surtout dans son cas. Avec moi, cela devrait aller, mais c'est pour nos camarades, je ne sais pas comment il réagira...
................- Je vais en parler avec lui... Ne t'en fais pas, je m'occupe de tout. Tu devrais le savoir, depuis le temps ! ajouta-t-il avec un sourire.

Dimitri invita son frère à passer la fin de la journée avec lui, pour se reposer de l'aller. Il ne repartirait que le lendemain. Les rebelles qui l'avaient accompagné dans ce voyage l'attendraient, profitant eux aussi d'un peu de répit en ville.

Le colonel développa sa vision du conflit à son frère. Ils échangeaient tous deux sur la même longueur d'onde, bien qu'en désaccord sur quelques détails. En réalité, Vassili se focalisait sur l'avenir plus lointain, de manière théorique. Il se plaisait à imaginer l'Etat idéal qu'ils pourraient construire, la société dont il avait toujours rêvé. Quant à Dimitri, il avait une vision bien plus concrète de la situation. Il mettait ses priorités tout d'abord sur l'organisation de sa force armée qui devait les mener au pouvoir. Puis, il voyait, à court terme, les besoins et les obligations qu'aurait un gouvernement issu de ce coup d'état. Ils contribuaient tout de même tous deux à nourrir un idéal commun.

Chacun des deux frères raconta ce qu'il avait vécu durant leur séparation. Dimitri n'avait au final pas d'élément passionnant à raconter : il n'avait fait que se réfugier de pays en pays, pour prendre le temps de mettre en ordre ses pensées. Il avait ensuite regagné sa terre natale, pour participer au conflit qui s'y déroulait. Il s'étonna beaucoup de l'aventure que Vassili avait eue avec Isabelle, mais ils ne s'appesantirent pas sur ce sujet, qui mettait mal à l'aise le plus jeune. Sa paternité future en était la principale cause, détail qu'il n'aborda que rapidement, avec des mots hésitants. Le second sujet abordé fut beaucoup plus léger et l'occasion d'une bonne rigolade.

................- Mais, dis-moi... Comment tu t'es amoché comme ça ? demanda Vassili en désignant le plâtre.
................- Quand on dit que la retraite est une mauvaise chose, ce ne sont pas que des paroles ! Après une embuscade, plus ou moins réussie d'ailleurs, mais c'est une autre histoire, j'ai simplement un peu oublié de lever les pieds. Je voulais mettre un peu de piment à notre retraite, pour entraîner les gars à rompre le contact sous le feu. Il faut les former au brancardage, aussi, c'est important, ça, comme savoir ! Et comme les soldats sont bien trop lents pour nous poursuivre longtemps, il fallait bien que je ralentisse ma colonne... Les pauvres, il ne faut pas les priver de tout espoir !
................- Fais bien le malin... grogna le petit frère.
................- Oh, tu peux parler, toi aussi, tu fais semblant d'être un guerrier avec cette balafre, mais je suis sûr que la cause n'en est pas plus glorieuse que celle de mon plâtre ! Coupé en te rasant ? Ah non, pour cela, il faudrait que tu aies de la barbe, donc que tu sois un homme...

Le grand frère donna une tape amicale sur l'épaule du petit, volontairement violente. Vassili fronça les sourcils, mais ne dit rien, pour ne pas lui donner en un sens raison. Il se contenta juste d'expliquer, non sans une pointe de fierté :

................- Non, moi c'est au combat que j'ai été blessé. Le jour où j'ai retrouvé Aleph-Zéro, il me poursuivait et un de ses camarades, un énorme Rattatac, ne m'a pas loupé. Mais j'avoue, je ne faisais pas le malin, ce jour-là. Mais au moins, je peux le raconter sans en avoir honte, moi...
................- Cet Insécateur a décidé de te faire découper en rondelles avant la fin de ta vie, fais attention à toi !

Vassili fit comprendre à son frère qu'il valait mieux ne pas trop parler de leur entente amicale, que cela risquerait de raviver quelque tension réminiscente.

Les sujets de conversation se tarirent d'eux-mêmes, progressivement. Les yeux de Vassili se perdirent alors sur l'écran noir de télévision, qui trônait sur le bureau, unique mobilier de la pièce. La vue de ce poste, miraculeusement épargné jusque-là par les affrontements, fit remonter un souvenir enfoui par les péripéties passées. Le jeune frère resta quelques secondes à se demander pourquoi il lui semblait qu'il avait attendu avec impatience de trouver ce matériel. Quand il s'en rappela enfin la raison, il tâta sa poche, pour sentir avec soulagement que le cadeau du Maître s'y trouvait encore.

Sans même concerter le colonel, Vassili récupéra le CD. Il se leva, naturellement, pour le glisser dans le lecteur et alluma l'appareil. L'image était plutôt mauvaise, terne et floue, accompagnée d'un son d'une intensité inégale. Il s'agissait d'une musique des plus épiques, qui aurait pu accompagner le dernier film d'action sans jurer avec le décor. Des Pokémon qui exécutaient parfaitement des capacités impressionnantes dans des situations spectaculaires se succédèrent à l'écran. Les deux spectateurs s'entreregardèrent avec une pointe de nostalgie en reconnaissant sans mal l'introduction de la rediffusion des matches officiels du Conseil des Quatre. Quand il aperçut ces attaques, ce déchaînement incroyable de puissance, Vaillant-Rescapé fixa son attention sur la télévision, qui lui semblait être un artefact magique.