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Shiney de Alabama



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» Auteur : Alabama - Voir le profil
» Créé le 09/11/2012 à 22:38
» Dernière mise à jour le 09/11/2012 à 22:38

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XV
C'était avec la certitude de ne jamais revoir l'annexe qu'il avait occupée toutes ces années que Flynn quitta le bâtiment. Le soleil prodiguait ses derniers rayons, un vendredi soir, et lui, dans la chambre plongée dans la pénombre et complètement vide, était assis sur le lit à consulter tous ses souvenirs.

Le dos voûté, assis sur son lit, la tête dans les mains, il ruminait à la fois le plan qu'il avait concocté avec Anna, et les années de son enfance. Dans l'esprit de Flynn, il était clair que jamais sa famille ne le reverrait. Il n'était même pas sûr de revoir sa mère à Vermilava ; quant à son père et son frère, il se hâterait de les quitter une fois la bombe jetée.

Malgré la fébrilité qui l'habitait à l'idée de ce qu'il allait accomplir, il avait l'âme lourde et depuis plusieurs heures, ressassait péniblement sa courte vie. Que fallait-il en retirer ? L'insouciance de ses premières années, à Céladopole. Là était les seuls bons souvenirs. Ensuite, ils avaient emménagé à la ferme. Flynn avait adopté une vision très manichéenne de ce changement et en attribuait tous ses malheurs. Malheurs relatifs, car il avait été choyé jusqu'à un certain âge ; même lorsque les relations avec son père et son frère avaient commencé à se dégrader, il avait toujours trouvé une sorte de réconfort et de défenseur chez sa mère.

Il avait vécu jusqu'à ses treize ans dans la dépendance qu'occupaient ses parents. Son père, dépassé par son attitude, avait ensuite profité de la construction de deux annexes initialement destinées aux shiney hunters de passage, pour l'y exiler. Flynn s'était toujours douté que cette mise en quarantaine avait pour but de le faire plier à la volonté paternelle, mais il ne l'avait jamais regardée comme une punition et tout le monde s'y était habitué. A son tour, Frédéric avait réclamé une annexe, que lui avait accordé le père. La famille avait commencé son lent morcellement. Maria avait totalement interrompu son activité occasionnelle de shiney hunter pour s'adonner à son plaisir coupable de séances psychédéliques. Marcus avait considérablement étendu ses horaires de travail de bureau, s'était découvert un nombre impressionnant de dîners d'affaires à Céladopole. Il restait souvent à l'hôtel sans se soucier de prévenir personne ; mais personne n'en avait le souci.

Avait-ce été d'heureuses années, malgré tout ? Souvent, Flynn s'était posé cette question, mais alors qu'il s'apprêtait à tout abandonner, elle lui semblait plus que jamais capitale et il ne pouvait songer qu'en frémissant à la réponse. Il avait toujours eu de bons amis, avait connu l'école comme une sphère en-dehors de ses attaches familiales orageuses. Quand il passait des week-ends ou des semaines entières seul dans son annexe, il se vouait corps et âme au dressage de ses Pokémons chez qui il retrouvait l'affection dont on l'avait trop tôt privé.

Il avait beau se dire qu'il délaissait la partie gangrénée de sa vie, il continuait à croire qu'elle avait conditionné ses meilleures expériences. Et c'est pourquoi il sentait dans son corps mou la baisse de détermination qui envahissait, avant l'acte, l'homme convaincu de faire une grande chose. Plus l'échéance avançait vers lui, plus son cœur battait une chamade inutile dans son corps flasque. Il s'allongea un très long moment et souffla profondément pour retrouver l'état d'esprit entreprenant qui lui avait dicté ses dernières initiatives.

Anna, elle, était au paroxysme de son agitation. Les yeux brillants, les joues rouges, elle arpentait sa chambre à vive allure en rangeant ses affaires. Elle était mortifiée d'avance à l'idée de ce qu'elle allait accomplir et se demandait quelles justifications étaient les siennes ; était-ce pour venger Eliott, pour saboter les projets de ses parents ? Tout cela lui apparaissait vain et ridicule à la fois.

Ils sursautèrent tous deux lorsqu'on frappa à la porte. Archibald devait les amener jusqu'à Hoenn dans sa voiture. Interdits, ils se rendirent d'un même pas dans l'entrée le sac à la main.

Archibald les salua de sa mine débonnaire et présenta ses hommages à Anna. Le baisemain qu'il lui fit n'amusa personne. Anna en fut gênée ; Flynn durcit son expression méprisante et ne desserra pas les mâchoires.

Le trajet se déroula très silencieusement. Si Flynn maintenait sur son visage son air renfrogné, Anna ne faisait rien pour masquer son anxiété et, fréquemment, jetait un regard inquiet à Flynn, à l'arrière de la voiture.

L'oncle Archibald chantonnait gaiement pour accompagner la vieille cassette qu'il avait glissée dans l'autoradio. Il était reconnaissant aux deux jeunes de ne pas parler car il ne voulait pas que la conversation dérape sur le bandage qui lui restait au bras depuis plusieurs jours. Le médecin lui en avait fait un nouveau et conseillé de le changer tous les deux jours. Lorsqu'il utilisait ce bras, le vieil oncle avait des élancement douloureux et sa conduite s'en ressentait ; aussi le silence obstiné lui paraissait beaucoup plus léger qu'à Flynn et Anna.

Flynn s'endormit le premier. Sa tête tomba mollement contre la banquette et sa bouche s'entrouvrit enfin. Lorsqu'elle le constata, Anna fut en proie à une panique injustifiée et se mit à suer à grosses gouttes. Mais l'oncle Archibald n'y prêta guère attention et resta concentré sur la route, fredonnant les vieilles rengaines de sa cassette.

Anna eut beau essayer de veiller, elle s'endormit assez vite. Elle se réveilla en sursaut, alors que dans un dernier soubresaut, le ronronnement du moteur s'arrêtait. Il faisait nuit noire ; ils étaient arrivés à Vermilava.

Anna ne bougea pas d'un millimètre et promena ses yeux grands ouverts. Il lui sembla qu'à côté d'elle, Archibald se frottait le visage avec un long bâillement. L'homme sortit précautionneusement de son véhicule, et se pencha pour lâcher :

-Anna ? Flynn ? Nous sommes arrivés…

La séance plénière de la Confrérie des shiney hunters, et avec elle le plan de Flynn et Anna, allaient pouvoir commencer.


Flynn fut réveillé à neuf heures par quelqu'un qui frappait à la porte de sa suite. C'était un tambourinement insistant. Le jeune homme grommela, se retourna dans ses couvertures et se rendormit.

Il fut à nouveau tiré de son sommeil quelques minutes plus tard. Une voix féminine traversa la salle :

-Flynn !

C'était la voix d'Anna. Le garçon sursauta et se redressa pour regarder, incrédule, la jeune femme qui se tenait dans la chambre à coucher.

-Anna… dit-il d'une voix ensommeillée. Mais… Qu'est-ce que tu fais là ?

Aux premiers rayons, la jeune femme avait été à nouveau sujette à un accès de panique semblable à celui de la veille. Les quelques échos de remue-ménages dans des chambres adjacentes l'avait achevée de stupeur et elle s'était précipitée dans la chambre de Flynn, persuadée que des shiney hunters essayaient déjà d'intenter à sa vie.

Flynn, plus habitué qu'elle au rencontres de shiney hunters, avait accueilli avec un tendre sourire Anna et ses craintes ; il l'avait mollement rassurée, et invitée à rester dans sa chambre autant de temps qu'il lui faudrait pour atténuer sa paranoïa. Relativement réconfortée, elle s'était laissé choir sur son lit tandis qu'il était parti prendre sa douche.

Le Grand Hotel de Vermilava était devenu, le temps d'un week-end, le repaire de shiney hunters de tout l'archipel. Non tous mais la plupart y avaient élu domicile provisoire, facilitant les alliances qui pouvaient se tisser discrètement avant la séance plénière.

Flynn songea à la machination qu'il avait élaborée avec Anna en se brossant les dents. Il tenait à faire un discours à l'issue de la séance plénière, qui devait se dérouler, d'après les informations qu'il avait pu recevoir, le lendemain, à un étage du centre Pokémon obscurément mis à disposition de la Confrérie. Il monterait à cet étage, attendrait la fin de la réunion et la sortie potache des confrères pour se dresser face à eux ; il lirait alors quelques lignes d'un discours qu'il préparait depuis trop longtemps ; et enfin il leur montrerait la preuve de son arme fatale, capable de réduire en cendres l'association cauchemardesque…

Il entendit qu'on frappait à la porte alors qu'il enfilait sa chemise. Puis quelqu'un entra, arrachant un petit cri à Anna sur son lit. Flynn bondit hors de la salle de bain pour tomber nez à nez avec son frère, qui le gratifia d'un regard surpris. Mais ses yeux s'écarquillèrent plus encore quand ils rencontrèrent Anna, assise sur le lit de Flynn : ils firent plusieurs allers-retours entre lui et elle, semblant établir un lien entre les deux. Sa lèvre remua imperceptiblement, Flynn n'eût su dire si c'était du mépris ou de l'amusement.

Frédéric se racla la gorge et prononça enfin :

-Salut, Flynn. Excusez-moi de vous déranger…

Il eut un regard pour Anna, à demi-morte de peur, et aux jambes nues de Flynn. Ce dernier crut mourir de honte.

-Si tu veux parler à maman, viens, ce sera la dernière occasion avant longtemps, lâcha-t-il.

Et Flynn se retrouva à l'étage supérieur, dans la chambre occupée par son frère. Anna avait dominé sa peur pour rester religieusement dans la chambre de Flynn.

La voix de sa mère dans le combiné lui fit presque venir quelques larmes. Flynn dut admettre qu'il ressentait quelque chose sur laquelle il n'arrivait pas à mettre de nom, à l'idée de ne jamais la revoir. Sa mère fut très claire :

-Non, je suis en cavale, je vais sûrement rester à Sinnoh les prochaines années. En tout cas, je continuerais à me cacher tant que Béhémot sera en colère après moi. (Flynn se garda bien d'évoquer sa rencontre avec l'homme d'affaires.)
-Maman, se surprit-il à dire d'une voix suppliante, pourquoi tu as fait ça ?
-Ton père me l'avait demandé, expliqua-t-elle.
-Je sais bien, mais… les policiers, les bureaux de Béhémot…
-Flynn, je n'ai pas laissé Raspoutine sortir de sa pokéball depuis plusieurs jours et je recommence à avoir les idées claires. Je crois que je me suis laissé trop imprégner par lui, si bien qu'il m'a transmis sa crainte de Black…
-Comment ?
-Flynn, j'ai eu des gros problèmes… je ne sortais plus de chez moi, vous et votre père vous êtes complètement détournés de moi… je me suis tournée vers tout ce qu'il me restait, pour passer le temps je me suis mise à prendre des trucs… et puis j'ai fait quelques expériences, avec Raspoutine. Mais… De toute façon, cela n'a plus d'importance. Prends soin de toi, mon chéri !

C'est sur ces paroles que sa mère raccrocha. Flynn aurait tenu à lui dire tellement plus, il avait eu l'espace d'un instant la conviction nouvelle que sa mère pourrait l'aider à mener à bien son action anti-shiney hunters…

Mais le combiné muet lui restait dans les mains comme une preuve qu'il était seul avec Anna. Il remit le téléphone à son frère qui gardait un air intrigué.

-Cette fille, dans ta chambre, c'était…
-Anna Chester.

Frédéric fit de grands yeux.

-La fille que papa a employée pour que je devienne shiney hunter…
-Ah !

Une question brûlait les lèvres de Frédéric, mais ne les franchit finalement pas.

-D'ailleurs, papa est par là ?
-Oui. Il a une chambre au premier étage. On le verra au déjeuner. A midi et demi au restaurant en face de l'arène, El Barpô. Sois à l'heure.

Frédéric le fit sortir de sa chambre et Flynn manqua de provoquer une attaque cardiaque chez Anna quand il rentra dans la sienne.

Le jeune homme enfila un pantalon et se jeta sur son lit, à côté de sa partenaire. Il sentait une lassitude extrême l'envahir. Elle devait se rendre compte car elle se pencha vers lui et lui rappela que sa quête n'avait rien de chimérique. Plutôt que de la repousser, Flynn lui rendit son étreinte et surprit une larme rouler sur sa joue.

-Tu as eu ta mère ? demanda Anna d'une voix douce.

Il voulut parler mais sa gorge était nouée. Il s'allongea et Anna se leva pour enfiler ses chaussures.

-Quelle heure est-il ? dit-il dans un souffle.
-Il est neuf heures, je crois.

La porte s'ouvrit puis se ferma. Flynn était entouré de silence.

Anna, dans le couloir, tressaillit une nouvelle fois. Marcus Kenny frappait à sa porte d'une cadence impatiente. Elle s'approcha discrètement, sentant ses mains devenir moites.

-Monsieur Kenny ?

Marcus se retourna vivement.

-Mademoiselle Chester ! Je souhaitais vous voir !

Anna resta sans voix. Elle n'osait aller plus avant et calculait dans sa tête les chances qu'elle avait de semer le ventripotent shiney hunter.

Marcus reconnut la même gêne chez elle que lors de leur première rencontre. Ce qu'il ignorait, c'était qu'elle n'avait pas la même cause. Il alla à sa hauteur : elle fit un pas en arrière.

-Vous étiez avec Flynn quand il a attrapé son shiney ? demanda-t-il.

Anna hocha nerveusement la tête.

-Bien, dit-il. Avec votre témoignage et celui de Durang, je vais pouvoir faire attester la capture. Flynn l'a avec lui, bien sûr ?
-Je… je ne sais pas, bafouilla-t-elle alarmée.

Comment aurait-elle pu expliquer que le shiney n'était plus un shiney ?

-Je pense que oui, je ne vois pas pourquoi il ne l'aurait pas avec lui… C'est bien sa chambre ? demanda-t-il en désignant la porte derrière Anna.

Il s'y dirigea et frappa.

-Entrez, dit Flynn faiblement.

Anna vit la large silhouette s'engouffrer dans la chambre. La porte fut fermée : elle y alla à son tour et plaqua son oreille contre le bois. La conversation lui parvint en éclats de voix étouffées.

Voilà ce qui se disait à l'intérieur :

-Fils ! Content de te voir. (Il n'y eut pas de réponse et Flynn laissa un ange passer.) Je suis venu m'assurer que tout va bien…
-Tout va bien.
-Et que tu as ton shiney avec toi.

Il y eut un nouveau silence, plus long et plus gêné.

-Mon shiney ? répéta Flynn incrédule.
-Oui. Tu n'as pas oublié que je voulais faire enregistrer ton record ?

Comme Anna, Flynn ne s'attendait pas à ce que la Confrérie réclame de voir son ex-shiney. A la différence d'elle, il était persuadé de pouvoir le retourner à son avantage.

-Oui, persiffla-t-il finalement en ne pouvant retenir un sourire narquois. Mon shiney, oui, je l'ai.

Il se redressa pour faire face à son père.

-Parfait. Tu le montreras demain…
-J'ai eu maman au téléphone.

Flynn marcha jusqu'à son père.

-Je le sais, fiston, j'ai organisé la conversation.
-C'est bien la moindre des choses, tu l'as exclue de la région…

Ce fut à Marcus de laisser un silence planer.

-Pardon, Flynn ?

La rancœur du jeune homme se manifestait par un biais assez inattendu. Il se rapprocha de son géniteur jusqu'à l'effleurer : il le dépassait d'une bonne tête.

-Tu m'as bien entendu.
-J'ai pris des risques en ouvrant une ligne. Tu sais que…
-Pourquoi tu as demandé à maman de faire ça ?

Flynn respirait par saccade et ses épaules faisait un mouvement d'ascenseur ; Marcus recula de quelques pas.

-De faire quoi ? lança-t-il sur un ton de défi.
-Tu le sais très bien ! fulmina Flynn. Tu l'as poussée à l'arrestation, tu as demandé à Black de l'attirer dans un piège !
-Mais tu délires, mon garçon !

Anna entendait de mieux en mieux la conversation qui dégénérait en dispute. Flynn se mit à crier d'un niveau suffisamment convenable pour qu'elle n'ait plus besoin de presser son visage contre la porte ; elle recula quelque peu, pour se mettre à l'abri d'une éventuelle ouverture à la volée et une bousculade, ou même d'une porte défoncée par une attaque de Pokémon.

Des bruits de pas se firent entendre. Anna tourna la tête : un homme menaçant, tout de noir vêtu, s'avançait dans le couloir. Il jeta un regard glacial à la jeune fille ; Anna voulut s'échapper mais ses jambes ne lui répondait plus. Elle se jucha contre le mur, persuadée que l'individu allait l'égorger.

-C'est bien là qu'est Marcus ? demanda-t-il sèchement.

Anna acquiesça, terrorisée. Black entendit les cris et fronça les sourcils : il ouvrit la porte sans frapper.

Anna put voir Flynn se faire face comme deux coqs au milieu de la chambre. Black les avait surpris à un moment crucial.

-Désolé d'interrompre les retrouvailles, dit-il d'un ton désagréable. J'ai essayé de vous appeler mais vous ne répondiez pas, ajouta-t-il à la seule intention de Marcus.
-Vous avez quelque chose à me dire ? demanda Kenny.
-Je viens de voir Alistair, dit Black. Il m'a dit qu'il allait voir votre père cet après-midi ; j'ai pensé que cela vous intéresserait.
-Ce n'est ni le lieu ni le moment d'en parler, répliqua Marcus, et l'intonation qu'il employait aurait pu rivaliser avec celle de Black, montrant à quelle point leurs relations s'étaient dégradées.
-Je ne vous verrai pas avant demain. Si vous voulez en discuter avant qu'il ne soit trop tard, c'est maintenant. Je répète que je ne suis pas un larbin…

Black avait glissé dans la conversation qu'il entendait avoir avec son associé, qui restait incompréhensible à Flynn et Anna.

-Pas le mien, en tout cas. Mais vous ne voulez pas manger avec nous ce midi ? Bergson nous offre le couvert dans un restaurant qu'il possède ici…
-Non merci, ce n'est pas là que j'ai l'habitude de régler mes problèmes.
-Problèmes ? Vous y allez fort. Ecoutez, venez dans ma chambre et l'on parlera de tout ça.

Black emboîta le pas de Marcus qui sortit excédé de la chambre de Flynn. Il n'eut pas un regard pour Anna.

Elle se précipita dans la chambre du jeune homme, qui était comme sonné sur son lit. Elle se jeta à nouveau dans ses bras, espérant pouvoir lui offrir le réconfort dont il avait besoin en ce moment ; mais il restait comme une statue, insensible à son affection. La colère continuait de déformer ses traits.

A midi vingt, ils prirent la direction de l'arène, située non loin de l'hôtel. El Barpô était un restaurant presque caché au premier étage d'un vieil immeuble de style néoclassique. On les aborda à l'entrée.

-Vous avez réservé ? leur demanda le serveur.

Flynn hésita à répondre quand il vit par-dessus l'épaule du restaurateur son frère en pleine discussion avec un grand homme blond.

-Oui, nous sommes avec…

Il pointa le doigt en direction de Frédéric et de son interlocuteur.

-Oh ! s'exclama le serveur, et il redoubla de déférence.

On emmena Frédéric et Anna dans une grande pièce inoccupée à l'étage. Une table de neuf couverts était dressée au milieu.

-La table des invités de M. Bergson, indiqua le serveur, et il quitta la pièce.

Anna observa le faste de la salle : une gigantesque cheminée, des tableaux de maîtres à chaque mur, des tapis aux arabesques sophistiqués et un parfum d'encens. Leur habillement décontracte jurait avec tout cela.

Frédéric et deux autres personnes, dont celle avec laquelle il s'entretenait au rez-de-chaussée, émergèrent. Le blond s'avança vers Flynn pour lui serrer vigoureusement la main. C'était avec lui que discutait Frédéric : il portait un gilet violet parfaitement taillé sur une chemise noire et arborait un foulard de soie blanche.

-Flynn, c'est cela ? demanda-t-il avec force sourires. Je suis Ignace Bergson. Enchanté. Et vous êtes Anna ?

Il lui fit la bise, et derrière lui, un homme de son âge, d'une forte carrure et habillé plus simplement, les salua à son tour.

-Henri, se présenta-t-il simplement.
-Asseyez-vous ! les invita Ignace qui s'était mis en bout de table, prêt à présider le repas.

Henri s'assit à sa droite, Frédéric à sa gauche. Flynn se mit aux côtés de Henri et Anna l'y suivit ; c'est alors qu'entra Archibald Button avec une femme plutôt âgée. Flynn signifia discrètement à Anna qu'il s'agissait d'une shiney hunter renommée basée à Johto. Une autre femme arriva à midi et demi, c'était une shiney hunter de Sinnoh ; enfin Marcus Kenny arriva sur le coup de midi quarante, la face sombre, et prit place tout au bout de la table sans saluer personne. Il avait dû faire la tournée de quelques shiney hunters après Black sans tirer satisfaction, car Archibald le couvait d'un petit regard inquiet.

Ignace fit déboucher trois crus et laissa ses invités choisir leur entrée. La plupart des plats étaient inconnus à Flynn comme à Anna. Des timides débuts de conversation s'engagèrent, dans une partie de la table constituée de Frédéric, Henri et Ignace et une autre entre Archibald et les deux shasseuses. Flynn et Anna n'osaient rien dire et Marcus se taisait, morose.

La discussion glissa sur la dernière Ligue. Ignace se vanta d'avoir fait gonfler la côte du perdant d'une huitième de finale au point d'empocher plusieurs milliers sur des paris qu'il avait fait tenir à Céladopole. Il fit déboucher d'autres crus, à la grande joie d'Archibald. Flynn et Anna refusèrent d'en reprendre. Les esprits s'échauffèrent un peu, jusqu'à ce qu'Ignace parvienne à monopoliser toute l'attention sur une rencontre cocasse qu'il avait faite un soir de la semaine dernière.

Archibald, que la réunion réjouissait, encouragea Ignace à les entretenir de ses dernières « trouvailles ». Le président de table ne se fit pas prier et détailla par le menu ses activités. Un onzième verre de vin le fit parler de Giovanni.

-Vous pensez que je ne fais que vendre des shineys à Gio', mais pas du tout ! lança-t-il. Nous avons des tas de projets en commun.

Un silence de mort s'abattit sur la tablée. Henri murmura : « Ignace… ». Marcus entama un accès de toux, qui alla crescendo jusqu'à ce que tout le monde se tourne vers sa face écarlate. Il cracha un morceau qui lui obstruait la trachée et réussit à dire :

-Ignace ! d'une voix étranglée.

Le susmentionné eut un petit sourire et dit d'un air de défi :

-Quoi ?

Flynn comprit à voir la tête inquiète de Frédéric et de son oncle que quelque chose de grave pouvait se passer. Il sentit la main d'Anna lui agripper le bras.

-Taisez-vous ! Vous savez que j'ai vu Alistair aujourd'hui ?
-Alistair ? répéta Ignace.

Il se mit à pouffer.

-Je l'emmerde, ce con !
-Ignace !

Les deux femmes avaient l'air choquées. Marcus se leva.

-Pendant que vous faîtes le malin dans votre restaurant, je suis seul dehors à essayer de concilier la Confrérie ! Je trouve votre attitude insupportable !

Flynn surprit une pokéball dans la main d'Henri. De l'autre côté de la table, Frédéric en avait sûrement dégainé une.

Ignace avait pris un air touché assez comique.

-La Confrérie nous emmerde aussi ! éructa-t-il, provoquant les soupirs indignés de deux shasseuses.
-Ignace, ne saisissez-vous pas ? Nous allons perdre la partie si vous continuez à faire le pitre !
-Je suis gagnant dans tous les cas ! rugit Ignace en tapant du poing sur la table. Je n'ai pas besoin d'Alistair ni de la Confrérie pour faire ce que je veux ! Je suis le meilleur dresseur et l'homme le plus riche de Céladopole !
-Vous êtes puéril ! On va nous demander de rompre le contrat !

Ignace prit une bouteille au goulot et en vida la moitié. Puis il se leva, titubant.

-Je ne romprais jamais le contrat ! Je m'en fous de la Confrérie !

Flynn était estomaqué par la tournure ridicule des évènements.

-Arrêtez de faire le gamin et montrez-moi un peu de reconnaissance, bon sang ! tonna Marcus, réellement fâché.

Et le coup partit. Une explosion se fit entendre, des cris ; Anna se serra contre Flynn et la table se mit à brûler. Un grand rire retentit dans la salle, c'était celui d'Ignace.

-Ignace ! fit la voix d'Archibald.

Flynn et Anna reculèrent brusquement, imités par Henri à côté d'eux.

Un filet d'eau éteignit le banquet. Desdémone, le Crustabri de Frédéric, était sur une chaise. Un nuage de fumée couvrait le fond de la salle où Ignace se cachait.

-Ignace, à quoi cela rime ! retentit la voix de Marcus.
-C'est mon restaurant !

Et de nouvelles colonnes de feu surgirent de nulle part, l'une frôla Flynn et arracha un cri suraigu à Anna qui resserra son étreinte.

-Surf ! cria Frédéric.

Une vague impressionnante partit en direction d'Ignace, salant les lèvres de Flynn. Il entraîna Anna vers les escaliers et ils les dévalèrent accompagnés par les bruits de combat.

En bas, la vieille shiney hunter de Johto, était déjà là et expliquait à un serveur ce qu'il se passait en haut. Elle accueillit Flynn et Anna avec un sourire triste.

-Vous êtes le fils de Marcus ? s'enquit-elle.

En haut, il y eut des bruits de verre cassé et plusieurs explosions.

-Oui, répondit Flynn. Dîtes, c'est comme ça à chaque repas avec…
-Avec Ignace ? Non, il est assez imprévisible. Il adore les combats. J'imagine qu'il a délibérément mis Marcus en colère pour en avoir un. Venez, ne restons pas ici.

Ils sortirent du restaurant, alors qu'une escouade de serveurs suicidaires 'apprêtaient à monter dans le colisée improvisé.

La vieille shiney hunter avait une certaine classe : des cheveux bouclés étincelants, un port de dame, et une longue robe rouge. La bague de la Confrérie qu'elle avait au doigt ne ressemblait à aucune de celle que Flynn avait déjà vu : il n'y avait pas de fausses pierres précieuses, seul un petit signe.

Ils firent quelques pas dans la rue. Anna tenait toujours Flynn au bras.

-Dîtes-moi, madame…

La vieille shiney hunter posa son regard sur Flynn. Elle était plus grande que lui.

-Avez-vous connu ma mère ? demanda-t-il.

La shiney hunter dut être prise de court par cette question, mais elle ne le laissa peu paraître.

-Votre mère ? Eh bien… non, pas vraiment.

Flynn hocha la tête, un peu déçu. Anna lui caressa le dos pour le réconforter.

-Mais… j'ai connu votre grand-père, Gérard. Je sais qu'il n'aimait pas beaucoup votre mère…

L'évocation de cette figure de la shasse piqua l'amertume de Flynn.

-Madame… demanda Anna. De quoi parlaient Marcus et Ignace ?

La vieille dame eut un sourire.

-Ils parlaient d'un contrat que votre père a passé avec la Team Rocket.

La phrase fut un comme un coup de poing pour Flynn.

-Par l'entremise d'Ignace… et au déplaisir de quelques autres shiney hunters.
-Comme Alistair ? demanda Flynn.
-Oui. Alistair et Gérard Kenny n'ont pas du tout apprécié. Et je crois que ce sera le grand sujet de demain.

Du coin de l'œil, ils purent voir Archibald et Frédéric sortir en trombe du restaurant, alors que de la fumée s'échappait de l'immeuble.

-Vous viendrez à la réunion demain ? demanda la vieille dame à Flynn.
-Non, répondit celui-ci immédiatement. Je ne suis pas shiney hunter. Je ne serai jamais shiney hunter.

La vieille dame eut un sourire mystérieux et dit :

-Je vous en ai trop dit… Au revoir.

Elle appela un majestueux Roucarnage qui s'envola en tournoyant avant de revenir la prendre. La vieille s'assit en amazone et disparut dans le ciel.

-Quelle classe… laissa échapper Flynn.