A l'aube du pouvoir (T.1) de Raishini

- R... Ra... Ratchet ? balbutia Jérémie sans comprendre totalement.

Sa logique lui faisait cruellement défaut dans son état. Amorphe et pantelant, le garçon n'était pas certain de ce qu'il voyait ou entendait. Aussi eut-il du mal à assimiler la nouvelle situation.

- Qui veux-tu que ce soit ? lâcha ce dernier en soufflant avec dédain.

Lorsque sa vision redevint nette l'espace d'un instant, il reconnut effectivement le garçon au nez pointu, au teint pâle et aux longs cheveux d'un blond pur. Mais avant qu'il ait pu répondre, un hoquet le secoua et il vomit du sang. Tous ses organes lui semblaient prêts à remonter son œsophage, tellement la chose était insoutenable...

- Ne fais pas l'imbécile Ratchet, lui dit une voix féminine d'un ton cinglant et inquiet à la fois. Tu vois bien qu'il est mourant ! Dieu merci, heureusement que je suis là...

Cette fois-ci, Jérémie eut plus de mal à deviner l'identité de la personne. Puis il comprit au terme d'une longue réflexion que c'était Ariane. Mais cela n'était pas étonnant : elle ne parlait quasiment jamais. Seul son rapport à Ratchet avait aiguillé Jérémie sur la bonne piste.

- Et bien, dans ce cas, bouge-toi de le soigner pendant que moi je me rôtis le black ! répliqua Ratchet en ronchonnant. Je vais pas me coltiner des boulets à chaque heure du jour, quand même !

- Tiens bon, je vais guérir tes blessures et extraire le poison.

Jérémie sursauta. Il ne s'était pas attendu à ce qu'Ariane soit déjà à son chevet alors que Ratchet lui parlait encore. Toute comme elle, son approche était discrète. D'autre part, le garçon fut surpris de voir à quel point la jeune fille paraissait prévenante. Certainement ne s'était-il jamais donné la peine de la connaître assez pour le savoir...

- C... comment com... comptes-tu faire ? haleta Jérémie en réprimant un second hoquet. Salomon a dit que le poison qu... qu'il m'avait injecté é... était très virulent...

- Justement, raison de plus pour t'administrer rapidement les premiers soins, répondit Ariane sans prêter attention à Ratchet qui maugréait tout seul dans son coin. Et toi, occupe l'ennemi pendant ce temps sinon nous serons exposés ! ajouta-t-elle à l'adresse de l'adolescent, agitant le bras avec agacement.

- Très bien, puisqu'il faut un sauveur...

Souffrant comme s'il allait être écartelé, Jérémie tourna la tête pour observer son rival. Il fut alors parcouru d'effroyables élancements, mais persista à garder sa position afin de regarder la scène : les poings serrés et l'expression rancunière, Ratchet approchait à grands pas de Salomon.

Sur ses flancs, il sentit un contact tiède et délicat qui lui arracha quelques frissons. Ariane sillonnait son corps en psalmodiant d'étranges formules destinées à lui porter chance. De plus, une chaleur apaisante se répandait en lui, comme si on lui avait plongé une bouillotte d'eau chaude dans l'estomac après qu'il ait pris froid.

Une totale plénitude succéda à ses tourments tandis que la douleur semblait fuir son organisme, comme chassée par un illustre protecteur. Lui qui se sentait vidé, si tristement tiraillé par ses blessures, il avait l'impression de revivre. Tel un phénix renaissant de ses cendres, il fut animé par une énergie bouillonnante. Bientôt, Jérémie le savait, il pourrait se relever et aller prêter main forte à Ratchet.

Celui-ci était déjà aux prises avec Salomon. Ses poings auréolés de braises laissaient échapper des flammes chaque fois qu'il frappait.

En face, l'opposition s'avérait moindre : la première offensive de Ratchet avait dû affaiblir Salomon. Cela signifiait qu'il y avait une ouverture, qu'ils pouvaient l'emporter.

- Voilà, c'est le maximum que je puisse faire pour te remettre d'aplomb, souffla Ariane, exténuée, en épongeant son front moite.

- Merci, dit Jérémie en se levant, pliant et dépliant ses membres pour constater leur réponse totale. Mais dis-moi, tu n'as pas froid ?

A côté de lui, Ariane grelottait sous sa mince veste bleu nuit. Un nuage de buée ponctuait chacune de ses respirations et ses doigts nus étaient vilainement rougis par le vent glacial. Pourtant, la jeune fille hocha la tête en signe de dénégation et pointa Ratchet du visage :

- Non, ne t'en fais pas pour moi, va l'aider avant qu'un problème ne survienne.

En la voyant claquer des dents, Jérémie fut partagé entre l'amusement et l'exaspération. Malgré ses protestations, il ôta sa propre veste, son écharpe et ses gants pour l'en recouvrir. Enfin, il la fit taire en posant l'index sur sa bouche et lui murmura :

- Écoute, l'autre dingo est un feu follet ambulant, et moi je suis plus froid qu'un glaçon. La température d'ici ne nous affecte pas. Donc tu fais ce que tu veux, mais tu gardes ces habits ou je t'emprisonne dans la glace pour te conserver.

Affichant une surprise amusée, Ariane opina et s'enveloppa dans les affaires de Jérémie avant d'ajouter précipitamment :

- Ce n'est pas pour ça que tu devrais oublier dans quelle situation nous sommes. Maintenant que je t'ai rétabli, à toi de faire tes preuves et de te rattraper.

- Compte sur moi ! déclara Jérémie avec ferveur. Même si je ne sais pas comment tu t'y es prise, je n'oublierai jamais ce que tu as fait pour moi... Merci !

Plus enjoué qu'il n'avait pu l'être depuis son débarquement, le garçon courut à l'encontre des belligérants. Un plan vaguement informulé se précisait en lui...

Entre-temps, Salomon avait repoussé Ratchet en le frappant du plat du pied sur le torse. Le garçon voltigea sur quatre mètres et atterrit violemment. Opportuniste, Salomon se rua sur lui, mains braquées et parées à l'assaut.

- Alors là tu rêves ! tempêta Jérémie.

Et il plaqua ses mains sur le tapis de neige. Presque immédiatement, un rempart de glace surgit entre Salomon et Ratchet, manquant de bousculer le premier. En déroute, l'homme recula et lança un regard encore plus noir qu'il ne l'était déjà - si possible - à Jérémie.

- Ah, ah, j'ai toujours su que tu étais givré ! lâcha Ratchet en se mettant debout, sourire aux lèvres.

- Et moi que tu étais allumé, remarqua Jérémie. Comme ça on sera deux !

Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, une affinité teintée de rivalité semblait s'être instaurée entre eux. Jérémie trouva cela étrange mais pas déplaisant pour autant. Unis face à l'adversaire, ils se rapprochaient imperceptiblement.

A ce moment là, Jérémie eut une remontée de souvenirs. Notamment celui de sa rencontre avec Ratchet.

C'était lors de sa première visite à l'arène de Clémenti-Ville. Il avait suffi d'une simple bousculade involontaire pour enflammer le terrain de paille sèche. Dès lors, Jérémie et Ratchet s'étaient auto-proclamés le rival de l'autre et avaient férocement lutté pour prendre l'avantage. Résultat des courses, ils en étaient à une victoire partout et un match nul en combat Pokémon.

Dernièrement, ils avaient tous deux participé au tournoi d'Autequia et la victoire finale était revenue à Ratchet. Mais Jérémie ne se démontait pas pour autant. De plus son rival n'avait pas que des côtés négatifs et il le savait. Plusieurs fois il leur était venu en aide par le passé, les sauvant de situations périlleuses devant lesquelles des lâches auraient reculé. Mais pas Ratchet. Il avait beau ne le comprendre que partiellement, Jérémie reconnaissait sa valeur. C'était, en ces temps troubles, un allié indispensable.

- Alors, on le charcute ? proposa le garçon en souriant de plus belle. A celui qui lui fera le plus de bleus !

- Je suis partant, approuva Ratchet. Mais tu risques de tomber de haut, ajouta-t-il sur un ton suffisant.

- C'est ce qu'on verra.

Au même instant, une bouillonnement anormal leur parvint : les mains de Salomon s'entouraient d'un poison violet qui écumait dangereusement en projetant des gouttelettes acides - si l'on en jugeait la fonte accélérée de la neige autour de lui. De toute évidence, il n'appréciait guère qu'on le traitât comme un vulgaire défouloir.

- Croyez-vous que ma justice s'inclinera face à deux effrontés, faibles et ignorants de surcroît ? Gouttez à la sentence de mes poings !

Et il les braqua sur les deux garçons, projetant une gerbe corrosive.

- Bizarre, je ne le savais pas aussi caustique, avoua Jérémie en évitant de justesse. Peut-être qu'il cachait son jeu jusque là, ou bien que son pouvoir l'a changé.

- Si tu commences à réfléchir sur de telles choses alors qu'on est dans le pétrin, on est pas sorti de l'auberge ! souleva Ratchet en évitant lui aussi. Boucle-la et attaque, un point c'est tout !

Pincé, Jérémie dut quand même avouer son tort et agir de concert avec son partenaire inespéré. L'un envoya une volée de flammes tandis que l'autre dirigeait un rayon de glace sur les jambes de Salomon pour l'entraver.

Dérouté, ils assistèrent à une magnifique esquive de l'ennemi, qui exécuta une roue pour se libérer du sillage destructeur des attaques. Sur quoi, il riposta en ouvrant la bouche, exhalant un gaz trouble et vivace.

Si le geste en lui-même aurait pu paraître comique, Jérémie ne trouva pas matière à rire. Cette nuée venimeuse courait dans l'atmosphère de manière incertaine, si bien que définir clairement sa trajectoire relevait plus de la chance qu'autre chose. En revanche, ce qu'il savait, c'est qu'il ne devait en aucun cas respirer cette vapeur toxique.

- Attention, hurla-t-il bêtement, tout en sachant que Ratchet n'avait pas besoin de ce conseil.

- Pfff, souffla ce dernier. Laisse faire le pro !

Il produisit une flamme conséquente. Lorsqu'elle entra en contact avec le gaz, l'ensemble formé explosa. La détonation fut assourdissante et souffla Jérémie. Jamais il n'aurait pensé que Ratchet en viendrait à de telles extrémités... Quel fou !

- Non, mais t'es malade ! cria-t-il à travers le crépitement. T'aurais pu tous nous tuer avec tes âneries !

- Justement, tu es vivant alors ferme là un peu ! beugla Ratchet en retour. C'était la meilleure chose à faire. Je me doutais que son gaz n'aimerait pas la moindre petite étincelle. Je ne pense pas qu'il l'utilisera de sitôt.

Tandis que l'écran de fumée épaisse s'estompait lentement, Jérémie aperçut une ombre mouvante... Sa crainte prit alors le dessus et il avertit Ratchet :

- Attention, Salomon te fonce dessus !

Sans perdre de temps pour savoir si son équipier avait entendu, il se baissa et émit une onde de pensée face à lui, imaginant qu'un ligne défensive s'établissait entre Ratchet et l'ennemi. L'effet recherché fut atteint et des stalactites parurent éclore en une longe barrière, protégeant leur cible.

Simultanément, il entendit un grognement rauque puis une déflagration dont les rayons furent éblouissants. Jérémie ne perdit pas une seule seconde : le coup de grâce devait être porté maintenant.

Seulement, il lui faudrait user du pouvoir de Cyril pour repérer Salomon dans le nuage encore bien installé. Ses signaux électriques auraient tôt fait de révéler sa position. Par conséquent, Jérémie fit abstraction de ses réticences et agit.

Dans un premier temps, il consolida son poing gauche avec un gant de glace, léger mais redoutable. Cette idée lui était venue grâce à son premier revers face à Salomon. Comme quoi, pensa-t-il, les erreurs avaient du bon. Et même s'il n'était pas assez rapide pour tailler en pointe cet armement, il s'avérerait certainement d'une grande efficacité.

Dans un second temps, il pénétra l'écran de fumée en se focalisant sur l'énergie antagoniste. En une lumière brève et vive, elle lui apparut. C'était moins difficile qu'il ne le pensait. L'aura électrique de Salomon était à peine discernable, comme composée d'une haine dissimulée à travers sa légère teinte écarlate.

Se fiant uniquement à cette source lumineuse, Jérémie sprinta en aveugle et leva le poing. Enfin, dans un long saut entrecoupé de cris hargneux, il frappa aussi fort qu'il le put.

Un craquement sinistre lui indiqua qu'il avait atteint un os. Probablement la clavicule, mais il était dur d'en juger seulement d'après l'ombre partielle qu'il voyait. En revanche, le gémissement contenu de Salomon confirma ses doutes : il l'avait bel et bien touché à un point critique.

Jérémie arbora un sourire féroce et s'éloigna avant que l'idée ne vînt à l'ennemi de riposter. Nul triomphe ne lui semblait aussi plaisant que celui-ci. Même si la victoire semblait n'être due qu'à la chance et au nombre, Jérémie se réjouissait.

- Vous... vous allez me le payer, haleta Salomon en reparaissant petit à petit. Je n'ai pas dit mon dernier mot !

Des volutes délétères s'enroulaient en longs rubans autour de lui, donnant un aperçu assez éloquent de la rage de Salomon. Mais la parole lui fut brusquement coupée par un tourbillon de vent. Un sifflement de rotor fit lever la tête à Jérémie : un hélicoptère aux portières frappées du sceau du Gouvernement - un drapeau barré obliquement de deux épées et orné en son centre d'une PokéBall - stationnait au-dessus des Pokéman. Si Jérémie ne se méprenait pas, le véhicule paraissait les prendre pour cible.

- Rendez-vous sans faire d'histoire, ce sera notre seule sommation ! annonça un homme à travers son mégaphone tout en se penchant vers l'extérieur pour les observer.

Pendant un court moment, Jérémie l'imagina déraper et tomber pour s'écraser tête la première dans la neige. Il pouffa involontairement mais se ressaisit aussitôt : le contexte se prêtait mal aux fous rires et aux festivités. Au contraire, il était plus que défavorable.

Le garçon eut tout juste le temps d'apercevoir Salomon, une main pressée contre son épaule droite, détaler comme un lapin pris en chasse. Quelques secondes plus tard, il disparaissait dans le couvert de la forêt proche, ne laissant de lui qu'une tache de sang sur le sol.

Malheureusement Jérémie ne put rien faire pour l'en empêcher : bizarrement, les policiers semblaient ne pas avoir remarqué sa présence, ou du moins ne jeter leur dévolu que sur les adolescents. L'homme au mégaphone braquait une arme à feu dans leur direction, l'expression impitoyable.

Jérémie fit volte-face avec appréhension. Derrière lui, il n'y avait que Ratchet, qui suait à grosses gouttes. Mais où était donc passée Ariane ?

- Allez au diable ! vociféra Ratchet en façonnant une sphère de flammes crépitante. A cause de vous, on a perdu la trace d'un vrai criminel ! Je vais vous roussir le poil !

- Non, attends, n'oublie pas qu'ils sont dans un hélicoptère ! dit Jérémie d'une voix enrouée, interloquée. Nous ne sommes pas obligés de les tuer !

Trop tard : Ratchet venait de tirer. Ses flammes s'étendirent en un long rayon semblable à un serpent et happèrent le véhicule Du moins, c'est ce que Jérémie croyait jusqu'à ce qu'un cocon d'eau n'enveloppe le brasier et l'asphyxie dans son enfer liquide. La condensation formée eut tôt fait de se dissiper sous le souffle des hélices et révéla un second homme, qui maintenait son voisin inconscient pour ne pas qu'il tombe.

Hyde.