Comment briser un cœur en trois leçons
Un jour qu'elle en avait eu assez de cette indifférence bien trop maladroitement feinte pour être crue un tant soit peu véritable qu'Evanetas venait encore d'utiliser suite à une nouvelle tentative de séduction de Morgane, celle-ci avait éclaté en sanglots en disant :
« Mais qu'est-ce que tu as, à la fin ? P… pourquoi est-ce que tu te sens obligé de feindre l'indifférence à chaque fois que je… que je veux…
– Que tu veux ? »
Le désespoir de Morgane se mua instantanément en colère noire ; elle prit le garçon par les épaules avant de le secouer violemment et de le projeter contre le mur proche :
« Que je veux installer autre chose qu'une amitié entre nous !
– Et pourrais-je savoir quel genre de relation tu voudrais installer entre nous deux ? » demanda Evanetas en s'ébrouant.
L'adolescente gifla le garçon avec une telle violence qu'il vacilla.
« Cette relation que tout être humain pense bâtir un jour ou l'autre avec une personne du sexe opposé !
– Ah, tu veux parler de l'amour ? réalisa enfin Evanetas.
– Quoi d'autre ?! s'écria Morgane d'une voix aigüe qui fit plisser les yeux du garçon.
– Attends, tu veux dire que… »
Sans prévenir, Evanetas éclata de rire ; lorsqu'il eut terminé et qu'il essuyait d'un revers de la main ses yeux humides, il dit avec une arrogance incroyable :
« Tu veux dire que tu comptes… enfin, tu veux… tu es tombée amoureuse de moi ?
– Il serait grand temps que tu t'en rendes compte ! s'emporta la jeune femme en rougissant violemment. Je ne vois pas du tout en quoi cela peut prêter à rire !
– R… rien, si ce n'est le comique de la situation… »
Devant l'air incrédule de Morgane, il ajouta :
« Bah oui, tu m'aimes alors que… alors que j'aime Séverine et… et elle aussi m'aime… Je crains qu'il n'y ait pas de place pour une troisième per…
– Comment peux-tu dire ça ? cracha la jeune femme.
– Quoi, tu es jalouse ? Tu voudrais te dresser entre nous ? Briser notre amour ? Mais pour quelles raisons, dis-moi ? Tu n'as ni les courbes généreuses de Séverine ni ne possèdes une fraction de son intelligence ou de ses nombreux charmes… et il n'y a pas l'ombre d'un mystère qui t'entoure. Tu es une fille tout à fait ordinaire à côté d'elle. Non, vraiment, je ne sais pas ce qui pourrait bien m'attirer chez toi au point de provoquer un sentiment plus fort que l'amitié… et je me demande bien ce qui a pu te pousser à croire pareille absurdité ! »
Il avait dit cela sur un ton dur qui anéantit Morgane ; la véracité de la moitié de ses propos lui fit instantanément oublier le caractère mensonger de l'autre au point de se demander si elle ne s'était pas bercée d'illusions. En effet, pourquoi s'intéresserait-on à l'amie d'une future top modèle qui était encore célibataire ? Pourquoi ?
Depuis ce jour, la jeune femme avait passé ses nuits à pleurer. Parce qu'elle n'avait pas la beauté d'Éliana. Parce qu'elle n'avait pas l'intelligence d'Éliana. Parce qu'elle n'avait pas le charme d'Éliana. Parce qu'elle n'était tout simplement pas Éliana. Cette constatation avait suffi à la faire se haïr et à haïr son amie la plus chère.
***
Mais c'en était fini de cette haine injustifiée car sans aucun fondement rationnel. Elle était ce qu'elle était. Éliana avait ses défauts. Tout comme Morgane avait ses qualités. Il avait joué la comédie pour les frustrer toutes les deux, et il avait bien réussi cet idiot ! Mais il n'était pas encore trop tard pour se rattraper. Du moins Morgane osait-elle l'espérer…
« Pourrais-je savoir ce qui me vaut l'honneur de ta présence à mes côtés ? » s'enquit la jeune femme sur un ton innocent tandis que le garçon sortait ses affaires.
Evanetas finit ce qu'il était en train de faire avant de poser un regard énigmatique sur sa voisine.
« Il y a un problème ? » demanda Morgane sans se départir de son ton dégagé.
Le garçon ouvrit la bouche pour répondre mais aucun son ne sortit.
« Ton imitation de Magicarpe est très réussie… »
Evanetas ferma sa bouche, cligna des yeux plusieurs fois avant de se lever et de quitter la salle de classe sous le regard intéressé de tous les élèves.
« Voilà qui va te donner à réfléchir… maintenant, il va falloir que je m'occupe de Séverine… »