Qui es-tu vraiment ?
Comme Morgane ne cessait de s'enfoncer dans un désespoir plus intense devant chaque nouvelle tentative se révélant être un échec, Éliana se résolut à aller voir Evanetas chez lui pour mettre les choses au point. Il ne sembla aucunement surpris de sa visite, ce qui n'était pas pour plaire à Éliana.
« Bonsoir Séverine… je peux faire quelque chose pour toi ?
– Je peux entrer ?
– Non. »
Le ton était catégorique.
« J'en déduis que je ne suis pas la seule à avoir quelque chose à cacher, n'est-ce pas ? »
Une étincelle d'intérêt naquit dans les yeux du garçon.
« Me laissera-t-elle pénétrer plus facilement ses secrets si je la laisse entrer ? » lut Éliana dans son esprit.
« Tout le monde a quelque chose à cacher… dit-il en s'effaçant pour laisser le passage à Éliana qui entra.
– Mais tout le monde ne le cache pas forcément. »
Evanetas acquiesça lentement.
« Et il y a ceux qui ne le cachent pas suffisamment bien… comme toi.
– Qu'est-ce que tu veux dire ? » s'enquit le garçon, nullement impressionné.
Éliana planta son regard dans le sien comme pour essayer de lui faire comprendre sans avoir recours aux mots le mal qu'il faisait à Morgane en ne réagissant pas comme il devrait à ses avances. Mais elle devait utiliser des mots.
« Je veux dire par là que tu es en train de pourrir le moral de Morgane à un point qui ne devrait pas être permis !
– Et alors ? »
Encore cette satanée indifférence feinte. Éliana avait envie de prendre cet imbécile par les épaules et de le secouer un bon coup, mais elle n'aimait pas la violence et croyait encore en le pouvoir des mots.
« Et alors ce n'est pas du tout ce qu'une fille est en droit d'attendre d'un garçon qui l'aime.
– Qui t'a mis en tête l'idée selon laquelle je l'aimais ?
– Qui t'a mis en tête que tu ne l'aimais pas ? »
Evanetas parut troublé par cette question l'espace d'un instant avant de retrouver son expression impassible habituelle.
« Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.
– Très bien, alors tu peux me dire pourquoi tu as attaché ses petits messages sur ton mur juste au-dessus de ton bureau sur lequel est posé un cadre avec une de ses plus jolies photos ? »
Le garçon haussa les épaules. Éliana se doutait que, quoi qu'elle dise, il nierait avoir des sentiments pour Morgane. Elle aurait beau lui mettre sous le nez des preuves irréfutables de son intérêt pour elle il resterait invariablement silencieux. Mais pourquoi ? Pourquoi niait-il pareille évidence ?
La pensée que le jeune homme avait eue avant qu'il ne la laisse entrer dans son appartement s'imposa alors à la jeune femme, et tout devint immédiatement beaucoup plus clair pour elle : Evanetas désirait plus que tout savoir ce qu'elle était, et il n'hésiterait pas pour cela à la mécontenter au plus haut point. Ce qu'Éliana ne savait pas en revanche, c'était jusqu'où il était capable d'aller pour obtenir d'elle ce qu'il voulait. Elle en eut bientôt une vague idée lorsqu'un jour, Morgane se mit à la fuir comme si elle était porteuse d'une maladie extrêmement contagieuse. Son esprit lui était même devenu complètement fermé, traduisant sans aucun doute possible le repli de l'adolescente sur elle-même. Éliana finit par la coincer à la sortie d'un cours ; sa brutalité soudaine fit exploser Morgane :
« Pourquoi je t'évite ? Mais pour rien ! Rien d'autre qu'un tout petit mensonge de rien du tout ! Tu m'avais dit que ton cœur était déjà pris, mais tu avais omis de préciser que c'est à lui que tu l'avais donné !
– Mais p… pas du tout ! nia Éliana en rougissant – elles étaient instantanément devenues le centre de l'attention de toutes les personnes présentes dans le couloir.
– Alors explique-moi qui à part Evanetas ne peut te trouver à son goût selon toi ? »
La réplique désarçonna Éliana ; Morgane avait l'air d'avoir oublié qu'elle avait eu un prince charmant, et pourtant… elle n'avait rien oublié. Rien du tout.
« Parce que tu me trouves à ton goût, toi, peut-être ? s'écria Éliana, les larmes aux yeux.
– Mais je suis une f… »
Morgane s'interrompit brusquement, réalisant l'impensable. Sous le coup de la surprise, elle oublia de respirer et manqua s'étouffer ; elle toussa bruyamment, des larmes perlant au coin des yeux avant d'éclater de rire. Un rire qui n'aurait pu sonner plus faux.
« Tu… tu n'es pas sérieuse ? »
Éliana acquiesça tristement, l'air sincèrement navrée, avant de s'enfuir à toutes jambes du couloir, loin des regards pesants et hostiles de tous ces gens devenus tout à coup si distants, le visage en larmes. Son amie retrouva instantanément ses esprits pour réaliser trop tard la bêtise qu'elle avait faîte ; catastrophée, elle essaya de poursuivre Éliana mais elle était plus rapide qu'elle et ses recherches demeurèrent vaines – sans compter qu'elle manquait de temps. Alors que la première sonnerie retentissait, Morgane essaya de joindre son amie sur son portable mais elle tombait invariablement sur le répondeur. Elle culpabilisa davantage lorsque, bien obligée d'aller en cours, elle prit une place à l'écart et vit, interloquée, Evanetas la rejoindre et prendre place à côté d'elle, l'air de rien. Elle le trouva tout à coup bien trop attentionné à son goût, et en vint bientôt à se demander comment elle avait pu croire un seul instant qu'Éliana et lui… mais il le lui avait dit, pourtant ! Il le lui avait dit ! Elle se souvenait bien trop précisément de ses mots pour qu'il s'agisse d'un rêve !