Chapitre 57 : Flatterie
Vassili se réveilla après avoir dormi plusieurs heures, profitant enfin d'un semblant de quiétude. Malgré ce repos, il se sentait encore un peu faible et courbatu... Il espérait beaucoup de l'entretien avec le colonel, quoiqu'il eût dit au commandant. Certes il le redoutait, car il ne savait pas s'il serait à la hauteur, mais au moins, il serait fixé quant à sa réinsertion parmi les rebelles. Même si son histoire avec Aleph-Zéro avait dû fortement se décanter, il craignait que cela ne ressurgît avec le retour de l'Insécateur. Pourtant, il rêvait toujours de réussir à convaincre le monde entier que les Pokémon n'étaient devenus hostiles que par la faute des hommes et donc qu'ils pouvaient s'allier contre leurs ennemis communs. Bien sûr, il se disait parfois que c'était une utopie et que les liens les unissant étaient brisés pour longtemps. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à cette réalité qu'il jugeait horrible.
Dès que l'humain se leva, Eclair-de-Liberté lui emboita le pas. Il fut suivi par les autres, mais Vaillant-Rescapé veilla bien à garder une certaine distance entre eux, par simple soucis de ne pas corrompre son image et sans même se rendre compte qu'il était probablement le seul à y faire attention. Alors que le groupe se dirigeait vers la tente du commandant, un rebelle vint à la rencontre du groupe, tout en gardant ses distances avec les Pokémon. On voyait bien qu'il aurait aimé garder un air rassuré et détendu, mais quelque chose, une habitude bien trop vite implantée, le forçait à rester en retrait. Il n'avait guère qu'une petite vingtaine d'années, cela se voyait à ses traits encore juvéniles mais aussi à sa façon de s'exprimer, peu sûr de lui.
................- Excusez-moi, dit-il en fixant les Pokémon, mais en s'adressant à Vassili. Comment avez-vous fait pour... enfin... pour que vous soyez amis ? Pour... ne pas avoir peur qu'ils attaquent les humains, pour les avoir fait changer de camp ?
................- C'est une longue histoire, surtout une longue suite de coïncidences plus ou moins heureuses... que je ne suis pas sûr de souhaiter à grand monde. Cela dit, je ne peux pas garantir que, pour Aleph-Zéro ici présent, ce que tu dis s'applique réellement ! Mais sinon, tu sais, ce n'est pas parce que certains ont tout gâché que ce qui était avant ne peut plus se faire... C'est bien parce tu crois encore que l'on peut changer les choses que tu te bats, non ? Rien n'est établi !
Le jeune homme esquissa un sourire. Ses yeux pétillaient avec une lueur qui avait quelque chose d'enfantine. Il avança vers Terreur-des-Hommes, mais le regard menaçant de Vaillant-Rescapé l'arrêta dans son élan. Il hésita un peu, puis se décida à parler, toujours sans oser fixer les yeux de son interlocuteur.
................- Je... je peux ? demanda-t-il en approchant timidement la main de la Migalos.
................- Ah, ça, ce n'est pas à moi qu'il faut le demander ! sourit le dresseur.
Terreur-des-Hommes adressa un sourire avenant au jeune homme pour le mettre en confiance. Elle avait pris soin, auparavant, de faire comprendre à l'Insécateur qu'il ne devait surtout pas intervenir contre cet humain. Il avait acquiescé à regret, plus pour faire plaisir à son amie que par réelle conviction. Le rebelle posa sa main sur la tête rouge de la Migalos. Ce contact lui semblait provenir d'un autre monde ! Enfin, il voyait un Pokémon de près, le touchait même... Il se mit alors à caresser la gigantesque araignée.
................- Merci, lui dit-il. Depuis le temps que je voulais avoir un Pokémon. Quand j'étais gamin, je rêvais d'être dresseur, enfin, comme plein d'enfants. Mais, ce n'était plus du tout possible quand je suis devenu assez grand.
Le jeune rebelle sourit à Vassili et s'en retourna à ses occupations, après s'être excusé de l'avoir importuné. Le groupe repartit donc en direction de la tente du commandant. Celui-ci farfouilla dans un des cartons devant son lit dès qu'il les vit arriver. Il y prit une boîte d'une mixture étrange que Vassili n'avait pas vue depuis si longtemps : des œufs de Dodrio au miel d'Apitrini, pour le voyage. Ces conserves, produites dans les pays où la guerre ne sévissait pas, apportaient énormément d'énergie. Le contenu avait l'avantage d'être plus ou moins liquide, ce qui en rendait la consommation aisée. Il apprit donc que les rebelles se nourrissaient essentiellement comme cela, car les provisions fraîches étaient rares et trop périssables pour être utilisées. Ils se fournissaient auprès de producteurs des pays voisins, grâce à des contacts chez les commerçants alentour. Les Pokémon en reçurent également... Enfin, le commandant Fabrice sortit, en leur demandant de les attendre dans la tente.
Il ne tarda pas à revenir, accompagné de trois hommes. L'un d'eux était celui qui avait voulu caresser Terreur-des-Hommes. Le deuxième, placé plus en avant dans le groupe, arborant un air sûr de lui, était bien plus âgé, peut-être même un peu plus que Vassili. Le dernier n'avait vraiment rien de remarquable physiquement, mais il tenait son fusil d'une manière qui fit deviner au dresseur qu'il savait bien s'en servir et était donc combattant depuis longtemps.
................- Ils vont t'accompagner jusqu'à Mizao. Eudes, dit-il en montrant le troisième, connaît bien le terrain, je lui fais entièrement confiance pour te mener à bon port.
Sans ajouter autre chose, le commandant s'assit sur l'une des chaises et attrapa un papier qu'il se mit à étudier. Les hommes présents comprirent vite qu'il était temps pour eux de prendre congé. Les rebelles mirent leur sac à dos, sac qu'ils avaient posés devant la tente avant d'entrer. Le groupe nouvellement formé quitta le camp de toile, en colonne derrière le guide. Le jeune rebelle qui avait eu le coup de foudre pour Terreur-des-Hommes ne cessait de jeter des coups d'œil aux Pokémon, ce qui dérangeait véritablement Vaillant-Rescapé. Comme la Migalos le remarqua, elle se décida à lui livrer le fond de sa pensée à ce sujet.
................- Je ne sais pas pourquoi tu t'obstines à lui en vouloir, à cet humain... Il a été vraiment gentil avec moi. Puis, il avait l'air vraiment intéressé par nous !
................- Nous ne sommes pas des bêtes de foire !
................- Non, bien sûr. Mais que vaut-il mieux ? Qu'est-ce qui t'es arrivé, à toi, quand tu es arrivé dans la forêt après avoir seulement parlé avec un humain ? Et pourtant, tu y étais respecté, avant. Oui, Malin-Fureteur n'y est pas pour rien. Mais ici, nous arrivons... et j'ai droit à une preuve d'affection ! Que choisirais-tu ? Qui est le pire ? J'en rajoute une couche, mais que penses-tu qu'auraient fait les Pokémon dans cette situation ? Je crois que toi et moi avons la même réponse... Je pensais que tu avais compris, en compagnie de Vassili et Naïma, que nous pouvions leur faire un minimum confiance...
Vaillant-Rescapé réfléchit quelques instants. Au fond, elle n'avait pas tort. Alors, pourquoi n'arrivait-il pas à laisser les amis de Vassili l'approcher ? Soudain, il lui sembla avoir une illumination : il éprouvait de la jalousie. Puis, en réfléchissant, il se dit que bien sûr, si cela avait été Newton ou Eclair-de-Liberté, il aurait peut-être mieux accepté, pourtant, il l'aurait tout de même vu d'un mauvais œil. En réalité, il ne parvenait toujours pas à faire confiance aux humains de prime abord, à cause d'une certitude trop ancrée en lui qui les lui faisaient voir comme des ennemis naturels. Il se demanda s'il s'agissait d'un instinct, comme celui qui permettait à savoir à Trioxhydre qu'il était un chasseur et lui permettait de reconnaître ses proies... Même si tel était le cas, il refusait totalement de n'être qu'une brute sans cervelle comme ce Pokémon-ci. Pour la première fois de sa vie, il se rendait compte qu'il avait eu tort. Il savait qu'il ne pouvait pas se fier à n'importe qui, mais cela était dû au temps de guerre. Le fait qu'il s'agît d'humains ou non n'avait rien à voir là-dedans. Alors, il prit une résolution qu'il savait par avance dure à tenir : il devait faire un effort.
Les humains échangèrent quelques mots, durant le voyage à travers la végétation dense. Ils parlaient à voix basse, toujours inquiets de croiser des soldats. Ils se trouvaient du côté plus ou moins contrôlé par les rebelles ; cela n'excluait pas de tomber, par hasard ou non, sur des ennemis. A trois, même avec les Pokémon, il valait mieux qu'ils restassent discrets. Les rebelles s'intéressèrent à la quête de Vassili au Silgora... Il apporta des réponses à toutes les interrogations, n'ayant rien à cacher. Il veillait tout de même à bien insister sur le fait que ce pays était loin d'être le paradis et que quitter Vogra était loin d'être une solution satisfaisante. Il coupa ainsi court à toutes les rumeurs à propos de sa fuite qui se répandaient déjà parmi certains rebelles, qui pensaient qu'il serait parti car il pensait qu'il valait mieux fuir, que leur cause était perdue d'avance.
Le jeune rebelle intéressé par les Pokémon revint à la charge, alors qu'ils approchaient des frontières de Mizao.
................- C'est moi qui ai demandé à venir vous escorter... dit-il avec plus d'assurance qu'il n'en avait eu depuis leurs premières paroles. Je ne pouvais pas laisser partir des Pokémon qui avaient besoin de garde du corps sans en être !
................- Puisqu'ils t'intéressent autant, répondit Vassili, il faudrait peut-être que je te les présente.
Il entreprit alors de citer chacun des Pokémon. Comme il se l'était promis, Vaillant-Rescapé se força à lui rendre son sourire quand leurs regards se croisèrent furtivement. Le jeune rebelle prit alors un air paniqué :
................- Je suis désolé, je ne me suis même pas présenté. Je suis Yvon, j'ai dix-sept ans. Je viens d'Ournaulx. Ça ne fait pas longtemps que je suis là, mais je fais de mon mieux ! Je pense, enfin, j'espère, que le commandant est content de moi et que c'est pour ça qu'il a bien voulu que je vienne avec vous... Je ne veux pas vous décevoir !
................- Détends-toi, mon garçon ! s'amusa Vassili. Je n'ai aucun grade exceptionnel et je ne vais pas te frapper parce que tu me parles ou que tu ne t'es pas présenté...
................- Mais vous êtes quand même le frère de Dimitri !
................- Et alors ? Qu'est-ce que cela change ? Puis, par pitié, arrête de me vouvoyer, je suis sûr que tu tutoies tous tes autres camarades ! Je ne suis pas si vieux, quand même !
................- Oui, oui, d'accord... Je vais essayer.
La discussion donna un sourire à Terreur-des-Hommes, qui trouvait cet humain attendrissant et sympathique. Il était marrant à voir, à ne pas savoir où se mettre ! Cela le plaçait tellement à l'opposé de Vaillant-Rescapé... Puis, elle devait avouer qu'elle appréciait plutôt d'être regardée comme une grande star.
Après deux jours de marche, le groupe entra enfin dans la ville, contrôlé par les rebelles qui la tenaient. Vassili passa devant tous les anciens bâtiments administratifs, guidé par Eudes. Il pensait s'arrêter à l'un d'eux, aussi, il ralentissait légèrement en passant devant chacun. Pourtant, ce ne fut pas le cas, ils les dépassèrent sans même les regarder. Où se cachait donc le colonel ? Finalement, la progression trouva sa fin devant une immense structure en pierres blanches : l'hôpital.
Les blessés s'entassaient, pour la plupart sans avoir encore reçu de soins, dans les couloirs. Les médecins et infirmiers couraient au milieu des mutilés, des blessés sanguinolents, des malades, des choqués... Ils étaient à n'en pas douter débordés. Même du personnel non médical, de simples rebelles, apportaient l'aide qu'ils pouvaient et cela ne suffisait pas ! Les civils se pressaient, victimes indirectes des conflits ou dans le but de simples consultations. Les combattants, souvent les plus amochés mais aussi les moins bruyants, n'aspiraient la plupart du temps qu'à redevenir vite valides, pour pouvoir reprendre les armes. Dans de rares cas cependant, ils se morfondaient, conscients qu'ils étaient marqués à jamais, surtout en ce qui concernait ceux qui auraient un handicap à vie.
Vassili traversa ces couloirs, sous les regards parfois effrayés des malades (surtout de ceux blessés par des combattants de la forêt) qui se demandaient comment des Pokémon pouvaient entrer ici. Ne les laisserait-on jamais en paix, même à l'hôpital ? Le calme régnait enfin à l'étage. Certains médecins logeaient là, dans de minuscules chambres... De graves malades dont l'état nécessitait du calme avaient également le privilège de se trouver entassés en nombres presque raisonnables dans ces petites pièces. Un homme en blouse blanche interpela les visiteurs, qui ne devaient pas se trouver là. Mais comme Eudes, le guide, prévint qu'ils étaient annoncés au colonel, ils furent plutôt conduits jusqu'au bout du couloir. Le médecin frappa trois coups à la porte. La réponse fut rapide et positive.
L'homme en blouse blanche ouvrit la porte, tout en restant dehors. Il invita Vassili à entrer, avec ses Pokémon, alors que les autres rebelles attendraient devant. Un peu hésitant, le dresseur fit quelques pas à l'intérieur. Plus ou moins caché derrière le battant, un rebelle dont le treillis portait deux étoiles brodées sur l'épaule gauche, s'appuyait sur des béquilles, la jambe droite dans le plâtre. Il portait également un bandage blanc autour du bras, du même côté. Plus grand que son visiteur, bel homme, sa stature imposait le respect. Ses cheveux noirs, détachés, tombaient sur ses épaules. Vaillant-Rescapé ne remarqua qu'une seule chose, qui le marqua énormément. Il venait de plonger dans le regard déterminé, impressionnant, mais également chaleureux, de deux petits yeux d'un noir profond. Il le reconnut entre mille : le regard d'un Pokémon sauvage, celui de Vassili.
................- Vassia ! s'exclama le colonel qui lâcha une béquille pour étreindre son visiteur avec force.