Chapitre 128 : Voleur de vie
Giovanni enrageait, et ses collaborateurs dans son bureau étaient impuissants à le calmer.
- Comment as-t-il pu ?! Comment as-t-il osé ? La chair de ma chair, celui qui sans moi, n'aurait rien été ! C'est moi qui lui ai donné la vie ! C'est moi qui l'ai nommé Agent ! Et à présent, il me trahit ! Et ces damnés de Lunariens ! Eux aussi s'y mettent ! Sans doute sous la demande de la gamine de Tender ! Une traîtresse elle aussi, alors que je la pensais loyale et prometteuse ! Et son père... mon cher vieil ami, qui doit aussi comploter contre moi ! Qu'ils aillent tous brûler ! Que Giratina emporte tous ces traîtres !
Estelle, l'Agent 005, qui était aussi une enfant de Giovanni, s'évertua à parler d'une voix calme et raisonnable.
- Allons père, reprenez-vous. Voyez ce qui se passe autour de vous avant de vous en prendre à Vilius et ses alliés ! La Team Némésis se joue de nous en faisant qu'on accomplisse leurs combats à leur place ! On soupçonne qu'ils soient infiltrés au plus haut niveau ! La Team Rocket est en train de sombrer, père ! Si vous continuez à vous fier à tout ce que 002 raconte...
- Ah, silence ! S'exclama Giovanni en tapant du poing sur la table. Toi aussi, tu veux me trahir, c'est ça ? Tous mes enfants se retournent contre moi ?!
Le jolie visage d'Estelle se ferma.
- J'ai juré de vous servir jusqu'à la mort, père. Vous devez savoir que je rompt pas ce genre de promesse...
- Au diable tes promesses pieuses ! Tu m'es aussi utile qu'un Voltorbe déchargé ! Vous êtes tous des bons à rien, autant que vous êtes ! Où est Zelan ? C'est mon seul serviteur encore compétant.
Comme personne ne disait rien, la tête basse, Giovanni éleva encore plus la voix.
- JE VEUX 002 ! IMMEDIATEMENT !
005 hocha la tête, dépitée. En ce moment, son père, toujours maître de lui-même, toujours réfléchi et raisonnable, ressemblait à un enfant qui attendait son jouet. Il ne contrôlait plus rien, et sa confiance en 002 ne semblait pas lui être bénéfique. Estelle soupçonnait l'Agent d'avoir d'autres buts que celui de servir son père. Peut-être Vilius l'avait-il percé à jour, et c'était pour cela qu'il avait trahi... En tous cas, Estelle ne pouvait rien faire pour l'instant. Elle se retira avec tous les autres. Peu après, Zelan rentra dans le bureau du Boss.
- Vous m'avez fait demander, monsieur ? Demanda-t-il, tout sourire.
- Ah, Zelan, soupira Giovanni. Heureusement que tu es encore là... Tout le monde se retourne contre moi... Que vais-je faire, Zelan ?
L'Agent 002 se rapprocha assez pour tapoter l'épaule du Boss, comme pour encourager un élève en difficulté.
- Ne vous en faite pas, monsieur. J'ai tout contrôle en main. La Team Rocket est éternelle. Vous êtes éternel ! Nul ne peut vous ébranler. Je connais nos ennemis, monsieur. J'ai seulement besoin de votre permission... Nommez-moi régent de la Team Rocket, monsieur. Donnez-moi les pleins pouvoirs sur toutes nos forces, et j'exterminerai vos ennemis un à un !
- Oui... exterminer nos ennemis, répéta Giovanni d'une voix lointaine.
- Tenez monsieur, j'ai le document ici même, fit Zelan en lui tendant une feuille. Il suffit que vous signez, et j'aurai tous les pouvoirs pour m'occuper des traîtres.
Giovanni prit son stylo et signa, lentement, comme si il n'était plus trop sûr de la façon dont on écrivait. Zelan sourit et rangea le papier dans sa poche.
- Merci monsieur. Vous n'aurez pas à attendre longtemps...
En sortant, Zelan remercia aussi mentalement le travail de brouillage d'esprit opéré par Licia, qui faisait de Giovanni le parfait pantin. Maintenant, il fallait qu'il se charge du cas Vilius et Siena. Le premier pouvait bien mourir, Zelan n'en avait rien à faire. Mais la seconde devait vivre... du moins, le temps d'accoucher. Après, ça ne dépendrait que d'elle.
***
Siena ne savait pas trop à quoi pouvait s'occuper une jeune officier Rocket en exil, entamant son cinquième mois de grossesse, dans une base de rebelles au fond d'un quelconque trou secret. En tous cas, pas à faire la guerre. Octave était parti avec ses vaisseaux et ses armées combattre les Teams Rocket et Némésis, refusant catégoriquement qu'elle vienne et la laissant plantée là à se rouler les pouces. Si sa condition physique actuelle l'empêchait de se démener aux entrainements comme avant, elle pouvait toujours trouver un certain passe temps dans les combats Pokemon. Mais bien peu étaient les hommes de 003 qui en possédaient. C'étaient tous des soldats d'assaut, et aucunement des agents de terrains ou des sbires.
Tous lui témoignaient un grand respect, et même 003, avec qui elle avait eu d'autres occasions de parler un peu. Bon, évidement, elle savait qu'elle était un peu l'étoile montante de la Team Rocket de part ses promotions rapides, le nom et le grade de son père, le statut Mélénis de son frère et de sa sœur, et sa relation avec l'empereur d'une puissance étrangère alliée. Mais il y avait aussi une autre raison, qu'elle-même ignorait. Ce fut 003 qui lui apprit sans faire attention lors d'une discussion, un jour où Siena avait déploré ne pouvait elle-même participer à la bataille contre Zelan. L'Agent avait sourit et dit :
- Je ne doute pas de vos talents, major, avec le père et le grand-père que vous avez, mais comprenez que...
Siena l'avait alors arrêté.
- Le grand-père ? Qu'est-ce que mon grand-père vient-il faire là-dedans ?
003 s'était étonné.
- Vous ne connaissez pas l'histoire de votre propre famille, major ?
- Disons que j'ai peu de monde pour l'aborder. Vous voulez parler du père du général Tender ?
- Non, du père de votre mère, Livédia Crust. Vous n'avez jamais entendu parler du Généralissime Karus ? Il fut l'un des premiers collaborateurs de ma grand-mère quand elle fonda la Team Rocket. C'est lui qui créa l'armée Rocket, et qui en devint le premier chef. À ce que je sais, votre ancien commandant Penan était son protégé, quand il était jeune. Le Généralissime est une légende vivante dans toute l'armée Rocket !
Siena avait haussé les épaules, troublée de ne pas savoir quelque chose qui semblait si évident.
- Le commandant Penan nous a dit que notre grand-père avait servi avec lui dans la Team Rocket, mais il n'a rien précisé de plus, si ce n'était qu'il est mort peu après notre mère.
- Hum, ça, ce n'est pas une certitude. Il a été porté disparu lors d'une mission délicate, mais personne n'a retrouvé son corps. De plus, le Généralissime était connu pour posséder certains... dons surnaturels. Sa force et sa rapidité au combat étaient sans égales, et on le disait capable de ressentir le danger autour de lui... ce qui a fini par le rendre quelque peu paranoïaque, dit-on. Enfin, il n'y a pas eu meilleur stratège militaire ni homme de combat depuis. Beaucoup pensent que vous, sa petite-fille, pourrait un jour reprendre son titre.
Siena avait presque éclaté de rire.
- Quoi, de Généralissime ? Ce titre n'existe plus, je crois. Et puis, si il est vrai que j'ai quelques ambitions, je ne vise pas aussi haut que la direction totale des armées Rockets.
- Vous devriez y réfléchir, major, avait insisté 003. Je vous aime bien, et je pourrai faire beaucoup pour vous... si vous en faites autant pour moi.
Siena songeait encore beaucoup à cette discussion. Qu'avait voulu dire 003 exactement ? Qu'il la voulait pour alliée, sans doute. Mais pour quelle raison ? En tous cas, il y avait matière à creuser. Si Siena pouvait avoir un des Agents Spéciaux comme bienfaiteur, voilà qui pousserait sa montée hiérarchique encore plus vite que d'avoir le général Tender comme père. Mais pour l'instant, ce genre de considérations ne se posaient pas. Si Zelan l'emportait, il n'y aurait plus de Team Rocket. Et 003 et Siena ne donnaient pas cher de leurs peaux dans ce cas.
À force de déambuler sans but dans la base, elle avait fini par réfléchir aux noms qu'elle pourrait donner à son enfant. Bien sûr, elle voulait en parler avec Octave, mais avait déjà quelques propositions, pour les deux sexes. À cinq mois de grossesse, Siena aurait sans doute pu connaître le sexe du bébé si elle l'avait voulu. Mais étrangement, ça l'indifférait assez. Que ce soit garçon ou fille, Siena serait toujours aussi largué avec les enfants. Mais peut-être Octave désirait-il plus un héritier mâle pour la passation du trône de Lunaris. Elle ne savait même pas si les filles pouvaient régner dans l'Empire. Sans doute que oui ; les dutteliens étaient bien plus civilisés que les vriffiens, qui eux-mêmes avaient eu une femme pour impératrice. La réunion de ces deux civilisations devaient donc être naturellement dans leur temps concernant l'égalité des sexes.
Mais bon, vaudrait mieux qu'Octave soit content du résultat final, car une chose était certaine : ce serait le seul enfant qu'il aurait d'elle. Et pour Siena, sans doute le seul enfant tout court. La maternité n'était vraiment pas une chose faite pour elle. Elle regrettait souvent de ne pas être née garçon, d'ailleurs. Elle longeait encore les couloirs lugubres et quasi-déserts de la base quand un choc suivi d'un tremblement la fit tomber à genoux. Une demi-seconde après, l'alarme se déclencha. Au vu des lumières et du son, c'était un Code Rouge. À moins que les rebelles de 003 aient profondément modifié les habitudes militaires de la Team Rocket, ça ne voulait dire qu'une chose : attaque ennemie. Siena courut aussi vite que son état le lui permettait, tous ses réflexes militaires en émoi. Elle se rendit dans la salle de commandement, où 003 étudiait une carte holographique de sa base en compagnie de ses officiers, dont le major Fay.
- Que se passe-t-il ?
- Apparement, notre cher vieux Zelan n'a pas mis longtemps à nous débusquer, se contenta de répondre l'Agent. À en croire nos agents en surface encore en vie, on a affaire à une petite armée Rocket, avec plusieurs Porygon-?. Enfin, je dis Rocket, mais ça peut être tout aussi bien des Némésis avec notre uniforme. Y'a plus trop de différence, maintenant.
- Peut-on les repousser ?
- Non, mais ce n'est pas le plus inquiétant, répondit Fay. L'ennemi est déjà dans nos murs. Un seul homme, qui a réussi à traverser toute nos défenses à une vitesse effarante.
- Sans doute une des Armes Humaines, théorisa Siena. Quel est le plan de défense ?
Vilius eut un sourire sans joie.
- La fuite, pure et simple, major Crust. J'ai à peine une centaine d'hommes sous mes ordres, et l'armée de Zelan en haut est cinq fois plus grosse. Plus l'Arme Humaine, qui j'en suis sûr, peut se charger de nous tous à lui seul.
- Nous pouvons nous battre, riposta Siena, une main sur son fouet et l'autre sur ses Pokeball. Les Armes Humaines ne sont pas invincibles, pas plus que leurs Porygon-?.
- Je veux bien vous croire, mais nous n'avons pas vos deux fameux Mélénis avec nous, en ce moment. Se battre honorablement jusqu'à la mort est fort admirable, j'en conviens, mais personnellement, j'ai tendance à privilégier la survie, afin de pouvoir continuer à se battre plus tard.
Sans plus attendre, 003 donna l'ordre d'évacuation de la base par l'interphone. Siena demanda à Fay par où ils comptaient fuir.
- Il y a un tunnel plus bas qui mène à un métro souterrain, répondit-elle. Il a été spécialement battit pour ce genre d'occasion, avec une plate-forme mobile à grande vitesse qui nous mènera à une sortie plusieurs kilomètres plus loin. Le problème, c'est que nous ne pourrons faire qu'un seul voyage : elle ne revient pas en arrière.
- Mais y'aura-t-il la place pour tout le monde ? S'inquiéta Siena.
- Oh oui, affirma Vilius une fois son message terminé. Mais dès que je serai dedans, il partira, et tant pis pour les retardataires. Et beaucoup de mes hommes ont été envoyés pour ralentir la progression ennemie afin de nous donner le temps. Dépêchons-nous.
Vilius vit très bien que ça ne plaisait guère à Siena, aussi ajouta-t-il :
- Vous êtes un officier, major. Vous devez savoir faire la part des chose, non, surtout si vous visez un poste plus élevé. Il y a des gens plus importants que d'autres dans une organisation, des gens qui doivent survivre, parfois au détriment des autres. Leur marcher dessus et s'élever ; c'est là le chemin que tout ambitieux doit emprunter. Il aura les pieds plein de sang, mais qu'importe, car il aura triomphé. C'est ce qui fait la distinction entre les perdants et les gagnants. Et pour les perdants, il n'y a pas de seconde chance.
Ce genre de discours, Siena le connaissait bien. Mais elle ne l'approuvait pas. Le rôle d'un officier était justement de protéger ses subordonnés, pas l'inverse, comme beaucoup de hauts gradés semblaient le penser. Mais elle ne pouvait pas en vouloir à Vilius de penser ça. Il était un Agent, et le leader de la résistance anti-Zelan. Oui, il était important.
- Si vous ne le faites pas pour vous, acheva 003, faites-le pour votre enfant. Lui aussi, il a un destin.
***
AM-1, le clone de Mercutio Crust, avançait inlassablement dans les couloirs sinistres de la base de l'Agent 003. Sa mission était on ne peut plus claire : tuer tout le monde, en particulier le traître 003, détruire la base, mais ramener Siena Crust à Maître Zelan, en vie et indemne. AM-1 avait tous les souvenirs de Mercutio, et il était sûr d'une chose : Siena était plutôt du genre à se battre jusqu'à la mort plutôt que de se rendre. Or, Maître Zelan serait très insatisfait s'il lui ramenait un cadavre. Et satisfaire Maître Zelan était le but de son existence.
Les quelques soldats de 003 qui tentaient de l'arrêter furent vite désenchantés. Aucune de leurs balles ne l'atteignaient, aucune de leurs portes blindées ne le retenaient. AM-1 était l'arme Mélénis par excellence. Il était apparut que le Flux de Mercutio Crust était bien plus puissant que celui de sa sœur jumelle Galatea. Ça c'était confirmé chez les clones. AM-2 était puissante, bien sûr, surtout forte des connaissances de Maître Zelan sur plusieurs sorts de Mélénis Noirs. Mais AM-1 était d'un autre niveau. Un niveau axé sur la destruction incontrôlée et immédiate.
Mais ça lui avait posé quelques problèmes. Reproduire le Flux était censé être impossible. Maître Zelan y était parvenu sur ses clones grâce à des sorts perdus de Mélénis Noirs. Ça avait eu pour effet de faire des clones des êtres à moitié vivant, et à moitié humain. Chez AM-2, ça se voyait pas trop, en dehors de son visage un peu métallique et de ses quelques organes artificiels. Mais AM-1, en raison de son Flux bien plus élevé, ressemblait lui à un robot. Un cou métallique qui pouvait s'allonger à volonté, un corps qui était un assemblage de plaques et de câbles qui retenaient les quelques organes encore opérants qui lui restaient, et surtout, un visage terrifiant, au front et au nez refait dans le métal, et un œil artificiel, comme Maître Zelan. Il ne restait que de Mercutio Crust l'autre œil, ainsi que ses cheveux bleus foncés.
Son apparence inspirait la terreur partout où il passait, et encore plus chez ses ennemis. Et le Flux brut qui s'échappait continuellement de son corps plus robotique qu'humain les faisaient s'évanouir sous la pression à moins de trois mètres de distance. AM-1 reçu une communication mentale. Une partie de son cerveau, mécanique elle aussi, avait été aménagé pour recevoir des appels de l'extérieur, soit de Maître Zelan, soit des autres Armes Humaines. Et la seule à être venu en plus de lui-même était la commandante des Armes Humaines : Licia Spionie.
- AM-1, j'écoute, dame Licia.
- J'ai repéré la cible, fit la voix de Licia dans sa tête. Elle se dirige avec Vilius vers un tunnel spécialement aménagé pour les fuites arrangées, semble-t-il. S'ils prennent la plate-forme mobile, on ne les retrouvera pas de sitôt. Je t'envois envoie les coordonnées.
La vision du tunnel et des positions de ses cibles s'afficha dans son esprit. Il repéra aussi Licia, non loin.
- Vous êtes à coté ?
- Oui. Je les attends. Je ne compte pas tuer 003. Il peut encore servir. Je vais juste tâcher de... m'infiltrer discrètement. Toi, occupe-toi de Siena Crust.
- Ce ne sont pas les ordres de Maître Zelan, ma dame, protesta AM-1.
- Non, mais ce sont les miens.
La présence mentale de Licia envahit son esprit. AM-1 eut tout juste le temps de se rendre compte que cette présence n'avait rien d'humain avant que son esprit ne fut totalement sous les ordres de celui de Licia.
- Bien, ma dame.
***
Siena ne parvenait plus à courir à la même vitesse que 003 et ses hommes, mais elle ne leur en voulait pas de ne pas l'attendre. Au moins, un des hommes de 003 restait à sa hauteur.
- S'il vous plait major, plus vite ! L'Agent 003 ne plaisantait pas en affirmant qu'il n'attendrait personne pour fuir.
- Je sais, et il a sûrement raison. Pas besoin de m'attendre, soldat. Foncez.
- Mais major...
- Ça va aller. Je vais demander à mon Pokemon de me porter. Foncez, c'est un ordre.
Le soldat hésita, puis fonça deux fois plus vite, la distançant rapidement. Siena fit comme elle l'avait dit, et appela son Dojosuma, qui la prit délicatement dans ses bras puissants. En raison de sa taille, il ne se mouvait pas très rapidement dans ces couloirs étroits, mais de toute façon, Siena n'en pouvait plus. Elle espérait que Vilius la jugeait assez importante, selon ses termes, pour ne pas activer sa plate-forme dès qu'il aurait le pied dessus. Mais apparemment, elle allait être plus retardée que prévu. Devant elle se tenait une silhouette vaguement humaine qui venait de traverser le plafond, en le faisant fondre sous l'effet d'une énergie considérable. Siena fit signe à Dojosuma de s'arrêter. Rien que de là, elle sentait l'horrible pression qui se dégageait de cette chose. Un pouvoir au-delà des limites que pouvaient supporter les simples humains.
- Siena. Je suis venu te chercher.
Cet être avait une voix plus ou moins artificielle, mais en même temps familière. À première vue, Siena aurait dit que c'était un robot, mais il avait quelques parties organiques, dont un peu de son visage. Quand elle s'avisa de la couleur de son œil naturel et de ses cheveux, elle balbutia :
- M...Mercutio ?!
- Si on veut, sourit l'Arme Humaine. Je suis AM-1, une création de Maître Zelan pour le servir. Mon code génétique étant basé sur celui de ton frère, de même que mes souvenirs et mon Flux, je suppose que je suis... Mercutiotwo, ou un truc du genre.
- Un clone ?!
Siena secoua la tête, effaré. Zelan était-il allé si loin ?
- À en juger par le ton de ta voix, ça sonne comme une insulte, non ? Demanda AM-1, apparemment amusé. Je suis si affreux que ça ? Oui, sans doute, après tout...
Il avait commencé à se rapprocher. Siena, elle, ne pouvait pas reculer même si elle l'avait voulu. Elle était toujours entre les bras de Dojosuma, et il n'était pas un Pokemon qui se laissait facilement impressionner. Pourtant, même Siena, qui n'avait rien d'une Mélénis, sentait l'énorme pression que dégageait AM-1, qui lui donnait envie de trembler et de se terrer en boule quelque part.
- Mais vois-tu, grande sœur, poursuivit le clone, je n'ai pas demandé à être comme ça. Dans la tête, je suis Mercutio. Je me souviens de toutes ces années que l'on a vécu ensemble. Je ressens cette affection qu'il te voue. Je ressens son mépris et sa haine pour Zelan. Pourtant, je suis obligé de le servir, lui et ses ambitions qui me répugnent. Mon corps me fait souffrir, même si je suis censé ne rien ressentir. La dernière chose dont je me souvienne en tant que Mercutio, c'est de la trahison de Zelan, de la mort d'Ambrirgo. Puis j'ai été assommé par mes propres amis et capturé. Et je me suis réveillé dans l'un des tubes de Zelan, dans ce corps abject. J'ai l'impression... qu'on a volé ma vie, Siena !
Siena ne put s'empêcher de ressentir de la pitié pour cette créature aux accents de son frère. Lui aussi n'était qu'une victime de plus de la folie de Zelan.
- Si c'est le cas... accepte qu'elle prenne fin, dit-elle. Je ne peux pas t'aider à retrouver ton ancienne vie, mais je peux faire en sorte que ton malheur se termine.
AM-1 ricana.
- Me tuer, tu veux dire ? Penses-tu que je n'ai pas essayé ? Mais Zelan a implanté dans mon esprit une série d'ordres auxquels je ne peux pas désobéir. Me suicider ou me laisser tuer sont l'un d'entre eux. Tu me plains, et j'en suis touché. Moi aussi, je te plains, Siena, en songeant à ce que Zelan te fera quand je te ramènerai à lui...
Il surgit d'un coup à toute vitesse, repoussant le poing tendu de Dojosuma comme celui d'un nourrisson. Le Pokemon lâcha alors sa dresseuse et se jeta de tout son poids sur le clone. Il ne fallu que quelques secondes pour que Dojosuma soit propulsé loin devant, tout son corps tremblant de spasmes sous l'assaut des puissances noires qu'invoquait AM-1. Siena savait que Dojosuma ne pourrait rien faire. Si ce clone avait ne serait-ce que la moitié de la puissance de Mercutio, aucun de ses Pokemon ne le pourrait. Or, cet AM-1 semblait même plus puissant que Mercutio. Siena se posa entre son Pokemon et son agresseur.
- Arrête ! Je ne résisterai pas ! S'il te plait, laisse mes Pokemon tranquilles. Si tu as vraiment les émotion de mon frère, faire souffrir un Pokemon devrait te répugner !
AM-1 baissa le bras, et Dojosuma retomba à terre, libéré du Flux.
- C'est vrai. Et c'est une chance pour nous deux : Zelan n'a rien précisé concernant tes Pokemon. Je ne suis donc obligé ni de les tuer, ni de les lui ramener.
Siena rappela Dojosuma dans sa Pokeball. Puis elle les donna toutes les trois à AM-1.
- Tu en prendras soin ?
Elle s'était résignée à son sort, mais tenait à la sécurité de ses Pokemon, si c'était la seule chose qu'elle pouvait faire.
- J'essaierai de les faire parvenir aux vrais jumeaux, si j'en ai l'occasion, promit AM-1. S'ils pouvaient les utiliser pour vaincre Zelan, ça me ferait plaisir. Même si je suis obligé de lui obéir, je me réjouirai de chacune de ses déconvenues.
Il prit alors Siena dans ses bras et remonta tous les étages de la base par le trou qu'il avait creusé au plafond.
***
Plus bas, Vilius et ses hommes courraient toujours vers la plate-forme mobile, plus très loin maintenant. Deux minutes environs, plus deux minutes pour s'éloigner le plus possible, ça irait, car 003 avait programmé la base pour qu'elle explose dans cinq minutes maintenant. Fay avisa le soldat qu'elle avait envoyé pour rester avec Siena, seul.
- Où est Crust ? Demanda-t-elle
- Elle m'a dit de ne pas l'attendre, qu'elle se ferait porter par son Pokemon, avoua le soldat, penaud.
Fay savait que c'était du genre de Siena que de donner ce genre d'ordre en prenant tout sur soi, comme elle l'avait expérimenté lors d'une mission commune qui les avaient opposé à un membre des Shadow Hunters. Pourtant, l'Agent 003 tenait beaucoup à Siena. Fay repartie dans le sens inverse, déterminée à la ramener vite. Mais quand elle passa devant une porte ouverte, elle entendit un bruit curieux en provenance de l'intérieur. Elle leva aussitôt son arme.
- Qui est là ?
La salle était un petit entrepôt plongé dans le noir. Et il y avait dedans quelque chose qui provoquait un bruit mécanique inquiétant. Fay y rentra avec prudence, cherchant à tâtons la lumière d'une main, son pistolet pointait dans le vide de l'autre. Quand elle trouva l'interrupteur et l'alluma, la dernière vision qu'elle eut fut celle d'une silhouette qui surgissait vers elle. Une silhouette imposante, mécanique, aux yeux rouges... Puis elle ressentit une cuisante douleur dans sa poitrine, et tout redevint noir pour Fay, alors que la lumière était allumée.
***
Arrivée sur la plate-forme mobile, Vilius s'avisa que ni Siena ni Fay n'étaient là. Il jura en regardant son chrono. Plus que trois minutes avant le boom. S'il attendait plus d'une minute avant de filer, il serait soufflé par l'explosion quand elle se produirait.
- Où sont Fay et Crust, bon sang ?!
L'un de ses hommes répondit, anxieux :
- Le major Fay est revenue en arrière pour aller chercher le major Crust, monsieur.
Vilius jura de nouveau, et se résolu à attendre le plus longtemps possible, c'est-à-dire quarante secondes. Il avait besoin de Crust pour ses projets, mais Fay était un élément sûr et loyal de ses hommes. La perdre l'embêterait. Heureusement, Fay revint vingt seconde plus tard. Malheureusement, seule.
- Navré monsieur, je n'ai pas pu localiser Crust. Mais il semble y avoir eu de la bagarre derrière. Un des couloirs avait le plafond brisé. Je pense que quelqu'un, ou quelque chose, l'a emmenée.
Vilius grimaça, mais activa la plate-forme.
- Mieux vaut capturée que réduite en cendre, dit-il avec philosophie. Mais je pense que l'Empereur de Lunaris va m'en vouloir...
Il médita sur la perte de Crust et sur sa situation durant tout le trajet. Il ne fit pas attention à Fay, ni à l'étrange sourire discret qu'elle affichait.