Une impression de déjà-vu
Lorsqu'elle arriva à l'école le lendemain matin, Éliana se mit aussitôt en quête de son amie Morgane pour s'excuser pour son comportement de la veille. Celle-ci dit en rosissant :
« Je n'ai pas non plus été très diplomate. »
Éliana eut un petit sourire ; elle ressemblait un peu à Célinda en disant cela.
« Ce n'est pas non plus très grave ; ce sont de petites querelles que les amies ont de temps en temps… poursuivit Morgane. Sans cela, que seraient des amies ?
– Tu as raison. Alors, par quoi commence-t-on aujourd'hui ?
– Par des problèmes ? » proposa Morgane en se stoppant net, les yeux fixant quelque chose devant.
Intriguée, Éliana suivit le regard de son amie : Evanetas s'approchait d'elles d'un pas décidé.
« Tu associes les garçons à des problèmes, toi ? glissa la jeune femme à l'oreille de l'autre qui était toujours immobile.
– C'est plutôt normal quand le garçon paraît mal luné, non ? »
Evanetas semblait effectivement d'assez mauvaise humeur. Soudain, l'ouïe déjà perçante d'Éliana devint si fine qu'elle entendit les battements de cœur des gens alentour. Son cœur se serra lorsqu'elle se rendit compte que le rythme des battements d'un de ces cœurs s'accélérait dangereusement. Elle se sentit encore plus mal à l'aise lorsqu'elle se rendit compte qu'il s'agissait de ceux de Morgane. Le garçon se planta devant Éliana – ses yeux ne l'avaient à vrai dire même pas quittée depuis qu'il l'avait vue – puis, après avoir inspiré, il s'enquit :
« Séverine, c'est ça ?
– Euh… oui, com… répondit Éliana en échangeant un regard interloqué avec Morgane.
– Il faut que je te parle.
– Hé bien vas-y, je t'écoute !
– En privé. »
Avant que la jeune femme n'ait eu le temps de s'opposer à cette condition, son amie les quitta. Éliana voulut la poursuivre mais Evanetas la retint par le bras. Bien qu'elle sût qu'elle finirait par le regretter, elle décida d'accorder quelques instants au garçon qui ne se fit pas prier pour continuer.
« Voilà, j'aurais aimé… savoir ce qui fait de toi un être aussi… différent. »
Éliana n'en crut pas ses oreilles. C'était donc ça qui le tracassait tant ? Au moins, cela avait le mérite d'être clair…
« On ne t'a jamais appris à respecter la vie privée des autres ? Et tout particulièrement celle des femmes ?
– Je ne crois pas que tu sois une femme… enfin, je veux dire… pas complètement. »
L'adolescente éclata de rire pour faire croire au garçon qu'elle le prenait pour un fou. Mais son rire sonnait faux.
« Et peut-on savoir ce qui te fait dire ça ? »
Evanetas sembla douter sur l'attitude à adopter, puis décida de jouer cartes sur table.
« Je veux bien te répondre… mais il faut que tu me dises ce que tu es après. »
« Allons bon ! Pour un peu, il me prendrait pour un objet. »
« Et si je n'éprouvais pas l'envie de te confier ma vraie nature, pour peu que je ne sois effectivement pas une vraie femme ?
– Je ne compte pas l'apprendre de toi directement… je ne te crois pas aussi fiable… mais j'aimerais que tu me laisses procéder à quelques… tests sur toi pour que je sache ce que tu es vraiment. »
« En fait, il me prend carrément pour un cobaye… » pensa Éliana, désappointée.
« Quelle sorte de tests ?
– C'est secret… jusqu'à ce que tu me donnes l'accord de te les faire passer. »
Ce garçon n'était pas clair.
« Hé bien je refuse, voilà ! »
Alors qu'elle allait partir à la recherche de Morgane, la jeune femme eut soudain une sensation extrêmement désagréable… comme si elle s'était tout à coup retrouvée nue au milieu de toutes ces personnes. Mais c'était en réalité quelque chose de bien plus intime encore : on essayait de lire dans son esprit sans qu'elle l'ait autorisé ! Elle érigea immédiatement une barrière mentale qui eut tôt fait de repousser l'intrusion.
Evanetas afficha alors un air catastrophé avant de planter là Éliana qui, après avoir observé avec incrédulité le garçon s'enfuir, décida qu'il était temps qu'elle aille retrouver Morgane. Guidée par ses sens affutés, elle la trouva bientôt, enfermée dans une cabine des toilettes des filles. Après une brève hésitation, elle toqua.
« Qui c'est ? fit la voix morne de Morgane.
– C'est moi, Séverine !
– Laisse-moi tranquille !
– Pitié Morgane, ne cède pas aussi facilement au désespoir que ces héroïnes de roman qui, à chaque fois qu'elles voient l'homme de leur vie en compagnie d'une autre femme qu'elle, croient qu'il y a quelque chose entre eux deux ! supplia presque Éliana en s'adossant à la porte de la cabine d'à côté.
– Qu'est-ce qui peut me faire croire que vous ne fricotez pas ensemble, tous les deux ? Les apparences sont pourtant contre toi, non ? Et… et Evanetas n'est certainement pas l'homme de ma vie !
– Le simple fait de faire cette remarque en dernier prouve le contraire… Quant aux apparences… il ne faut pas leur accorder davantage d'importance qu'elles ne le méritent. Il y a bien plus que ça, dans la vie… et puis…
– Et puis ? l'encouragea Morgane d'une voix où perçait un intérêt sincère.
– Et puis mon cœur est déjà pris. »
Morgane sortit alors la tête de sa cabine pour chercher son amie des yeux puis, l'ayant repérée, elle s'approcha d'elle pour la scruter du regard. Selon toute vraisemblance, elle disait vrai. Rassurée, Morgane prit son amie par la main avant de l'entraîner vers leur salle de classe.