L'appel du ballon
« Waw, mate-moi un peu le beau morceau qui s'amène ! »
S'il y avait quelque chose qu'Éliana n'appréciait guère chez sa toute nouvelle amie, ce n'était pas le ton carnassier qu'elle employait toujours lorsqu'il était question de mâles – c'était d'ailleurs ce qui faisait le charme de l'adolescente – mais bien la vulgarité avec laquelle elle s'exprimait parfois et qui avait tendance à gagner le parler de n'importe quelle fille, aussi respectable fut le milieu dont elle était issue.
« Je te jure, il vaut le coup d'œil ! » insista Morgane.
Plus pour plaire à son amie que pour satisfaire un réel besoin de connaissance, Éliana jeta un bref coup d'œil en direction du garçon avant de reporter son attention sur le panier de basket.
« Alors ? »
Bien que les deux jeunes filles ne fussent amies que depuis peu de temps – depuis la rentrée des classes, en fait, qui ne datait que de deux jours –, Morgane en savait déjà beaucoup sur Éliana, et en particulier qu'un seul regard, aussi bref fût-il, suffisait à la jeune femme pour savoir tout ce qu'il y avait à savoir.
« Sans intérêt, jugea Éliana en lançant son ballon qui rentra dans le panier avec une facilité déconcertante.
– Tu es vraiment difficile. »
Et cette constatation n'était qu'un doux euphémisme. Il fallait dire qu'Éliana avait fait une entrée remarquée dans sa nouvelle école, tant auprès des garçons que des filles. En effet, ses courbes ravageuses avaient eu tôt fait de rendre aussi folles les filles de jalousie qu'elles ravissaient ces messieurs. Mais ceux-ci se contentaient de la regarder de loin, de lui lancer des regards en coulisse ; aucun d'eux ne s'estimait visiblement à la hauteur de sa réputation. Ce constat avait quelque peu diminué la haine qu'Éliana avait d'abord inspirée chez les filles. Lorsque celles-ci s'étaient rendu compte du caractère de la jeune femme, leurs peurs avaient définitivement disparu : elle n'était pas de ce monde, et personne ici n'était du sien...
« Allez, donne-lui une chance !
– Pourquoi à lui et pas à un autre ?
– Mmmh... celui-là a l'air plus décidé que les autres...
– Vraiment ?
– Arrête, je sais que tu sais qu'il n'arrête pas de te dévorer du regard... et puis, il a l'air prêt à tout pour tes beaux yeux.
– Qu'est-ce qui te fait dire ça ? s'enquit Éliana, agacée à présent.
– Je ne sais pas... mais ça fait quand même le septième panier à trois points qu'il réussit depuis le milieu du terrain.
– Qu'est-ce que c'est sensé me faire ? »
Morgane contempla son amie pendant quelques instants, contrariée. Mais elle n'allait pas abandonner si facilement. Non, elle ne lui ferait pas ce plaisir. Pas déjà. Cependant, avant qu'elle ait eu le temps de répliquer quelque chose, on annonça la fin de l'entraînement – et donc le début des matchs.
On forma alors deux équipes – de filles, puisqu'il n'y avait que des filles dans le gymnase en dehors du garçon qui prenait tout à coup un soin presque excessif à se faire tout petit. Morgane et Éliana, comme les deux amies inséparables qu'elles étaient depuis qu'elles se connaissaient, rejoignirent la même équipe – et ce n'était pas pour déplaire à Morgane. En effet, dès l'instant où cette dernière reçut la balle, elle chercha à la passer à Éliana lorsque celle-ci se trouvait dans le sillage du garçon. Ses premières tentatives échouèrent lamentablement – à vrai dire, elle n'y avait pas mis toute sa volonté et Éliana se révélait particulièrement bonne. Elle feinta de mettre un peu trop d'énergie dans la balle suivante qui passa à deux doigts de la main de son amie qui lui lança un regard d'avertissement avant d'aller courir après le ballon.
Pour le moment, Éliana ne prenait aucun réel plaisir à jouer, n'usant que du peu de potentiel qu'un humain un peu plus fort que la normale utilisait. Ce qui n'était pas le cas du garçon qui jouait sur le terrain proche vers lequel elle se dirigeait, à la poursuite de la balle...
***
Un ballon vient vers moi. La fille lui court après. J'attrape le ballon.
« Tu veux venir faire du basket ? me propose la nouvelle venue sur un ton anodin qui évoque sans mal la suite d'un dialogue déjà entamé alors qu'il n'en est rien.
– Ce n'est pas pour rien que je joue tout seul, à l'écart des autres... je fais en lui envoyant la balle.
– Mais encore ? s'enquit le fille en me la renvoyant.
– Je sais à peine jouer au basket, je me défends, en relançant violemment la balle.
– T'as pourtant une bonne force... constate la fille en me l'envoyant de nouveau, après avoir encaissé la passe sans broncher.
– Tu parles. La force ne fait pas tout.
– Pourquoi tu joues tout seul dans ton coin ?
– Je suis blessé. J'ai trop mal au pied droit pour courir.
– Rejoins-nous quand même, tu partiras si tu ne veux vraiment pas...
– Ce n'est pas une question de vouloir, mais de pouvoir...
– Je ne crois pas.
– Pff. Allez, retourne donc jouer avec tes amies avant que je ne m'énerve réellement, je lui lance sur un ton de défi en envoyant la balle trente mètres plus loin, exactement dans le panier sans toucher l'arceau.
– Pas mal... commente-t-elle sans avoir tourné la tête pour regarder la trajectoire de la balle.
– Pas mal ? Fabuleux, tu veux dire ?!
– C'est vrai que pour quelqu'un qui a mal au pied et qui ne peut donc pas sauter... Tu es vraiment sûr que tu ne veux pas jouer ?
– Dans quelle équipe devrais-je aller ? Celle qui perd ou celle qui gagne ?
– Est-ce vraiment important ?
– On ne change pas une équipe qui gagne... Et en même temps, je ne voudrais pas la battre...
– Tu nous laisserais gagner ?
– Je n'en aurais peut-être pas besoin si tu es contre moi...
– Pourquoi ?
– Laisse tomber.
– Allez, viens !
– Mais... c'est un match de filles !
– Tu es contre la mixité ?
– Non, mais...
– Tu n'aimes pas les filles, peut-être ?
– Non, mais...
– Alors tu as peur de perdre contre – et devant – des filles ? »
Je soupire en esquissant un petit sourire forcé. Cette fille savait y faire pour vous convaincre... Mais je ne céderais pas. Du moins, pas aussi facilement. Mais plus ça va, plus les autres filles s'impatientent et plus la fille se révèle prétentieuse – prétention que je décide bientôt bon de lui faire ravaler en acceptant de me joindre à elles.
« Tu peux dire ce que tu veux, tu ne feras jamais le poids contre moi, et ce n'est pas la présence de coéquipières ou d'adversaires qui y changera quelque chose, je lui dis sur un ton bourru, presque agressif.
– Tu veux dire que tu pourrais nous battre ? Laisse-moi rire... Enfin, je veux bien voir ça... »
***
« Hé bien, il en aura mis du temps pour mordre à l'hameçon... » songea Éliana, un peu agitée.
À l'arrivée des deux adolescents, les chuchotis qui étaient nés entre les filles lorsqu'elles les avaient vus engager la conversation s'évanouirent instantanément.
« Nous avons un nouveau joueur, déclara Éliana.
– Mais... il y a autant de joueurs dans les deux équipes...
– Cela ne signifie pas pour autant que les deux équipes soient équilibrées ! répliqua Morgane avec justesse.
– Prends un maillot jaune...
– Evanetas. Mon nom est Evanetas. »
Le jeune homme attendit une demi-seconde, le temps de savoir si les filles comptaient se présenter – ce qui n'était visiblement pas le cas – avant d'aller chercher un maillot jaune et de rejoindre sa nouvelle équipe. Le match reprit alors. On aurait tout aussi bien pu dire que l'exécution commença. En effet, le nouveau venu fit bientôt pencher le score en faveur de son équipe sous les yeux ébahis de toutes les joueuses – y compris ceux d'Éliana. Mais celle-ci ne se résolut pas à faire étalage de son potentiel en équilibrant les scores. Ce qu'Evanetas nota bientôt. Aussi, lorsqu'on lui lança pour la énième fois le ballon pour qu'il marque, il se stoppa net, regarda droit dans les yeux Éliana avant d'articuler :
« Je suis désolé. »
Et il donna le ballon à une fille de son équipe, enleva son maillot, alla le ranger puis quitta le gymnase sans un regard en arrière. Bizarrement, la partie reprit comme si de rien n'était... comme si le garçon n'avait jamais existé. Comme si Éliana venait juste d'aller chercher le ballon que Morgane lui avait lancé et qu'elle avait raté. Celle qui comptait les points annonça d'ailleurs le score qu'il y avait alors sans que cela ne perturbât apparemment personne à part Éliana.