Gardiens de l'Harmonie T.1 : La mélodie de vie de Malak

Nathan Dialine avait terminé son discours sur les ruines du Stade G, devant des milliers de citoyens et de caméras. Il avait assuré à la population que tout serait mis en œuvre pour arrêter le démon qui a provoqué l'extermination des habitants de Cancrania et la destruction de New Naya. Il avait pris un ton fort, convaincant, et les citoyens paraissaient un peu plus rassurés. Enfin, pas entièrement, bien sûr. Odion avait tué en tout plus de six mille personnes hier soir. De plus, le Stade G était proche de la capitale Odipolis, la ville la plus peuplée de la région. Les gens avaient peur. Et à raison. Après tout, le propre de l'être humain n'était-il pas de préserver sa vie ?

Nathan allait laisser encore un peu Odion s'amuser, à tuer ci et là, puis il lui ordonnerait de s'arrêter, et s'il n'obéissait pas, il le forcerait. Cet idiot de Prince des Ténèbres n'était qu'un pion dans son jeu. Il pensait que Nathan allait le laisser gouverner le monde ? Ce monde qui revenait de droit au Seigneur Diavil ? Quel fou ! Et quel naïf. Nathan allait l'utiliser au maximum, puis quand il ne lui servirait plus à rien, il allait le jeter comme une vieille chaussette, lui et son Pokemon qu'il prenait pour sa mère. Car Nathan le savait; il était plus puissant qu'Odion, du fait de sa double nature d'Agent du Chaos et de possesseur du Don.

Enfin, pour l'instant, ils devraient encore travailler ensemble, ne serait-ce que pour éliminer Archangeos qui allait se réveiller normalement le lendemain soir. Il était hors de question que ce Pokemon ne redonne le Don à d'autres personnes pour recréer les Gardiens de l'Harmonie. Ce Geran aussi, devait mourir, et de préférence tous ses alliés avec lui. Depuis la disparition des Gardiens, les Agents du Chaos avaient pu grandir dans l'ombre, et s'infiltrer dans les plus hautes strates de la société, comme Nathan. Cette époque n'avait nul besoin de ces reliques du passé de Gardiens.

Nathan prit son hélicoptère personnel pour revenir au Centre Général d'Odipolis. Il avait été le seul des trois triumvirs à se rendre sur les lieux du désastre. Akenvas et Sochenfort n'auraient pas fait bonne figure. Ils se fichaient du sort du peuple. Enfin, Nathan aussi, bien sûr, mais lui au moins avait un talent d'acteur pour faire croire le contraire. De toute façon, il pourrait se passer très bientôt de ces deux collègues inutiles. Naya - non, plutôt le monde ! - n'était pas fait pour être divisé en trois. Sans surprise, il retrouva Odion dans son bureau, qui tournait en rond comme un lion en cage. Nathan alla leur servir deux verres de son meilleur whisky.

- Vous avez fait du beau travail hier soir, le complimenta-t-il en lui tendant son verre. Très théâtral, beaucoup de destruction, et des morts sans en abuser non plus...

- J'aurai souhaité en faire bien plus ! Gronda le Prince des Ténèbres en regardant le verre d'un air soupçonneux. Vous ne m'avez pas dit que votre sœur pouvait maîtriser son Don à ce point-là !

- Pourquoi ? J'aurai dû ?

- Elle a été capable de se libérer de ma pression, de contrer une de mes attaques, et surtout de rendre les coups avec un pouvoir que je n'ai jamais vu !

- Vraiment ? C'est fort intéressant. Et c'est elle à elle seule qui vous a mis en fuite ?

- Ne soyez pas condescendant envers moi, Dialine... Geran est venu. Avec d'autres dresseurs.

- Sont-ils morts ?

Odion détourna le regard.

- Mère a été blessée. J'ai dû quitter les lieux, avoua-t-il.

- Voilà qui est malheureux. Je ne tenais pas à ce que ma sœur rencontre le Gardien de l'Harmonie.

- Elle l'a sans doute déjà fait, pour qu'elle puisse utiliser un tel Don ! Geran a dû la former, c'est évident !

- Peut-être, fit Nathan en haussant les épaules. Mais ça ne change rien à nos plans.

- Si Geran est sorti de son trou pour sauver cette fille, c'est qu'elle compte beaucoup pour lui, avança Odion. Ils vont sans doute aller voir Archangeos ensemble. Et peut-être offrir le Don aux dresseurs qui sont avec eux. Je ne peux pas le permettre...

- Eh bien, allez-y, lui dit Nathan. Poursuivez-les, et tuez-les en même temps qu'Archangeos. Mais ramenez-moi ma sœur. Et en vie.

Le visage d'Odion s'assombrit encore plus.

- Quelqu'un qui m'a échappé par deux fois ne peut pas espérer de clémence de ma part.

- Eh bien, vous ferez une exception à vos règles, pour une fois. Comme je vous l'ai dit, Adélie sera bien plus utile vivante que morte.

- À quoi vous servirait-t-elle ? Vous comptez en faire une Agent du Chaos ?

- Peut-être bien...

Nathan ne se faisait guère d'idées là-dessus. Ad avait toujours été rebelle dans l'âme, et n'avait pas l'ouverture d'esprit nécessaire pour accepter la voie du chaos comme Nathan l'avait fait. Mais ce n'était pas pour ça que Nathan la voulait. Si, tout comme lui, elle possédait le Don, elle lui serait précieuse... comme reproductrice. Archangeos avait toujours interdit l'accouplement entre Gardiens de l'Harmonie, car les enfants qui pourraient en naître possèderaient un Don que même le Pokemon de l'Harmonie ne pourrait contrôler. Un pouvoir bien au-delà de celui qu'il donnait à ses Gardiens.

Et puis, le fait qu'Adélie soit sa sœur n'était pas un problème, bien au contraire. Nathan était attaché à la force du sang, et au nom de la famille. Et après tout, les membres de la famille déchue Zolnys se mariaient entre eux depuis des générations. Un enfant né d'une telle union serait le Dialine le plus pur jamais vu, de sang comme de pouvoir. L'héritier de Nathan, qui hériterait du monde. Et puis, une fois adulte, Nathan le présenterait au Seigneur Diavil, qui fera de lui un Agent du Chaos. Il serait l'humain le plus puissant de ce monde. Perdu dans ses pensées, Nathan mit un certain temps à remarquer qu'on frappait à la porte.

- Oui ?

Son secrétaire personnel passa la tête, sans se soucier de la présence d'Odion.

- Monsieur, une jeune fille voudrait vous parler. Elle prétend être votre cousine, Miss Madison Hugerson.

Nathan fit un effort pour se souvenir... Oui, Madison... La gamine de l'oncle Elias, le frère de mère. Une championne d'arène... la plus puissante de la région, s'il se rappelait bien. Mais il ne l'avait plus vu depuis encore plus longtemps qu'il n'avait vu Adélie. Elle n'avait jamais trop apprécié les enfants Hugerson, tout comme sa mère, Frilvia.

- Faites la rentrer dans deux minutes.

Puis il se tourna vers Odion.

- Il vaudrait mieux que vous partiez, cher ami...

- Je n'ai guère l'habitude d'être congédié comme le premier domestique venu !

Nathan serra les poings, et se força à conserver son sourire sur son visage. Odion et son égo encore plus grand que le sien commençaient à lui donner quelques envies de meurtres.

- Il ne s'agit pas de vous congédier comme le premier domestique venu, mais il se trouve que vous avez tué le père de la fille qui va rentrer. Si elle venait à répandre votre présence à mes côtés, cela pourrait accessoirement mettre nos plans en danger, vous comprenez ?

- Eh bien tuez-la...

- On ne résout pas tout par le meurtre ! S'exclama Nathan qui commençait à vraiment perdre patience. Ça marchait peut-être à votre époque, mais maintenant, il y a ce qu'on appelle des droits. Tuer est interdit. Je sais, ça peut vous paraître difficile à comprendre, mais c'est ainsi. Si vous voulez vous élever à la hauteur de ce que vous prétendez être sans éliminer tout le monde, laissez-moi gérer ce qui est de mon ressort. Et vous, occupez-vous du votre, à savoir Geran et Archangeos !

Odion ne fut pas ravi, mais quitta quand même les lieux. Nathan se calma et s'assit pour recevoir sa cousine. Ce fut une courte entrevue, mais agréablement surprenante. Cette chère Madison désirait venger la mort de son père et aider Nathan dans sa lutte contre Odion. Nathan la manipula habilement en laissant entendre qu'Adélie et ceux qui la suivaient avaient quelques choses à voir avec Odion. Il n'en fallu pas plus. Madison haïssait Adélie comme personne d'autre. Et puis, le Don s'avérait aussi très utile quand il s'agissait d'influencer les gens. Ce fut un pouvoir indispensable à sa longue conquête politique. Nathan demanda alors à sa cousine de retrouver Adélie et de l'amener pour qu'elle soit interrogée. Avec les Pokemon Psy de Madison, ça ne serait pas trop difficile.

Et voilà. En moins d'une demi-heure, Nathan avait un nouveau pion sur son échiquier. Il ne faisait pas assez confiance à Odion pour se charger convenablement du groupe de Geran. Cet abruti avait peut-être même révélé à Adélie son alliance avec Nathan. Auquel cas, il fallait que sa sœur et ses amis passent pour des suspects, des gens qu'il ne fallait pas croire. Et si jamais, des gens qu'il fallait arrêter. Nathan était fier de son plan. Sa mère lui avait toujours appris à surveiller ses arrières. Il ne laissait jamais rien au hasard. C'était pour cela qu'il n'échouait jamais. Une fois Madison partie, il rappela son secrétaire.

- Convoquez immédiatement le directeur de la Garde Gouvernementale. J'ai quelques noms et portraits de suspects qui pourraient l'intéresser.

- Tout de suite, monsieur.

Puis Nathan s'adossa pour passer un coup de fil douloureux. Il devrait apprendre à sa chère maman que sa pauvre fille rebelle était désormais une fugitive.


***


Beaucoup de choses étaient à dire depuis le combat contre Odion la veille au soir au Stade G. La première, c'était qu'Ad était furieuse. Déterminée à exercer seule sa vengeance contre le Prince des Ténèbres, voilà à présent qu'elle se trouvait dans un groupe de huit personnes. Sa nature solitaire faisait qu'elle se sentait déjà mal à l'aise en compagnie d'une seule personne, alors là, elle était servie. Mais après ses excès au Stade G, Geran avait insisté pour rester avec elle.

Balterik suivait Geran. Kinan suivait Ad. La Rocket, Kelifa Akenvas, les suivait d'une parce que Kinan avait une dette envers elle, et deux, pour ses affaires Rocket, affirmait-elle. Odion était autant un danger pour Naya que pour toute la Team Rocket. Ensuite venaient les deux Malware, Spam et sa subordonnée, Spyware. Ces gars-là étaient bien les derniers avec qui Ad aurait voulu voyager, mais ayant tout perdu, il ne leur restait plus que la vengeance. Leur soif de tuer Odion rivalisait avec celle d'Ad.

Et enfin, le dernier membre - et pas le moindre - de leur petite équipe improvisée était Killian, le chef du Quatuor Go-Rock. Les raisons de sa venue dans cette quête périlleuse étaient diverses et variées. Il voulait se venger d'Odion car il avait bousillé un de ses concerts, il affirmait qu'il avait une dette envers Ad et ses amis pour avoir fait fuir Odion, et enfin, il espérait trouver l'inspiration pour de nouvelles chansons dans ce voyage.

Pour Ad, Killian était le moins indésirable d'entre tous. Après tout, il était une star mondiale, et bien des filles auraient été prêtes à tuer pour passer ne serait-ce que cinq minutes en sa compagnie. Et puis, en dépit de son caractère un peu lourd, il était constamment enjoué et optimiste, et donnait un peu du cœur à tout le monde. Parfois, il jouait même un petit air avec sa guitare électrique qu'il s'était amenée. Les trois autres membres du groupe Go-Rock n'avaient pas été ravis de son départ, mais avaient respecté son choix d’aîné. Ils lui avaient fait promettre de revenir, car avec un membre en moins, le groupe ne marcherait plus.

Et donc, voilà ces huit compagnons d'infortune et de hasard, conduits par Geran vers le lieu secret où reposait Archangeos, avec pour objectif d'en finir une fois pour toute avec Odion. Même si elle aurait préféré être seule, Ad devait reconnaître que leurs chances étaient plus élevées en étant ensemble. Après tout, ils avaient bel et bien réussi à faire fuir Odion au Stade G. Mais Ad avait dans l'idée que le Prince des Ténèbres ne les sous-estimerait plus. Ad ne réalisait pas encore trop l'étendue de ses pouvoirs. Geran lui avait parlé, tôt ce matin. Il lui avait remonté les bretelles, en fait.

- C'est très bien que vous arriviez à vous servir du Don pour vous défendre d'Odion, avait-il affirmé. Mais, la dernière attaque que vous avez lancé... il ne faut plus que vous la réutilisiez, quoi qu'il arrive.

- Pourquoi ? Elle a bien marché non ? C'était la seule chose qui faisait de l'effet à ce fichu Pokemon.

- Oui, car c'était la facette offensive du Don. Nous l'appelons le Souffle Noir. Tandis que le Don normal puise dans la lumière pour repousser les ténèbres, le Souffle Noir est un concentré de ténèbres. Pour arriver à le lancer, il faut être envahi de sentiments sombres et puissants, tels la haine, le désespoir, le désir de tuer... Bref, des sentiments auxquels les Gardiens de l'Harmonie ne doivent pas céder.

- La belle affaire, avait répliqua Ad. Si ce pouvoir peut blesser Odion, vous seriez bien bête de ne pas l'utiliser simplement parce qu'il ne va pas dans votre sens moral.

- Archangeos l'a interdit aux Gardiens de l'Harmonie en nous remettant le Don.

- Oui, à ceci près, mon cher, que je ne suis pas un Gardien de l'Harmonie, même si je possède votre sacré Don. Et si ce... Souffle Noir comme vous dîtes, peut me sauver la vie, ou celle d'un de mes amis, je ne me gênerai pas pour l'utiliser.

Geran avait paru un temps déstabilisé.

- Je... C'est une situation unique... Normalement, tous ceux qui ont le Don sont des Gardiens de l'Harmonie qui ont juré allégeance à Archangeos et à ses lois... Vous, vous n'avez pas reçu l'entraînement et l'enseignement nécessaire pour utiliser le Don. Vous n'êtes pas liés à nos serments, en effet... C'est embêtant, et dangereux...

Ad s'était énervée.

- Vous auriez préféré que je n'aie pas le Don ? Comme ça, je serai morte à New Naya avec mon oncle. Ça aurait sans doute arrangé votre grand ordre moral !

- Je... Je suis désolé, demoiselle. Ce n'est pas... ce que j'insinuais. J'ignore comment il se fait que vous possédiez le Don, mais ce n'est sûrement pas sans raison. Normalement, nous sommes les deux derniers en ce monde à le posséder. Nous devrions nous entraider. Si... s'il vous sied, je peux vous former à l'utilisation du Don, dans la mesure de mon savoir. Je n'entends pas en retour que vous vous conformiez à nos croyances.

Ad s'était radoucie. C'était étrange de voir Geran, généralement si sûr de lui, en train de bafouiller en s'excusant. Il semblait beaucoup plus jeune, alors. En fait, il ne devait avoir qu'un ou deux ans de plus qu'Ad, mais on lui en aurait donné un peu plus avec son air grave et sérieux.

- Ça marche. En échange, je vais moi vous enseigner comment on parle à notre siècle. Déjà, vous pouvez laisser tomber le « demoiselle ». Appelez-moi Ad, tout simplement. On pourrait même se tutoyer, ça serait plus facile.

Ad ne comprenait pas trop pourquoi elle essayait de se rapprocher de Geran. Ce n'était sûrement pas parce qu'elle le trouvait beau gosse ; ce n'était pas du tout son style. Mais peut-être que leur Don commun les rapprochait à un niveau qu'elle ne pouvait comprendre. En plus de ses leçons et de ses conversations avec le Gardien de l'Harmonie, Ad tentait de ne pas trop laisser de côté Kinan. Le jeune homme avait déjà été assez secoué par la mort de son Capidextre, et il était certain que même si il ne le montrait pas, ce voyage le terrifiait. Ad aurait bien aimé qu'il rentre chez lui, car il n'était en rien lié à tout ça. Mais, parce qu'elle le respectait, elle respectait aussi ses choix. Il était assez grand pour les prendre lui-même.

Balterik semblait bien s'entendre avec Kinan, et lui remontait pas mal le moral. Sans doute avait-il pris le jeune dresseur sous son aile. Ad se souvenait de son projet de devenir l'apprenti du vieux maître. Kinan semblait aussi le seul avec qui Kelifa semblait accepter de parler. Si Ad se considérait comme assez renfermée, elle était presque joviale comparé à la capitaine Rocket. Mais Ad pouvait facilement comprendre la raison de son caractère. Son père, le triumvir Charlus Akenvas, était tristement connu dans les hautes sphères de la société pour être un amateur de... présence féminine. Et plus elles étaient jeunes, mieux c'était. Il y avait des rumeurs désagréables comme quoi Akenvas avait maintes fois abusé de sa fille, par le passé. Les filles violées par leur père avaient peu de chance d'être ouvertes et joyeuses.

Les deux Malware restaient à l'écart, de leur côté. Ad doutait qu'ils manigancent quoi que ce soit, mais après leurs petites mésententes passées, c'était sans doute mieux ainsi. Pour Ad, Spam avait un petit côté sympathique et charmeur, mais qui cachait sa véritable nature d'homme froid et calculateur. Spyware, qui semblait s'appeler en réalité Noémie, était l'archétype même du soldat loyal, mais Ad pouvait parfois surprendre le doute et la crainte dans son regard. Ainsi que le chagrin. Elle aussi avait perdu un Pokemon dans le Stade G, et il aurait été absurde de considérer tous les Malware comme indifférents à leurs Pokemon.

Ad avait aussi un autre sujet de préoccupation. Elle se souvenait très bien des paroles d'Odion concernant son frère Nathan. Cela sous-entendait-il que le Premier Triumvir était de mèche avec le Prince des Ténèbres ? Balterik lui avait fait savoir qu'en espionnant Odion, il l'avait surpris à rentrer au Centre Général du Triumvirat et d'en ressortir comme si de rien n'était. Cela semblait apporter plus de crédits à la thèse de l'alliance avec le gouvernement de Naya. Pourtant, Ad refusait d'y croire. Certes, elle n'était pas en très bons termes avec son grand frère, mais elle avait grandi avec lui. Depuis tout petit, il était ambitieux et manipulateur, mais il avait toujours été gentil avec tout le monde. Même avec elle ; ou du moins, avant. Ad ne le voyait pas s'allier avec ce grand malade et comploter aux meurtres de milliers d'habitants. Mais elle était d'accord avec Balterik sur ce point : tant qu'ils n'en savaient pas plus, il valait mieux rester à l'écart du Triumvirat et de la Garde Gouvernementale.

Demain était censé être le jour où Archangeos se réveillerait de son long sommeil de cinq cent ans. Seul Geran savait où il se trouvait, mais semblait parfois un peu perdu ; la région avait certes beaucoup changé en un demi-millénaire. À la fin de la journée, ils passèrent non loin de la Station Zénith, une ville thermale et touristique située dans les montagnes, non loin de gigantesque sources d'eau chaude. Ils continuèrent encore plus vers le Nord-ouest, vers les régions volcaniques du Mont Meram.

- Vous êtes sûr qu'on s'approche ? Demanda Spam au Gardien de l'Harmonie peu avant la tombée de la nuit.

- Je me repère grâce au Mont Meram. Ce volcan était déjà éveillé à mon époque. Nous arriverons où nous devons être demain.

- Vous voulez parler de l'espèce de temple au milieu du grand lac, près de Cancrania ? fit Kelifa.

- Non. Ce lieu est un territoire du Chaos. C'est le Temple Maudit, la demeure de Proscuro. Notre destination se trouve avant le lac.

Ils arrivèrent à un petit village où ils louèrent plusieurs chambres. Évidemment, ce fut Ad qui paya ; personne ne semblait avoir de carte bancaire ou de liquide sur soi. Ad ne manquait pas d'argent, et se serait bien prise une chambre séparée, mais les places manquaient, et elle dut partager la sienne avec les deux autres filles du groupe, Kelifa et Spyware. Ce ne fut pas très joyeux ; la Rocket et la Malware ne cessaient de se lancer des regards assassins. Spyware garda son uniforme pour dormir, et activa même son générateur d'invisibilité, comme si elle craignait même qu'on la regarde. Kelifa jeta un regard mi-méprisant mi-amusé à la forme invisible sous les couvertures, puis se tourna vers Ad.

- Alors, la fille Dialine... Tu es la dernière personne que je m'attendais à voir au milieu de toute cette histoire.

- Et toi, je ne m'attendais pas à ce que tu portes le R rouge. Tu en as eu assez des chichis de l'aristocratie, comme moi ? Ou alors les rumeurs sur les préférences sexuelles ton père, Charlus Akenvas, sont vraies ?

Le regard sombre de la Rocket le devint encore plus. Ad prit conscience de sa gaffe.

- Désolée. Je...

- Non, tu as raison, coupa Kelifa. Mon père est un foutu pédophile qui m'a violé bon nombre de fois, et je n'étais pas la seule. J'ai fugué quand j'avais treize ans. J'ai quitté la région, et rejoint Kanto. La Team Rocket m'a recueilli, et m'a rendu forte. Je pensais avoir trouvé ma place. J'étais heureuse, jusqu'à que mon supérieur décide de me renvoyer ici pour profiter de mon nom. J'ai dû renouer avec mon salaud de père pour plusieurs contrats avec la Team Rocket, alors que je m'était jurée que si je le revoyais, ce serait pour le tuer.

Ad se dit que sa propre vie n'avait pas été si terrible comparée à celle de Kelifa. Pourtant, elles étaient nées de façon plus ou moins similaire, toutes les deux des filles héritières d'une des trois grandes familles de Naya.

- Pourquoi tu nous aides, réellement ? voulu savoir Ad. Tu ne devrais pas te réjouir qu'Odion annihile cette région que tu détestes tant ?

- Je suis une capitaine de la Team Rocket, affirma Kelifa avec force. Je n'ai jamais désobéi à mes ordres, ni passé outre mon devoir. Et mon devoir, c'est de préserver les intérêts de la Team Rocket à Naya. Si cet Odion détruit la région, c'est que j'aurai échoué. Et puis, il n'est pas seulement une menace pour Naya, mais pour le monde entier, et donc pour la Team Rocket.

- Beau discours... J'en ai les larmes à l'œil, fit la voix ironique de Spyware.

Ad ne pouvait pas la voir, mais vu le ton de sa remarque, elle doutait sincèrement que ce fut le cas.

- Et toi ? Voulu savoir Kelifa. Qu'est-ce qui te retiens avec nous ? Ton organisation a été détruire, et tu es encore jeune et innocente. Tu peux te refaire une vie.

Spyware garda le silence. Ad cru qu'elle n'allait pas répondre, quand elle dit :

- Le Boss Spam. Tant qu'il vivra, je le suivrai. Et si il meurt... je le suivrai aussi; après avoir puni les responsables, bien sûr.

Ad tenta de s'endormir avec l'idée que ses deux camarades de chambres étaient des fanatiques. Le lendemain, ils partirent bien tôt, car ils virent, affichés sur plusieurs bâtiments, les portraits d'Ad, de Geran, de Kinan, de Kelifa et de Balterik, avec la mention « recherchés pour interrogatoire à propos des attentats terroristes ». Balterik haussa les sourcils en étudiant son propre avis de recherche.

- Eh bien, nous pouvons d'ores et déjà affirmer que ton frère ne nous veut pas que du bien, jeune Adélie.

Ad ne pouvait pas le croire, pourtant, c'était le cas.

- Il veut nous mettre les actions d'Odion sur le dos ?! S'indigna Kinan.

- Quoi de mieux s'il s'est réellement allié avec lui ? Répondit Geran. Il vous fait passer pour les méchants aux yeux de la population, et s'il nous arrête, il demandera à Odion de stopper ses massacres, et ainsi, il passera pour un héros.

Les quelques gens tout autour d'eux commencèrent à les regarder de façon bizarre, à murmurer entre eux et à les montrer du doigt.

- Vaut mieux ne pas traîner, si vous voulez mon avis éclairé, fit Spam.

Quand ils quittèrent le village, Killian dit à Ad :

- Yo, ton frangin, il m'a l'air d'être un vrai trou du cul, ma jolie.

Ad acquiesça.

- Apparemment bien plus que je ne le pensais, ce qui n'est pas peu dire...