Chapitre 54 : Ultrason
Terreur-des-Hommes tendit un biscuit à Eclair-de-Liberté. Celui-ci fit semblant de ne pas l'avoir vu. Alors, elle insista :
...............- Il faut que tu manges... Cela ne t'apportera rien de te morfondre.
L'Elecsprint ne répondit rien. Il sourit péniblement, pour qu'elle ne se sentît pas coupable et pour la remercier de son attention. Il se détourna, retourna se coucher devant la porte, comme il en avait pris l'habitude. Rageusement, il arracha quelques poils supplémentaires à sa fourrure. Depuis sa séparation avec Vassili, il se mordait régulièrement lui-même. Il n'expliquait pas vraiment ce comportement, il résultait seulement du profond malaise intérieur qui le rongeait. Son pelage, si beau et brillant auparavant, présentait à présent de nombreux trous, où la peau avait été arrachée, laissant apparaître la chair. Ces taches roses saignaient de temps en temps, quand il se grattait trop violemment, de manière volontaire, ou quand il se mordait. Certaines plaies parvenaient parfois à former une croûte, mais jamais à cicatriser...
Newton et lui avaient totalement cessé de s'alimenter. Malgré tous les efforts réunis de Naïma, Isabelle et des autres Pokémon, ils laissaient toujours tout, même leurs plats préférés. Au départ, la faim les avait gênés, ils en avaient souffert. Pourtant, la vue de la nourriture les dégoutait. Puis, ils s'y étaient habitués. Ils n'avaient plus cette sensation d'avoir le ventre vide. Certes, ils se rendaient bien compte que leurs capacités physiques diminuaient, qu'ils étaient toujours fatigués. Ce n'était pas important. D'ailleurs, même avant, les plaintes de leurs corps criant famine ne leur semblaient pas dignes d'intérêt.
Toutes les nuits, Eclair-de-Liberté se levait, retournait devant sa porte. Son hurlement déchirant perçait alors la noirceur du ciel. Il n'aurait pas pu exprimer pire tristesse à travers son cri. Tant que Naïma ne le rejoignait pas, il continuait. Et encore, quand elle arrivait, elle devait rester longtemps à le caresser, à lui murmurer des paroles de réconfort, pour qu'il arrêtât. De ce fait, la jeune fille ne dormait pas assez : on lui reprochait de s'endormir en cours, de ne pas suivre l'enseignement correctement. Elle s'en fichait, l'état de santé inquiétant de l'Elecsprint passait avant ses études. De toute façon, elle avait toujours été nulle et n'était pas près de s'améliorer ! Cela ne l'intéressait pas, elle voulait devenir dresseuse...
Bien qu'également affectés, Terreur-des-Hommes et Vaillant-Rescapé supportaient bien mieux la séparation. Ils devaient parfois faire face aux accès de violence d'Eclair-de-Liberté. Dans ces moments, sans crier gare, il se jetait sur eux, sur Newton, voire sur les humains et les attaquait. Dans ces cas, les deux amis se dépêchaient de le contrôler, avec les toiles, attendant qu'il se calmât. D'autres fois, il reniflait l'air, espérant y trouver l'odeur qu'il affectionnait tant. Comme cela ne venait jamais, la déception l'envahissait rapidement. La Migalos essayait parfois de lui parler, mais il ne répondait que par de petits sons brefs. Il perdait rapidement sa concentration, n'écoutait même pas la consolation jusqu'à la fin. Plus les jours avançaient, plus la bulle se refermait autour de l'Elecsprint. Terreur-des-Hommes ne voyait plus comment s'en sortir.
Elle trouvait son réconfort, sa capacité à surmonter cette épreuve en Vaillant-Rescapé. Elle allait souvent se blottir contre lui. Comme il avait également besoin de se sentir moins seul, il acceptait sans problème ces marques d'affection un peu débordantes qu'il aurait trouvées étonnantes en temps normal. Les deux Pokémon se retrouvaient de ce fait souvent l'un contre l'autre. Cela étonna beaucoup l'Insécateur quand il se rendit compte qu'au-delà de la consolation que cela lui conférait, il se sentait vraiment bien quand Terreur-des-Hommes était si proche. Pourtant, celle-ci ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour Eclair-de-Liberté et Newton. Ils avaient besoin d'aide ! Elle se décida donc à en quérir auprès de Vaillant-Rescapé.
...............- Il faut que nous retournions à Vogra, lui confia-t-elle.
...............- Pardon ? demanda-t-il, pris de court. Tu n'avais pas dit toi-même que tu voulais rester ici ?
...............- Bien sûr. Je l'aimerais toujours... Seulement, ce n'est pas possible. Si nous ne faisons rien pour eux, ils mourront de faim, ou peut-être de chagrin, avant.
...............- Je ne peux que saluer une telle initiative, je ne sais même pas pourquoi je te demande une confirmation ! En route !
...............- Tu sais comment on peut faire ? Tu t'y étais préparé ? s'étonna Terreur-des-Hommes de le voir prêt à partir pour un immense voyage.
...............- Non, même pas, à vrai dire... Puisque tu ne voulais pas y retourner, j'ai pensé que tu ne changerais pas d'avis. Après tout, tu as toujours été de bon conseil... De ce fait, tu imagines ma joie de te voir changer d'avis.
La Migalos jeta un coup d'œil compatissant à Eclair-de-Liberté qui s'arrachait encore des poils. Newton avait retrouvé un regard désolant, mais cette fois empli d'une immense tristesse. Elle ne put s'empêcher de se désoler encore une fois d'un tel spectacle.
...............- Tu ne devrais pas être joyeux... reprocha-t-elle à son ami. Nous ne rentrerons pas pour nous, mais pour eux. Leur état ne nous permet pas de nous réjouir !
...............- Ce n'est pas parce que nous sommes tristes qu'ils s'en remettront mieux rétorqua l'Insécateur. Il faut se battre, comme nous l'avons toujours fait !
...............- J'imagine que tu n'as pas tort. Ils me fendent le cœur... J'espère qu'il va bien.
Vaillant-Rescapé hésita quelques secondes. Il posa délicatement sa tête contre la Migalos, comme s'il eut besoin d'elle pour dire ce qu'il s'apprêtait à révéler.
...............- Moi aussi, je l'espère, murmura-t-il. Il me manque... S'ils ont osé lui faire encore plus de mal que de le séparer de nous, je crois que je me remettrai définitivement à détester les humains...
Terreur-des-Hommes sourit légèrement, presque malgré elle. Comme elle ne pensait qu'à remonter le moral d'Eclair-de-Liberté, elle alla le chercher pour qu'il participât à la conversation. Elle espérait que l'annonce de leur départ pour Vogra le remettrait d'aplomb. Ce fut d'ailleurs le cas : il retrouva un entrain non feint et s'emporta immédiatement.
...............- On part comment ? Quand est-ce qu'on part ? Vassili y est déjà, on le verra en arrivant ? Tu crois qu'il m'attendra pour partir, là-bas ? Il nous faudra combien de temps ?
...............- Il reste encore à trouver de quelle manière nous repartons, dit prudemment Vaillant-Rescapé. Une fois là-bas, j'imagine que nous improviserons, comme nous savons si bien faire...
...............- Ce n'est pas que j'ai envie de vous voir partir, mais je n'aime pas voir Eclair-de-Liberté dans cet état. Je le comprends, s'ils m'avaient enlevé Naïma, je ne me serais pas sentie mieux. Je vais donc chercher Niryo, proposa Neïko. Il a souvent de bonnes idées, il pourra peut-être vous aider encore une fois.
...............- Cela m'embête, répondit Terreur-des-Hommes. Il est très gentil, nous lui devons déjà énormément, je ne veux pas le déranger !
...............- T'en fais pas, il aime réfléchir et résoudre les problèmes, il est comme ça, notre cher Marcacrin. Il a vraiment le cœur sur la patte !
Sans plus attendre, Neïko sortit en trombe de la maison. Elle n'avertit même pas sa dresseuse. Celle-ci lui faisait entièrement confiance, aussi, elle ne fut pas du tout inquiète de la voir s'en aller. Elle sourit en se disant qu'elle devait avoir un projet bien important pour courir aussi vite... Après s'être demandée quelques secondes ce que cela pouvait être, elle se détourna totalement de cette réflexion. Elle se sentait un peu trop désemparée pour se poser des questions et se contenta donc de rejoindre Eclair-de-Liberté. Elle constata avec bonheur que ses yeux avaient retrouvés une part de leur lueur de joie. Connaissant Neïko, elle ne devait pas y être pour rien !
La petite Osselait ne tarda pas à revenir, en compagnie du Marcacrin. Terreur-des-Hommes lui expliqua le plus calmement possible leurs plans pour la suite, même si ce n'était pas chose aisée avec l'Elecsprint qui ne cessait de l'interrompre. Quand elle arriva à la fin de son monologue, Niryo prit un air concentré. Il attendit quelques secondes.
...............- Je n'ai pas d'idée qui me vient sur le champ... Juste un problème que je soulève, au cas où vous n'y auriez pas pensé. Comment comptez-vous retrouver Vassili, si jamais j'arrivais à vous faire traverser la mer ? C'est grand, Vogra !
...............- Oh, Vaillant-Rescapé a prévu d'improviser, comme souvent ! répondit tout naturellement Terreur-des-Hommes.
...............- Il a raison, se moqua Niryo. Cela ne sert à rien de planifier votre arrivée si vous mourrez avant, cela aurait été un précieux temps de vie perdu ! Mais, je ne critiquerai pas, l'improvisation aura bien marché pendant notre ascension, finalement.
Il se tut ensuite, visiblement très concentré. Les autres Pokémon reconnaissaient cet air, qu'il avait eu à chaque croisement : il faisait appel à sa mémoire, y cherchait la solution parmi les tonnes de données qui s'y trouvaient. Il trouva quelques possibilités, mais il les réfuta toutes une par une, au fur et à mesure qu'elles effleuraient son esprit. Ce n'était pas chose aisée que de faire traverser la mer à autant de Pokémon.
La matière grise de Newton réagit. Il revit la petite Akkia, la Phanpy, devant lui. Elle s'agitait beaucoup, courant tout autour de lui. Comme il ne savait pas où se mettre, dans cette grotte à la température agréable, elle fit quelques pas devant lui.
...............- Viens, je vais te faire visiter, le nouveau ! avait-elle dit pour joindre le geste à la parole.
Le cheval enflammé la suivait donc à travers les différentes alvéoles de la cavité. Comme lui ne disait rien, elle monopolisait sans cesse la parole. Elle expliquait ce qu'elle pouvait faire dans chaque pièce, mais il ne l'écoutait que d'une oreille. Il avait encore trop de mal à saisir tout le sens des mots qu'elle prononçait ; il y en avait tellement, qu'ils ne faisaient que l'apaiser, se sentant en bonne compagnie. Il avait, de plus, autre chose qui retenait tout son intérêt : il était là uniquement pour attendre ses compagnons. Il se demandait donc s'ils viendraient bien le rechercher.
Un son attira son attention. Quelque chose grattait la paroi rocheuse, au plafond. L'équidé leva les oreilles et la tête. Il cherchait d'où provenait ce bruit inquiétant et fort désagréable ! Il aperçut une griffe, grise, qui dépassait d'un orifice dans la roche. Il s'arrêta, cela pouvait être dangereux...
...............- Ne t'en fais pas, ce ne sont que des Airmure ! Ils sont gentils, même si leur cri peut faire peur.
Comme pour illustrer ses propos, l'un des oiseaux de fer avait sorti la tête de son alvéole. Il avait ouvert le bec pour libérer un son absolument désagréable. Les tympans de Newton semblaient déchirés par son cri, strident et aigu. Le cheval se cabra, effrayé.
...............- Je t'avais pourtant prévenu ! Tu es vraiment qu'un peureux, s'amusa Akkia.
De sa trompe, elle envoya avec précision un rocher à côté de l'Airmure, contre la roche. Celui-ci rentra la tête dans son nid, sans rien demander de plus.
...............- Ce n'est pas parce qu'il parle fort qu'il faut le laisser faire ! Ils ne sont vraiment pas très agressifs, tant qu'on ne les embête pas. Je les aime bien...
...............- Toi forte !
...............- T'es vraiment drôle, toi, fit la petite Phanpy en rigolant. T'es trois fois plus grand que moi et je pourrais te faire peur ! Il faut prendre confiance en toi, tu sais !
...............- Confiance ? hésita Newton.
...............- Cela veut dire t'affirmer... Tu dois montrer que tu existes et que tu es capable de beaucoup de choses ! C'est forcément vrai, on a tous des qualités !
Newton se concentra à nouveau sur le visage de Niryo qui réfléchissait. Ho-Oh les avait ramenés jusque-là, le cheval de feu s'en souvenait bien ! Cet oiseau avait une certaine ressemblance avec les Airmure qu'il avait rencontrés. D'abord, ils faisaient peur, avec leurs grands bras. Surtout, ils avaient le pouvoir de grandir, de s'élever dans le ciel et d'y emporter les autres. Comme il repensait à Akkia, qui lui avait dit qu'il lui était important de participer, il lança son idée, même s'il n'était pas convaincu de bien faire.
...............- Airmure, comme Ho-Oh ?
Tous sursautèrent presque en entendant Newton parler. Cependant, Niryo se remit vite de sa surprise. Il lui adressa un sourire rassurant pour demander, se doutant de ce dont il voulait parler, grâce à sa grande connaissance de la faune locale :
...............- Tu as rencontré des Airmure dans la grotte ?
...............- Akkia, Phanpy connaît. Je demander aider nous. Elle gentille.
...............- C'est une excellente idée, s'emporta immédiatement Eclair-de-Liberté. Allons les voir !
Bien que l'idée parût un peu folle, les Pokémon se décidèrent à remonter le mont Tagne. Ils n'avaient surtout trouvé aucune meilleure solution, ce qui les forçait à espérer que celle-ci fût la bonne. Niryo servirait à nouveau de guide : il était le seul à se souvenir du chemin qu'ils avaient emprunté pour se rendre jusqu'à la grotte de Rhinastoc. Neïko expliqua leur intention à Naïma. Cela nécessita énormément de temps, car évidemment, les deux ne parlaient pas la même langue. Leur entente était pourtant telle qu'elles finirent par se comprendre.
Naïma éclata de nouveau en sanglots devant son Osselait. Elle la prit dans ses bras, pour ne pas la relâcher durant de longues minutes. On lui avait pris Vassili ; les Pokémon le suivaient. Bien sûr, elle les comprenait. Elle savait que la séparation était nécessaire. Il leur fallait rejoindre leur humain, la logique et l'amitié le voulaient. Quand elle put enfin se résoudre à se lever, elle en parla immédiatement à Isabelle, qui elle aussi fut forcée de l'accepter. Alors, Naïma s'approcha d'Eclair-de-Liberté. Elle le caressa, en partant du museau jusqu'aux oreilles, étirant ses paupières à chaque passage. Elle glissa son autre main dans la poche de sa veste, pour en ressortir le Bandeau Choix. D'un geste qui trahissait sa tristesse, elle le noua autour du cou de l'Elecsprint.
...............- Je te l'offre, en souvenir de Vassili. Il te portera chance, j'en suis sûre. Tu peux le partager avec les autres. Bonne chance, retrouvez-le vite et transmettez-lui tout notre soutien, à Maman et moi. Au revoir...
Terreur-des-Hommes ne put s'empêcher de baisser la tête, déchirée à l'idée de quitter la jeune fille qui aurait sans doute apprécié leur présence pour l'aider dans cette épreuve. Elle craignait aussi son retour à Vogra. Qu'allaient-ils faire une fois rentrés ? Surtout, quel rapport pourraient-ils espérer avoir entre Pokémon et humains ? Sans doute la forêt ne voudrait pas plus d'eux que les amis de Vassili. La vie n'allait vraiment pas être évidente ! Cependant, ils ne pouvaient pas laisser Eclair-de-Liberté et Newton se suicider... Ils devaient retrouver leur humain.