I
Au sortir de rêves agités, Flynn s'étonna de la position inconfortable dans laquelle il se trouvait, ainsi que du bruit autour de lui. Somnolent encore, il percevait le ronronnement d'un moteur et les ballotements familiers d'un trajet en campagne. Avant même d'ouvrir les yeux, il vint à la conclusion que quelqu'un -sûrement son père ou son frère - lui avait joué un tour pendant son sommeil.
Dégageant sa nuque endolorie de ce qui devait être un siège de voiture, il commença à se frotter le visage puis écarquilla les paupières. La forte luminosité l'empêcha de voir quelque chose de précis pour commencer, mais une fois ses yeux habitués, il put observer à loisir son nouvel environnement.
A première vue, il était dans une camionnette, du genre dont son père possédait plusieurs modèles. Il circulait sur un sentier accidenté, en pleine forêt, et à une vitesse plutôt soutenue. Le soleil venait de se lever, le ciel était clair. Il se redressa dans son siège et jeta un regard furtif, sans tourner la tête, au conducteur assis à côté de lui.
Il s'attendait à voir son père, mais c'était en fait son oncle qui était au volant, et vraisemblablement n'avait pas remarqué son réveil. Il scrutait la route, soucieux, une carte sur ses genoux.
L'oncle de Flynn avait un visage débonnaire, une chair épaisse et une barbe pour aspirer au rôle de gentil oncle compréhensif - une sorte d'Ursaring sympathique. Seulement cette avenante apparence cachait un homme arriviste et assoiffé de reconnaissance. Il y avait longtemps que Flynn avait percé à jour la véritable personnalité de son oncle, mais sa famille continuait de penser que l'oncle jouissait toujours d'une faveur spéciale de Flynn.
Flynn braqua son regard de l'autre côté , vers la forêt. Il était sûr de ne pas l'avoir vue avant, et elle avait l'air plutôt sauvage, ce que tendait à confirmer le sentier mal entretenu sur lequel la véhicule s'engageait. Comme il ne savait pas quand est-ce qu'ils avaient commencé à rouler, il ne pouvait faire aucune supposition sur l'éloignement de son domicile. Tout au plus avaient-ils pu rouler six heures, ce qui leur aurait laissé le temps de quitter Kanto.
N'y tenant plus, il adressa la parole à son oncle.
-Salut Archie...
Archibald ne sursauta pas, et jeta un rapide coup d'œil à son neveu.
-Oh, salut Flynn, dit-il nerveusement. Tu... tu as passé une bonne nuit ?
-Je ne suis pas encore sûr de m'être bien réveillé, répondit Flynn.
Archibald ne réagit pas et continua à conduire comme si de rien n'était.
Flynn le laissa tranquille quelques minutes puis exigea laconiquement :
-Des explications ?
L'oncle Archibald était assez mal à l'aise : il fit semblant de ne pas entendre.
-S'il-te-plaît ? ajouta Flynn en haussant la voix.
-Comment ? s'enquit Archibald en guise de réponse.
Il singea un grand intérêt pour la requête de Flynn.
-Qu'est-ce que je fais ici ? demanda son neveu, de plus en plus courroucé.
-Eh bien, ton père avait pensé...
-N'en dis pas plus, le coupa Flynn, définitivement en colère. Après un silence : Quel enfoiré !
Pour donner de la force à son propos, il frappa la portière aussi violemment qu'il put.
-On se fait une petite ligue ? suggéra-t-il.
Archibald feinta de trouver cela très drôle et s'esclaffa bruyamment. Flynn leva ses yeux embués au ciel, fronça les sourcils et s'appliqua à foudroyer son parent du regard.
-A vrai dire, nous sommes à Johto, près du mont Argenté...
-Le mont Argenté ? Flynn ne put cacher sa stupeur. Mais pourquoi... ?
Pas de réponse.
Quelques minutes plus tard, alors que Flynn continuait à le dévisager méchamment, Archibald s'arrêta.
Le jeune homme regarda autour de lui : la camionnette était stationnée devant un large chalet, au pied de ce qui devait être le mont Argenté.
-Allons-y, décréta l'oncle Archie, et il sortit de la camionnette.
Flynn resta en place. Après ce qui lui parut une éternité, son oncle ouvrit sa portière, et s'ensuivit une longue procédure diplomatique.
-Allez, champion. Sors de là.
Flynn poussa un long soupir.
-Je refuse catégoriquement de t'accompagner.
-Je te laisse dans la camionnette, alors. A dans quelques jours.
Il tenta de fermer la porte, mais Flynn l'arrêta. Archibald sourit en son for intérieur, n'osant afficher sa satisfaction.
-Je veux bien venir... si tu me dis où est-ce qu'on va, et qu'est-ce qu'on y fait.
-Chasser le shiney.
-Je m'en doutais, mais fallait-il vraiment venir jusqu'ici ?
-Pas n'importe quel shiney. J'avais besoin d'un partenaire pour cette expédition...
-Tu as donc contacté mon père, qui t'a envoyé son sbire le plus dévoué...
Il sauta en dehors du fourgon en se tâtant.
-Ce sont mes vêtements d'hier... remarqua-t-il. Qui m'a habillé durant mon sommeil ?
L'oncle Archie haussa les épaules.
-Et où est mon portable ?
Archibald toussa pour masquer son embarras.
-Ton père m'avait dit que tu mettrais peu de volonté à m'aider... Alors... pour te motiver un peu, il me l'a remis.
Flynn émit un chapelet de jurons concernant l'auteur de ses jours.
-Du calme, l'interrompit Archie pour juguler le flot d'insultes. Si tu te comportes bien, je te promets de te le rendre dès ce soir.
Excédé, Flynn se dirigea vers le coffre pour prendre ce qu'il reconnut comme son sac.
-Dépêchons-nous alors, dit-il à l'adresse de son oncle sans daigner le regarder.
Alors qu'il s'avançait vers le chalet, un homme en uniforme vint à leur rencontre.
-Bonjour messieurs, les salua-t-il. Je suis le ranger Amar, en charge du mont Argenté. Quelque chose à déclarer ? Puis-je vous aider ?
Archibald arriva à sa hauteur et lui serra la main.
-Nous venons faire un peu de randonnée dans les environs. Je ne compte pas monter jusqu'au sommet, mais j'emmène mon jeune neveu faire de la chasse, comme au bon vieux temps.
Impassible, Flynn regardait ailleurs d'un air mal réveillé et fâché. Le ranger allait l'interroger, mais Archibald ne lui en laissa pas le loisir.
-Le petit fait sa crise, c'est l'âge, vous savez. Je l'emmène se changer les idées.
Flynn fit un grand effort sur lui-même pour ne pas contredire son oncle, mais ne put cacher sa circonspection.
-Suivez-moi dans mon bureau, dit le ranger.
A l'intérieur du chalet, le ranger occupait une petite pièce dans l'entrée. Il fit assoir ses deux hôtes en face de lui et procéda comme d'habitude.
-Apportez-vous des Pokémons ? Sont-ils tous immatriculés ?
Archibald s'acquitta de toutes les formalités. Lui et Flynn devait se tenir à un Pokémon capturé chacun ; le ranger leur remit également une liste des Pokémons qui ne devaient pas être capturés cette saison, voire en aucun cas. Leur camionnette serait gardée par l'équipe du chalet, mais pour la récupérer ils seraient soigneusement fouillés.
Le ranger se montra très clair et insista longuement sur les risques liés au braconnage, la fermeté dont son équipe ferait preuve en cas d'infractions, les moyens dont elle disposait pour combattre les criminels, etc. Durant ce long sermon, Archie fit preuve d'une attention et d'une compréhension exemplaires, assurant le ranger de sa plus totale sympathie, de sa haine pour les contrevenants à la loi, et évidemment de son admiration incommensurable pour les rangers. Flynn dut réprimer plusieurs fous rires à voir le numéro de son oncle ; si le ranger Amar aperçut un sourire, il le mit sur le compte de la prétendue crise d'adolescence de Flynn.
Le ranger les libéra donc après une demi-heure d'interrogatoire détendu, convaincu de sa bonne foi.
Archibald et Flynn prirent le GR qui partait du chalet et marchèrent une heure en silence. Le sac de Flynn était lourd et il faisait très chaud.
Arrivés sur un premier plateau, Archibald se retourna vers Flynn.
-On va s'arrêter là, champion.
Flynn déposa ses affaires, maintenant un silence obstiné.
-Clothilde !
Le Noadkoko femelle ainsi baptisé d'Archibald sortit de sa pokéball.
-Va, cherche le shiney, et envoie un signal dès que tu l'auras trouvé, ordonna-t-il.
Habituée à ce genre de besogne, Clothilde s'évanouit entre les arbres.
-C'est donc comme ça que tu traques des shineys... observa Flynn.
-C'est la partie la plus facile. D'habitude, j'envoie plusieurs Pokémons ratisser les environs, seulement je ne peux prendre le risque d'effrayer cette proie.
Flynn s'assit sur une roche près du chemin.
-Tu ne veux pas savoir ce que nous allons capturer ? s'étonna Archibald.
-Ca ne m'intéresse pas. Je suis outré de ce que mon père a fait.
-Ecoute, champion... Archibald vint s'assoir à côté de son neveu. Je comprends parfaitement que tu n'apprécies pas la façon dont ton père t'a forcé à venir. Je n'étais pas au courant de ton refus de participer, crois-moi, je ne savais pas qu'il irait jusque-là, mais... Je pense que tu devrais peut-être me laisser une chance de te faire aimer notre métier... Avoue que c'est un peu inquiétant de te voir détester autant la chasse au shiney... alors que tu te passionnes pour le dressage...
Flynn ne daigna pas répondre à ce qu'il considérait comme un tissu de mensonges et d'absurdités.
-Je parie que mon père m'a drogué pendant mon sommeil pour ne pas que je me réveille trop tôt... Me faire ça à quelques jours de la rentrée... ça craint...
-Champion, et l'oncle en vint même à poser sa grosse main sur l'épaule de son neveu, plus tôt ce sera fini et plus vite tu seras à la maison. Mets-y du tien ! Je suis sûr qu'on formera une bonne équipe, toi et moi.
Flynn se rapprocha d'Archibald.
-Tu as peut-être raison...
Le penchant sentimental du vieil oncle l'empêcha de voir la main baladeuse du neveu. Celui-ci bondit soudainement son rocher, attrapa son sac et appela l'un de ses Pokémons.
Un Altaria du nom de Woody s'éleva en l'air. Flynn cria à Archibald :
-Tu savais très bien que jamais je ne consentirais à t'accompagner, toi ni même personne de la famille, dans vos quêtes à la limite du trafic ! Maintenant, débrouille-toi seul, idiot !
Il fit tinter dans sa main les clefs de la camionnette qu'il venait de dérober à son oncle, avant de grimper sur le dos de son Pokémon.
Archibald se leva brusquement.
-Sale gosse ! Rends-moi ça et redescend immédiatement !
-Vole, Woody !
Une force mystérieuse ralentit considérablement l'ascension d'Altaria. Flynn regarda en bas : son oncle avait appelé son Ectoplasme, Charlie.
-Ne m'oblige pas à me battre avec toi ! Tu sais que tu vas perdre ! Redescends !
Flynn réfléchit quelques instants. Il lança alors de toutes ses forces les clefs vers la forêt et réitéra ses ordres :
-Vole, Altaria !
Altaria prit son envol d'un coup d'aile puissant.
-Sale gosse ! Reviens ! entendit-il son oncle hurler, alors que Charlie était probablement parti attraper les clefs au vol.
-Maintenant, vole en direction de Céladopole le plus vite possible !
Woody émit un cri joyeux et prit la direction de l'est ; en se retournant, Flynn vit son oncle Archibald devenir un point à l'horizon. Il fut en quelques heures en vue de Céladopole. N'ayant pas de papiers lui permettant de circuler en volant sur son Pokémon, il contourna la ville à basse altitude de peur d'être interpellé par un policier. Il poussa jusque dans la rase campagne, entre les banlieues de Safrania et Céladopole. C'était là qu'il habitait.
Avec son grand frère, son père et sa mère, il vivait dans une dépendance d'une immense ferme, la ferme Kenny. Son Altaria exténué atterrit devant une annexe du grand bâtiment, dévolu à Flynn. Ce dernier sauta de son Pokémon, le rappela et rentra en trombe dans sa chambre.
Il jeta son sac contenant toutes ses affaires dans un coin de la pièce, en prit un plus petit dans lequel il glissa quelques vêtements, et partit aussi rapidement qu'il était venu, en veillant à fermer à clef la porte.
Il devait traverser la cour de la ferme pour se rendre à l'arrêt le plus proche.
-Eh, Flynn !
Un homme trapu en bleu de travail l'accosta. Il s'agissait d'Yves Lelong, le maître d'œuvre de la ferme. Il supervisait l'ensemble des travailleurs et en référait au père de Flynn.
-Bonjour, comment ça va ? demanda-t-il. Il n'était apparemment pas au courant que Flynn n'était pas censé se trouver ici. Dis-moi, saurais-tu où ton père se trouve ?
-Non, désolé Yves, je l'ignore. Je ne peux pas vous aider. Si vous le voyez, ne dîtes pas que vous m'avez vu, euh... je suis censé travailler dans un supermarché à Céladopole, aujourd'hui, et je suis en retard... S'il l'apprenait, il serait furieux, et je ne veux pas qu'il me prive de sorties...
-Ne t'inquiète pas, je ne lui en dirai rien.
-Merci Yves ! Bonne journée ! et il se remit à courir.
Malgré l'ingratitude de sa tâche, Yves Lelong avait toujours inspiré de la sympathie, voire de la confiance à Flynn.
Le jeune homme arriva à l'arrêt de bus, à cinq cent mètres de la ferme. Il y avait un car toutes les deux heures pour Céladopole. Il était neuf heures quarante, celui de dix heures ne tarderait pas.
Le car mettait quarante minutes pour aller à la place du Manoir, au centre de Céladopole. Flynn s'assit au fond et laissa le temps passer.
La famille entière de Flynn était dans la chasse au shiney : son père, son frère, son oncle, son grand-père. Sa mère avait été quelques temps une shiney hunter, après sa carrière de dresseuse internationale. Archibald était son frère : lui aussi ancien dresseur, il avait opéré une conversion durable dans la chasse au shiney.
En mouton noir, Flynn réprouvait cette pratique. On lui avait assuré qu'il n'y avait là rien d'illégal, ni d'immoral, il pensait toujours que sa famille s'adonnait à un trafic répréhensible. La ferme qu'ils habitaient était en fait le centre de transit des captures de l'équipe de shiney hunters formée autour de son père (qui incluait, entre autres, son oncle et son frère). Les Pokémons y attendaient leur vente aux solliciteurs, et Flynn nourrissait de sérieux doute sur la qualité et la nature même de la structure : par ailleurs, l'entrée dans la véritable ferme, où les shineys étaient stockés, lui avait toujours été refusée.
Bien qu'il se fût institué dans la famille comme voix objecteur de conscience, il avait toujours bénéficié de la richesse de ses parents, amassée grâce à la chasse au shiney, ce que ne manquait de lui rappeler son père.
Une fois à Céladopole, il se précipita vers le premier distributeur qu'il aperçut. Par chance, sa carte bleue n'était pas bloquée, ce qui signifiait que son père n'avait pas eu vent de sa fugue - ou qu'il n'avait pas encore pu agir en conséquence. Il retira une grosse somme, puis marcha jusqu'au relais de son opérateur le plus proche, dans une galerie marchande.
Il prétendit avoir été dépouillé de son portable, et demanda à ce que l'on le bloque ; il en obtint un nouveau en attendant, pour lequel il dut débourser une cinquantaine de pokédollars, sous réserve de faire une déposition au la police, ce qu'il assura qu'il allait faire. Une fois à l'extérieur, il composa l'un des seuls numéros qu'il connaissait par cœur, celui de son meilleur ami Eliott.
« Allo ? »
-Mec... c'est Flynn... Je suis à Céladopole... 'Y a moyen qu'on se voit ?
« Ouais... t'es où exactement ? Pourquoi t'appelles pas de ton portable ? »
-Une longue histoire, vieux... Mon père a encore fait des siennes. Je suis sur l'avenue de la Liberté, on peut bouffer au libanais ?
« J'arrive dans vingt minutes. »
Flynn raccrocha, serein. Il se dirigea vers le petit restaurant libanais à l'autre bout de l'avenue.
L'avenue de la Liberté était une des artères principales de Céladopole, elle reliait la place du Manoir à celle de la Liberté, où la célèbre fontaine avait été construite. C'était une avenue très large et bordée de boutiques et de restaurants, et surtout énormément fréquentée, même en fin de matinée. C'était le dernier endroit où Flynn pouvait s'attendre à rencontrer quelqu'un de sa connaissance, du moins qui n'habitait pas à Céladopole. C'est pour cette raison que la vision de son frère Frédéric à une centaine de mètres lui glaça le sang. Son frère aîné, flanqué d'un acolyte shiney hunter, marchait à sa rencontre, en pleine discussion.
Flynn se réfugia dans la boutique juste à côté de lui. Il s'agissait d'une minuscule librairie. Il se mit devant la vitrine en priant pour que son frère ne l'ait pas remarqué - ou, cependant presque impensable, qu'il ne sache rien de la dernière ruse de son père pour lui faire aimer la chasse au shiney.
Prenant un livre au hasard, il se cacha le bas du visage derrière et scruta la chaussée. Son frère passa bien là mais n'eut aucun regard pour la librairie ; il n'avait pas vu Flynn.
Ce dernier poussa un grand soupir de soulagement et fit mine de feuilleter l'ouvrage qu'il tenait, patientant quelques minutes avant de risquer de sortir dehors : il ne lui fallait croiser aucun membre de sa famille dans les jours qui viendraient.
Le libraire, un vieil homme tout petit, chauve et voûté, s'approcha vers lui et lui demanda s'il souhaitait être aidé. Flynn se rendit alors compte qu'il avait entre ses mains un livre sur les massages érotiques, illustré avec des vieilles gravures chinoises et indiennes très ambivalentes. Il demanda le prix de ce livre, et estimant acceptable le rapport qualité/prix, il décida de l'acheter pour en faire cadeau à Eliott.
Il fourra le livre dans son sac et sortit alors. Le libanais n'était plus qu'à deux pas, mais Flynn s'y rendit en rasant les murs et jetant de toutes parts des regards furtifs de peur de tomber à nouveau sur un membre de sa famille ou un ami de ses parents.
Il s'assit à une table au libanais en attendant son ami. Eliott arriva, vêtu de son éternelle veste grise qui lui adoucissait le teint. Il avait les cheveux châtains foncés, courts et assez en désordre. Il était grand, plus grand que Flynn, et son air flegmatique le faisait passer pour un drogué, ou un sage.
Il s'assit en face son meilleur ami et commanda des falafels.
-Je t'invite, lança Flynn. Et voilà un cadeau pour toi.
Il lui tendit sa dernière acquisition. Eliott, très intrigué, détailla la quatrième de couverture.
-Tu as quelque chose à me demander... conclut-il de ce soudain élan de générosité.
On leur apporta deux assiettes de falafels.
-Tu veux une boisson ? demanda Flynn.
-C'est cher ici... cela dit, quitte à profiter de tes libéralités, je ne cracherais pas sur une bière.
Flynn se leva et ramena une pinte de Guinness, ainsi que du thé glacé pour lui.
-Tu as quelque chose d'important à me demander, rectifia Eliott en reconnaissant l'onéreuse boisson.
-Vieux, je crois que je vais crécher chez toi quelques temps... si ta mère l'accepte.
Eliott fit la moue et haussa les épaules.
-Je pense qu'il n'y a pas de problèmes. Qu'est-ce que ton père t'a fait encore ?
-Tu ne devineras jamais...
-Il t'a lancé un ultimatum ? Suis mes pas ou quitte la maison pour toujours ?
-J'aurais presque préféré, mais ce brave Marcus a décidé de me droguer pendant mon sommeil, de me faire habiller par un subordonné pour m'acheminer jusqu'à Johto tâter du shiney... avec l'oncle Archibald.
-Wow... Eliott haussa un sourcil. Comment tu t'es échappé des griffes d'Archibald ? Je le croyais coriace, c'est un ancien topdresseur...
-J'ai rusé, mec. J'ai fait diversion avec ses clefs de bagnole et je me suis enfui à dos de Woody. Il va trouver son shiney tout seul. A moins qu'il n'appelle mon père et mette sur mon dos l'échec de son opération...
-Qu'est-ce qu'il voulait capturer ?
-J'en sais rien, mais il m'a assuré que cela se chassait à deux.
Eliott leva les yeux pour les plonger dans ceux de son ami : il y découvrit un mélange d'insistance et de supplique.
-Non...
-Allez, mec...
-Tu veux que j'appelle mon vieux pour prêter main-forte à Archibald ? Désolé, je n'ai plus aucun contact avec lui.
La surprise fit oublier à Flynn tout le reste.
-Plus de contact avec ton père ? Depuis quand ?
Eliott se fendit d'un fin sourire.
-Ca fait deux semaines qu'il a quitté Céladopole... et deux semaines que je ne lui ai pas parlé. Je sais qu'il a déménagé, je ne risque donc pas de le voir avant longtemps, voire plus jamais.
Flynn avait fini ses falafels.
-Ta mère a dû faire la fête de sa vie quand elle a appris ça.
Eliott pouffa.
-Elle était assez heureuse de le savoir loin, quoique ça change peu de choses pour elle.
-Ta rentrée est aussi dans trois jours ?
Eliott regarda le soleil d'août avec une amertume avant-coureuse.
-Hélas, je suis condamné aux mêmes échéances que toi. Mais tu dois sûrement prendre plus de plaisir que moi à prendre le chemin des amphis...
-En effet, confirma Flynn. L'université de Céladopole m'offrira une trêve dans ma vie agitée de fils de parrains...
-Parrains, tu exagères, estima Eliott. Je doute que ton père trempe à ce point dans le trafic...
Flynn se montra peu persuadé par l'assertion de son interlocuteur. Voyant qu'il avait fini ses falafels et sa bière, il bondit de table :
-On va se faire un ciné ? Un bowling ? Je t'invite !
-Flynn, dit Eliott, qui n'avait pas bougé, après un petit silence gêné, tu n'es pas obligé de payer mon hospitalité...
Les deux amis allèrent donc directement à l'appartement d'Eliott, non loin du centre-ville.
L'appartement, situé au cinquième étage d'un grand immeuble, était constitué d'une spacieuse cuisine, d'un salon, de deux chambres et d'une salle de bains.
La mère d'Eliott, Debra, était à la cuisine. Tandis que son Ptiravi nettoyait la pièce, elle lisait un magasine en sirotant ce qui devait être un de ces cocktails dont elle raffolait.
-Flynn ! s'exclama-t-elle à la vue du jeune homme qu'elle avait toujours tenu en affection. Comment vas-tu ?
-Bonjour madame...
Debra lui fit une grosse bise et sonda son visage fatigué.
-Ta famille te malmène encore...
Flynn arbora un petit sourire.
-Oh mon pauvre chou, je te comprends tellement...
Dans le dos de sa mère, Flynn pouvait observer Eliott qui se renfrognait à cet accès de tendresse pour son meilleur ami.
-Je peux dormir ici quelques jours ?
-Mais Flynn... Tu es chez toi ici ! cria la mère.
-Merci beaucoup, madame...
-Entre proches - ou anciens proches - de shineys hunters, on se serre les coudes...
-Des nouvelles de papa ? glissa méchamment à-propos Eliott, qui s'était sûrement mis en tête d'atténuer la jovialité de sa mère.
Debra foudroya sa progéniture du regard.
-William n'est pas reparu, et ça vaut mieux pour lui. Je te rappelle qu'il est sous le coup d'une injonction de mise à distance du procureur... Il a quitté la ville et j'espère bien ne jamais le revoir. Flynn, si tu as besoin de quoi que ce soit, je serais dans le salon ! reprit-elle à l'intention de son protégé avec son sourire éclatant.
-J'ai parfois l'impression que ma mère te kiffe... confia Eliott une fois que sa mère eut quitté la cuisine.