Ch. 08 Un dîner avec le temps
Il devait être impressionnant, paraître comme un homme qui avait réussi dans la vie, et qui était heureux aujourd'hui. Il était devant son long miroir, enveloppant toute sa silhouette dans le reflet. À quoi ressemblait-il ? À première vue, à un brave type en costard noir, aux cheveux sombres et aux yeux ambres, presque oranges, qui attirait le regard.
De plus près, on voyait un raté misanthrope en mal d'amour.
Il hésitait entre une cravate et un nœud papillon. Comme si ça allait changer l'image qu'on pouvait avoir de lui.
Phyllali patientait, couchée sur le lit près de son dresseur, l'épiant. Quand il se retourna avec le nœud, elle secoua la tête, visiblement pas d'accord. Après avoir noué sa cravate autour du cou, il claqua ses joues, fraîchement rasées. Il partit mettre du parfum, à la manière d'un homme raffiné. Il fallait que Nelly ne le reconnaisse pas. Il y avait peu de chances que ça marche, elle qui détectait le moindre faux sentiment. Mais il valait mieux essayer. Après avoir bu deux tasses de cafés pour être parfaitement éveillé, s'être lavé les dents, et avoir, après un effort surhumain, balancé les vêtements qui traînaient partout dans sa machine à laver, il partit avec sa voiture au Bar Yotuba.
= =
Depuis que Nathan est arrivé à Mérouville, ce bar était devenu un peu comme une seconde maison. La première fois qu'il y était allé, c'était bien sûr avec Timéo. Vers leurs 10 ans, un soir où Nathan dormait chez son meilleur ami, ils avaient décidé d'organiser une petite fugue, afin de visiter Mérouville la nuit. Les lumières venaient de partout, et à mesure qu'ils foulaient les dalles de pierres, l'humidité des goutes projetées par la fontaine les vivifiaient. Ils découvraient un autre monde, celui d'une ville plongée dans l'obscurité, vécue par d'autres habitants. Et ce bar, qui était planté là, d'où on pouvait entendre des rires renfermés, les avait de suite attirés. Alors ils y étaient entrés, et y avaient passé la nuit.
Aujourd'hui, ils y passaient une partie de leur vie. C'est ce que disait Nathan en se garant devant le Yotuba, plus fringuant que jamais. Ses quatre PokéBall accrochées à sa ceinture, il s'élança, quoiqu'un peu dubitatif, à la rencontre de Nelly. Les lumières tamisées, orangées et rosées l'envoutèrent. Les multiples parfums, allant des cocktails aux bons plats mijotés par les cuisiniers hors-pairs également. Il balaya la salle du regard, sans voir de Nelly à l'horizon. En passant, certains habitués le raillèrent gentiment.
- Hé Corwyn, qu'est-ce que tu fais sapé comme ça ?!
Nathan leur sourit en hochant la tête, sans répondre, avant d'aller prendre place à la table où il avait l'habitude de s'asseoir avec Lou et Tim. Bizarrement, toute une flopée de souvenirs lui monta à la gorge. Il ferma les yeux, déjà dégoûté de s'être habillé comme il était. À quoi bon ? S'il voulait vraiment la récupérer, il se serait habillé naturellement. Que voulait-il ? L'impressionner, c'est tout ? Après tout ce qu'il s'est pass...
- Salut Nath'.
Il releva la tête vivement, surpris. Nelly Jakmit était là, à le regarder avec un sourire en coin. Gêné, et par élan de galanterie, il se leva. Elle enleva son manteau noir, presque comme l'on retirerait le papier cadeau d'un objet désiré. Elle y dévoila son corps, que Nathan n'avait pas pris le temps d'observer depuis quelques années. Elle avait du mettre une heure à hésiter entre telle ou telle robe, comme d'habitude, pour opter finalement pour une courte robe violette très serrée. Tout était mis en valeur, étant donné qu'elle avait des formes fines. Sur Lou, qui était plus 'gâtée', ça ferait vulgaire. Sur Nelly, c'était terriblement aguicheur. Il quitta la robe des yeux pour remonter vers son visage, plus particulièrement ses yeux, ceux qui l'avaient marqué dès leur première rencontre. Des yeux bleus si saisissants, colorés d'un gris comme ceux des nuages pluvieux. Cerclés de noir, les cils rallongées, ses yeux étaient un peu plissés à cause de la forte lumière et ne faisaient qu'accroître la douceur de son visage, ses traits légers, comme dessinés au crayon fin . Son teint de soie, ses joues rosées, son petit nez, Nathan n'en finissait plus de trouver une quelconque touche poétique sur Nelly, qu'il ne quittait plus du regard.
Il repartait dans les années lycées.
Son parfum l'enivrait, et en lui tirant la chaise, il se mordit la joue pour essayer d'arrêter de stresser. Elle leva la main pour lui dire en ricanant de ne pas trop jouer au galant. Sa main, ses longs doigts, aux ongles parfaitement manucurés, décorés de toutes sortes de bagues, le poignet protégé par de gros bracelets en argent. Nathan secoua la tête, alerte, et s'en retourna à sa place.
- Toujours en mode 'prince charmant'... sourit-elle. Ça me fait plaisir de te voir.
- Oui, il va sans dire que moi aussi.
Mal à l'aise. Ça fait toujours ça au début, mais il pensait sincèrement qu'il garderait le contrôle. Il venait de penser que c'est elle qui mènerait la danse, et il fallait l'en empêcher.
- Alors, ça te fait bizarre de revenir ici ? demanda-t-il immédiatement.
- Un peu... Ce bar, c'est tellement de souvenirs... dit-elle avec mélancolie. Je suis à Nénucrique maintenant !
Alors que le serveur arrivait, un jeune maniéré aux cheveux violets, Nelly s'interrompit pour demander un kir. Nathan gloussa, plutôt satisfait.
- Quoi ? s'étonna-t-elle.
- Je remarque juste que tu cherches à te la péter à prendre du kir, alors que t'aimes pas ça. La même chose que d'habitude, Mike.
Elle se racla la gorge, et replaça ses très longs cheveux derrière ses épaules. Mike repartit à la hâte. Habitué à son ton cassant, Nelly prit la remarque normalement.
- Rien ne te dit que je pourrais aimer maintenant ? Après tout, ça fait un peu près quatre ans que l'on ne s'est pas revus.
- Ce genre de goûts ne change pas, même après quatre ans...
- Au lieu de faire ton désagréable, parle-moi de toi !
Nathan la considéra. Il sentait que cette soirée allait être un jeu pour eux deux, pour voir qui aurait la plus grande patience, et la plus grande intelligence. Il voyait en elle un challenge, juste pour voir s'il était à la hauteur d'une femme désirée par tout le monde. Parce que Nelly, depuis qu'elle avait été avec Nathan, était devenue bien plus attirante. Brièvement, pendant que Mike revenait avec le kir de mademoiselle et le whisky-coca du brun, il expliqua qu'il était toujours agent au B.I.C, et qu'il aimait plus que tout son métier, même si en ce moment il peinait un peu.
- Sans parler de l'affaire, ça faisait un moment que je n'avais pas vu quelque chose d'aussi sanglant...
Nelly afficha une expression triste pour lui. Elle l'avait toujours compris, et était très sensible au fait qu'il puisse un jour être choqué de par ce qu'il pourrait être amené à rencontrer dans son travail. Un des gros désaccords qui les avait poussés à se séparer.
- ... et toi ? Ton boulot ? demanda-t-il.
Elle enchaîna sur une gorgée de kir, tout en jetant un coup d'œil à la carte avant de répondre.
- Toujours dans la recherche. À Nénucrique, on est pas mal sollicités pour analyser les nouveaux fossiles retrouvés. On en a trouvé un bizarre la dernière fois ! On aurait dit un croisement entre un Amonistar et un Coconfort.
Nathan hocha la tête, faisant semblant de s'intéresser. L'histoire, les fossiles, l'espace, c'était tout ce qui lui rappelait l'école. Il la regardait, limite à moitié endormi, mais le regard tellement doux, qu'elle en ricanait.
- Tu préfères pas commander plutôt que de me mater ?
- Je sais déjà ce que je veux. Autant profiter de ce que je n'ai plus.
= =
Quand on a quinze ans, on ne sait plus quoi penser. On devient très philosophique, on s'arrête sur chaque détail de la vie, on se croit adultes, alors qu'on est encore des enfants. Cette transition rend malade, et elle est encore pire quand ça ne se passe pas comme prévu.
C'était un jour banal où Nathan était avec ses amis, tranquillement posés dans un coin, sur des bancs, près des terrains de Combat. Dans l'un de ceux-ci, un match se déroulait entre une jeune fille et un garçon réputé pour son acharnement et son impulsivité. Son Empiflor était en train de frapper le Mateloutre ennemi à coups de lianes, puis fonçait pour le gober et ainsi le mordre. La jeune fille se mit à crier, énervée, puis abandonna, désemparée. Le gaillard d'en face ne manqua pas de se moquer d'elle en passant. Il sortit du terrain en poussant la grille l'enfermant, puis partit. Nelly restait plantée là, choquée de la violence de son adversaire.
- Elle est mignonne la fille là-bas ! lança Timéo en ricanant.
- Celle qui chiale ? demanda un de leurs amis.
- Elle chiale pas, rétorqua Nathan, sur la défensive.
Se levant, il se dirigea vers la fille, suivi de près par son Arcanin. À peine l'eut-elle aperçu qu'elle se releva prestement, et prit son Mateloutre dans les bras.
- Ça va ? C'est nul les combats, hein ?
Elle le regarda avec de grands yeux ronds. Il l'observa, assez décontenancé. Ses yeux d'un gris perle, très purs et très grands, cachés derrière sa frange droite couleur noire, aussi noire que ses propres cheveux. Son visage aux contours doux et droits qui finissaient en un triangle, son sourire éclatant, rempli de maladresse et de gêne à cause d'être tombée, furent tous ces éléments qui éveillèrent en Nathan des Papullusion dans son estomac.
- Je suis désolé, je voulais pas te faire peur... rajouta-t-il.
- C'est pas grave. T'es pas obligé d'avoir pitié de moi, Nathan...
À son tour d'écarquiller les yeux. Il haussa un sourcil, un sourire malin sur le visage.
- Comment tu connais mon nom ?
- Tout le monde connait ton nom.
Elle rentra son Pokémon dans une PokéBall, et le regarda, sans bouger. Elle semblait presque émerveillée de lui parler.
- Qu'est-ce que tu crois ? sourit-il. Que je suis inaccessible ? Que je suis comme mon frère ?
Elle déglutit.
- Même si je suis dans la bande que toutes les filles ont l'air d'aduler, même si je suis le frère d'un brave enfoiré, t'as le droit de me parler sans ravaler ta salive... et accessoirement de me dire comment tu t'appelles.
Elle le regarda timidement, puis répondit dans un demi-sourire.
- Nelly.
Ses amis, dont Tim, l'observaient avec grande attention, certains pariant qu'il allait « la pécho », d'autres disant qu'elle était trop faiblarde pour lui. Nathan ne se souciait que très peu de l'avis des gens qui l'entouraient. Sa philosophie de vie, celle d'essayer d'ignorer continuellement les autres, de casser tout ce qu'il y avait à casser entre les gens, s'était déjà instaurée à partir de son adolescence. Peut-être même de son enfance.
Il proposa à Nelly, avec son assurance singulière, de se retrouver plus tard dans la soirée. Ce qui, immanquablement, marqua le début d'une longue histoire.= =
Nelly n'hésitait pas à balancer des petits sourires. Contrairement à Lou, ses fossettes ne se dessinaient presque pas. Ses joues tellement lisses, avec aucun creux, donnaient l'impression de manger avec une poupée. Une jolie poupée.
- Sinon, comment va Arcanin ? Et les autres ?
Le poulet indien de Nathan venait d'arriver, alors que la salade de Nelly était déjà posée sur la table depuis quelques minutes. Elle claquait ses ongles longs sur la table en crescendo, le temps qu'il porte à sa bouche la première fourchette. Il mâchouillait tranquillement, sachant pertinemment qu'il devait la faire attendre.
- Hm... Ils vont bien, pourquoi n'iraient-ils pas bien ?
- Parce que tu n'aimes pas combattre, et que s'ils ne se battent pas, ils perdent en tactique. Puis combattre rapproche un dresseur de son Pokémon.
- Non, je ne conçois pas ça. Ils n'ont pas besoin de se battre pour être proches de moi. Faut arrêter avec vos discours clichés pourris.
Il s'arrêtait de parler, ayant peur de sentir le curry à trois cents mètres. Il souffla dans sa bouche, huma précautionneusement l'air expiré, sous l'œil amusé de Nelly. Il aurait bien aimé lui lancer un bout de poulet, comme il faisait avec Lou ; mais c'était différent, Nelly accordait trop d'importance à son image.
- Comment va Timéo ? Et Lou ?
Nathan avala difficilement, semblant démasqué. Il commençait doucement à comprendre pourquoi il l'avait quittée.
- Ils vont bien.
Il ne renvoyait aucune question. Lui qui se sentait si hâtif à la revoir, sans doute pour espérer revivre quelque chose avec elle, au final Nathan semblait déçu.
- Tu sais... commença Nelly. Grâce à toi j'ai changé. J'ai pris de l'assurance. La femme que tu vois aujourd'hui n'aurait jamais pu être sans toi. Je voulais notamment diner avec toi pour te remercier de ça.
Il haussa les sourcils, surpris.
- Tu veux dire que t'as voulu me voir pour me dire ça ? répéta-t-il.
- Entre autres. Tu croyais quoi ?
Nathan leva les yeux au ciel, définitivement refroidi. Il avait vraiment cru que l'overdose arriverait après quelques jours.
- Je pensais que tu revenais pour moi. Pour ce qu'on avait vécu. Parce que t'avais envie de le revivre. Mais en définitive, je te sers juste à tirer un trait, pour que tu puisses aller baiser n'importe quel mec que tu croiseras dans la rue ?
Nelly écarquilla les yeux, puis sourit.
- Je t'aurais vexé ? Toi, Nathan Corwyn l'imperturbable ?
- Non. Tu me dégoûtes, c'est tout.
Il leva la main en voyant Mike pour qu'il lui apporte la même boisson. Il ne fallait pas partir maintenant, ils allaient enfin s'affronter.
- Je te dégoûte ? Ça fait même pas vingt minutes qu'on est ensemble, et tu me sors ça. T'as pas l'air d'avoir changé toi non plus, Nath.
- Qu'est-ce que tu entends par là ?
Il la dévisagea. Avec elle, il ne savait jamais comment il se sentait. Mais tout ce qu'il savait à ce moment, c'est que les espoirs qu'il s'était précédemment fondés sur elle étaient faux. Timéo l'avait vu avant lui. Elle répondit, mi-froide mi-triste.
- Cette manie de critiquer tout ce qui bouge. De casser toutes les personnes que tu rencontres. J'ai bien compris que tu en avais marre d'être trahi, mais j'ai toujours été là. Et tu me craches au visage dés que tu en as l'occasion. Si en te revoyant, je pouvais voir que tu avais changé, que ton boulot t'avait ramolli, j'aurais pas hésité à te sauter dans les bras comme je l'ai toujours fait.
- ... C'est clair que tu l'as toujours fait, ajouta-t-il.
- C'est tout le contraire en fait. Tout t'a endurci. Tu vas finir en pauvre vieil abruti.
- Tu m'insultes parce que tu m'aimes ? sourit Nathan.
Nelly ne répondit pas. En s'énervant, elle s'était un peu relevée, mais avec cette question, elle se rassit, le visage crispé. Elle bougeait avec sa fourchette quelques morceaux de salade, vaguement songeuse, le visage calé au creux de sa main.
- On m'a dit récemment...
Pendant qu'elle parlait, Nathan avait décidé de ne rien interrompre. De lui donner la sensation d'être à son écoute, attentif. Dans le fond, avec tous ses espoirs qui se brisaient, il se haïssait d'avoir pensé qu'il pouvait retenter quelque chose avec elle. Quel insecte l'avait piqué ? Il aurait mieux fait de passer la soirée avec Lou.
Lou...
- ... que ressortir avec son ex, c'était comme ravaler son vomi.
Nathan grimaça, pas ravi de la comparaison.
- Charmant... je suis du vomi, c'est ça ?
- Je t'avouerai qu'à cet instant précis, c'est ce que je pense de toi.
Bizarrement, ça ne lui plaisait pas. C'est ce qu'il détestait avec l'amour. L'impression de ne jamais avoir de sentiments fixes. Il voulait être aimé, il voulait s'en débarrasser. Entendre cela de la part d'une fille qu'il avait aimé pendant des années, qu'il n'avait pas revu depuis presque quatre ans. Peut-être qu'il n'avait pas trouvé quelqu'un capable de le blesser autant. Avec Nelly, sa carapace était inexistante, elle connaissait tout de lui.
Nathan avait descendu le whisky, et des crépitements lui montaient à la tête. Il était très sensible à l'alcool, et un mal de crâne arrivait déjà.
- Je suis désolée, déclara Nelly, je ne voulais pas être aussi sèche.
- Vous vous sentez toujours obligées de vous excuser, vous les femmes...
Elle sourit. Ce dîner était une mauvaise idée. Ils le savaient.
- Bon, au final j'ai vu mes parents. Ils allaient bien, si ça peut t'intéresser.
Le silence retentit entre eux. À côté, des éclats de rire fusaient, la bonne humeur du Bar habituelle était toujours présente. Tout le monde dégustait son plat entre deux paroles, les parents qui avaient emmené leurs enfants guettaient leur sourire pour voir si la soirée leur plaisait ; des jeunes partageaient quelques bières autour d'une table, serrés et timides face à tous ces habitués. Mélanges d'épices, de boissons sucrées, d'alcool piquants, Nathan ne se préoccupait plus de Nelly, il se contentait d'observer les environs. Au loin, il aperçut deux gamins d'une dizaine d'années, accompagnés d'un Maracachi et d'un Pijako, en train de faire de la guitare et du tam-tam. La musique était vraiment étouffée par le bruit, seules les quelques notes de chant du Pijako s'entendaient distinctement. Une jolie mélodie entraînante.
Chant... Mélodie...
Voilà où était le problème. Il ramenait toujours tout à elle. Nelly devait être comme elle. Mais elle ne l'était pas, bien sûr.
Nathan commença à attraper un papier et le balança prestement sur Nelly.
- C'est quoi ça ? demanda-t-elle en les prenant du bout des doigts.
- Marque ton numéro et ton adresse dessus, je saurais où tu habites si je veux venir te voir, dit-il tout en posant une trentaine de PokéDollars sur la table.
- Ça y est, le dîner est fini ?
- C'était une mauvaise idée, et tu le sais.
Il enfila son blouson noir, pendant qu'elle hochait la tête doucement en acquiesçant. Elle griffonna ses coordonnées sur le papier, le tendit à Nathan. Ce dernier lui adressa tout de même un sourire, lui déposa une bise au dessus de la joue.
- Faut pas croire. Tu sais très bien ce qu'il se passe vis-à-vis de toi, commença-t-il. J'ai beau avoir été dingue de toi, j'ai compris que rien ne nous rapprochera plus jamais. Je suis désolé.
= =
Nathan était au volant de sa voiture, le pied sur la pédale d'accélération, semblant pressé. La ville plongée dans le noir, traçait un chemin grâce aux sillons de lumières, vers un autre genre de bar. Ce dernier est en revanche bien moins fréquenté que le Yotuba, pour la simple et bonne raison qu'il visait une certaine classe sociale. Du genre, celle des Lacklaye, les parents de Timéo et Serah. Nathan se gara rapidement devant la grande bâtisse blanche. Un grand bonhomme accompagné d'un Manternel servait d'homme d'accueil. Nathan le salua rapidement puis entra, foulant le tapis bleu marine avec ses chaussures même pas cirées.
Ce n'étaient que des gens pleins aux as, qui venaient dépenser leur argent comme il se doit. Même pour Nathan, ce bar puait la richesse, il avait au moins l'avantage d'accepter les Pokémon en son sein. Il en profita donc pour sortir son Arcanin. Ça faisait tellement classe de se balader avec un chien si majestueux. Il déboucha sur la pièce.
Elle était là.
En dehors des multiples carrés en verre coloré, des personnes habillées en smoking, robes somptueuses, des longs verres de martini ou Manhattan à la cerise, il y avait cette estrade, ce petit carré de béton blanc cassé surélevé. Dessus, un bassiste, un guitariste, et une femme pas très grande, moulée dans sa robe marron échancrée qu'elle adorait mettre quand elle chantait. Lou tenait le micro entre ses mains, ses mains avec les ongles rongés, habillées d'une seule bague, une bague ornée d'un petit Magneti en argent. Il avait de la chance d'arriver pour écouter au moins une chanson. Elle plaça sa bouche près de l'appareil sonore, et ferma les yeux. Les lumières se tamisèrent, ils étaient presque dans le noir complet. Nathan se tourna vers le public et les virent tout sourire. Il se posa contre le mur,
et l'observa, attentif. (Musique.)
I'll sing it one last time for youJe le chanterai une dernière fois pour toi Then we really have to goEnsuite il nous faudra réellement y allerYou've been the only thing that's rightTu as été la seule chose de bienIn all I've done Dans tout ce que j'ai faitÉtait-ce la beauté de sa voix, le fait de la voir, ou la succession d'évènements qui lui donnaient cette sensation de chaleur au ventre ?
Light up, light upIllumine-toi, épanouis-toiAs if you have a choiceComme si tu avais le choixEven if you cannot hear my voiceMême si tu ne peux pas entendre ma voixI'll be right beside you dearJe serai juste à côté de toiLou baladait son regard un peu dans la pièce, même si elle fixait un point précis la plupart du temps. Bizarrement, elle semblait absorbée dans les paroles, se reconnaissant dedans.
To think I might not see those eyesDire qu'il est possible que je ne voye plus ces yeuxMakes it so hard not to cryEst trop dur pour ne pas en pleurerAnd as we say our long goodbyesEt pendant que nous éternisons nos au revoirsI nearly doJe pleure presqueIl comprenait maintenant. Pourquoi il n'arrivait plus à aimer Nelly. C'était pas assez beau que ce qu'il éprouvait pour Lou. Et ça ne le sera jamais. Nelly était un premier amour qui avait enduré les épreuves de sa vie, et Lou était une amie qui avait traversé le passé jusqu'à aujourd'hui sans aucune encombre. Tout ce qu'ils avaient partagé ensemble, sans jamais aller aussi loin qu'avec Nelly, mais avec tellement d'ambiguïtés dans leurs gestes... C'était indélébile. Ineffaçable.
Il écoutait sa voix monter avec puissance, il ferma les yeux pour s'en imprégner. Dire qu'il avait failli rater ça. Il commençait à savoir pour qui il voulait faire des efforts, ou pas. Lou le méritait. Juste pour l'avoir supporté autant d'années sans jamais ne s'être plaint une seule fois. Nathan ne pouvait pas la laisser. Il avait besoin d'elle ; et il était sûr qu'elle avait besoin de lui. Arcanin regardait son maître, et Lou, haletant et les yeux grands ouverts, semblant tout content. Avec ses 1 mètres 50, il dérangeait un peu plus que les petits Snubble et Ponchiot. Nathan posa sa main sur la tête du chien légendaire, et l'ébouriffa.
Lorsque Lou achevait ses dernières notes, son regard s'arrêta net sur Nathan. On aurait dit qu'elle avait vu un fantôme. Elle continuait de chanter naturellement, bien que ses doigts se crispèrent sur le micro. Quand elle finit, elle le fixa de ses yeux vairons, le regard presque suppliant. Elle replaça une de ses mèches de cheveux derrière l'oreille, gênée, et malgré les applaudissements qui tonitruaient, elle ne resta pas sur l'estrade et descendit. Un homme en costard blanc lumineux la remercia allègrement pendant qu'elle se dirigeait vers une table précise. Nathan plissa les yeux lorsque la lumière revint et commença à se diriger vers elle. Il poussa gentiment quelques personnes, la mine réjouie, et une fois que le passage fut dégagé, il écarquilla les yeux. Lou, adressant un grand sourire à un homme, totalement inconnu, à première vue assez riche, qui l'attrapait par la taille. Nathan haussa les sourcils, choqué, éhonté, en rage. Il tapota le dos d'Arcanin et rebroussa chemin. « La pire soirée que j'ai passée depuis un bon moment... » pensa-t-il, la tête baissée.
Il se remit à pousser les gens, cette fois-ci pas très gentiment, quand une main se posa vivement sur son épaule. Nathan se retourna et découvrit la bague avec le Magneti, puis le visage gêné de Lou.
- Qu'est-ce que tu fais là ?? demanda-t-elle.
- Je... J'étais passé te voir.
Elle acquiesça, rougissante. Elle salua Arcanin, qui était visiblement excité de la voir.
- Je suis désolée...
Il releva la tête, sourit faiblement et posa sa main sur son épaule.
- Tu as très bien chanté. C'était magnifique... Bonne soirée, l'alien.
Il s'éloigna d'elle, et la laissa là, seule, plantée dans une foule d'étrangers. Elle ne faisait pas partie de ce monde. Pourquoi tentait-elle de s'y intégrer ? Et Nathan alors ?
« J'aurais aimé être celui pour qui tu chantais... »
= =
Quand on ne passe pas une bonne soirée, on ne passe pas une bonne nuit, c'est en soi logique. On a beau être entouré de ses Pokémon, avoir zappé toutes les chaînes de la télé pour se changer les idées, rien y fait. On va pas bien, point.
Après avoir trouvé le sommeil aux alentours de 3 heures ou 4 heures du matin, Nathan avait dormi une bonne douzaine d'heures. Il s'était réveillé en trombe et s'était enfilé quelques cafés, avant de se diriger illico à son travail, là où il avait trouvé Greta. Rien que de la voir, sa mine bougonne s'était effacée.
- Mon Skitty au miel ! Comment tu vas ? Ça va ? Bien ?
- Au poil Greta, au poil.
- T'es sûr ? T'as l'air d'avoir la mine fadasse mon grand ! dit-elle en l'examinant de près. Tu veux un café ? Allongé ? Rassure-toi, je sais comment tu les aimes !
- Non, je veux rien, t'es gentille.
Les grosses lunettes rondes de Greta se dressèrent, et ses talons se mirent à clapoter dans la pièce.
- Oulah, toi ça va pas mon petit bonhomme.
- Je n'ai aucune piste pour cette enquête, le seul suspect qu'on avait a été innocenté, et il n'y aucun mobile pour le meurtre qui a été soulevé. Isis est aussi clean que Kyle est harassant.
Elle s'arrêta de marcher, pensante. Elle aussi semblait embêtée de la situation. Elle partit en direction de son petit bureau et feuilleta un fichier coincé dans une pochette en carton tamponnée. Nathan s'assit sur une table d'autopsie, patient.
- Effectivement... Moi non plus je n'ai aucune piste. Hormis ce que je vous ai dit la dernière fois, je n'ai rien trouvé d'autre, annonça-t-elle tout en continuant de farfouiller dans ses papiers.
La belle vie. C'est simple. Quoi de mieux que de se faire jeter par une ex, une amie, et ne pas avancer dans son boulot ? Cette impression de ne pouvoir aider personne, de ne pas pouvoir rendre la vérité aux parents d'une victime, c'était pour lui comme porter le meurtre sur les épaules. Et le poids de la culpabilité est lourd à porter.
- Il ne nous reste qu'une solution...
Greta regarda Nathan, étonnée et à l'écoute.
- ... attendre le prochain meurtre.
= =
Le jour suivant, Nathan n'avait fait que flemmarder dans son lit. Il oscillait entre un café, un léger entraînement avec Kirlia ou Heledelle, partait devant la télé, mangeait un cookie, et ainsi de suite. Lassé au bout d'un moment, il décida d'appeler la seule personne présente dans ces moments. Dans la canapé, recouvert d'une fine couverture à cause de la fraîcheur du soir, Phyllali affalée sur lui, il tenta d'attraper le téléphone posé sur la table basse en verre. Un bruit d'éclat retentit vers la chambre. Devant se lever pour aller voir, il put prendre le téléphone et composa le numéro.
- « ... Ciel ! Mon meilleur ami m'a appelé !! C'est qu'il ne doit pas aller bien, » ironisa Timéo.
- Attends...
- Qu'est ce qu'il se passe ? Ça va pas ?
- Non rien, c'est la voisine qui a encore renversé la poubelle. Tu veux pas venir, là ?
De l'autre côté du combiné, il y eut un petit blanc. Puis un maigre rire féminin se perdit dans l'immensité du silence.
- Baaah... Je veux pas te méprendre Nath', mais là ça va pas être possible pour ce soir, j'ai beaucoup de boulot...
- Et une cliente est en train de t'aider, hun ?
Timéo déglutit, assez gêné.
- T'en parles pas hein, monsieur l'agent ? le supplia-t-il.
- Penses-tu, j'ai tellement l'habitude. Mais bon, pour un homme de loi.
- Si ça va pas, prends un café et... passe voir Lou !
Nathan répondit rapidement par la négative.
- Bon. Je passerai demain. Je ramène bières et chinois, et dans la semaine, on ira faire un truc, ça te va ? Je dois vraiment te laisser, mes talents sont demandés.
L'agent soupira et raccrocha. Dans un sens, Tim avait raison, autant aller chercher un dernier café, et tenter de trouver un documentaire télévisé sur la reproduction des Barbicha. Il prit une tasse, la remplit de café, et la dégusta sur son canapé. Phyllali commençait à tourner en rond, attendant qu'il lui autorise l'accès à côté de lui. Il tapota le canapé à sa gauche, et cette dernière monta. Rapidement saisi d'un coup de barre, il ne tarda pas à s'endormir.