003 - Quand la zizanie s'incruste
Je présente des excuses à mon ami Tim.
-Désolé pour tout à l'heure, je me suis conduis comme un con, j'aurais pas dû raccrocher comme ça...
Timothy est mon meilleur ami depuis tout petit. On s'était rencontrés à la maternelle, en moyenne section plus précisément. C'était le jour de la rentrée. Il errait dans la cour de récré, sans ami. Je suis le seul à être venu le voir, et on a joué ensemble. On a remarqué au fil du temps que nous avions beaucoup de points communs. Mais c'est le genre de personne qui aime bien emmerder le monde quand il ne le faut pas.
Là, il se tient en face de moi, car il est venu le plus vite possible après l'appel court et brusque. Je l'ai mis au courant à propos de tout.
-Bon, c'est pas grave, dit-il. J'aurais pas dû blaguer alors que ton amie était souffrante.
Heureusement, Tim est très compréhensif quand il veut. Je fais :
-D'ailleurs, il va falloir que je lui parle après qu'Emmy nous autorisera à la voir.
-Sinon, c'est cool Bora Bora ?
-Ouais, je m'amuse à plonger dans un bon bain de médocs !
Nous rigolons de bon coeur. Emmy, accompagnée d'une infirmière que je ne connais pas, vient nous voir en nous disant :
-Judith est hors de danger, vous pourrez la voir quand elle sera réveillée.
-Nickel ! Fait Tim avec un grand sourire.
Je baisse les yeux.
-Tim, je te laisse deux secondes, il faut que je parle aussi au Dr Meline.
-OK, vas-y, fais ce que tu veux...
Je me dirige vers Emmy qui s'éloigne déjà vers une autre chambre.
-Emmy !
Elle ne se retourne pas.
-EMMY !!!
Elle a un sursaut. Mais elle continue de marcher.
-S'il te plaît...
Je cours presque, malgré la douleur.
-Pas la peine de m'ignorer...
Emmy serre brusquement les poings et se retourne. Elle crie :
-Si tu veux savoir, cette salope de Shirley a été dire au chef de l'hôpital que je m'amusais avec toi et à cause d'elle, je ne dois plus te parler, au risque d'être virée d'ici ! Et ne fais pas semblant de ne pas avoir entendu la conversation de la dernière fois, je SAIS que tu SAIS !! Tu peux pas savoir comment je la DETESTE, cette GROSSE MERDE !!!
Je suis perplexe. Je n'ai jamais vu une colère pareille. Elle suinte la haine. Je balbutie :
-E...Emmy, je... calme-toi...!
-NON, JE NE ME CALMERAI PAS !!! JE VEUX QU'ELLE AILLE SE FAIRE FOUTRE !!! Je... J'aime mon travail, c'est tout pour moi ! J'aime énormément les enfants, c'est pour ça que je fais infirmière en pédiaterie. Et cette... cette sale... Nnng...
-Je comprends, Emmy, j'ai la même chose... cette explosion a réduit à néant mon rêve.
Emmy me regarde avec des yeux haineux, sans doute envers Shirley.
-La prochaine fois qu'elle caftera, je lui casserai la gueule !
J'équarquille les yeux, profondément choqué.
-Euh...
Elle ferme les yeux et commence à repartir.
-Non, attends !
Elle se retourne.
-C'est pas à moi qu'il faut que tu dégages ta haine, c'est sur Shirley. Moi, j'y suis pour rien.
-T'as raison.
Elle part en claquant les pieds. Je reviens vers Timothy en soupirant. Il me dit :
-Oh la la, ça a chauffé ! J'ai vu la scène de loin et je peux te dire qu'elle était furax, l'infirmière.
-Ca ne te regarde pas.
-Toi non plus.
-Elle a un problème, je l'aide !
-V'la qu'il fait son gentleman...
Je trouve une idée pour l'occuper. Je lui en fait part :
-Eh, tu vas voir dans quelques minutes... ça va gueuler dans l'hôpital !
-A cause de la furax.
-Je te prie de ne pas l'appeler comme ça !
-Ok... Y a des pop-corns ?
-Euh, tu sais très bien que je n'aime pas ça...
Et on se tape une discussion pour patienter. Nos paroles résonnent dans le couloir. Quand Emmy m'a expliqué son problème, ça m'a rappelé un vieux souvenir. Je me laisse dériver en proie au passé.
~~~
J'ai 5 ans. Je suis avec Tristan et nous écoutons nos parents se disputer. Maman crie sur papa.
-T'aurais pas dû t'engueuler avec Xavier ! Maintenant, il ne veut plus nous parler !
-En même temps, t'aurais pu ne pas lancer des anecdotes gênantes sur moi !
-Si je l'ai fait, c'est parce que tu te fout de ma gueule en permanence ! Et si t'es pas content, tu prends tes affaires et TU VIRES DE MA BARAQUE !!
-JE RESTE SI JE VEUX !!!
-Ok, alors C'EST MOI QUI TE JETTERAS A LA PORTE !!!
Papa prend une sacoche. Il semble vouloir frapper maman avec.
-Tu veux ça dans LA GUEULE ?!?
-Tu fais ça, j'appelle les flics !
-Tant mieux, comme ça, je réglerai mes comptes avec toi de façon légitime devant eux !
Maman attrape le col à papa et plaque celui-ci sur le mur.
-TU ME PARLES AUTREMENT !!! C'EST PAS UN PETIT CONNARD COMME TOI QUI VA M'EMPECHER DE VIVRE MA VIE COMME JE LA VOULAIS !!!
-TRES BIEN !! JE REFLECHIRAI A DEUX FOIS AVANT D'EPOUSER DES FEMMES COMME TOI !!!
Je m'interpose entre eux et, les yeux pleins de larmes, je gémis :
-Arrêtez, s'il vous plaît...
~~~
-Eh, ça va Aaron ?
J'ouvre les yeux et je découvre Tim penché devant moi avec un air inquiet. Je soupire.
-Ouais, ça va super bien.
On entend des pas résonner au loin. Emmy arrive avec une expression indechiffrable au visage. Elle nous aborde en disant :
-Votre amie Judith souffre d'une crise d'asthme. Elle est actuellement dans la chambre 108. C'est au bout du couloir, à droite.
-Merci Emmy.
-Bon, j'y retourne envoyer ses quatres vérités à cette pouffiasse de Shirley...
Je lui souris. Tim affiche une mine intrigué. D'abord indecise, puis déterminée, Emmy se dirige vers le bureau des infirmières. Tim me regarde.
-C'est à propos de tout à l'heure ? me demande-t-il.
-Bien deviné !
Nous nous dirigeons vers la chambre 108. Tout d'un coup, Tim sort son Roselia. Je m'interroge et il me répond :
-Comme Judith est une fille, j'ai eu l'idée de mettre un peu de parfum dans sa chambre.
-Euh... si tu veux...
-Bon, je passe devant et j'ouvre la porte !
-Ok...
Il fait ce qu'il a dit et nous découvrons une Judith pâle avec un masque à oxygène sur la bouche. Cela me jette un froid. Tim fait un pas en arrière. Judith ouvre un oeil. Tim fait :
-Euh... Roselia, Doux Parfum !...
Roselia s'exécute. Je suis charmé par l'odeur du parfum. Judith semble sourire derrière son masque. Elle l'enlève pour parler.
-S-salut... uuuuuh... les garçons...
Je suis complètement déboussolé.
-Salut, Judith... ça va ?
-Pas mal, vu mon état. Uuuuuuh...
Judith tousse cinq fois en se tenant la gorge, puis elle soupire. Je m'approche d'elle en la questionnant :
-C'est grave ?
-Pas plus grave que toi...
-Je suis rassuré alors...
Tim, resté en retrait, lève la tête.
-Moi aussi, fait-il simplement.
Je prie Timothy de s'en aller pour parler seul à seule avec Judith. Il accepte et passe la porte en la fermant. En entendant le «clac !», j'arpente la pièce en soupirant, ne sachant que dire à part :
-D'accord, d'accord, d'accord...
-Et si tu me disais ce que tu as derrière la tête ? Suggère-t-elle.
Je dirige mon regard vers elle. Je prends une grande inspiration puis assène :
-Ouais. Tout d'abord, je voudrais savoir pourquoi tu ne nous a pas dit plus tôt que tu étais asthmatique...
-T'es pas un inspecteur de police à ce que je sache...
-Non, mais j'en ai tout l'air. Et toi, ça te dirait de répondre ?
J'ai parle un peu trop sèchement et je m'en excuse précipitamment. Elle passe sa main dans ses cheveux.
-J'ai préféré ne pas trop importuner les employés et le chef de ma maladie.
-C'est complètement idiot.
-J'sais.
Je mets ma main gauche sur mon front (à l'endroit où il n'y a pas de blessure).
-M-maintenant, ça m'embête bien... balbutié-je. Mais ce que je ne comprends pas, c'est que, à courir comme une dératée pareille, c'était sûr que tu fasses une crise d'asthme. Alors pourquoi tu as pris ce risque ?
-Tu devrais t'en foutre de ma santé.
-T'es mon amie, je vais pas te laisser paître !
Elle me regarde intensément.
-Ecoute. Je sais pas où tu vas chercher que je suis ton amie. Je t'ai obéi parce que tu es mon supérieur, puisque je suis qu'une simple collectrice d'informations à l'ARPP. Tout ce qui compte, c'est mon boulot, car moi aussi j'aime ce travail !
Je me décompose.
-Mais enfin... Judith... t...t'es...comme Mr Weggler !
Mr Weggler est notre voisin. Il est aussi indifférent aux sentiments que ma soi-disant amie Judith.
-T'as tout compris, lance-t-elle.
J'ai la tête qui tourne. Personne ne m'avais jamais bouleversé ainsi.
-Et puis j'ai mes secrets, ajoute-t-elle froidement.
Je me demande qu'est ce que j'ai fait pour la rendre aussi distante. Je suis dans mes pensées quand j'entends une voix féminine crier derrière la porte.
-...ALORS LA PROCHAINE FOIS QUE TU ME METS DES BATONS DANS LES ROUES, SHIRLEY, TU VAS SAVOIR COMMENT JE M'APPELLE !!!
Et c'est la voix angoissée de Shirley qui répond :
-Arrête de te gratifier un...
-C'EST MOI QUI VA TE GRATIFIER LA GUEULE SI TU CONTINUES !!!
-Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Emmy...
-TU LA FERMES ET TU M'ECOUTES... !!
-De... quel droit tu te permets de m'insulter de la sorte alors que je suis...
-JE T'AI DIT TU LA FERMES, SALE CONNASSE !!
Je suis consterné.
-Euh...
-Je t'ai toujours détestée, Shirley, tu me fais chier à longueur de temps avec tes airs supérieurs et ça va faire un mois que je rêve de te rentrer mon poing dans tes dents, pour les voir sortir de leur gencive et se planter dans le mur ! Mais c'est toi qui a poussé le bouchon trop loin ! Tu croyais que j'en avais quelque chose à foutre de ta vie, alors que c'est exactement tout le contraire ! Tu me fais pitié, toi et tes talons aiguilles ! J'espère qu'après t'avoir bien humilié devant tes collègues, tu vas me laisser exercer mon métier d'infirmière en pédiatrie sans te mêler de ce qui ne te regarde pas !
Ce discours m'a fait penser à la scène que je viens de passer avec Judith. D'ailleurs, je tourne ma tête vers elle, et elle affiche un sourire sarcastique. Pendant ce temps, j'entend Tim qui jubile d'entendre la dispute. Lui, c'est un vrai fana de grabuge...
Plus aucun bruit du côté d'Emmy et de Shirley. La voix de Judith atteint mes oreilles :
-T'as fini, ou on attend qu'il neige ?
Hésitation de ma part.
-Hm...oui...
Je sors en tremblant. Je croise Timothy derrière la porte qui s'exclame :
-Ouah ! T'aurais vu la tête que tirait «Shirley» ! Un peu plus et ils se tapaient dans la tronche avec des manches à balais ! Mais... eh, Aaron, ça va pas, t'es blanc comme jamais !
Il a remarqué mon air abattu.
-Oui...
-Arrête de faire semblant que tu vas bien, je te connais trop pour me laisser duper.
Je ne dis rien et je retourne dans ma chambre, le regard perdu, avec la douleur à mon ventre qui se ravive.
~~~
-Allez, dis franchement ce qu'il s'est passé... fait Tim.
-Rien du tout...
J'ai le même discours depuis tout à l'heure.
-Tu me le dis ou sinon je te laisse tomber.
-M'en fous.
-Ok...
Il me supplie de savoir depuis un quart d'heure.
-C'est pas en gardant la tête baissée et en ne confiant pas ce qu'il s'est passé que tu vas aller mieux.
-Laisse-moi tranquille un peu, ça me feras du bien...
-C'est à cause de Judith...
-T'es sourd ou bouché ?
-Les deux.
-Humph...
Pas moyen de le faire partir. En plus, il rapplique :
-Tiens, pour se changer les idées, est-ce que tu as des infos sur l'explosion à l'Agence ?
-Ouais... le chef, y s'est barré on-ne-sait-où, un cadavre a été retrouvé dans les décombres, la police est sur l'affaire et Narbisa est bouleversé. Voilà !
-D'accord, merci.
Il a l'air de chercher quelque chose à dire.
-Est-ce que t'as des nouvelles de Tristan ? questionne-t-il.
-Il va bien, Flore aussi, bref, c'est cool.
-Et tes parents ?
-Ils ne se sont pas remis ensemble.
-Et tes poissons ?
J'explose :
-Putain ! L'Agence a été détruite et tout ce qui t'occupes, c'est des nouvelles de ma famille ?!
-Ben ouais, c'est bien la famille...
-Tu te rends compte qu'on a plus de boulot ! Comment on va faire ?!
-C'est pas la mer à boire...
-Tu t'en fous !
-Exactement !
-Alors si je te dis que Judith se fout complètement de sa relation avec moi et que son seul but, c'est de bien travailler à l'Agence, ça va t'intéresser !
Il en reste bouche bée.
-C'est vrai ?! C'est pour ça que t'es si abattu ?
-Nan, c'est parce que la reine d'Angleterre vient d'annuler notre dîner de ce soir ! ironisé-je.
Il se met à sourire brusquement.
-Eh, ça cacherait pas quelque chose ?
-Quoi ?
-Tu...
Il fait de drôles de gestes incompréhensibles.
-Tu peux pas être plus clair ?
-Oh mon dieu...!
Il éclate de rire sans raison. Après avoir reprit son souffle, il écarquille les yeux.
-Oh non, ne me dit pas que...
-Tu vas me dire à la fin ce que tu as là ?! m'agacé-je.
-Toi et elle...
Il me fait un cœur avec ses mains. J'en crois pas mes yeux.
-Tu insinue que...
Il continue à rire et je lui fiche une baffe sur la joue. Il n'en revient pas.
-Que... qu'est-ce que tu viens de me faire là ? Tu viens de me frapper ?!
-Excuse-moi... je... je sais pas ce qui...
-Ta gueule !
Je m'étonne.
-Alors celle-ci, tu ne me l'avais jamais faite ! M'en foutre une, et après ce sera quoi, hein ? Un coup de pied dans les valseuses ?!
-Je...
-Toi aussi tu m'agace depuis tout à l'heure !
-...
-Tu n'aurais pas dû...
Il se lève et attrape la poignet de la porte.
-Ne compte plus sur moi pour te rassurer ou quoi que ce soit !
Il s'éclipse. Judith m'engueule et voilà que Tim, mon meilleur ami, ne me parle plus. Je me persuade que je suis le pire des cons...
~~~
Emmy vient une heure plus tard en soupirant de satisfaction.
-Aah, ça fait du bien de crier de tout son soûl...
Elle voit ma mine dépitée.
-Bah alors, qu'est-ce qu'il y a ?
Pour toute réponse, je prends mon oreiller et j'enfonce ma tête dedans jusqu'à manquer d'air. Du coin de l'œil, je distingue Emmy qui hausse les épaules et commence à préparer un sachet de médocs à mettre dans ma perfusion. Je sens le liquide froid couler, accompagné du sang dans mes veines. Je lutte pour garder mes larmes bien au chaud dans mes yeux.
Sans un mot, Emmy repart et me laisse tout seul dans ma tristesse de perdre les gens les plus importants de ma vie.
~~~
Troisième jour à l'hôpital, furieuse envie de se suicider. Cette fois-ci, c'est Shirley qui vient me voir pour me donner un petit déjeuner. Elle est dans un état pas possible. Sa tête prête à rire, et grâce à ça, je reprends du poil de la bête. D'un air innocent, je lui dis :
-Dites, vous avez une mauvaise mine aujourd'hui dites donc !
-Beuh...
Je me pince la jambe pour ne pas éclater de rire. Mais tout d'un coup, j'ai une idée.
-Vous avez des journaux ?
-Bhouais, je vais te le chercher...
Elle s'efface mais revient peu après avec le journal du jour. En gros titre, il y a marqué «NARBISA EST SOUS LE CHOC : DESTRUCTION DE L'ARPP !». Je vais à la page indiquée par le sommaire et je tombe sur un texte résumant la situation actuelle.
«Il y a quelques jours, à Narbisa, non loin de Parsemille, une explosion a décimé l'ARPP (Agence de Recherche des Pokémon Perdus). La police ne connaît pas la cause de la destruction, si ce n'est qu'il y a une victime, actuellement en cours d'analyse. Le corps a été transporté à l'institut médico-légale de Hyakandra pour un examen complet du cadavre. Les résultats devraient tomber demain, ou au pire le jour d'après.
Il est impossible de déterminer si l'explosion est d'origine criminelle ou accidentelle. Plus de cinquante policiers sont sur les lieux. Toute l'équipe de rédaction du journal souhaite un bon rétablissement au blessés. Une famille a accepté de se faire interviewer. [...]»
Ceci ne m'en apprend pas plus. Le temps de lire l'interview, Shirley est déjà partie. Je suis dans une impasse totale à cause de mes blessures, ce qui m'empêche de venir sur les lieux avec les flics. Tout ce que je sais, c'est que je serai là-bas quand je sortirai d'ici.