Chapitre 14 : Un Vieil Ami
-Suivez-moi, il y a quelqu'un qui veut vous voir.
Ce n'était pas trop tôt ! J'avais craint que l'Ombre ne nous aie abandonnés ici, mais il semblait bien que ce n'était pas le cas. Un instant j'eus envie d'attaquer le Pokémon qui nous faisait face afin de m'échapper, mais d'un autre côté, une immense curiosité m'envahissait.
Celui ou celle qui demandait à nous voir était sans doute le commanditaire en personne et si jamais je parvenais à m'échapper maintenant, je ne saurais peut-être jamais qui il était. Le meilleur moyen de vaincre son ennemi, c'est de le connaître un tant soit peu, selon un certain proverbe de je ne sais plus trop qui.
Bref, à ce moment-là, je décidai de jouer le jeu, afin de voir à qui j'avais affaire.
Malheureusement, Raichu n'était pas dans le même état d'esprit que moi.
-Toi ! S'écria t-il. Comment j'ai pu me laisser berner par une ordure pareille ?!
-C'est simple, vous n'avez jamais été très futé, rétorqua Scalproie.
-Tu étais mon meilleur agent ! Pourquoi es-tu devenu un assassin ?!
-Vous ne comprenez vraiment rien, hein ? Je me suis engagé dans la police en pensant que cela me ferait une belle couverture. J'ai été collé en prison après mon premier méfait, quand j'étais jeune, pour agression. J'y suis resté un moment, mais en sortant, j'ai décidé de berner tout le monde. Je me suis engagé dans la police en prétendant avoir changé mais en réalité, j'étais un assassin de première classe. Je pensais que personne ne songerait à chercher du côté de l'un des meilleurs agents de police de Doublonville, mais je me trompais...
Il me lança un regard noir en prononçant ces derniers mots. Quoi qu'il arrive, il ne me faisait plus peur. Cependant, quelque chose me tracassait dans ce qu'il avait dit. Son histoire me rappelait quelque chose...C'était...Oui, c'est cela ! Le dossier A-24 ! Laggron et un Scalpion avaient attaqué un Pokémon afin de lui voler son sac, ou une broutille du genre ! Mais Scalpion avait été violent et avait handicapé la victime à vie ! Les deux Pokémon étaient allés en prison et Laggron avait été libéré pour conduite exemplaire.
Se pouvait-il que le Scalpion mentionné ici soit celui du dossier ? Après tout, je n'avais pas cherché d'informations à son sujet. Si j'avais prêté un peu plus attention à ce Pokémon, peut-être aurais-je découvert qu'il était l'Ombre plus facilement ! Mais si jamais c'était lui, cela signifiait...Qu'il connaissait Laggron ! Il y avait peut-être quelque chose à en tirer.
-Eh, lançai-je. Votre passage en prison...Vous étiez accompagné, pas vrai ?
-On ne peut rien vous cacher...Et j'imagine que vous savez aussi qui était le second passager de la voiture qui nous emmenait dans nos cellules...
-En effet. Est-ce que vous savez ce qu'il est devenu ?
Il ne répondit que par un sourire.
-Je vous ai demandé de me suivre. Le patron n'aime pas qu'on le fasse attendre.
-Répondez à ma question !
-Pour quoi faire ? Vous devriez plus vous inquiéter pour vous que pour lui. Je vais peut-être devoir faire des heures sup, vous savez...
-Je te laisserai pas faire, Scalproie ! S'écria Raichu en se précipitant sur lui.
-Raichu, non ! Tentai-je de l'arrêter.
Mais il était déjà sur Scalproie, fou de rage et il le frappa d'une Vive-Attaque particulièrement violente qui projeta l'assassin contre le mur.
-Prends ça !
Il l'électrocuta d'un coup d'Eclair puis enchaîna aussitôt avec Queue de Fer. Il choisissait visiblement ses attaques au hasard, ce qui n'était pas très judicieux car l'ennemi étant de type Acier/Ténèbres, il possédait de nombreuses résistances.
-Tiens, voilà une augmentation ! Hurla Raichu en lançant une attaque Tonnerre.
Mais malgré toutes ces capacités, l'Ombre se releva et lui jeta un regard noir. Il s'avança lentement vers Raichu et celui-ci, fougueux, attaqua une nouvelle fois avec Vive-Attaque. Le criminel anticipa cependant l'attaque et l'esquiva agilement avant de frapper d'un coup de Tranche-Nuit.
Je me souvins que les Scalpions évoluaient à un niveau assez élevé, ce qui laissait supposer que celui-là était très puissant.
-Gne...
Raichu ne parvenait plus à se relever, ko. L'Ombre le souleva et le plaça par dessus son épaule comme s'il s'agissait d'un cadavre dont il devait se débarrasser.
-C'est bon, vous êtes calmés ? Lança t-il avant de me menacer à l'aide d'une de ses lames. J'emporte celui-ci, toi tu vas marcher. Allez !
Je quittai la cellule suivi par l'assassin et regardai autour de moi. Comme je le pensais, nous nous trouvions dans des égouts. Nous marchions dans l'un de ces géants conduits. Je pouvais voir les eaux usées circuler dans une tranchée, juste à côté de moi.
-Où sommes-nous exactement ?
-Sous Oliville, répondit Scalproie, indifférent. Ce conduit débouche dans le port, plus loin.
Nous étions à Oliville ? Voilà qui était étrange...Nous avions donc quitté Doublonville et traversé une bonne partie de la région ? Je me demandais toujours comment il avait pu nous transporter jusque là, mais ce n'était pas le plus important.
Après avoir marché environ cinq minutes, nous nous trouvâmes face à une autre porte métallique qui indiquait : « Interdit au Public ».
Mon guide toqua quatre fois puis une voix rocailleuse retentit de l'autre côté.
-Mot de passe, exigea t-elle.
-Voltali, répondit Scalproie.
-Parfait, j'ouvre la porte.
Un cliquetis semblable à celui qui m'avait réveillé retentit et comme l'avait dit l'autre Pokémon, la porte s'ouvrit lentement, laissant apparaître un Gravalanch qui nous fit signe d'avancer.
L'intérieur était complètement délirant. On avait l'impression d'être sorti des égouts.
Les murs étaient recouverts de plaques métalliques et un réseau de couloirs avec des panneaux à chaque intersection peuplait les lieux.
-Qu'est-ce que c'est que ce...commençai-je.
-Impressionnant, n'est-ce pas ? Coupa Scalproie. L'endroit est très bien entretenu.
Je ne posai plus de question car nous nous arrêtâmes devant une porte de bois sculptée minutieusement. L'Ombre respira un grand coup, comme s'il avait peur, et il frappa.
-C'est ouvert, répondit une voix qui m'était familière.
Je frissonnai. J'allais enfin découvrir le visage de celui qui avait ordonné ces meurtres et qui m'avait fait passer pour un fugitif.
L'Ombre ouvrit la porte. Nous entrâmes et mes yeux s'arrondirent lorsque je vis le Pokémon qui nous regardait depuis son bureau.
-Jungko ! S'exclama t-il sur un ton enjoué. Te voilà enfin !
Je crus que j'allais m'évanouir. Le Pokémon que nous traquions, le criminel qui m'avait mis dans cette situation délicate après avoir ordonné plusieurs meurtres, c'était...mon mentor.
Le commissaire Laggron en personne me regardait avec l'expression compatissante qu'il arborait souvent lorsque nous travaillions ensemble.
-M...Mais...bégayai-je.
-L'endroit est impressionnant, n'est-ce pas ? Lança t-il. Ca, j'en ai eu pour mon argent. Le marché noir a fait du bon boulot. Mon bureau est somptueux, tu ne trouves pas ?
J'étais trop abasourdi pour regarder. Laggron parlait comme si nous nous étions vus hier et il décrivait ses étagères remplies de livres et de dossiers comme s'il était seul.
-Jungko, poursuivit-il. Ca fait un bail, hein ? Combien, déjà ? Trois, quatre ans ? Tu es devenu un commissaire réputé, selon mes informations. En tout cas, tu as l'air bien plus fort que lorsque tu étais mon adjoint, ça crève les yeux. Et bien joué pour la capture de Tyranocif, j'ai cru que mon passage chez lui suffirait à le neutraliser, mais je me suis trompé, semblerait-il.
-C'était...C'était bien vous ! Mais je ne comprends pas...Si vous étiez en vie, pourquoi n'êtes-vous pas réapparu ? Et qui sont tous ces Pokémon qui vivent dans ce...cet endroit ?
Il ferma les yeux et se mit à rire. Lorsqu'il les ouvrit, une expression démoniaque se lisait sur son visage et je compris que c'était bel et bien lui le commanditaire. Je ne voulais pas y croire, mais cela ne faisait aucun doute.
-Massko, je veux dire, Jungko, tu as toujours été quelqu'un de naïf. Je pensais que cela s'était arrangé avec le temps, mais finalement, tu es resté le même petit Arcko stupide...
Je ne pouvais pas croire ce qu'il me disait. Ce n'était pas lui, c'était impossible !
-M...Mais...
-Cet endroit, c'est mon repaire ! C'est d'ici que l'on supervise le trafic de CT et de CS qui sont envoyées aux acheteurs dans le monde entier. Ca nous rapporte un bon prix, quand on sait que c'est de la contrefaçon. On s'occupe aussi d'imprimer de faux pokédollars et d'exporter des Super Bonbons dans le monde. Et tout cela dans le plus grand secret et sans que la police vienne fourrer son nez chez nous...
-Vous êtes devenu...Un trafiquant ?
-Je ne le suis pas devenu. Je l'ai toujours été. Assieds-toi et écoute bien, c'est une longue histoire que tu mérites d'entendre, rien que pour te rendre compte de ta crédulité exemplaire.
Scalproie posa Raichu par terre et celui-ci se releva lentement. Il avait assisté à la conversation et semblait stupéfait, lui aussi. Mais il était trop faible pour dire quoi que ce soit et il se contenta de s'asseoir sur le sol.
-Dans notre jeunesse, Scalproie et moi étions les petits dealers du quartier. On bossait pour un mec qui nous payait. Bref, on n'était pas dans la légalité et on a parfois eu des soucis avec les flics. Et puis un jour, Scalproie, qui n'était qu'un Scalpion à l'époque, a voulu frapper un grand coup et on a braqué un vieux. Mais mon collègue a blessé le Pokémon et on nous a mis en prison à cause de cette broutille. Et puis, en prison, Scalpion a rencontré un tueur à gages avec qui il s'est lié d'amitié. Il lui a appris des tas de trucs utiles et résultat, il est super fort, maintenant. Mais bref, on avait un goût amer dans la bouche quant à notre arrestation et comme on voulait continuer nos petits trafics, on a monté un plan, tous les deux.
-Vous...Vous avez fait croire que vous vous étiez assagis ! M'écriai-je, comprenant soudainement.
-Tout juste. Du coup, j'ai été libéré rapidement et j'ai foncé dans le poste de police le plus proche pour m'engager. Au bout d'environ un an ou deux, j'ai été promu commissaire et j'ai choisi un Pifeuil, comme adjoint. On a bossé un moment ensemble et puis un jour, il s'est rendu compte que je profitais de mon poste haut-placé pour gérer nos trafics qui étaient devenus plus importants. C'est vrai que ça m'a bien aidé. Du coup, comme je ne savais pas trop quoi faire de lui, j'ai appelé Scalproie. Celui-ci avait évolué et était sorti de prison. Il s'était choisi une carrière d'assassin et il n'hésitait jamais à m'aider. Il s'est débarrassé de Pifeuil et je croyais que tout allait rentrer dans l'ordre...Mais ce ne fut pas le cas. Le commissariat Sud, en charge de l'enquête sur son meurtre, a trouvé des pistes qui menaient à moi et ils ont commencé à me surveiller. J'ai eu de plus en plus de mal à m'occuper du réseau et il me fallait un nouvel adjoint, j'ai donc commencé à en chercher un, même si ce n'était pas urgent. Et un jour, alors que je me promenais...
Je savais ce qui allait suivre et je répondis à sa place.
-Vous m'avez rencontré.
-Exact. Tu étais en mauvaise posture ce jour-là et ça m'a donné une idée...Je t'ai sauvé par deux reprises et comme je l'avais prévu, tu m'en étais très reconnaissant. J'ai attendu que tu évolues pour pouvoir t'intégrer dans les rangs et j'ai t'ai promu au rang d'adjoint. J'avais compris que tu étais un Pokémon naïf et je pensais que tu ne me poserais pas de problèmes. Cependant, j'ai dû me rendre à l'évidence, mon réseau était en mauvaise posture. J'en étais devenu le chef et le PBI commençait à s'intéresser à moi. Quand la situation est devenue critique, il a fallu que je fasse quelque chose. J'ai contacté Tyranocif, qui gérait déjà le Gang du Sable Volant et qui était l'un de mes clients. Je lui ai demandé de m'aider à simuler ma mort. Et j'ai choisi de te prendre comme témoin et de te passer le flambeau. La suite, tu la connais.
C'était donc ça...Il m'avait dupé depuis le début. Je m'étais complètement fait berner, sans même m'en rendre compte. La colère commença à monter en moi. Comment était-ce possible ? Il semblait si juste, si sympathique !
-Vous prétendiez faire « ce qui était juste », citai-je, tremblant.
-Voui. Je mentais, répondit-il. Mais tu as pris mes paroles trop à cœur...Laisse-moi te raconter la fin de l'histoire, c'est le meilleur moment ! Après ma disparition, j'ai utilisé l'argent de mon réseau pour créer ce repaire et je suis resté caché longtemps. Cependant, le PBI n'a pas lâché l'affaire et les agents ont flairé le coup douteux. Ils ont mis le procureur Avaltout sur l'affaire et son indic Aflamanoir. Et je n'ai pas apprécié que l'on mette le nez dans mes affaires...
-Vous avez commandité leur meurtre...Vous êtes...
-Ouais, ne dis rien. Ce que tu penses de moi se lit sur ton visage. Bref, l'inspecteur Pikachu est entré dans le PBI et a commencé à enquêter. Il a trouvé des trucs intéressants sur moi, fallait donc que je me débarrasse de lui. Et il y avait aussi Tyranocif, qui savait pas mal de trucs. Mais lui, j'ai pas réussi à le faire taire. Je voulais m'en charger personnellement, mais j'ai pas réussi. A présent qu'il est en prison, il ne me pose plus de problèmes, c'est déjà ça. Mais ce qui m'inquiétait le plus, c'était toi. Tu vois, j'avais eu vent du fait que tu te chargeais de l'enquête sur les meurtres. D'ailleurs, c'est toi qui nous observait à l'opéra, je l'ai compris aussitôt et j'ai espéré que tu ne me reconnaîtrais pas.
-Pourquoi étiez-vous à l'opéra ce jour-là ? Vous n'aviez pas besoin de voir le meurtre et c'était risqué !
-Je voulais vérifier que tout se passe bien. Après tout, tu étais dans la salle et je savais que tu avais déjà résolu deux affaires importantes...
-Et pourquoi vouvoyer Scalproie si vous êtes amis?
-Simple procédure d'assassinat. Il préférait que nous nous vouvoyons, cela faisait plus solennel. Bref, l'assassinat a marché, mais tu enquêtais toujours. Nous t'avons donc envoyé un second avertissement. Puis, lorsque j'ai dû me débarrasser de Pikachu, j'ai décidé de te faire passer l'envie de chercher. Mais ça n'a toujours pas marché et aujourd'hui, tu es là...
-Je n'arrive pas à le croire...Comment avez-vous pu être aussi...
-Parce que ça arrangeait mes affaires. Et que toi et ton collègue stupide disparaissiez, ça va aussi les arranger. Vous êtes les derniers à zigouiller, après, je pourrai enfin souffler un peu.
C'était donc bien son intention. Il allait se débarrasser de nous. Un sentiment de vide me parcourut. Pendant tout ce temps, j'avais espéré que mon mentor soit toujours en vie, et maintenant qu'il était là, devant moi, et que je savais tout...Je voulais sa mort.
-Scalproie, achève-moi ces deux imbéciles, ordonna Laggron. Fin de l'histoire.
-Je ne crois pas, non, lança une voix qui provenait de la porte.
Je fis volte-face et me retrouvai face à une autre surprise. Rosélia se tenait debout et regardait Laggron et Scalproie d'un œil mauvais.