Le Champion déchu de Rasrey

Malgré la fatigue, il n'a pas fallu longtemps à Ethan pour rattraper Flore et l'agripper férocement par le cou avant de la plaquer contre le mur de la maison à proximité, sans se soucier des passants trop curieux qui dévoraient la scène des yeux. Ethan, sans lâcher prise, en profita pour souffler. Ce n'était pas encore terminé, et il le savait. Même si la réaction qu'avait eu Flore en l'apercevant devant l'arène prêtait à croire qu'elle savait quelque chose, il n'était pas certain qu'elle ait Terrakium en sa possession actuellement. Depuis le temps qu'il la cherchait, elle avait pu se débarrasser de la Pokéball de mille manières.
- Bon... balbutia Ethan entre deux grosses respirations, à nous deux !
- Gnn... tenta Flore, la joue écrasée contre la paroi en pierre.
Conscient qu'il serrait trop fort pour qu'elle puisse articuler le moindre mot, Ethan relâcha légèrement la pression. Après quelques secondes, il finit par se rendre compte qu'il attirait trop l'attention, et desserra totalement le cou de la jeune fille.
- Ouf... bredouilla-t-elle en se massant le cou. Tu n'y es pas allé de main morte, dis-moi.
Elle lui sourit.
- Comment... Peux-tu...
Son halètement l'empêchait de poursuivre. Il posa ses mains sur ses genoux et prit un moment pour souffler, après quoi il se racla de la gorge et reprit, le ton ferme :
- Comment peux-tu sourire dans une telle situation ? Tu es sûre d'avoir toute ta tête ?
Flore haussa les épaules.
- Alors... Euh... Qu'est-ce que tu voulais ?
Ethan s'attendait à tout sauf à cette question, il était tellement stupéfait qu'il en arrêta quelques secondes de respirer, son regard figé dans le sien.
- Comment ça, "qu'est-ce que je veux" ? Tu devrais le savoir puisque tu t'es enfuie !
- Je plaisantais !
Irrité, Ethan aplatit une seconde fois la joue de l'adolescente contre le mur.
- Trêve de plaisanteries, où as-tu caché mon Terrakium ?
- Gnn...
- Où est-il !?
- Gnn...
Soupirant, Ethan relâcha à nouveau la pression.
"Je dois me calmer... Si je suis trop violent, elle sera moins coopérative."
- Calme-toi, j'avais l'intention de te le rendre dès le début ! fusa Flore à nouveau libre de ses mouvements. Mais je ne l'ai pas sur moi, là... Je dois t'expliquer deux ou trois trucs avant. J'ai besoin de ton aide pour quelque chose.
- Tu te moques de moi, j'espère ?
Flore posa ses mains sur ses hanches, l'air hautaine.
- Tu penses que j'ai filouté ton Pokémon adoré juste pour le plaisir d'être écrabouillée contre un mur, mon gars ? Viens, suis-moi. On doit rejoindre une autre personne. C'est elle qui a ton Pokémon.

Flore emmena Ethan au travers de plusieurs rues de la cité de Liberia. En quelques sortes, l'ex-champion redécouvrait sa ville, jusqu'à sa défaite d'hier il n'avait pas quitté l'arène une seule fois en l'espace de plusieurs mois, si ce n'est pour aller faire quelques courses et soigner ses Pokémons. Après tout, son travail de champion d'arène exigeait de lui qu'il oublie provisoirement les loisirs qu'offrait la ville pour se consacrer pleinement à ce pour quoi il était embauché. Mais à présent qu'il n'avait plus ce poids sur les épaules, il était à nouveau libre d'arpenter Liberia comme il le désirait, ville qu'il avait toujours adoré depuis qu'il était enfant. L'intérêt qu'elle suscitait aux enfants et aux touristes ne s'estompait jamais disait-on, car il y avait tellement de choses à voir et à y faire qu'il fallait obligatoirement y habiter pour se vanter de n'avoir rien manquer à Liberia. Dans sa jeunesse, Ethan passait le plus clair de son temps hors de la maison, là où il était sûr que son grand-père adoptif ne le trouverait pas. Et ce n'était pas les endroits qui manquaient.

Liberia était également connue sous le nom de "ville aux 33 facettes", en référence au nombre de rues qu'elle possédait, toutes plus différentes les unes que les autres. Chacune de ces rues avait une "passion" mise en avant. Actuellement, Flore et Ethan traversait la rue artistique, une rue connue paradoxalement pour abriter tout, sauf des artistes. Tableaux aux couleurs explosives et aux significations abracadabrantes, statuettes insolites et aux formes très curieuses, voila ce qu'on pouvait "admirer" au détour de cette rue. Il était amusant de constater que les peintes et sculpteurs dont il était question ici étaient encore plus atypiques que leurs œuvres. Ethan se souvenait qu'il avait passé pas mal de temps dans cette rue, il y avait systématiquement quelque chose de très divertissant à y voir : les altercations entre pseudos-artistes, qui ne s'aimaient guère. On distinguait notamment le groupe des peintres, et celui des sculpteurs. Chaque jour, le jeune Ethan y passait en espérant être le témoin d'un autre de leur combat Pokémons.

Flore marchait vite, donc Ethan n'avait pas le temps de s'attarder sur les divagations actuelles de la rue des artistes. Au vu de la situation, c'était mieux comme ça. Récupérer Terrakium était l'extrême priorité, il aurait tout le loisir de revisiter certaines de ses rues favorites une fois que sa sixième Pokéball serait de nouveau accrochée à sa ceinture. Ethan suivit Flore le long de la rue musicale, toujours très bruyante mais jamais mélodieuse, la rue culinaire qui proposait en l'arpentant de sentir diverses arômes provenant des plats des cuisiniers, avec l'éternel débat autour de la question : quelle odeur est la plus rebutante ? Car aucune d'entre elles ne donnait vraiment envie de goûter aux recettes de ces pseudos-cuisiniers. A l'instar des artistes de la rue artistique, les cuisiniers de la rue culinaires étaient aux antipodes de ce qu'on pouvait appeler des véritables cuisiniers, et c'était plus ou moins la même chose pour chaque rue de Liberia. C'était précisément ce qui en construisait le charme : découvrir avec stupeur que chaque rue massacre littéralement la passion qu'elle célèbre. Fort heureusement, et tout de même, ce n'était pas la seule activité touristique que proposait Liberia, l'une des villes les plus réputées de Dehlio.

Arrivée à la rue littéraire, Flore s'arrêta de marcher. Ethan les mains dans les poches et perdu dans ses pensées, ne le remarqua qu'après s'être heurté à l'adolescente, qui manqua de perdre l'équilibre sous l'impact.
- Qu'est-ce qui te prend !? dit-elle.
- Où est Terrakium ? réitéra Ethan, impassible.
- Je vais finir par le garder, si tu continues !
Ethan se tourna vers la barrière en bois qui abritait une des maisons, et se mit à fléchir les doigts de sa mains droites à plusieurs reprises. Flore, qui avait suivi son regard et remarqué qu'il agitait sa main d'une manière louche, sembla comprendre le message et recula de quelques pas.
- Si tu comptes encore une fois m'écraser contre un mur, je vais définitivement le garder, je te préviens !
Ethan la foudroya du regard. Il était impuissant dans cette situation, même s'il savait à présent que Terrakium se trouvait dans le coin, il avait toujours besoin de l'aide de Flore pour le récupérer. Car impossible de fouiller tous les recoins de cette rue. Une fois que Flore fut certaine qu'Ethan s'était calmé, elle pointa du doigt une personne assise sur un banc à quelques dizaines de mètres. La rue littéraire était l'une des plus calmes de Liberia, la plupart des résidents restaient enfermés chez eux à écrire des livres, ou à en lire. Si bien qu'Ethan n'eut aucun mal à distinguer la personne que Flore désignait, gentiment posée au milieu d'une rue déserte. Flore se dirigea vers cette personne, rapidement suivie par Ethan.

Plus Ethan se rapprochait, plus il avait l'impression de connaître cette personne. Il ne s'y trompa pas, une fois qu'il était sûr de savoir de qui il s'agissait, il avait presque envie de se cacher derrière Flore.
- Salut, Mel ! s'exclama cette dernière.
- Bonjour, Flore, répondit la charmante femme. Déjà de retour ?
Cette voix trop douce, ces yeux doux mais perçants, cette allure trop féminine, cette accoutrement trop gracieux, ces cheveux trop soyeux...
"Aucun doute, pensa Ethan. C'est Melody. Faites qu'elle ne m'ait pas reconnu..."
- Oui. Il a mis moins de temps à me trouver que je ne l'aurais pensé, expliqua l'adolescente en pointant du doigt Ethan. Je te présente Et...
- Georges, l'interrompit Ethan en serrant la main à la jeune femme. Je m'appelle Georges. Enchanté.
Flore dévisagea l'auto-proclamé Georges. Ethan lui répondit par un regard alarmé, l'air de dire "Dis-lui la vérité, et je t'égorge dans la seconde !".
- Euh... Georges, voilà, c'est ça, confirma Flore.
- Je suis ravie de faire votre connaissance, monsieur.
La jeune femme aux cheveux longs et bruns était vêtue d'une paire de bottes noires légères, d'une jupe grise, et d'une veste, noire également. Un tissu très fin, presque transparent, lui faisait office d'écharpe, et ondulait au moindre courant d'air. Un serre-tête empêchait ses longues mèches de lui retomber sur le visage.

Alors qu'Ethan admirait les changements de cette personne qu'il avait connue, il ne remarqua même pas qu'elle lui tendait un objet. Flore claqua des doigts juste devant son visage.
- Tu te réveilles, mon gars ?
- Arrête de m'appeler comme ça, ordonna Ethan avant de prendre l'objet que Melody lui tendait.
Apparemment, c'était Terrakium. Ethan reconnaissait chaque micro rayure sur la Pokéball. La vue de Melody l'avait tellement perturbé qu'il en avait presque oublié son Pokémon. Sans prendre la peine de vérifier, Ethan accrocha la Pokéball à sa ceinture.
- Je suis désolée pour tous les inconvénients qu'ont dû vous causer les méthodes un peu radicales de Flore, monsieur.
- C'est... C'est tout excusé. Je vous en prie, appelez-moi Georges.
- Très bien, monsieur Georges. Votre courtoisie me fait chaud au cœur.
- Non, c'est tout à fait normal.
Flore observait la scène, bras croisés et sourcils froncés, en tapotant du pied sur le sol.
- Sérieusement Ethan, fit-elle, tu penses que je t'ai amené ici pour que tu joues au gentlemen devant Mel ?
- Pardon ?
- Tu penses que je t'ai amené ici pour que tu joues au gentlemen devant Mel ?
- J'avais compris, idiote. Qu'est-ce qui te prend, tout à coup ?
- Monsieur Georges, excusez-la, elle est un peu...
- Vous, fermez-la, c'est à la petite voleuse que je m'adresse.
La jeune femme ne parut même pas surprise de s'être fait rabrouée de cette manière par Ethan.
- Enfin, tu as arrêté de jouer la comédie ! dit Flore, un sourire aux lèvres.
- Dis-moi ce qui m'empêche de partir sur-le-champ, maintenant que j'ai mon Terrakium ?
- Tu avais promis de m'aider !
- C'est faux.
- Tu avais dit que tu m'aideras !
- Arrête ton char.
Ethan tourna les talons, et commença à marcher en direction de l'autre bout de la ville, où l'infirmière du centre Pokémon devait toujours être en train de l'attendre. Mais après seulement quelques pas, Flore réussit à attirer son attention.
- Tu savais que ton Terrakium était un Terrakium shiny ?
Ethan se retourna pour lui faire face.
- Terrakium est surtout un Pokémon légendaire, qui n'existe qu'en un seul exemplaire. Comment pourrais-tu savoir qu'il est shiny ? Avec quel autre Terrakium aurais-tu pu le comparer ?
Flore lui adressa à nouveau un de ces petits sourires intriguant dont elle avait le secret.
- Je sais plus de choses que tu ne le crois, "Georges". Et j'ai vraiment besoin de ton aide. Pourquoi je me suis donné tout ce mal pour te ramener ici, à ton avis ?
"Elle n'a pas tord, dans un sens..."
Partant du principe qu'il n'avait de toute façon rien de mieux à faire depuis que son titre de champion lui avait été volé, Ethan décida qu'il écouterait au moins ce que l'adolescente avait à dire. Ça ne pouvait pas lui faire de mal.
- Accompagnez-moi au centre Pokémon à la sortie de la ville. Une fois que j'aurai récupéré tous mes Pokémons, je t'écouterai.