002 - Cachotteries
Je marque une exclamation avant de répondre à Judith :
-Et toi ? Pourquoi t'es en chair et en os alors que tu étais en bas ?
-Je suis sorti juste après le début de la conférence.
-Ca explique tout...
Emmy, qui est restée complètement à côté de la plaque depuis le début de la conversation, s'interroge :
-Vous êtes en train de parler de la destruction de l'ARPP ?
Je me redresse tout d'un coup, et en même temps, je hurle de douleur. Je me rallonge immédiatement. Germignon s'affole. Judith et Emmy me prennent les épaules, Judith à la gauche et l'infirmière à la droite. Je gémis.
-Niiih...
Emmy fait :
-Ca va ? Tu ne t'es pas trop fait mal ?
En sueur, tremblant et gémissant, je réponds par l'affirmative. Des tas d'informations se bousculent dans mon cerveau.
-Vous êtes en train de me dire que l'ARPP est complètement détruite !?
-T'as tout compris, répond Judith.
-Mais ça veut dire que des gens y ont laissés leur peau là-bas ! Le chef, il est encore en vie ?
-Le temps que les infos me parviennent...
-Mais c'est quoi ce bordel ?
Je suis complètement désemparé. J'ajoute, fou de rage :
-Je dois encore rester combien de temps ici.
-Hmm, je dirais à peu près une semaine, et après 3 semaines de convalescence, répond Emmy.
Je soupire. «On est dans la merde jusqu'au cou...»
-Ecoute Judith...
Cette dernière tourne la tête. Elle ne cessait de regarder Germignon.
-Oui quoi ?
-C'est bien toi la secrétaire qui s'occupe des infos ? Bon. Je te demande de te rendre à l'ARPP après que tu sois sortie. Tu relèveras tout ce qui peut nous être utile, et tu questionneras les voisins.
-C'est justement ce que j'allais faire. Salut et bon rétablissement.
Elle quitte la pièce et j'entend ses pas dans le couloir. Judith peut être très gentille et compréhensive quand elle veut...
~~~
Trois heures plus tard, j'ai enfin quelque chose à me mettre sous la dent. Juste après le repas, une infirmière brune aux cheveux courts et aux yeux noirs de jais vient m'ausculter pour voir si tout va bien. Bien sûr, quand elle passe la main sur mon ventre, je ne peux pas m'empêcher de gémir de douleur. Je lui demande l'heure et c'est avec étonnement que je découvre qu'il est 22h12. Grâce à Emmy, Germignon et Judith, je n'ai pas vu le temps passer et c'est tant mieux.
-Tu peux te coucher quand tu veux, mais dors vite, tu en a besoin, m'indique l'infirmière.
En lisant son badge, je sais qu'elle s'appelle Shirley. Elle me souhaite bonne nuit et elle ajoute que le chirurgien qui m'a opéré passera dans ma chambre le lendemain à 10h. Elle quitte la chambre.
Moi, je passe une heure à regarder la télévision, puis je tombe de sommeil.
~~~
Effectivement, le chirurgien est là, juste en retard d'une dizaine de minutes. Il est exceptionnellement grand, je dirais 2 mètres. Il a une calvitie au niveau des oreilles et il a des cheveux plus noir que noir. Sa peau est presque totalement blanche à force de ne pas sortir au soleil et de ne pas dormir beaucoup. D'ailleurs, il a beaucoup de cernes. Il a une voix très belle.
-J'ai appris que tu t'appelais Aaron et que tu avais 13 ans, c'est ça ? (Je hoche la tête.) Bon, essaye de te retourner sur ta gauche, on va voir si ta blessure au ventre ne s'est pas infectée.
Je me retourne après un effort surhumain et il enlève mon tee-shirt.
-Hmm, ça va très bien. Je suis sûr que tu pourras te lever ce soir. C'est très bon signe. Passons au crâne maintenant...
Il me fait tourner la tête et au pas de la porte, j'entraperçois Emmy.
-Parfait... Pas de septicémie. Je vais procéder au changement du pansement. Dr Meline, j'aurais besoin de...
Là, il cite des noms de médicaments aux noms trop compliqués. Comme si il lit dans mes pensées, il dit :
-C'est vrai que les noms de Pokémon, c'est nettement plus facile à retenir !
Il sourit sincèrement. Je me dis que cet endroit est génial. Tous les gens sont géniaux.
-Voilà, dit Emmy en revenant avec une petite bouteille, une pommade et des cotons.
-Merci. Bon, c'est parti.
~~~
Après les soins du chirurgien, Shirley revient avec Judith. Cette dernière était toute essoufflée.
-J'ai fait... ce que tu as dit... et j'ai tout noté... sur un papier...
Elle me le donne. Elle continue :
-J'ai été... aussi vite que possible.
Elle a une quinte de toux. Shirley s'occupe d'elle. Je lis le petit papier.
«Personne sous les décombres. Ai appelé pompier. Ai questionné le voisinage. Ai recueilli un témoin qui dit que le chef s'en est sorti. Une autre femme du nom de Karla m'a dit que son fils n'était pas rentré chez elle. Bilan : 3 indemnes, 12 blessés, 5 portés disparus, dont 2 importantes personnes.»
Je hoche la tête de satisfaction. J'irai questionner cette Karla quand je sortirai d'ici.
-Merci beaucoup Judith. Tu as été d'une grande aide pour moi. Quand on retrouvera le chef, je ferai en sorte que tu grimpes un échelon.
Elle me remercie. Shirley est en train d'écouter son cœur.
-Il va lui falloir du repos, à cette fille, me suggère Shirley. Le mieux, c'est qu'elle rentre chez elle le plus vite possible.
Je lui réponds :
-Je ne l'empêche pas.
-En fait, j'ai cru comprendre que tu étais son supérieur hiérarchique...
-C'est le cas, mais je tiens à sa santé, alors après, elle fait ce qu'elle veut.
-Je vais rentrer, fait Judith en se tenant la nuque.
Elle me remercie de nouveau, elle fait pareil avec l'infirmière puis elle s'en va. Shirley me dévisage en disant :
-Ta copine est vraiment exceptionnelle. Je souhaiterais vraiment avoir la même.
Puis elle part aussi, me laissant seul avec mes pensées et mes souvenirs.
~~~
Emmy me donne des béquilles.
-Tiens, tu en auras besoin pour marcher.
Je les prends, je me lève difficilement et je fais un pas. Aussitôt, la douleur se réveille, insupportable.
-Aaaaaaah putain !!
Emmy met ses mains sur mes hanches pour me faire garder mon équilibre. Je n'arrête pas de jurer.
-Calme-toi, souffle, me conseille Emmy.
Je balbutie :
-D-donnez moi quelque chose... à mordre !
Elle me passe du caoutchouc. Je mords à pleine dents. Je tremble de partout.
-Maintenant, essaye de marcher jusqu'à la salle de bain.
-Uuuuuuh...
Je continue sur ma démarche. Grâce au caoutchouc qu'elle m'a donné, j'arrive à canaliser le frottement continu de ma blessure à mon ventre.
-Voilà, c'est très bien, continue comme ça... Attention à l'étagère... Excellent !
Je crache le morceau de caoutchouc pour parler :
-Vous ne vous rendez pas compte comment ça peut être douloureux...
-Oh que si, Aaron ! J'avais 8 ans quand je me suis sectionné la cuisse gauche. Je m'entrainais à grimper des murs, car mon ambition était d'être une championne d'escalade. Sauf qu'un jour, aveuglément, je me suis attaquée à un grillage. J'ai lâché ma prise et je me suis gravement éraflé. Entaille de 15 cm, profonde de 6 mm et fracture de la rotule. 3 mois de convalescence.
Elle me montre sa cicatrice. Une exclamation m'échappe.
-Après cela, je n'ai plus jamais voulu grimper sur quoi que ce soit.
-On a l'impression que vous vous êtes charcutée vous-même !
Elle rit, mais elle reprend vite fait son air sérieux.
-Bien. Dirige-toi vers le couloir. Il va falloir faire ça tous les jours !
-Prof de sport, le retour !
Nous éclatons de rire simultanément, non sans que je fasse une grimace.
~~~
-Aah, arrête de me faire rire, pitié ! Je me rends !
Emmy joint ses mains.
-On ne t'a jamais dit que tu as un humour débordant ?
-Personne, sauf ceux qui me l'ont déjà dit !
Elle repart dans un éclat de rire. Elle a passé deux heures avec moi, à croire qu'elle m'aime bien. Du moins, je l'espère.
Une minute plus tard, Shirley arrive avec ma Germignon.
-Elle a fait le chemin toute seule !
Je réplique :
-Faut pas dire elle, mais «Sa Majesté de Jardiland» !
Emmy est plié en deux, et elle peine à respirer convenablement tellement elle hoquète de rire. Shirley la regarde bizarrement, avant de reporter son attention vers moi. Elle dit :
-Puisque tu auras sans doute besoin de téléphoner à tes collègues, si je peux appeler ça comme ça, je t'ai apporté un téléphone portable.
-Merci beaucoup.
Emmy arrête de rire et se dirige avec peine vers la porte.
-Bon Aaron, merci de m'avoir fait rire, mais j'ai du boulot à rattraper, alors je te dis salut !
Elle sort, mais elle se fait rattraper par Shirley. J'entends leur conversation. On dirait que Shirley est bouleversée. Elle dit :
-Je ne t'ai jamais vu comme ça devant un patient...
-C'est juste que Aaron est exceptionnel ! Tu as vu ? Il fait partie de l'ARPP, il a un humour hors du commun, il a un courage plutôt hors norme... bref, moi, je l'aime bien.
-Tu vas te faire sermonner par Bruno si tu continue comme ça ! Il veut que notre travail soit strict et professionnel, pas évasif et bâclé.
-Tu t'inquiètes pour moi là ?
-Non, j'ai jamais dit ça...
-Si si ! Et voilà que le Dr Staningan n'a plus de sentiments contradictoires envers les autres.
-Tais-toi ! Va t'en maintenant ! T'as assez perdu de temps !
Fin de la conversation. J'entends des pas qui s'éloignent. Je regarde Germignon, couché avec moi sur mon lit d'hôpital.
-Elles n'en manquent pas une !
~~~
Judith frappe à la porte. Il est tard.
-Entre !
Elle commence à me donner des renseignements.
-Je suis repassé par le QG, et les flics ont retrouve un peu de résidu de poudre. Ils pensent que c'est non pas un accident, mais un acte criminel visant nous tous.
-Cela devient de plus en plus bizarre...
-Pour l'instant, rien d'autre peut nous prouver que l'Agence a été volontairement rayé de la carte.
-Nous sommes donc dans une impasse.
-T'as tout compris.
Mon téléphone sonne à ce moment-là. Je décroche.
-Allo ?
-J'ai eu vent de la nouvelle, dis-moi, j'espère que tu vas bien !
C'est maman, je la reconnais grâce à sa voix et sa franchise.
-Ben je suis à l'hôpital, sinon tout va bien.
-D'accord, je passerai te voir bientôt. J'ai eu une affaire importante alors je n'ai pas pu t'appeler plus tôt.
Maman est une policière.
-OK pas de problème.
-Je t'aime, Aaron.
-Moi aussi je t'aime maman, à plus tard.
Après avoir répété les trois derniers mots de ma phrase, elle raccroche. Judith fait sa curieuse.
-Dis, c'était qui ?
-Oh, c'est juste ma mère. Elle voulait prendre des nouvelles.
Je frappe mon poing sur le rebord du lit.
-Zut, j'aurais dû l'informer à propos de ce que tu m'a dit tout à l'heure !
-J'espère qu'elle passera...
-Oui, elle passera bientôt.
Elle sourit de satisfaction.
-Aaron... (Elle s'arrête, prend une grande inspiration puis tousse.) Il faut vite que tu te rétablisses. C'est très important pour l'Agence.
-J'y compte bien...
Germignon est aussi de l'avis de Judith. Peu après, Judith s'éclipse.
Troisième jour à l'hôpital. Toute la nuit, je n'ai pas arrêté de penser à cette affaire plus que tordue. Emmy est venue la première ce matin pour vérifier si tout va bien. Je lui demande :
-Ca va ?
-Oui. Désolé, je dois m'occuper de moi-même parce que Mademoiselle Staningan l'a dit !
Elle a prononcé «Mademoiselle» avec une amertume très mal contenue. Je feins l'ignorance totale. Deux minutes plus tard, elle s'efface, en laissant des trainées de furie derrière elle (c'est une image, hein !). Je passe une heure a essayer de me lever et de marcher tout seul. J'arrive avec difficulté a m'asseoir sur le bord de mon lit. Mais Germignon me fait sursauter après s'être exclamée.
-T'es réveillée ! Enfin !
Je jubile carrément.
-Est-ce que tu peux m'aider à me lever avec tes lianes. Il suffit que tu tiennes mes jambes avec.
Elle sort des lianes bien vertes et les enroule autour de mes mollets.
-Voilà, t'es géniale, vraiment.
Je fais un effort considérable. Je suis debout en un rien de temps.
-Merci. Tu peux me passer mes béquilles ?
Elle écoute et me les donne. Mes bras tressautent légèrement, puisque je n'ai pas encore tout à fait retrouvé mes forces. Je marche doucement, sans brusquerie pour ne pas réveiller la douleur. Et ça me fait rappeler un moment de ma vie. J'avais 18 mois, je me souviens et je commençais à marcher. Cela m'a marqué parce que j'ai trottiné vers Tristan. Lui avait 5 ans et il se balançait sur la balançoire. C'est à ce moment-là qu'il est tombé sur moi. J'étouffais sous son corps. Papa est arrivé et fort heureusement, m'a tiré de là. Depuis, je considère mon père comme un héros.
Je soupire et Germignon incline la tête. Soudain, le téléphone sonne.
-Ouais quoi ?
-Devine qui c'est.
Je réfléchis longuement.
-C'est... c'est...
-Attends, me dis pas que tu me reconnais pas !
-Ben, euh...
-Allez, un effort !
-C'est que le téléphone que j'ai, il déforme la voix.
-Ouais ouais, gros prétexte !
Je commence à m'agacer.
-Et si tu me disais toi-même qui t'es, ça arrangerais les choses !
-Salut, je m'appelle Zhu et je suis le champion d'arène de Flocombe.
-Nan sérieuuuuux...
-J'déconne ! C'est moi, Tim ! Merde, comment t'as pu m'oublier !
Je soupire une nouvelle fois.
-T'inquiètes pas, on peut pas t'oublier...
-Relax hé, j'ai l'impression que t'es à bout !
-C'pas une impression, figure-toi.
-T'as des emmerdes ?
-Nan, je baigne juste dedans jusqu'au cou...
-Je me disais bien... Bon, trêve de blabla, j'appelle juste pour prendre des nouvelles. Alors, ça va la famille, les gosses !...
-Ouais, je suis à Bora Bora, je m'éclate à mort !
Ma voix est teintée d'ironie. Mais quelqu'un frappe à la porte.
-Bon, je résume, je suis à l'hosto parce que j'ai été soufflé par une explosion à l'Agence. J'ose souligner que tu n'as pas bougé ton gros cul de ton lit, pendant ce temps, nous, on est tous morts de trouille. Judith n'a pas cessé de t'appeler pour que tu viennes bosser avec nous. D'ailleurs, on vient de frapper à ma porte, maintenant, joyeux noël et salut !
Je raccroche précipitamment. J'ouvre la porte de la chambre par moi-même et je tombe sur Judith justement. Elle à l'air à cran et elle peine à retrouver son souffle. Elle a dû encore se dépêcher pour venir me voir. A mon avis, elle à une info super importante.
-Re-bonjour... dis-je.
Elle me tend une feuille. Elle se tient la gorge et ses jambes ont l'air de lâcher. Sur la feuille, c'est écrit :
«La police a retrouvé un corps sous les décombres de l'Agence, il est actuellement en train d'être analysé.»
Petit message décisif.
-Oh putain...
Soudain, Judith tombe à genoux, prise d'une autre quinte de toux, plus violente que celle d'avant-hier. Je pars à la recherche de la petite machine blanche qui pend sur mon lit et j'appuie dessus. Juste après, Emmy, plus sérieuse que jamais, apparaît sur le pas de la porte.
-Quoi ?
Elle voit Judith en train de se tortiller sur le sol blanc de ma chambre. Immédiatement, elle appelle d'autres infirmières, puis elle tâte le pouls de ma copine. Elle vérifie sa respiration.
-Elle respire très mal. C'est pas vrai, c'est pas vrai... gémit-elle.
Les autres infirmières arrivent. Je crie :
-Vite, faites quelque chose !
Emmy me regarde.
-Elle fait une crise d'asthme.
Aussitôt, je tape du pied par terre. Je hurle :
-Judith, tu aurais pu me dire que tu étais asthmatique !!!