Alexia l'apprentie satire
Derrière la vitre du train, je voyais les mêmes paysages repasser en boucle. Des campagnes où broutaient des Ecremeuh, des petites maisons alignées, bref, rien de très intéressant. J'étais coincée entre un gros homme qui bouffait des sandwichs au beurre et une vieille mémé qui parlait à son Skitty comme si c'était un bébé. En voyant le chaton rose se débattre entre les bras de la vieille, je posai instinctivement ma main sur les trois pokéballes accrochées à ma ceinture.
-Vous désirez quelque chose ? demanda un homme à tout faire.
-On arrive quand ? questionnai-je.
-Dans exactement un quart d'heure, mademoiselle, répondit-il poliment.
-Moi, je voudrais du mou pour mon pokémon-chéri-adoré-à-sa-mamie, intervint la grand-mère.
-J'arrive tout de suite, madame.
Moi, j'avais encore un quart d'heure à attendre avant d'arriver au pensionnat. J'en profitai pour repenser à ma vie. Je ne me suis pas présentée, non ?
Alexia Taylor, quinze ans, étudiante au pensionnat pour coordinatrices de Sinnoh. Il s'appelle Flower, on ne peut pas faire plus snob, si ?
J'y suis depuis mes onze ans, puisque j'y suis entrée en sixième. Toutes les élèves sont riches et arrogantes, hormis deux ou trois exceptions, comme moi. Sans être vraiment naïve, disons que j'aime me faire des amis et que je suis absolument nulle en répartie. Mais cette fois ci, ça allait changer. C'était la rentrée, après les vacances d'été, et j'entrais en 5ème année d'étude, mais ici on appelait ça la seconde, et j'avais décidé de me faire une place. D'être populaire, quoi, et plus du tout la bonne copine sur qui on peut toujours faire confiance et qui accourt dès qu'on l'appelle.
D'abord, j'avais besoin de parfaire mon cynisme. Être satirique et avoir réponse à tout était bien vu. De plus, j'avais usé les économies gagnées grâce aux matchs dans une nouvelle coiffure (dégradé/brushing/mèches blondes) et dans les fringues. Et enfin, mes pokémons entraînés n'attendaient que le bon moment pour montrer aux autres élèves que je n'étais pas une nouille.
Le train s'arrêta à la gare. La grand-mère à ma droite se bougea les fesses et partit, son Skitty dans les bras. Quant au gros à ma gauche, il avala une rasade de bière. Je dégageai le plus vite possible pour m'éloigner de lui, marchant au passage sur les pieds d'un inconnu qui se mit à brailler.
-Doucement, mademoiselle, dit l'homme à tout faire de tout à l'heure.
Les portes s'ouvrirent. Ce fut la ruée. La gare bondée me donnait envie de vomir. Je voyais les couples s'embrasser, les filles se faire la bise. Je récupérai ma valise et la traînai le long du quai, jusqu'à la rue. J'avais encore quelques centaines de mètres à faire avant d'arriver à Flower. Heureusement, il y avait Stephanie, ma meilleure amie, qui m'attendait.
Bon, ok, Steph n'est pas une bimbo sexy comme il en court dans les couloirs du pensionnat, donc elle n'est pas célèbre du tout. Au contraire, plutôt boulotte, les joues rouges et le sourire d'acier, dans un visage poupon encadré de boucles blondes.
-Alexia, ça va ? demanda-t-elle en s'approchant de moi. Tu as pris quels pokémons pour ce trimestre ?
-Tu verras, répondis-je distraitement.
Il fallait que je sois cassante, pour lui montrer que j'avais changé depuis le dernier trimestre, que je pouvais faire partie de ces filles douées qui vous en bouchaient en coin dès que vous ouvrez la bouche.
-Ta nouvelle coupe de cheveux est superbe ! s'exclama Steph.
-Oui, tu devrais prendre exemple, rétorquai-je, le plus cynique possible.
Nous nous étions mises en route, vers le pensionnat, à quelques minutes de marche de la gare. Stephanie venait en voiture, pas en train comme moi, mais elle m'attendait toujours pour que nous puissions faire le chemin ensembles.
-Ne joue pas les ronchonnes, soupira Stephanie. Moi, j'ai pris Pikachu, Charmillion et Marill. C'est équilibré, tu ne crois pas ?
-Tu devrais plutôt vérifier si ton cerveau est équilibré.
Nous ne nous étions pas vues depuis longtemps et elle ne parlait que de pokémons ! C'était ulcérant ! Il fallait que je la remette à sa place, non ?
Steph me jeta un regard étonné en levant un sourcil.
-Tu vas bien, Alexia ? Tu sais, ce n'est pas parce que tu as fait cinq heures de route que tu dois être désagréable comme ça ! Ah, nous sommes arrivées !
Nous entrâmes dans l'internat, où les conversations des minettes fusèrent à nos oreilles. Keiko se jeta sur moi. Keiko était une métisse, au teint mat, cheveux raides et yeux noirs, superbe avec son style à elle et ses mèches violettes. Le plus souvent, bien que nous nous connaissions depuis longtemps, elle m'évitait. Je savais qu'elle avait honte de fréquenter une fille comme moi. Mais j'avais changé.
-Salut, Keiko, dis-je en lui faisant la bise.
-Bonjour Alexia, répondit-elle avec son ton impatient.
-Bonjour Alexiiiiiia, imita une voix aigue.
Lilian Green, la pire peste que jamais Flower n'ait pu porter. Grande, avec des jambes de mannequin et des pokémons adorables. La plus douée en prestations, en passant.
-Tu as finalement décidé à changer de tête ? Il était temps, siffla-t-elle.
-Mieux vaut tard que jamais.
-Par contre, ça ne change pas ton côté sainte nitouche philosophe.
-Mieux vaut être sainte nitouche philosophe qu'aristo dévergondée.
-Chacun ses goûts, dit Lilian en haussant les épaules, fataliste.
-Arrêtez, les filles, souffla Keiko. Tu sais dans quelles chambres tu es ?
-Non, dans laquelle ? sollicitai-je.
-La chambre 14, avec Lilian, Mercedes et moi !
Quoi ? J'allais devoir dormir avec Lilian et Mercedes, deux garces par excellence ? Et Keiko qui allait me snober par honte ?
-Quelle horreur ! baragouina Lilian.
-Tu as raison, voir ta tête trois mois, je ne sais pas si je vais survivre, soupirai-je.
-Tu as un de ces toupets aujourd'hui ! Mais demain, tu seras à nouveau à court de vannes, sourit mon ennemie.
-Ah ouais ? Et moi je te parie que demain, je gagne un match pokémon.
-Demain soir, sept heures, dans le parc, prophétisa Lilian en agitant ses épais cheveux roux. Tu seras capable, Taylor ?
C'était habituel de se faire appeler par son nom de famille ici.
-Bien sûr, ma pauvre Green !
-Bon, on va dans les chambres ? proposa Keiko.