Je nageais dans les eaux troubles de la semi-conscience.
Si jeune et si naïve...Des bruits diffus me parvenaient. Chaises qui raclaient le sol. Toussotements. Paroles échangées à voix basse. Portes qui claquent.
Pourquoi moi ? Je n'ai rien demandé à personne.Les sensations se précisèrent. Tactiles, d'abord. Draps en coton contre ma peau. Fraîcheur.
Non, non, et non. Tu n'as rien compris.Puis olfactives. Odeur de pluie. D'un bouquet de fleurs.
Ce n'est pas une coïncidence. Il n'existe pas de coïncidences.Des bribes de rêves effleuraient mon esprit.
Un jour, tu verras que j'avais raison.Des morceaux de phrase dont j'avais égaré le sens.
Non. Non, jamais.Je remontai à la surface, tel un nageur après une plongée dans les grandes profondeurs. Réveil en douceur. Mes yeux s'ouvrirent. Le plafond était blanc, constatai-je. Bravo à moi, j'avais réussi à interpréter les informations transmises par mes nerfs optiques. C'était un bon début. Je me redressai sur un coude et vis que je me trouvais dans une petite chambre à l'ambiance d'hôpital, identique à celle à laquelle avait eu droit Volt - exception faite de la taille du lit, évidemment.
Étais-je blessée ? Je n'en avais pas l'impression. Prudemment, je vérifiai que je n'avais rien de cassé. Non, tout semblait en ordre. Même mon gros orteil gauche allait bien - orteil pour lequel j'éprouvais une affection toute particulière, mais ne nous égarons pas.
- Y a quelqu'un ? lançai-je d'une voix enrouée.
Il y eut des bruit de pas dans le couloir, puis une infirmière passa la tête par la porte. Elle ressemblait à toutes celles que j'avais vues jusqu'à présent : cheveux roses et grand sourire. L'attaques des clones.
- Ah, vous êtes enfin réveillée !
- Enfin ? m'inquiétai-je. Combien de temps j'ai dormi ?
- La nuit entière, et une bonne partie de la journée. Il est 14 heures.
Ça dépassait le domaine de la grasse matinée pour venir empiéter sur celui de la grasse après-midi. Bonjour la limace.
- Comment vous sentez-vous ? s'enquit l'infirmière.
- Mal à la tête, mais je crois qu'à part ça, ça va. (Je posai la question obligatoire :) Où suis-je ?
- Au centre Pokémon de Lavanville. On vous a retrouvé sans connaissance à la sortie de la Grotte Sombre. Il s'est produit un éboulement inexpliqué, vous avez de la chance de vous en être tirée indemne.
- Un éboulement ?
Je fronçai les sourcils. Ça ne collait pas avec ce que je me rappelais...
- Non, il y avait ce son étrange... Un sifflement...
Comme dans la vision que m'avait montrée Présage, ajoutai-je en mon for intérieur.
- Ces vieux tunnels ne sont pas ce qu'il a de plus stable, poursuivit l'infirmière sans tenir compte de ma remarque. De temps en temps, il arrive des accidents...Vous avez dû être sauvée par l'un de vos Pokémons.
- Mes Pokémon ! me rappelai-je soudain.
Ma main se porta d'instinct à ma ceinture, mais ne la trouva pas. L'infirmière me la désigna de la tête, elle était posée sur la table de nuit.
- Dès votre arrivée, j'ai vérifié leur état. Ils sont tous en parfaite santé.
Je récupérai la ceinture de Pokéballs. Sans elle, je me sentais étrangement nue. Plutôt stupide, hein ?
- Merci, dis-je à l'infirmière.
- Je vous en prie. C'est mon métier.
Et le métier de toutes les femmes aux cheveux roses du monde Pokémon, apparemment.
Je sortis du centre Pokémon, l'esprit bouillonnant de questions. Que s'était-il passé dans cette grotte ? Avais-je imaginé les hurlements et le froid ? Non, j'avais ressenti sans aucun doute possible la présence de quelque chose... Un quelque chose qui aurait provoqué un éboulement après que j'ai perdu conscience ? Mais comment m'étais-je retrouvé de l'autre côté de la montagne, et saine et sauve de surcroît ? Un de mes Pokémon qui m'aurait traîné hors des décombres, comme le supposait l'infirmière ? J'allais devoir leur poser la question.
Ainsi donc, j'étais à Lavanville. De ce que je pouvais en voir, il s'agissait d'une petite bourgade composée de maisons aux toits violets. Il y avait un centre Pokémon, comme partout, et une boutique reconnaissable à sa toiture bleue un peu plus bas. Sans oublier une grande tour dont la flèche perçait le ciel. Je ne savais pas trop pourquoi, mais cette dernière me mettait mal à l'aise. Lorsque je lui tournai le dos, les poils de ma nuque se dressèrent. Flippant.
Je n'étais pas censée m'attarder ici. Ma destination était claire : le chemin qui menait à Céladopole m'appelait à corps et à cris. Je fis un pas dans sa direction. M'arrêtai. C'était plus fort que moi. L'ambiance qui régnait sur la ville titillait ma curiosité. Les rues étaient silencieuses, et quasi désertes. Une sorte de mélancolie imprégnait l'atmosphère. D'où ça pouvait bien venir ? Un mystère que j'avais très envie de percer.
Oui, mais et Céladopole ? La prochaine arène ? argumenta ma conscience.
Oh, et puis zut, lui répondis-je.
Une petite journée, ça n'allait pas changer grand chose, après tout. J'irai à Céladopole le lendemain. Ma décision prise, j'entrai dans la grande tour qui surplombait la ville. Je ne pensais pas me tromper en affirmant que c'était le bâtiment le plus important de Lavanville. Et puis, c'était celui qui m'intriguait le plus.
Le rez-de-chaussée consistait en une immense salle vide au décor très sobre. Quelques personnes s'y promenaient, l'air pensif. Je m'adressai à l'accueil pour savoir à quoi servait l'endroit.
- Vous vous trouvez dans la Tour Pokémon, me répondit la jeune femme. Elle a été érigée à la mémoire des Pokémon disparus.
Un cimetière ? Je comprenais mieux le caractère solennel de la ville, tout à coup.
- Serait-il possible d'enterrer un de mes Pokémon ici ? m'enquis-je.
Son visage s'assombrit.
- Vous pouvez monter au premier, mais évitez les étages supérieurs. Des esprits en colère sont apparus récemment, après le passage de la Team Rocket.
Encore ? Mais bordel, ils étaient partout, ceux-là !
- Vous voulez dire... des fantômes ? clarifiai-je.
Le simple fait que je posais cette question témoignait de mon état mental. Les Pokémon existaient, alors pourquoi pas les fantômes, et puis tiens, les extra-terrestres aussi tant qu'on y était !
- Hé bien, on ignore ce qui s'est passé exactement, mais les Pokémon spectres de la Tour ne sont plus sous contrôle. Nos tentatives pour les apaiser ont toutes échoué jusqu'à présent.
Je grimaçai. Déjà que les Pokémon normaux faisaient peur quand ils se fâchaient, qu'est-ce que ça donnait pour des Pokémon spectres ? Je n'avais pas envie de le découvrir.
- D'accord, je ferai attention.
Je montai les escaliers et débouchai dans une salle où s'alignaient rangées de tombes sur rangées de tombes. Impressionnant et tragique à la fois. Des Pokéballs aux sommets grisés étaient enchâssées dans un petit renfoncement à la base des pierres tombales. Certaines avaient l'air très anciennes ; la Tour devait exister depuis pas mal d'années. Je déambulai entre les monuments de pierre grise, m'arrêtant parfois pour lire les inscriptions gravées dessus.
Fulgurance, le meilleur des Ponyta. Il restera à jamais dans nos cœurs.Baleine. Tu me manques, ma petite Léviator.À Pirouette, partie trop tôt.Il y en avait tellement, et elles témoignaient toutes de la douleur ressentie par les dresseurs à la perte de leurs Pokémon. Puis j'arrivai devant une tombe qui fit courir un frisson le long de mon dos.
Nutella. Sacrifié sur le chemin de la victoire.Je fixai les lettres gravées dans le marbre afin de m'assurer que je n'avais pas la berlue. Non. Il y était bien écrit Nutella. Une pâte à tartiner au chocolat qui n'existait pas dans le monde des Pokémon - à mon grand regret. Donc... se pourrait-il qu'il s'agisse d'un des Pokémon de Vivian ? En supposant qu'il soit passé par le même parcours que moi, c'était tout à fait plausible.
Je m'agenouillai et touchai la Pokéball recouverte d'une épaisse couche de poussière du bout des doigts.
- Qui étais-tu, brave petit Pokémon ? Et qu'est-il arrivé à ton dresseur ?
Questions qui resteraient sans réponse pour le moment. L'emplacement d'à côté était libre. Simple coïncidence ou coup de chance ? Quoi qu'il en soit, j'aurais difficilement pu rêver mieux. Je libérai ma petite troupe. Salade, Teigne, Grignotte, Souris, Princesse, et enfin Plouf, dont la tête atteignait presque le plafond. Ils se rassemblèrent autour de moi. Inutile de leur expliquer pourquoi on était là ; ils avaient déjà compris.
Teigne en particulier me regarda avec attention tandis que je sortais la Pokéball de Ficelle et la glissai dans le renfoncement. Elle se mit en place avec un léger clic. Je caressai la Pokéball une dernière fois.
- Adieu, Ficelle...
- Comme c'est touchant, fit une voix dans mon dos.
Je me raidis. Serrai les poings. La réaction de Teigne fut beaucoup plus violente : elle poussa un grondement furieux et se précipita sur l'intrus. Mes réflexes prirent le dessus. Je m'emparai de la Pokéball de la Colossinge et la rappelai juste à temps, une fraction de seconde avant que son poing n'aille s'écraser contre le nez de Zack. Ce dernier pencha la tête, un petit sourire amusé aux lèvres.
- Tu vois, je t'avais prévenu que ce Pokémon allait te poser des problèmes sur le long terme.
J'aurai mieux fait de le laisser se faire frapper.
- J'ai pas envie de te voir et encore moins de te parler, dis-je d'une voix sans timbre, alors si tu pouvais dégager ça m'arrangerait.
- Ha non ? Pourquoi ça ?
Il allait vraiment me le faire dire à haute voix, hein ?
- Ficelle est là par ta faute, même indirectement.
- Et combien d'autres Pokémon sont là par ta faute ?
Prise au dépourvu, je restai bouche bée.
- Quoi, tu t'imagines que tu n'as jamais tué de Pokémon ? continua-t-il. Avec tous les dresseurs que tu as battu ? Quelle hypocrite tu fais. Mon Rattattac lui-même n'a pas survécu à notre dernière rencontre sur l'Océane.
J'eus l'impression de recevoir un coup en plein dans le ventre.
- Ton Rattattac ? Il est... mort ?
Tué par Teigne, ajouta mon cerveau, impitoyable.
Teigne agissant sur mes ordres.- Ouais. Ils ont cru un instant qu'il allait s'en sortir, mais il a fini par succomber à ses blessures.
Il en parlait avec un tel détachement.
- Et ça ne te fait rien ?
Il haussa les épaules.
- Pourquoi ? Ça devrait ? C'était juste un Pokémon.
- C'est plus facile comme ça ?
- De quoi tu parles ?
- C'est plus facile, de faire comme si tu t'en fichais ? De prétendre que rien ne t'atteint ?
- Arrête d'essayer de m'analyser, cracha-t-il. Tu peux pas me comprendre.
- Ce qui est triste, c'est que je te comprends, justement. Et si je ne me forçais pas à éprouver des émotions, à prendre soin de mes Pokémon comme ils le méritent vraiment, je pourrais être comme toi. Peut-être qu'un jour j'en aurai marre de me démener. Peut-être qu'un jour je laisserai tomber et je me mettrai à traiter mes Pokémon comme des outils. Ce jour-là, je ne serai plus que l'ombre de ce que je suis aujourd'hui.
Il ricana, méprisant et hautain.
- T'as rien pigé. C'est toi qui te force à souffrir, en donnant des surnoms à tes Pokémon, en agissant comme s'ils faisaient partie de ta famille. Et tu cours à ta perte à te conduire comme ça. Parce qu'un jour, tu feras forcément une erreur. Tu ne pousseras pas assez loin l'un de tes petits protégés alors qu'il aurait pu gagner la bataille si tu ne t'inquiétais pas autant pour sa santé. Et tu perdras. Tu perdras, et tout tes Pokémon se seront sacrifiés en vain. C'est ça qui est triste.
Nouveau ricanement.
- Alors oui, je préfère cent fois être moi, plutôt qu'une imbécile qui se balade avec son cœur à découvert. Parce qu'au moins, quand tout sera terminé, j'aurais mes badges, et ma victoire sur le Conseil des Quatre. Toi, il te restera plus que tes yeux pour pleurer.
Je pris une grande inspiration. Il était possible qu'il ait raison. Je ne voulais pas que ce soit le cas, mais il m'était difficile d'ignorer la vérité. Je cherchai un argument, avant de me rabattre sur :
- Si ma méthode est si mauvaise que ça, explique-moi pourquoi à chaque fois qu'on s'est affronté, j'ai gagné ?
Il balaya ma tentative de lui clouer le bec d'un geste de la main.
- T'as eu de la chance, voilà tout. Mais aujourd'hui, ça va changer.
Sa posture ne laissait aucun doute sur ses intentions.
- Se battre dans un cimetière ? Tu te rends compte de ce que tu dis ?
- Le lieu m'importe peu. Tu vas m'affronter et je vais te prouver que tu te trompes.
Dans le genre têtu...
- Je. Ne. Me. Battrai. Pas.
À chaque mot prononcé j'avais rappelé un de mes Pokémon. Le sourire de Zack s'accentua.
- Quoi, t'as trop peur d'en perdre un autre ?
- T'es gonflé, je te signale qu'on en a tous les deux perdu un, fis-je, exaspérée. Qu'est-ce que tu veux au juste, qu'on se batte jusqu'à ce qu'il ne nous reste plus que des cadavres sur les bras ? Et ensuite quoi, on termine à mains nues ?
- La ferme.
- Non, tu ne t'en sortiras pas aussi facilement. J'ai des choses à dire et tu vas m'écouter jusqu'au bout, tu...
- La ferme ! C'était quoi ce bruit ? ajouta-t-il alors que j'allais me lancer dans une tirade bien sentie.
Quel bruit ? Je tendis l'oreille. Silence.
- Ha, bien essayé...
Un ricanement sinistre retentit soudain juste derrière moi. Je pivotai. Un brouillard épais semblait monter des tombes, réduisant notre champ de vision. L'atmosphère, déjà lourde, passa à pesante tandis que la brume nous encerclait, comme si elle était douée d'intelligence et voulait nous couper toute possibilité de retraite.
- Ok, là je commence à flipper, avouai-je.
- Le premier étage est sans danger... Mon cul, oui, grogna Zack.
Des formes sombres apparurent dans la brume. Je vis briller des griffes et des crocs, éclats de blancheur étincelant dans les ténèbres.
Intrus... Vous n'êtes pas les bienvenues en ces lieux...Une voix dans ma tête, tranchante comme une lame de rasoir. Zack libéra son Roucoups.
- Tornade ! lui ordonna-t-il.
Le volatile agita les ailes en rythme, créant un mini courant d'air, lequel n'eut strictement aucun effet. Le brouillard s'intensifia même, au point que j'aurais eu du mal à distinguer ma main si j'avais tendu le bras.
- T'as repéré où était la sortie ? demandai-je à Zack.
Il secoua la tête. Aussi perdu que moi, alors. Des doigts glacés m'effleurent la nuque et une voix fantomatique ricana à mon oreille. Je reculai, me rapprochant de Zack. Nous étions dos à dos à présent, et les spectres nous avaient encerclés, nous coupant toutes les issues. Une vague de désespoir me submergea, noyant toutes mes autres émotions.
Vous allez payer...La voix psychique débordait de chagrin et de rage.
- Prends ma main, dit soudain Zack.
- Quoi ?
- Prends ma main, et quoi qu'il arrive, ne la lâche pas.
Au point où j'en étais. Je cherchai sa main à tâtons sans quitter les formes spectrales des yeux, et la saisis comme si ça avait été une bouée de sauvetage et que j'étais perdue en pleine mer. Ses doigts se resserrent sur les miens. Je tremblais de tout mon corps.
Et tout à coup...
Terreur.
De la terreur pure. Coulant dans mes veines tel un poison glacé. Incendiant chaque parcelle de mon être, comme l'alcool le plus fort que vous ayez jamais goûté. Intense. Toxique. Je ne respirais plus que ça. Me noyais dedans. Impossible de s'en dépêtrer, et je suffoquais tandis que la peur envahissait chacune de mes cellules.
J'allai mourir. Cette certitude s'imposa à moi comme une évidence. Une main broyait la mienne mais ça n'avait pas d'importance, une voix donnait des ordres mais je ne l'entendais plus, mon cœur battait trop fort mais plus pour très longtemps. J'allai mourir.
Un voile noir descendit sur ma vision, je sentis ma prise sur la réalité s'enfuir. L'obscurité me prit dans ses filets pour la deuxième fois en bien trop peu de temps.
***
À mon réveil, je fus obligée de constater que j'avais eu tort. Je n'étais pas morte. Évident, je sais, mais je le précise quand même au cas où vous vous imaginiez que je m'étais changée en zombie. Donc, j'étais bien vivante, et en prime couchée sur un canapé des plus moelleux. Je savourai la sensation durant quelques secondes bénies, puis me redressai.
- Ha, elle est réveillée la demoiselle !
La voix appartenait à un vieux monsieur à barbe blanche assis à une table non loin de moi. Il était vêtu de rouge et blanc et son visage arborait d'un sourire jovial. Je louchai.
- Père Noël ?
- Oh oh oh, vous avez été sacrément secouée, dis donc ! Mais vous inquiétez pas, ça va passer.
Je clignai des yeux. Une migraine carabinée avait semble-t-il élu domicile derrière mes paupières.
- Chuis où ?
Je commençais à en avoir ras-le-bol de poser cette question. J'aurais peut-être dû me la faire tatouer sur le front.
- Dans mon humble demeure. C'est un refuge pour les Pokémons abandonnés. On m'appelle Monsieur Fuji, et non Père Noël comme tu sembles le penser.
- S'est passé quoi ?
Celle-là aussi, sur mon front. Non, il n'y aurait pas assez de place. Sur mes joues ?
- Le Kadabra de ton ami vous a téléportés ici, répondit le vieil homme, coupant court à mes considérations tatouagesques. Vous essayiez d'échapper à des Pokémon spectres, si j'ai bien compris ?
- Je crois, oui...
Tout était plutôt confus niveau souvenirs. Je me rappelai être persuadée que j'allais y rester... bien que la raison m'échappe à présent. Il y avait eu cette bouffée de peur et de désespoir qui m'avait envahie jusqu'à m'habiter complètement, et ensuite... Le reste était flou.
- Zack ne s'est pas attardé, je suppose.
- Il est reparti après s'être assuré que vous n'étiez plus en danger, opina le vieillard.
Je jetai un coup d'oeil par la fenêtre. Le soir était en train de tomber. Tant pis. J'allais prendre la route quand même, quitte à camper en chemin si je n'atteignais pas Céladopole avant la nuit.
- Ha, les jeunes... tellement pressés de nos jours, commenta mon hôte alors que je récupérai mon sac à dos.
- Au revoir, lui lançai-je en sortant. Merci pour tout !
Destination : Céladopole. Le petit chemin de terre qui sortait de Lavanville se déroula sous mes pieds, tel un ruban menant vers l'aventure. Tout en marchant, je songeai à ce qui s'était passé dans la Tour Pokémon. Peu importait la manière dont je considérais les événements, il était très probable que Zack m'ait sauvé la vie. Décidément, je comprenais vraiment que dalle à sa façon de se comporter. D'abord, c'était « Ouais, Léa, t'es qu'une minable, je vais t'écraser. » Ensuite : « T'as tué mon Rattatta mais je m'en fiche, je montre aucune émotion. » Et enfin, « Allez hop, je te sauve la vie après t'avoir copieusement insultée. » Je sais pas vous, mais pour moi c'était aussi clair qu'une mare de boue - une mare dans laquelle on aurait préalablement versé du pétrole. Et encore, j'étais gentille.
Arrête de te torturer, Léa, m'intimai-je.
Pense à autre chose. Tout sauf à Zack.Fatalement, mes pensées dérivèrent vers Léonard. Et vers mes sentiments pour lui. Enfin, mes 'trucs', disons. Je ne savais pas encore si ce que je ressentais méritait l'appellation de 'sentiments'. C'était juste que j'aimais bien être en sa présence. Ouais, voilà. Je l'aimais bien : c'était tout. Je hochai la tête, contente d'avoir rendu tout ça plus clair. Enfin un mystère de résolu !
Le destin devait se sentir d'humeur taquine, car une demi-heure plus tard, je croisai quelqu'un habillé tout comme Léonard lors de notre première rencontre : blouse blanche et grosses lunettes sur le nez. Il me fit signe de la main.
- Salut la compagnie ! Si tu comptais entrer dans Safrania, je t'arrête tout de suite, ils ne laissent passer personne. Une histoire de couvre-feu ou je ne sais quoi.
Il appuya ses paroles d'un geste exaspéré.
- En fait je me rends à Céladopole, répondis-je.
- Ah, je vois. (Il avisa mes Pokéballs à ma ceinture.) En route pour affronter Erika, hein ? L'arène est sympa, tu vas voir.
Erika. Au moins j'avais le nom de ma prochaine adversaire.
- Si je peux me permettre de te donner un petit conseil : fais le plein de spray anti-para. Les Pokémons d'Erika connaissent tous Para-spore et c'est un coup qu'ils jouent très souvent.
- Merci du conseil. (J'hésitai, puis demandai sur un coup de tête:) Dis, tu connaîtrais pas un certain Léonard par hasard ?
- Léonard De Bellevue ? Si, on fait partie de la même promo... Pourquoi ?
- Euh... pour rien.
Arrête de penser à lui, Léa !Je repris la route, pressant le pas. Alors que j'approchai de l'entrée du souterrain menant à Céladopole, je repérai du mouvement dans les hautes herbes. Un éclat doré suivi d'un éclair de fourrure blanche. Ah, tiens. Je me demandais si... Oui, ça pouvait ptet marcher.
Comme j'avais eu envie d'être seule avec mes pensées pour ce bout de route, j'avais laissé mes Pokémons bien au chaud dans leurs maisons. Je rectifiai cette erreur en faisant sortir Princesse de sa Pokéball.
- Miaouss ? miaula-t-elle en inspectant les environs.
- Miaouss ! fit une autre voix.
Une petite tête de chat surgit d'entre les herbes. J'avais vu juste. Poussé par la curiosité, le Pokémon sauvage s'approcha de Princesse, tout en mouvements souples et coulés. Ils se reniflèrent, puis Princesse émit un miaulement amical qui ressemblait fort à un roucoulement. Tiens donc. Aurions-nous affaire à un prétendant masculin?
Je fouillai dans mon sac à la recherche d'une Pokéball et la lançai sur le Miaouss sauvage. Elle rebondit sur son flanc lustré, s'ouvrit et aspira l'énergie rouge qu'était devenue le Pokémon. Peu importait combien de fois j'étais témoin de ce procédé, il m'étonnait toujours autant. Sur le sol, la ball s'agita une fois, deux fois, et à la troisième le Miaouss en jaillit comme un diable hors de sa boîte, tous les poils hérissés. Il cracha de colère et se rua sur Princesse, toutes griffes dehors. J'assistai alors à une transformation radicale : de 'grosse boule de poils meugnonnne', ma petite Miaouss passa à 'moissonneuse-batteuse assoiffée de sang'. Elle se déchaîna sur son adversaire, impressionnante de rapidité - et j'irais même jusqu'à dire de viciosité. Acculé contre une barrière, l'oreille mordue jusqu'au sang, le Miaouss malchanceux devait se maudire d'avoir croisé notre route. Inutile de préciser que cette fois-ci, lorsque je lui offris l'abri d'une Pokéball, il ne se débattit pas.
Le Pokédex confirma mes soupçons : c'était bien un mâle. Mistigri, décidai-je tandis qu'il était automatiquement transféré au centre Pokémon le plus proche. Un beau nom de matou. Princesse approuva d'un miaulement.
- Et toi, ma petite tigresse... d'où elle vient cette furie, hein ? Tu me l'avais cachée, ça.
- Miii, répondit-elle d'un air suffisant.
Elle aurait souri si elle en avait été capable, j'en aurais mis ma main au feu.
- Ouss ! glapit-elle en partant à grands bonds vers l'entrée du souterrain.
Après un presque-cassage de gueule dans les escaliers, je descendis prudemment, tandis que Princesse se pavanait. Les semi-ténèbres qui régnaient ici bas ne posaient pas de problème pour ses yeux de chat. Moi, c'était une autre histoire.
- Éclaire nous tout ça, tu veux bien ?
Aussitôt, le joyau sur son front projeta une lumière vive aux alentours. Je battis des paupières pour ajuster ma vision. Y avait pas à dire, c'était drôlement pratique. Mais se retrouver dans le noir avec un chat lampe de poche me rappela une situation similaire qui me fit frissonner.
- Dis, Princesse... qu'est-ce qu'il s'est passé quand on a traversé cette grotte ?
La Miaouss se retourna vers moi, m'éblouissant avec son halo de lumière.
- Miaouss ?
À force de côtoyer mes petites bestioles, je commençai à affiner ma perception de leurs diverses façons de s'exprimer. Et là, j'avais affaire à la perplexité. Elle ne voyait pas de quoi je voulais parler ?
- La Grotte Sombre, hier ? Tu te rappelles ? Il y avait un sifflement étrange et ta lumière s'est éteinte...
- Miaouss.
Ça, c'était un 'non'. Un bon gros non, franc et honnête. Mais ça n'avait aucun sens. D'abord l'infirmière m'assurait qu'il s'était agi d'un éboulement, alors que tous mes souvenirs me prouvaient le contraire, et à présent ma Miaouss avait l'air d'avoir complètement oublié l'incident... comme s'il ne s'était jamais produit. Je grinçai des dents. Ce que je détestais ne pas savoir. Pfff. Bon, à défaut de lever le voile sur ce mystère, je pouvais au moins ne pas m'éterniser de ce tunnel moisi. Il était déjà beaucoup trop long à mon goût...
Heureusement, nous finîmes par retrouver la lumière des étoiles. La longue marche dans le noir n'avait pas calmée Princesse, bien au contraire, et à la sortie son attitude guillerette semblait amplifiée. La queue frétillante, elle s'enfonça dans les hautes herbes, jouant l'exploratrice.
- Princesse ! Reviens ici, tu vas te... Wow.
Ce 'Wow', c'était parce que je venais de déboucher sur ce qui était vraisemblablement l'allée principale de Céladopole, et bon dieu, ça en jetait. La lueur de la lune se reflétait sur le pavé brillant, si propre qu'on aurait pu s'en servir comme d'un miroir sans problème, et de part et d'autre se dressaient des bâtiments au style épuré, flambant neufs pour la plupart, qui auraient pu rivaliser sans peine avec les grattes-ciels de notre bon vieux monde à nous. Une bâtisse en particulier se détachait de la masse, surclassant toutes les autres niveau hauteur et nombre de fenêtres. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Une question qui allait devoir attendre, car présentement tout ce que je voulais c'était aller m'effondrer sur un lit douillet.
Je n'eus aucun mal à trouver le centre Pokémon : égal à lui-même, il faisait figure de nain au milieu de tous ces géants. L'infirmière préposée à l'accueil m'offrit un chaleureux sourire. Leur arrivaient-ils seulement de faire la tête, à celles-là ? Depuis le temps que j'étais ici, je les avais toujours vues de bonne humeur - sans oublier souriantes, disponibles, et énergiques. C'était louche. À quoi pouvaient-elles bien se droguer ? Le mystère resterait complet car j'avais mieux à faire que d'aller leur poser la question. Et puis si j'avais dû avoir la réponse à ne serait-ce qu'une seule des questions qui me hantait, ça aurait été à : 'Mais qu'est-ce que je fous ici, bordel ?'
Vu l'heure tardive, je remis la douche au lendemain et me contentai d'une rapide toilette dans la salle de bains commune avant de pénétrer dans la pénombre du dortoir. Un dortoir qui résonnait des froissements des sacs de couchage et des respirations des dormeurs. Et bondé qui plus est, ce qui me compliquait pas mal la tâche. Je louvoyai entre les rangées à la recherche d'une place.
- Je t'ai enfin capturé, Mew...
Tiens, et certains parlaient dans leur sommeil. Génial. Et c'était quoi comme Pokémon les Mew ? Jamais entendu parler. Enfin il fallait avouer que j'étais loin d'être une experte... Après moult déceptions (difficile de savoir si un lit était occupé ou non avec cet éclairage), je dénichai enfin un lit vacant et rampai sous la couverture. La machine à ronrons aux talents cachés de ninja m'y rejoignit et je me laissai enfin happer par le sommeil...
... pour être presque aussitôt réveillée par un cri d'alarme :
- Au feu ! Évacuez le centre, il est en train de flamber !
***
J'ai mis du temps à l'écrire celui-là... Le prochain arrive dans quelques jours.Équipe actuelle :

Salade

Teigne

Princesse

Souris

Grignotte

Plouf
Cimetière :

Ficelle