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A l'aube du pouvoir (T.1) de Raishini



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Informations

» Auteur : Raishini - Voir le profil
» Créé le 12/07/2012 à 00:00
» Dernière mise à jour le 16/11/2013 à 14:43

» Mots-clés :   Fantastique   Hoenn   Présence de poké-humains   Sinnoh

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Chapitre 9 : Over the rainbow
Seuls les bruits de pas venaient briser le silence monotone qui régnait. De même, les suites ininterrompues de couloirs rocheux rendirent Jérémie plus morose encore. Ces parois noires et sinistres avaient en effet de quoi démoraliser, d'autant plus que la file constituée par Tobias et ses hommes avait des airs de cortège funèbre. Tout cela glaçait le sang de Jérémie et lui hérissait le poil...

- Vous allez voir, ce sera fantastique dans tous les sens du terme ! déclara Tobias avec extase. Nous allons toucher du doigt un rêve jusqu'alors inaccessible à nos semblables ! Nous allons... être des demi-dieux ! Des personnes au pouvoir démesuré et invincibles !

- Vous êtes cinglé, rétorqua amèrement Jérémie sous l'exclamation apeurée de Mathilde qui tenta de le faire taire.

- Certainement, admit Tobias en ricanant doucement. Il faut l'être un peu pour opérer un tel changement dans l'histoire ! Crois-moi, tu me remercieras de t'avoir élevé au-delà de la banale multitude humaine ! Le hasard a voulu que nous ayons besoin de sept personnes supplémentaires pour lancer la cérémonie. Et le hasard a voulu que tu accompagnes ma fille, dont j'espérais qu'elle nous rejoindrait. Par conséquent, tu peux t'estimer heureux que le destin en ait décidé ainsi. Tu es une sorte d'élu.

Jérémie se prépara à répliquer, mais un geste de Mathilde l'interrompit et il fit la moue. Tobias était totalement fou ! Qu'espérait-il sincèrement obtenir de toutes ces machinations incompréhensibles ? Donner des pouvoirs à des humains ? Et puis quoi encore ?

A mesure qu'il avançait, le jeune homme se sentait vidé et engourdi. Plus que physiquement, c'était mentalement qu'il était abattu. Tout espoir l'avait quitté depuis que Salomon l'avait plaqué à terre. En dépit de son assurance feinte et de ses encouragements envers les autres, il n'allait pas mieux. Comme ses compagnons, il était effrayé et soumis à l'ennemi. Plus aucune échappatoire ne lui était permise. Ils étaient pris au piège. Et bien malin qui saurait les tirer de ce mauvais pas...

Le groupe bifurqua soudainement et s'infiltra par une large cavité dans une salle contiguë. Et là, Jérémie laissa échapper une exclamation mêlée de stupeur et d'admiration. Les lieux étaient vastes et impressionnants. L'atmosphère paraissait fixe et irréelle. Pas un bruit, pas un mouvement ne donnait un semblant de vie à cet endroit détaché de tout. Une longue allée en dalles de pierre d'un gris presque blanc s'ouvrait à eux. On aurait dit qu'elle les invitait à venir sur-le-champ. Les colonnes ébréchées mais élégantes qui la bordaient évoquaient la splendeur d'un temps révolu. L'ensemble était tout simplement fascinant.

- Ainsi, nous voilà, -au cas où vous ne l'auriez pas constaté immédiatement-, au sein des Colonnes Lances ! annonça Tobias avec une joie toute particulière.

Rien ni personne ne semblait nourrir autant de désirs que lui en l'instant. Un intérêt dément se lisait sur chaque parcelle de son visage et visiblement, il brûlait d'impatience d'en venir aux faits. Sur le moment, Jérémie s'en fit l'idée d'un grand enfant. On aurait dit qu'il avait été privé pendant longtemps de jouets et que, finalement, il avait réussi à s'en procurer. Tobias avait en effet dans le regard une lueur de gourmandise juvénile qui n'échappa à personne.

- C'est donc ici que vous comptez mener votre coup ? interrogea Mathilde avec dédain.

- Parfaitement, approuva Orion en ricanant. Vous verrez, ce sera grandiose, mieux que dans les films d'actions !

- Et dire que ce soir, c'est la nuit de Halloween, surenchérit une femme en faisant tinter son crochet en forme de serpent. Si ce n'est pas une drôle de coïncidence !

Pour toute réponse, Mathilde lui lança un regard noir. Pour qu'elle en vienne à arborer une telle expression rancunière, sa colère devait être bien grande. C'est là du moins ce que Jérémie en vint à conclure. Son amie était pourtant d'un naturel très patient et il en fallait beaucoup pour la mettre dans un tel état de fureur. D'un autre côté, le jeune homme ne la comprenait que trop bien.

En l'espace d'une journée, Mathilde avait reçu plusieurs coups de massue. Revoir son père et apprendre ses horribles projets avait probablement entamé son moral au maximum. Et se retrouver dans une situation si précaire n'arrangeait les choses.

Après quelques pas, la petite troupe déboucha sur une vaste aire circulaire. Le marbre ancien mais étonnamment immaculé qui la constituait avait des aspects mystiques. Il réverbérait la faible lueur qui perçait dans cet insolite endroit, semblant étinceler d'une aura sacrée. Si le contexte s'y était prêté, Jérémie se serait certainement émerveillé du caractère prodigieux de la chose. Malheureusement, seule l'anxiété était de la partie. Seul ce détestable sentiment existait en son être désorienté...

- Asseyez-vous en cercle et patientez, demanda Tobias avec une certaine dureté.

Contraints de s'exécuter, Jérémie et les autres gagnèrent le centre de l'aire et firent selon les volontés de l'homme. A présent, ils avaient l'air d'une étrange confrérie rassemblée autour d'un feu invisible.

Un rictus imperceptible sur les lèvres, Tobias effectua le tour de la salle, lançant tour à tour un étrange regard à chacun de ses sept prisonniers. Chuchotant des mots attentionnés à l'oreille de sa femme, Hyde tentait de la maintenir tout en évitant les yeux de son ancien ami. Pourtant sa haine restait palpable.

L'atmosphère n'avait jamais paru aussi pesante et inconsistante à la fois. Nul ne disait mot, enfermant la sordide assemblée dans une ambiance de mort. Les compagnons de Tobias effectuaient une ronde autour du cercle des captifs, tels d'étranges patrouilleurs. L'un d'entre eux, à l'inverse des autres, était assis en tailleur sur un rocher lisse et plat. Un regard inquisiteur perçait sous le couvert de sa bure tandis qu'il scrutait la scène.

Seul le claquement sourd des chaussures sur le marbre ancien transgressait le silence. A mesure que les secondes s'égrainaient, Jérémie était assailli de doutes. Qu'allait-il advenir d'eux une fois que la cérémonie serait achevée ? Le récit de Hyde était-il complètement vrai ? Si cela se révélait exact, les prochaines heures risquaient d'être compliquées...

- Bon, Orion, amène-nous le Cristal de Puissance !

A l'évocation de ce nom empreint de mystère, Jérémie tressaillit inexplicablement. Une vague d'horreur le submergeait progressivement sans qu'il comprenne pourquoi. Au moment où Orion s'empara d'un sac pour en sortir un cristal limpide comme du verre, Jérémie comprit. Les paroles de Hyde lui revenaient par bribes : " La dernière partie, qui symbolisait le morceau principal de son être - c'est-à-dire son âme -, fut quant à elle scellée dans un cristal "...

Ainsi, ce qu'il voyait... n'était autre que l'âme scellée du dieu Pokémon, son cœur en quelque sorte. Effectivement, il émanait une singulière pulsation de l'objet en question. Des vibrations ténues mais palpables irradiaient autour du cristal et Jérémie en eut la gorge nouée.

- Oui, parfait ! déclara Tobias en reprenant son sourire extatique.

Vif comme l'éclair, il se saisit du minéral losangé en forme de pointe et le détailla sous toutes ses coutures avec avidité. Les éclats irisés du cristal le rendaient plus fascinant que tout. Même Jérémie se surprit à l'admirer...

- A présent, je vais faire venir à moi le Pokémon suprême ! déclara Tobias d'un air enchanté voire un peu fou. Que ta toute-puissance soit mienne... Arceus !

Sa mine réjouie dénotait sans détour le plaisir qu'il éprouvait à se trouver ici, dans cette position de force. Se chargeant de la surveillance des captifs, il laissa le soin à ses compagnons de convoyer les plaques d'Arceus. Toutes les seize étaient de différente couleur et de la taille d'une grande tuile. Et toutes les seize n'étaient visiblement pas le fruit des fabulations de Hyde. Il n'avait pas menti. Quand bien même Jérémie était assez ouvert d'esprit, il parvenait difficilement à admettre leur existence. Leur matière paraissait n'avoir aucune origine terrestre...

Cela défiait les frontières de l'entendement et le plongeait dans un abîme de désespoir sans fond. Non, il devait rêver. Impossible que Dieu soit sur le point de rejoindre le monde des simples mortels, ici et devant lui...

- Très bien, maintenant laissez-moi faire, dit Tobias après que ses hommes aient fini de disposer les plaques à même le sol.

Solennel, le ténébreux meneur gagna une extrémité de l'aire, -celle située la plus au fond des lieux-, et s'agenouilla devant une éminence. Une éminence qui s'avéra être un socle dans lequel Tobias plaça avec minutie le Cristal de Puissance. Aussitôt, le sol fut parcouru d'étranges fourmillements puis trembla davantage. Dans le fracas indistinct qui s'ensuivit, Jérémie crut voir une forme blanche émerger à travers l'écran de poussière soulevé...

- Observez ! hurla Tobias en écartant les bras comme un fanatique. L'autel d'Arceus a été activé et sort de son repaire souterrain pour s'offrir à nous !

Lorsque Jérémie put aisément discerner la scène, il constata qu'une sorte d'autel octogonal était effectivement apparu là où Tobias avait posé le Cristal de Puissance quelques instants auparavant. Extrêmement surpris, il manqua de se lever pour l'examiner de plus près. Mais un raclement de gorge de la part d'Orion le maintint fermement campé au sol. Inutile de tenter quelque chose d'insensé, de surcroît. L'heure était plus que jamais à la prudence et Jérémie n'en mesurait que trop l'importance.

- Puisque tout est fin prêt, lançons la cérémonie ! annonça Tobias en se tournant vers les autres. Bandez nos invités, histoire que nous voyons vers quoi le destin les entraîne...

Sans comprendre un traître mot, Jérémie dévisagea Salomon qui venait. Celui-ci lui couvrit parfaitement les yeux, de sorte qu'il fût totalement plongé dans le noir. Une poigne à la puissance phénoménale le releva et on le poussa en avant. Autour de lui, il percevait des bruits lui indiquant que ses camarades subissaient le même sort que lui. Ses lèvres tremblaient d'indignation mais il ne pouvait strictement rien faire. Pour ne rien arranger, la douleur de ses mains et de son dos choisit de se manifester à nouveau.

La démarche incertaine, il laissa ses pas le guider jusqu'à ce qu'on l'interrompe d'une nouvelle pression de la main. Plus désorienté que jamais, Jérémie patienta, probablement stupide à demeurer ainsi comme un piquet.

- Parfait, approuva Tobias d'une voix doucereuse. Faites-leur choisir une plaque au hasard pour qu'il la sertisse dans leur socle respectif sur l'autel.

Jérémie sentit par divers bruits sourds que l'on disposait les plaques devant eux. Sans qu'il soit besoin de lui demander, il tâtonna alors le sol en quête de la première qui tomberait sous sa main. Cette fois-ci, il commençait à percer à jour les intentions de Tobias. Si elles s'avéraient telles qu'il les imaginait, son choix pourrait devenir crucial pour l'avenir. Il ne devait pas fauter, même s'il avait rarement eu de la chance lorsqu'il s'agissait de hasard... La contingence devait absolument lui être favorable pour que tous aient une chance d'en réchapper une fois ces opérations abouties. Oui, elle devait absolument lui être favorable.

Enfin, il perçut sous ses doigts le contact lisse et glacé d'une plaque et s'en empara aussitôt. Pourvu qu'il ait tiré au sort la plaque dont le type serait le plus puissant possible, comme la plaque de type Dragon par exemple...

D'étranges tapotements creux lui indiquèrent que ses compagnons s'étaient eux aussi emparés d'une plaque. La voix enhardie d'Orion retentit alors :

- Tiens, c'est étrange de voir la plaque qui leur est destinée... Je veux tenter ma chance moi aussi ! Shino sera de garde de toute façon. Et puis j'aime assez le caractère aléatoire de la chose.

Selon toute vraisemblance, Orion souhaitait choisir sa plaque au hasard lui aussi. Quelques secondes plus tard, il semblait que ses équipiers l'aient imité car les commentaires fusèrent :

- Voilà donc le type qui me revient, disait un homme à la voix mystérieuse. Après tout, pourquoi pas...

- J'ai toujours dit que tu étais trop rigide, commenta un deuxième en pouffant comme un collégien.

- Et moi que tu étais plus insidieux que tout, objecta le premier en ricanant.

- Si je peux me permettre, je crois bien que c'est Dynamo qui s'est fait la part belle dans toute cette histoire, remarqua la femme au crochet de serpent avec intérêt. Faut-il donc croire que la personnalité a une influence quelconque ?

Stressé par sa cécité temporaire, Jérémie prit le risque d'ôter son bandeau pour avoir un visuel. Heureusement, il n'y eut pas de sévices. Entre ses mains, une tablette au bleu presque turquoise luisait d'un éclat attrayant. Pendant ce temps, Orion et les autres admiraient celles qui semblaient les avoir reconnus comme maîtres. Devant de telles réactions, le jeune homme aurait presque pu les prendre pour des acheteurs d'antiquités singulièrement absorbés par les articles en vente.

- Il suffit, reprit Tobias en tapant des mains pour s'accorder l'attention générale. Nous allons procéder aux réglages de notre cérémonie tant attendue. Veuillez sertir les plaques dans leur socle dédié. Vous ne pourrez pas vous y tromper, ils sont de la même teinte.

Bien malgré lui, Jérémie obtempéra et avança vers l'autel d'une blancheur marmoréenne. Il échangea un regard avec Mathilde et Cyril qui avançaient en même temps que lui. Eux aussi arboraient une mine dépitée et inquiète. Mais, tout comme lui, il abdiquèrent et se plièrent à la volonté de Tobias. D'un geste coordonné, les plaques furent placées dans leur support simultanément...

La suite eut des allures apocalyptiques : dans une série sans fin d'intenses secousses qui ébranlèrent le sol et les colonnes, l'autel se souleva lentement de terre. Tout le monde fut projeté par la force des vibrations. Derrière lui, Jérémie vit les colonnes vaciller dangereusement sur leurs plinthes et quelques stalactites éparses se détacher du haut plafond. La douleur de son postérieur n'était pas suffisamment désagréable pour qu'en plus la caverne risque l'écroulement !

Toutefois ses craintes restèrent à l'état d'hypothèses et l'autel continua sa longue ascension vers les hauteurs... Une partie jusque là invisible du monument se révélait petit à petit, étirant une grimace d'étonnement à Jérémie et un sourire à Tobias.

Finalement, après une ultime secousse, l'autel cessa sa montée en faisant pleuvoir des gerbes de poussière sur les dresseurs. A présent, ce n'était plus vraiment un autel, mais davantage une sorte de sanctuaire : le bâtiment révélé avait une entrée en arcade qui aurait pu laisser passage à une girafe, et sa bordure extérieure comme intérieure s'ornait de frises énigmatiques. Haut comme une petite cathédrale mais mince comme une grande cabine téléphonique, ce bâtiment avait un aspect singulier.

Jérémie eut tout juste le temps de s'étonner à la vue de ce monument que deux nouveaux évènements s'enchaînèrent à la vitesse de l'éclair : son épaule gauche le picota comme si on l'avait chauffée au rouge et une lumière fusa de la pointe du Cristal de Puissance, qui trônait au sommet du sanctuaire telle une antenne de verre. Retenant à peine un cri de stupéfaction, le jeune homme se massa l'épaule et observa le rayon lumineux poursuivre sa course verticale jusqu'au plafond. Là, il perfora la paroi monolithique comme du beurre et doubla de volume...

Agressé visuellement, Jérémie mis sa main libre en visière et baissa le regard. Logiquement, le rayon devait entamer son élévation vers le ciel...

Le flash cessa soudain et il put contempler la voûte céleste à travers l'ouverture pratiquée. Mouvant comme la houle, un groupe de cumulonimbus semblait le dominer depuis des hauteurs stratosphériques. L'azur n'était pour ainsi dire plus vraiment bleu... Qu'était-il advenu de la lumière ?

Sa question trouva vite une réponse : un éclair zébra le ciel et vint frapper le Cristal de Puissance. Cet instant sembla durer des heures, ralenti inexplicablement. L'éclair parut quant à lui déchirer l'atmosphère. La détonation, le déferlement d'énergie qui découla de cet impact aurait suffi à hérisser les cheveux sur la tête de n'importe qui. Tout du moins, Jérémie ne parvint à contenir un frisson d'appréhension et bascula sur le dos comme une tortue en difficulté, incapable de se relever.

Suite à cela, le Cristal de Puissance fut nimbé d'une lueur laiteuse. Il brillait par intermittence tel un phare mal réglé et diffusait un étrange bourdonnement. L'assemblée de dresseur se remettait à peine de ce phénomène surnaturel lorsque les plaques brillèrent intensément. Elles projetaient un halo correspondant à leur couleur. Un halo si puissant qu'il colorait les visages et piquetait les murs rocheux de paillettes colorées. Enfin, les plaques émirent des faisceaux enluminés qui dessinèrent un cercle sur le plafond. Un cercle dont le centre... était la brèche effectuée par le rayon du Cristal de Puissance !

A ce moment précis, l'épaule de Jérémie le brûla fortement. C'était bien pire que précédemment. Des milliers d'aiguilles lui semblaient transpercer sa peau et déchirer sa chair. Bien qu'il s'efforçât de ne pas crier, des gémissements lui échappèrent et des larmes lui vinrent aux yeux. Cependant, il ne fut pas le seul. Son entourage eut exactement la même réaction à ceci près que certains hurlèrent à gorge déployée pour manifester leur souffrance. Probablement devaient-ils ressentir la même chose que lui...

Un cruel désespoir l'envahissait. Sa peau était un véritable brasier et il voulait que tout cesse... C'est alors qu'une silhouette massive mais imprécise se matérialisa en pleine lévitation et dissipa momentanément son mal. L'atmosphère tremblotait et un large flot de lumière blanche irradiait la pièce. Jérémie ouvrit des yeux ronds, les dents serrées. L'air donnait l'impression de s'écrouler sous la pression exercée par la silhouette.

- Ça y est ! hurla Tobias, le visage transfiguré par l'avidité. Arceus viens à nous !

Il s'était relevé étonnamment vite en découvrant l'apparition. La douleur générale l'avait cloué au sol et devait encore lui causer bien des maux, mais il semblait ne plus s'en soucier. Les yeux exorbités, la bouche étirée en un affreux rictus et les bras levés en signe d'adoration, il contemplait la forme naissante avec extase.

- Arceus, tes redoutables pouvoirs sont à nous ! Imbus de ta puissance, nous serons libre d'agir à notre guise et de soumettre la faible humanité ! Nous serons des maîtres parmi la piétaille, des êtres divins par excellence !

Déconcerté et incrédule, Jérémie toisait Tobias avec fermeté. Cet homme était définitivement fou. A côté de lui, il vit Mathilde essuyer discrètement une larme et lui prit la main. Ils affronteraient cette difficulté ensemble, qu'importe son ampleur.

La jeune fille lui adressa un regard embué et parvint étrangement à sourire. Puis elle acquiesça brièvement tandis qu'une succession de rafales venait balayer la salle et cingler les visages. La silhouette en flottaison évoquait à présent un gigantesque quadrupède au dos orné d'une imposante arcade. Elle suggérait vaguement une sorte de toile d'araignée aux fils d'or.

Dans l'obscurité, deux yeux rouges brillèrent comme des rubis envoûtants et meurtriers. C'était plus extraordinaire que tout et Jérémie se demandait si toute cette scène fantastique aurait une fin. Les fondations mêmes du Mont Couronné manifestaient des signes de fatigue et le jeune homme parvenait tout juste à conserver un équilibre relatif.

- Allez, viens ! tempêta Tobias au milieu du fracas tempétueux. VIENS !

Il y eut un cri surhumain qui transperça la poitrine de Jérémie, un flash éblouissant, puis plus rien du tout que le néant complet...


Une succession indéchiffrable de couleurs envahit le champ de vision de Jérémie lorsqu'il ouvrit les yeux. Ce mélange flou eut tôt fait de lui donner le vertige pendant quelques secondes et il s'agita nerveusement. Le décor d'une forêt verdoyante lui apparut finalement. A travers quelques trouées dans les massifs d'arbres, la lumière bienfaitrice du soleil perçait. C'était comme si, tout à coup, il émergeait d'un long et profond sommeil...

Où se trouvait-il exactement ? Et pourquoi donc était-il dans cette forêt, alors qu'il n'avait pas souvenir d'être sorti du Mont Couronné ? Allongé sur un tapis de mousse confortable, il aurait voulu reposer ainsi éternellement. De plus, une légère brise venait lui caresser le visage. Il se sentait bien, magnifiquement bien...

Un brusque retour à la réalité le fit se relever. Il y avait une urgence à régler. Tobias et ses hommes couraient toujours, même s'il ne les voyait pas. Les laisser sévir alors qu'il pouvait agir était impensable.

Lorsqu'il se redressa agilement, il fut interpellé. Non pas en raison d'une sensation quelconque, mais justement en raison d'une absence de sensation. Plus aucune douleur ne venait le tenailler, aussi bien au niveau des paumes que du dos.

En s'auscultant minutieusement, Jérémie réalisa que ses blessures s'étaient refermées. Et pour couronner le tout, une marque en forme de flocon de neige turquoise marquait son épaule gauche. Son esprit était confus et son raisonnement diffus... Combien de temps avait passé depuis la cérémonie ? Comment avait-il atterri ici ? Et pourquoi était-il seul ?

Jérémie n'arrivait pas à résoudre ces sombres interrogations intérieures. Tout devenait plus flou à mesure qu'il réfléchissait. De plus, activer ses méninges en vain lui donnait l'impression de vouloir saisir de l'eau avec ses doigts. Pris d'un étrange pressentiment, il tituba soudainement et chuta sur le dos. Sa force venait de s'envoler aussi vite qu'elle était apparue au réveil.

Noué affreusement, l'adolescent bascula à plat ventre et se mit à ramper. L'herbe lui léchait le visage mais il s'en moquait. Sa tête tournait par saccades et il avait envie de vomir. Son corps entier était parcouru de fourmillements et comme engourdi. Il n'aimait guère la tournure que prenaient les événements...

Sa main entra en contact avec la racine d'un arbre sur lequel il comptait s'appuyer. Un bruit cristallin lui étira alors un haussement de sourcil. Des flocons de neige virevoltaient autour de lui tels de petits corps célestes tandis qu'un souffle glacé parcourait ses membres... L'instant d'après, la racine gela instantanément dans une série de craquements sonores et fut emprisonnée par un impressionnant carcan de glace. Cet étau translucide donnait une allure de sculpture bleutée au chêne qui faisait face à Jérémie.

Consterné, celui-ci se leva tant bien que mal en titubant. Une sensation de chaleur indescriptible l'envahissait en même temps qu'une profonde angoisse... Mais que lui arrivait-il ?