Ch. 08 Ils sont tombés du ciel (Luxya)
Il faisait tellement chaud. Ça faisait deux heures qu'on marchait inlassablement sans avoir bu, deux heures qu'on entendait nos souffles rauques entrecoupés et nos pieds traîner sur le sol terreux. La poussière rentrait dans mes tongs, c'était insupportable. J'en avais marre. Je luttais constamment pour ne pas pleurer, pour ne pas donner une lueur d'espoir à cette fille, Linda, qui guettait la moindre occasion de me pourrir, apparemment. Tennessee lui, était constamment à l'avant, nous guidant sur une route sans obstacles, où il suffisait simplement de marcher sur le sentier plus clair. De temps en temps, on voyait des magasins terrassés, des restes de fondations défoncées, mais aucune trace de nourriture, ou d'eau à l'intérieur.
Démétrios était à côté de moi, et malgré notre rencontre plutôt délicate, ainsi que notre récente petite altercation, on appréciait de marcher près, sans pour autant parler. Je pense que dans ce genre de circonstances, parler ne sert à rien : la présence suffit. Depuis qu'ils s'étaient sévèrement pris la tête avec Tennessee, il essayait de se rapprocher de Linda, ou de moi.
- T'en as marre ? me demanda-t-il, traînant ses pieds tout en tirant sur le nœud de sa cravate relâchée.
- Non, j'adore ! Le chaud, la mort qui nous guette, cette fille qui s'la pète... balançai-je pour lui montrer que sa question était stupide.
- 'La fille qui s'la pète' est juste devant toi, elle entend tout ! grogna Linda sans se retourner.
- Les enfants, on se tait.
Tennessee se retourna en nous gratifiant d'un sourire paternel, sans doute pour rire. Ou alors c'était un sourire de psychopathe. Ou pas. Je sais pas, avec lui, on peut jamais savoir. En revanche, pour Dem, ce fut le regard le plus flippant que j'ai jamais vu de ma vie. C'qu'on était bien partis. Y avait UNE chance sur des milliers (vu le nombre d'humains qui reste) pour que dans notre groupe, les deux gars et les deux filles ne s'aiment pas. Quelle ironie. Magnifique, j'adore, je le sens vachement bien ce foutu voyage.
Après avoir soupiré une énième fois, mon asthme m'obligea à m'arrêter.
- Quoi, ENCORE ? demanda Linda, sans même savoir ce qu'il se passait.
J'haletai. C'était pas le moment, je le savais, mais c'était plus fort que moi. Depuis des jours, j'ai envie de chialer, j'ai envie de rejouer avec Pia et Kostas, de leur montrer Pharamp en train de danser avec Vigoroth ; de revoir mon père enfoncer ses pieds dans ses tongs, en disant à ma mère que le plat qu'elle avait préparé avait l'air très bon. J'aurais donné n'importe quoi pour repasser du temps avec Disthène, pour qu'il me raconte ses ébats d'adolescent déjanté pendant qu'il me ferait ma tresse.
Au lieu de ça, je mourrai à petit feu à cause de mes poumons qui se comprimaient à cause de la marche, de la chaleur, du stress, et j'avoue que je ne refuserais pas un peu d'eau.
- Regardez ce truc en forme de magasin là-bas, dit Démétrios en pointant du doigt l'horizon, on peut aller voir si y a de quoi boire.
- C'est peut-être l'illusion à cause la chaleur qui te fait voir ça, déclara Tennessee. Ne nous éloignons pas de la route.
- On a juste à sortir de vingt mètres de la route mec, c'est le minimum pour qu'aucun de nous crève quand même ! s'énerva-t-il.
Bien que touchée par sa gentillesse, je ne le laissai pas transparaître. Linda avait l'air désolée d'avoir été si hâtive quand j'avais commencé à m'essouffler.
- On a juste un kilomètre à faire à peu près, Ambre, dit Dem en m'attrapant les épaules. Tu te sens ?
- Bah... faisons-les, crachai-je presque.
Tennessee reprit la marche militaire en avançant, son Desert Eagle en main. Il s'amusait à le faire tourner, l'index coincer dans la gâchette. J'imaginai qu'un jour, il nous tirerait dessus accidentellement... On marcha jusqu'à cet espèce de bar, en fait, bien évidemment désert et à moitié effondré. Des virevoltants passaient devant nous, et à un moment, j'ai vraiment cru qu'on était dans un film Western. Démétrios enjamba les restes des fondations, et escalada habilement le bar se retrouvant de l'autre côté, face à nous. Il prit ce qu'il ressemblait à un chiffon usagé, noir de crasse et déchiré de partout, puis un verre tout beau. C'est beau de voir que la guerre a eu la grâce d'épargner un verre. Il nous sourit.
- Ce sera quoi pour vous, madame ? dit-il en montrant Linda de la tête.
- Pour moi, ça sera que tu te magnes le cul et qu'on regagne vite le camp, merci.
- Tout de suite ! s'exclama-t-il en gardant son sourire, quoique crispé.
Tennessee ricana en entendant la réponse de Linda. Ils avaient les mêmes priorités, c'est déjà bien. Visiblement, y avait que Dem qui se souciait de mon agonie. Ça me faisait plaisir. Si j'avais toutes mes forces, je n'hésiterai pas à cracher sur Tennessee. Je laisse le bénéfice du doute à la fille, qui a plus l'air perdue qu'autre chose.
- Purée, venez voir ça !! cria le brun sous le bar.
Ten et Linda accoururent et se mirent à escalader à leur tour, tandis que moi j'attendais patiemment, mais néanmoins intriguée. Je vis leurs yeux s'écarquiller, puis ils disparurent de mon champ de vision. Ils ont du s'engouffrer dans une petite trappe.
- DE L'EAU !!! Et y a même des conserves !
Je soupirai de soulagement, et me laissai tomber au sol. Ma toux se fit de plus en plus forte.
- YIHOOOOOO !! cria Démétrios.
- EAAUU !! hurlai-je, impatiente.
Je les vis ressortir avec chacun deux ou trois bouteilles. Un sourire éclairait le visage de Linda, qui devait crever de soif aussi. Quand j'ai eu la bouteille d'eau entre mes mains sales, j'ai bu le liquide avec une telle avidité que j'ai vidé la moitié du litre. Ma respiration reprenait un rythme normal, et après quelques lentes inspirations, ça allait bien mieux. Tennessee, visiblement pas pressé d'étancher sa soif, restait derrière le comptoir.
- Vous aimez le Barbicha ? Y a des boîtes de Barbicha.
- Elles doivent être périmées maintenant, répondis-je.
Il revint avec plusieurs boîtes, s'assit à ma hauteur et les deux autres firent de même. Il croisa les jambes et fixa une des boîtes, la retourna sous tous les angles.
- 21 juin 2150...
- Onze ans, c'est rien ! souris-je.
C'était hors-de-question qu'on mange ça, ça serait bête de se retrouver malade alors qu'on risque notre peau chaque minute. En revanche pour ce qui est de l'eau, peu importait.
- Je propose qu'on se lave, déclara Tennessee.
- Mais c'est bon, mieux vaut économiser l'eau ! pesta Linda.
- C'est ton problème crasseuse, répondis-je, nous on préfère se laver.
- J'suis d'accord, j'transpire, un truc de fou ! dit Dem tirant sur sa chemise pour faire passer l'air.
En observant Linda avec son air bougon, je remarquai qu'elle ne transpirait pas. Bizarre. Même moi qui d'habitude supporte bien la chaleur, j'en pouvais carrément plus.
- Normal qu'elle veuille se garder l'eau, dis-je froidement, elle s'en fout, elle a pas l'air d'avoir chaud.
- Ha. Ha. Ha.
Ok. Bon. On décida de prendre une bouteille chacun pour se laver, et de garder les autres pour le voyage.
= =
Je les regardais. Un par un.
Démétrios, assis à mes côtés, une bouteille d'eau en main qu'il se faisait couler sur la tête, se tournait régulièrement vers moi avec un sourire que lui seul pouvait faire dans ces moments. Je sais pas à quoi il jouait, mais vu qu'il était torse-nu, il avait l'air de s'amuser à faire les mecs dans les pubs, le soleil faisant briller sa peau. Ses mèches lui retombaient sur le nez et on aurait dit le mec le plus insouciant du monde.
Linda, qui, même si elle m'était insupportable, avait l'air de cacher des secrets si sombres... Peut-être pour ça que je l'aime pas, elle a l'air de cacher son jeu à chaque fois. Elle en reste vraiment intrigante. Assis sur une pierre, les jambes rabattues, collées à son buste, la tête posée sur ses genoux, elle avait l'air ailleurs.
Et Tennessee, celui qui m'inspirait à la fois de la crainte et du respect. Il tenait sa main en visière, regardant l'étendu de la Route, le fond se diluant au regard à cause de la chaleur tombante. Sa 'douche' avait été rapide, il avait l'air obnubilé par ce camp de résistant.
Moi aussi je voulais rejoindre ce camp, dont j'avais vaguement ouï l'importance en ces temps, quand la guerre a commencé. Mais c'était juste parce qu'on me l'avait ordonné.
J'avais peut-être quinze ans, quand mon père, en rentrant de la place d'exécution où des Pokémon avait tué une femme, m'avait emmené à la place du village. Au loin, Pia et Kostas jouaient tranquillement avec des bouts de bois. Mon père me les montra, agenouillé près de moi. Il était en sueur, tout sale, apeuré par un des sacrifices auquel il avait assisté. Il me regarda, puis dit :
- Si un jour on doit mourir, maman et moi, les autres, prends les enfants, et pars vers le camp de résistants. Il est à San Francisco. Il est loin, mais au moins, tu peux être sure que tu ne seras pas seule.
- Mais je vais mourir ! avais-je répondu.
- Non. Tu es forte. Tu chasses, tu es rapide, et sournoise. Mais pas Pia, ni Kostas. Promets-moi que tu les protègeras, pour tenir le coup.
Je l'avais regardé, tandis qu'il se relevait difficilement avec sa béquille. J'avais envie de pleurer.
- Promis, papa.
Aujourd'hui, il était mort. Et j'avais failli à ma promesse.
La Guerre Interespèce s'est déclenchée si bêtement. J'étais en train de m'essorer les cheveux en les tournant dans mes mains, en pleine galère, tellement ils étaient longs, quand je vis Tennessee se pencher pour ramasser quelque chose.
Han. Bien sûr.
- Y en a encore ?! s'étonna-t-il.
Il examinait une seringue à l'aiguille courte, mais au cylindre plutôt gros. Je la fixai, puis déclarai, comme si personne ne savait.
- Sérum AB-6, Tétrodotoxine modifiée pour ralentir le métabolisme des Pokémon miniers.
- Merci Wikipedia, on sait ! grommela Linda.
Oui, nous on le sait, mais pas vous. Le sérum AB-6, c'est l'origine de la Guerre. Normalement, c'est un liquide verdâtre qui annule un peu les capacités d'attaques des Pokémon, et les 'ramollit', en quelque sorte. Mais y a eu des complications.
En 2100, les hommes se sont rendus compte des dégâts qu'ils causaient à la planète ainsi qu'à l'appauvrissement de ses ressources. Alors ils ont décidé d'aller plus loin sous terre, pour trouver de nouvelles énergies. Pour ça, les Pokémon étaient les parfaits alliés. Leur puissance d'attaque était un tant soit peu diminuée grâce au sérum, mais au moins, ils étaient drogués, et pliés aux ordres. Chaque chef d'entreprise recevait sa dose pour administrer à chacun des Pokémon qu'il faisait travailler. L'idée de manipulation Pokémonesque a commencé à rentrer dans les esprits des hommes, qui ont fait de leurs Pokémon des esclaves : ils les maltraitaient, les nourrissaient peu, ne les faisaient plus combattre autant qu'avant. Quelques humains conservaient quand même cette idée d'amitié avec les Pokémon.
Et ce sont ces gens-là, emplis de bonnes intentions, qui ont tout fait basculer. Un jour, ils ont incendié le laboratoire central renfermant les toxines et produits nécessaires à la fabrication du AB-6, stoppant ainsi la fabrication pour quelques jours, voire des semaines. Là, tout le monde a découvert le pire : en voulant sauver les Pokémon, ces militants ont renversé les rôles. Comme ils ne recevaient plus de sérum, la toxine s'est modifiée dans leurs corps, et les Pokémon ont découvert leur puissance décuplée. Et tous se sont rebellés : ils cassèrent les maisons, détruisirent les monuments, décimèrent une partie de la population dans leur colère. Aucun des scientifiques n'avait prévu l'effet secondaire du AB-6. Même si leur puissance est décuplée en fonction du nombre d'année de leur dose, il faut savoir qu'elle finit donc par revenir à la normale.
Seuls les autres petits laboratoires pouvaient continuer la fabrication mais en très petit nombre. Les Pokémon ont donc réussi à régner, emplis d'une haine sans pareil envers les humains, et organisant des massacres tout comme les humains le faisaient pour eux : si l'un d'eux désobéissaient, il était exécuté devant les autres. Je me rappelle qu'une fois, à l'extérieur de mon petit village, un homme avait été exécuté, la tête arrachée par un Tortank, sous mes yeux. C'était juste pour le massacre annuel, pour montrer comment ça se passerait si l'un de nous désobéirait. C'était un ami de mon père, et toute la nuit, j'avais du supporter ses sanglots à travers mon mur fin comme une feuille.
La voilà, l'origine de cette foutue Guerre. Le manque d'empathie humaine pour les Pokémon, pour faire simple.
- Peut-être qu'il en reste des pleines encore, dit Linda en me tirant de ma réflexion.
- Vaut mieux pas, y a eu assez de dégâts comme ça, répondit Démétrios en se frottant un pied avec ses mains mouillées.
Je vis le regard de Tennessee changer. Il leva son pied et écrasa la seringue d'une fougue incroyable, provoquant un éclat de débris assez puissant. J'étais en train d'enfiler mon débardeur blanc crasseux quand je vis Dem me dévisager.
- Quoi ? demandai-je.
- Ben rien, mais c'est bête, il fait chaud, reste comme avant... Sans rien ?
Je le regardai, avec son sourire de dragueur invétéré, un sourcil haussé. J'aurais aimé lui faire regretter, je fus coupée par un bruit significatif qui nous fit sursauter.
Pokémon.
- Bravo le militaire, ton impulsivité a alerté nos amis... ricanai-je en sortant une flèche tranquillement de mon carquois.
- TEN, T'AVAIS DIT QUE LA ROUTE N'ÉTAIT, JE CITE « PAS SURVEILLÉE PAR CES SALOPERIES » !! s'énerva mon acolyte en cravate.
- Ça commence à faire beaucoup de fois qu'on les rencontre, effectivement... déclara l'intéressé, prenant beaucoup d'assurance en sentant le combat approcher.
- Bon, y a pas de pop-corn, mais je vais admirer le spectacle, hein ! sourit timidement Linda.
On commença à les voir arriver : trois Rapasdepic, un Vaututrice, quelques Apireine, et des Pokémon non de type Vol, mais accrochés sur le dos des oiseaux. Ils arrivaient à toute vitesse vers nous, hurlant et les yeux brillants. En les regardant rapidement, j'en conclus qu'ils étaient une quinzaine. Ils doivent avoir faim, ces cocos. Ils allaient en bouffer, de mes flèches.
- Pourquoi tu les flingues pas, Tennessee ?! s'étonna Linda, alarmée.
- Parce que j'économise mes balles. Et les combats à mains nues sont plus intéressants.
- J'approuve ! s'exclama Dem en sortant son stylo.
Je souris, d'un sourire que je n'avais pas pu esquisser depuis un moment. Me battre, c'était devenu un moyen de me défouler. Quand j'allais chercher à manger, c'était plus pour penser et m'évader que me nourrir qui m'intéressait. Là, la vie de mes acolytes était en jeu, doublement plus attrayant.
- Je prends les Apireine ! cria Tennessee en se jetant sur l'un deux.
- Moi le Vaututrice, dit Démétrios en sautillant de droite à gauche.
Je le regardai, en me demandant comment il allait faire pour tuer un gros oiseau avec... un stylo. Je leur signalai que je prenais donc les Rapasdepic. Ça tombe bien, j'avais trois flèches. J'encochai la première avec précision et rapidité, puis tendit la corde jusqu'à ma joue : la pression me fit respirer plus fort, prise dans l'adrénaline. Je touchai le cœur d'un des trois oiseaux, qui s'écroula à deux mètres de Linda. Les trois petits Pokémon sur lui furent assommés sur le coup, tombés de haut. Elle recula de quelques mètres et se posant sur un rocher, se faisant toute petite.
- Ça te dirait de mettre la main à la pâte un peu ? lui criai-je en tirant sur le second Rapasdepic.
Ce dernier allait s'écrouler sur moi, mais je bondis pour l'esquiver. À force d'avoir appris le tir à l'arc, j'ai également réussi à devenir rapide et silencieuse. Une chasseuse quoi. Ça m'aurait été utile si j'étais née dans cette période où les Shiny Hunters étaient célèbres. J'aurais adoré faire ça. Je retirai précipitamment la flèche dans l'œil de cet oiseau maronnasse, et asséna un coup de flèche au Scalpion qui était sur son dos. Bim.
- Ambre !
Tennessee m'avait appelée à temps, car le troisième Rapasdepic était toutes griffes dehors, prêt à m'arracher la tête. J'eus juste le temps de lancer la dernière flèche qui était dans mon carquois pour l'anéantir. Il gémit si fort que j'avais l'impression qu'il me perçait les tympans. Je retirai la flèche de son œil, la secouai pour enlever le sang qui coulait comme une fontaine. Je me suis de suite rappelée ce moment où j'avais tué Tengalice et que j'avais découvert Pia. J'avalai un bon coup ma peine. Je me retournai pour voir où en étaient les garçons.
C'était impressionnant.
Tennessee avait du abattre sept Pokémon. Il était en train de tordre le coup d'un Machopeur quand j'avais la bouche grande ouverte. Il relâcha sa proie et me regarda. J'avais pas l'intention de me défiler, il ne m'effrayait pas : c'était juste un mec qui n'avait rien d'autre à faire pour vivre que de tuer, point barre. C'était plus sa puissance qui m'épatait.
- Ferme la bouche, l'air va rentrer, me fit-il avec un clin d'œil.
- Hin, hin, répondis-je en plissant les yeux, neutre.
- Tu le vois ? Pouf ! Tu le vois plus !
Ten et moi nous retournâmes. Pour découvrir Démétrios, en train de jouer avec son stylo, le passant dans son dos et le remontrant, tout en captant l'attention du Vaututrice. Ce dernier ricanait tout en penchant la tête sur le coté. Dem avait aussi l'air content, et ne semblait pas apeuré. J'avais envie de rire, mais je me contenais. Visiblement, ça n'amusait pas Tennessee qui lui craqua la tête.
- MAIS T'ES MALADE ?! hurla Dem. J'ÉTAIS EN TRAIN DE JOUER AVEC !
- On joue plus maintenant.
J'étais moi-même choquée. Je suis pas inhumaine à ce point.
- Tu baisses d'un ton avec moi, j'suis pas ton Caninos, va falloir te le rentrer dans ta cervelle de militaire coincé, tu piges ! Crétin de mes deux ! T'aimes ça hein, faire ton sadique ! D'abord la maman Hippodocus, dégénéra, va !!
- Tu te prends pour qui ? demanda Ten, en se rapprochant de lui, froidement.
Démétrios ressemblait à un adolescent en pleine rébellion, s'apprêtant à cracher sur son père. Il fulminait littéralement.
- Pour un gars qui doit supporter un tueur sanguinaire, totalement psychopathe et qui pue la viande de Pokémon !! T'es encore plus débile que Mr Contesta dans les Concours Pokémon !
Le regard de Tennessee changea, il retroussa sa bouche, sans doute pour se retenir de l'éclater en deux. C'était marrant, un combat de petits hommes. N'empêche qu'avec tout ce grabuge, j'avais pas eu le temps de ramasser mes deux autres flèches. Je me dirigeai nonchalamment vers un des Rapasdepic, noyée dans le bruit de l'engueulade entre les deux garçons, quand je vis les trois Pokémon précédemment assommés quand j'avais tué l'oiseau, se relever.
- Les gars, vous avez un Pokémon, qui arrive !
Un Gallame courut vers eux à folle allure, alors qu'un Colossinge venait vers moi. Linda allait recevoir un Roselia, qui avait du mal à se réveiller. J'allai percer ce singe à deux balles, quand je remarquai d'un coup d'œil que Linda ne bougeait pas d'un poil. Au contraire, elle était tétanisée et semblait trembler. Elle enfouit sa tête dans ses genoux recroquevillés en criant. Vous savez, le genre de cri où l'on comprend que la personne pense à son passé.
- Linda, réag... !!
J'avais même pas eu le temps de parler que le Colossinge se jeta sur moi. Il me flanqua le plus beau coup de poing que jamais j'eus reçu de ma vie, ce qui m'écarquilla les yeux de douleur. Il appuya sur mes deux épaules, alors que j'étais tombée à la renverse et me planta d'un sourire diabolique. Je jetai un rapide coup d'œil à Dem et Ten, qui formaient un magnifique duo contre Gallame. Mais visiblement, il avait l'air dur à battre. Mes yeux se firent suppliants envers le Colossinge, qui me dédaigna. Il appuyait si fort que je ne pouvais même pas prendre la flèche dans mon carquois. Puis de toute façon, elle était réservée.
- DÉGAGE DE LÀ !!
Avec mon genou, je lui donnai un coup dans son ventre. Il n'apprécia pas et me cracha au visage en gémissant. Dégueulasse. Mais j'en profitai pour lui distribuer à nouveau plusieurs coups de poings, les plus forts que je pouvais. Mais bon, la force, c'est pas trop mon truc.
Je sentis tout d'un coup un poids plus fort sur moi, qui s'extirpa rapidement.
- Vas-y, on s'en occupe ! cria Démétrios sur le dos du Colossinge.
Je basculai la tête vers Linda pour voir que Roselia préparait une Eco-Sphère. Moi-même apeurée, je pris ma flèche, toujours allongée, l'encochai prestement et tirai dans le cœur du Pokémon, qui s'effondra juste devant Linda. Elle avait l'air au bord des larmes, mais elle se contentait de trembler comme s'il faisait – 50 degrés. Mais je précise qu'on crevait de chaud, bien sûr.
Avec beaucoup de froideur, j'avançai la tête droite vers Roselia. Je me penchai vers le cadavre, posai ma main sur la flèche, puis l'extirpai violemment, et la remis dans mon carquois doucement. Je me relevai, sans regarder la fille assise sur le rocher.
- Oui je suis triste d'avoir perdu ma famille. Mais on dirait que toi aussi, dis-je, la tête toujours vers Roselia.
Je ne guettai pas sa réaction, puis partis récupérer les deux autres flèches dans les cadavres dispersés. J'espérai qu'elle comprendrait à quel point sa remarque y a quelques temps sur la mort de ma famille m'avait meurtrie. Mais que ça n'empêcherait pas que je protège les miens. En croisant Démétrios en train de fixer le Vaututrice, je m'arrêtai.
- Merci Dem, j'ai une dette envers toi.
- Mais nan, répondit-il. Quand on sauve la vie de quelqu'un, on a pas à parler de dette.
Je ne le regardai pas, mais plutôt le Pokémon qu'il fixait depuis un moment.
- On dirait que tu t'attaches vite aux autres, remarquai-je.
- Tout est éphémère dans cette vie, depuis la Guerre. Autant profiter de la compagnie de ceux qu'on peut rencontrer, même s'ils sont méchants, même s'ils ne resteront pas longtemps avec nous.
C'est dingue ce que je me suis sentie bête près de lui. Je partis vers Tennessee, qui finissait de prendre des photos, qui m'adressa un grand sourire. Pas un sourire de psychopathe, un sourire empli de fierté. Un sourire que cette fois je comprenais, puisque pour nous deux, tuer était devenu une habitude.
- J'suis content de voir que y a du renfort de qualité, dit-il en donnant un coup de menton vers moi, pour me désigner.
- Je suis impressionnée par tes capacités, Tennessee.
Je ne lui avais pas souri une seule fois, notamment parce que je m'étais remémoré la mort de Vaututrice, mais lui le refit encore. Il a l'air de VRAIMENT aimer tuer. Je le dévisageais, sans montrer un poil de sentiment. Puis l'expression de son visage s'évanouit. Il saisit une aile de Rapasdepic, m'encourageant à faire de même en me désignant l'autre. Ça ferait deux repas certainement un Pokémon comme ça.
- En route, on a pas que ça à faire.
= =
Il faisait nuit. On avait trouvé un magasin sur le bord de la Route qui avait le toit encore un peu stable, et c'était excellent pour ne pas être repérés. Tennessee avait tenu à être près de la sortie, pour voir si un ennemi arriverait. J'étais tellement fatiguée que je n'ai pas protesté, préférant privilégier mon sommeil. Linda ne nous avait pas adressé UN seul mot depuis l'incident, mais je sentais qu'en cette fille, la couche de glace qui l'empêchait de parler n'était pas si épaisse. Je comptais bien la briser, soit dit en passant. On avait fini de manger, et on attendait que le jour arrive.
J'étais enveloppée dans un morceau de plastique pour ne pas être en contact avec ce sol dégueu. Ou peut-être pour me sentir en sécurité. Quand j'étais avec ces trois-là, j'avais l'impression d'être la seule à être obnubilée par mes parents, mes proches. D'habitude, c'était Kostas ou Pia que j'enveloppais de mes bras. Là, je pense que c'est moi qui en aurais bien besoin... J'avais envie de pleurer, mais tout en moi m'en empêchait. En plus, j'avais un gros bleu sur la joue, à cause de Colossinge, qui me déclenchait une douleur atroce au nez également, et j'avais aucune source froide pour l'apaiser. Je grimaçai continuellement.
- Disthène... lâchai-je, désemparée.
J'entendis des sortes de petits bonds venant dans ma direction ; Démétrios s'approchait de moi en se déplaçant sur le dos, allongé.
- C'est qui Disthène ? chuchota-t-il bruyamment.
Je m'étais remise à fixer le ciel entrecoupé par les débris du toit.
- C'est personne. Dors.
- T'es trop jeune pour te prendre pour ma mère.
Je me rappelai quand il s'était énervé le jour où je lui ai parlé de sa mère en me moquant, pour me débarrasser de lui. Il s'était directement emporté.
- Si t'as peur, tu peux dormir avec moi ! dit-il en souriant.
- Non.
J'avais beau commencé à l'apprécier, faut pas abuser. Il ne se démonta pas pour autant.
- Je supporte pas Tennessee, déclara-t-il sur un autre ton.
Ah. Voilà qui m'intéressait cette fois. Les affinités des uns et des autres, c'est toujours passionnant. Dans mon village, les potins, c'était LE truc indispensable pour garder le moral. Après une minute de silence, je répondis enfin.
- Pourquoi ?
Il se colla un peu plus à moi, et j'ai pas bougé.
- Parce qu'il est carré, méthodique, coincé du fion, et qu'il ne sait pas rigoler.
- Je te signale que moi non plus, Dem, annonçai-je, blasée.
- C'est pas pareil ! Je le sens...
Je me retournai enfin vers lui, le fixant dans les yeux. Il déglutit.
- Tu sens QUOI.
- Ben je sens qu'il craint, répondit-il. Déjà que j'aimais pas ses airs de psychopathe assoiffé de sang, je l'aime encore moins depuis qu'il a tué Hippodocus et Vaututrice. T'as vu le regard qu'il avait quand il a tordu son cou ?! Un malade j'te dis, un malade.
Je me relevai pour voir si Tennessee pouvait nous entendre. Je le vis de loin, totalement assoupi, certainement terrassé parce qu'il avait accompli.
- Je pense que c'est bien plus compliqué que ça... dis-je en me repositionnant.
- Moi pas. Tu peux avoir une vie pourrie et pas être un assassin.
Ça m'irritait un tantinet qu'il emploie le terme « assassin », d'autant que si je me basais sur ses conditions pour en être un, j'en étais un aussi.
- Je dis pas que t'es une assassine ! s'exclama-t-il en levant les mains.
Il lit dans mes pensées en plus. Je pris la peine de le dévisager pour la première fois, alors qu'on était à une trentaine de centimètres d'écart. Dans la pénombre, je distinguai nettement ses yeux ambre, qui brillaient derrière ses cheveux noirs dans la nuit. Il était pas parfaitement rasé, et ça le vieillissait par rapport aux premiers jours où je l'ai rencontré. J'eus l'impression d'être troublée. Je me retournai, dos à lui.
- Tu as été marquée par mon visage sensuellement ténébreux ? me demanda-t-il en ricanant.
- Non.
Je sais pas pourquoi, mais ça m'avait vexée. Je sais pas si c'est parce que j'avais eu l'impression de retrouver l'expression de mon frère, ou si tout simplement, je l'appréciais.
- C'est bon je plaisante, dit-il en regardant à son tour vers le ciel. ... T'en penses quoi de Linda ?
Étonnée de sa question, je relevai un peu la tête.
- J'en pense qu'elle cache un truc... J'ai du mal avec elle. Et toi ? demandai-je, finalement happée par la conversation.
- J'sais pas... Elle a l'air cheloue ouais. On dirait qu'elle veut faire sa mystérieuse, t'as vu comment elle m'a parlé quand t'étais en train de mourir d'asphyxie ?! Elle a pas l'air de vouloir faire d'effort pour être sympathique avec moi, alors bon.
Je relevai le buste, cette fois juste pour jeter un coup d'œil vers Linda. Recroquevillée contre la paroi du magasin, elle nous faisait dos.
- Je pense qu'elle doit avoir de vrais problèmes... déclarai-je.
- Tu défends tout le monde, toi ! rit-il. Au final, tu peux parler quand t'en as envie !
Je ne répondis pas. J'avais envie de dormir.
- Tu me demandes pas ce que je pense de toi, Ambre ? me dit-il en se penchant vers moi avec un grand sourire.
Je levai les yeux et sentis son souffle sur mon nez. Mon tempérament naturel reprit le dessus.
- Non. Maintenant, on dort.
= =
On était tous les quatre, en taille indienne devant un feu qu'on avait eu beaucoup de mal à allumer. Tennessee avait réussi pendant que Démétrios, Linda et moi cherchions de quoi aider. On grillait chacun notre morceau de viande de Rapasdepic. On avait tous du mal à manger, et une vague de mélancolie avait du tous nous saisir. On ne se parlait pas, comme si chacun étions seul face à la mort. Ten avait l'air très sceptique vis-à-vis de Démétrios, qu'il dédaignait du regard toutes les quatre secondes précisément. De mon ton habituellement glacé et vide d'émotion, surtout en ce moment, je demandai :
- Qu'est-ce-que tu lui veux ?
- Oh rien, je me disais juste...
Tennessee releva le buste, et sortit son Desert Eagle.
- ... qu'il devait flipper d'être en face d'un « malade avec des airs de psychopathe assoiffé de sang »...
Démétrios ralentit sa mastication, visiblement gêné, puis se tourna vers moi.
- Je crois qu'il dormait pas.
- Écoute Ten, il a le droit de dire ce qu'il pense, déclarai-je, un peu moins froidement.
Pour toutes réponses, il caressa son propre menton avec le canon du Desert Eagle, un regard déjanté fixe vers l'autre garçon. Démétrios frémit.
- Hé mais me tue pas, hein ! Pas comme pour ce pauvre Vaututrice ! grogna le brun en chemise et cravate.
- Je pense que tu n'as pas besoin d'en rajouter Dem, dis-je avant de mordre avidement un bout de viande sur l'os.
- J'tiens à préciser que tu m'effraies aussi.
Je relevai la tête, surprise d'entendre Linda qui n'avait pas dit un mot depuis le combat de la veille.
- Ah ça y est, tu parles toi maintenant ! remarquai-je sarcastiquement.
- Si vous êtes pas contents, reprit Tennessee, je vous butte tous et je me barre tout seul, c'est comme vous voulez.
Linda écarquilla les yeux devant le ton neutre et indifférent du militaire. J'haussai les sourcils, regardai Dem. Puis je sortis une flèche très lentement de mon carquois et désignai Ten avec. Je fis mine de la préparer sur mon arc reposant à côté de moi, le tout posément.
- Tu vois... Tu redis quelque chose comme ça, la prochaine que j'encoche atterrira dans ton œil et te bousillera le cerveau.
Il me défia du regard, leva le menton avec un sourire vindicatif. Puis il baissa son révolver, que je trouve très classe au passage, tout en me faisant signe de baisser ma flèche. C'est marrant, j'avais toujours ce réflexe de menacer quelqu'un avec une flèche. Toujours. Ça devait faire un poil parano aussi. Dem et Linda se regardèrent, tout en déglutissant.
- On a l'air très gentils à côté de vous... sourit Démétrios.
- C'est pas une question d'être gentil ou pas, affirmai-je sans un regard pour eux.
On se me remettait tout doucement de notre périple d'hier soir, même si physiquement, on avait été amochés. Tennessee surtout, avec plusieurs entailles, mais petites, et localisées un peu partout. Ses bras étaient pleins de griffures. Démétrios quant à lui, avait juste une partie du cou rouge, sans doute à cause de sa bataille avec Colossinge. Linda n'avait rien, mais je pense que le choc qu'elle avait eu l'air d'avoir hier lui avait suffi. Faudra bien que je sache un jour ce que c'est, quitte à lui tirer les Aspicot du nez.
- C'est dingue, j'avais pas remarqué dans la nuit ton super bleu, Ambre ! ricana Démétrios.
Je pouvais pas me voir, mais rien que moi je le sentais. Ça devait partir du dessous de mon œil, et au vu de la douleur, se prolonger jusqu'à mon menton. Et sans doute mon nez aussi. Bref, on avait l'air de vrais guerriers qui combattaient pour leur unique survie.
Alors que je finissais mon bout de cuisse de Rapasdepic, nous étions toujours assis, quand j'entendis un bruit. Je me retournai rapidement.
- Regardez... dis-je.
C'était un Lucario. Je saurais pas comment expliquer, mais il n'était pas banal. J'eus alors le reflexe de sortir de suite une flèche, sans doute par frayeur, mais Tennessee me stoppa avec son bras, me poussant légèrement. Il avait beaucoup de force parce que j'ai basculé en arrière. De loin, malgré les vibrations de l'air à cause de la chaleur, je vis quelques autres Pokémon, sans doute ses sbires.
Tennessee se leva. On avait pas le droit de participer à ça. Pour le début.
- Restez là. Attendez que je fasse un signe.
Un signe. On l'écouta, on resta derrière lui. Mais on se releva pour être prêts à attaquer. Le Lucario sourit. Ça déclencha une frayeur qui me parcourut l'échine. Linda déglutit, et Démétrios soupira. Ce Lucario connaissait Ten. C'était bizarre.
Comme si c'était un peu personnel.